« Un prêtre marié/V » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
YannBot (discussion | contributions)
m Bot: Fixing redirects
Phe-bot (discussion | contributions)
m Typographie
Ligne 29 :
Calixte était moins une femme qu’une vision — « une vision, disait Jeanne Roussel, qui me l’a presque montrée à force de m’en parler, comme Dieu voulait sans doute, dans une vue de providence, que ce scélérat de Sombreval en eût une, sans cesse, devant les yeux ». On aurait dit l’Ange de la souffrance marchant sur la terre du Seigneur, mais y marchant dans sa fulgurante et virginale beauté d’ange, que les plus cruelles douleurs ressenties ne pouvaient profaner.
 
Calixte souffrait dans son corps et dans son esprit : dans son corps par la maladie et dans son esprit par son père, mais elle n’en était que plus belle. Elle avait la beauté chrétienne, la double poésie, la double vertu de l’Innocence et de l’Expiation...l’Expiation… Les pâleurs de la colère de Néel n’étaient que des roses lavées par les pluies en comparaison de la pâleur surnaturelle de Calixte. Comme un vase d’un ivoire humain trop pur pour résister aux rudes attouchements de la vie, son visage, plus que pâle, était simplement encadré par des cheveux d’un blond d’or clair, relevés droit et découvrant les tempes douloureuses — coiffure inconnue à cette époque, et que la malheureuse enfant avait inventée pour s’épargner les sensations, insupportablement aiguës, que le fer et la torsion causaient à ses cheveux ; seulement, chose étrange ! il était surmonté d’une bande de velours écarlate, qui rendait plus profonde et plus exaspérée son étonnante pâleur.
 
Trop large pour être une parure, ce ruban écarlate qui ceignait cette tête d’un blanc si mat et passait tout près des sourcils figurait bien la couronne sanglante d’un front martyr. On eût dit un cercle de sang figé — laissé là par de sublimes tortures — et on aurait pensé à ces Méduses chrétiennes dont le front ouvert verse du vrai sang sous les épines du couronnement mystique, comme nous en avons vu couler, en ces dernières années, du front déchiré des Stigmatisées du Tyrol. Elle aussi était stigmatisée ! Elle ne l’était pas par l’amour qui a demandé à Dieu de partager ses blessures, mais par l’horreur involontaire d’une mère — morte d’horreur !
 
Néel, qui ne savait pas ce que cachait cette singulière bande écarlate, Néel, qui ne pouvait pas se douter que la fille au prêtre fût une chrétienne, ne comprenait rien à ce diadème inexplicable qui faisait peur comme un mystère et fascinait comme un danger. Il ne comprenait pas. Mais n’est-ce pas l’incompréhensible qui enfonce toujours plus avant l’amour dans nos cœurs ?...
 
Le sang de la légère blessure de Néel était étanché. Ses cheveux mouillés encore bouclaient plus lustrés et plus beaux autour de son visage, auquel une passion naissante donnait une expression pleine de charme. Il se leva gracieusement du mur où il était étendu et, regardant avec des yeux, redevenus bleus de douceur et de tendresse, la jeune fille qui, en se penchant vers lui, s’était (à ce qu’il semblait) toute versée dans son cœur et qui l’emplissait, comme un liquide remplit une coupe :