« Le Romantisme et l’éditeur Renduel (RDDM) » : différence entre les versions

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En 1816, il suivit ses parens, qui allaient habiter Clamecy, et entra comme clerc chez un avoué de cette ville. Il travailla dans cette étude jusqu'à l'heure où il fut pris par la conscription; mais il n'eut pas plutôt goûté de l'état militaire qu'il en fut las il obtint facilement de se faire remplacer en ce temps de paix réparatrice et put aussitôt rentrer dans la vie civile. Il se rendit alors à Paris, où il brûlait de tenter la fortune, et se présenta chez un petit libraire, auquel un ami commun l'avait adressé. Celui-ci, qui n'avait besoin d'aucun commis pour faire son modeste commerce, consentit seulement à l'employer jusqu'au jour où il trouverait une place tant soit peu lucrative. Renduel entra peu après dans une grande librairie, mais découvrit bientôt que l'on n'y usait pas des procédés les plus délicats envers les souscripteurs, alléchés par de magnifiques annonces. Ces façons peu loyales choquèrent vivement la nature honnête et un peu rude du jeune homme, qui sortit aussitôt de cette maison : c'était peu après 1820.
 
A cette même époque, un ancien militaire, épris des opinions libérales, venait d'installer, rue de la Huchette, une librairie où il voulait publier surtout des ouvrages déplaisans au gouvernement et combattant les idées religieuses en faveur sous la Restauration. Le colonel Touquet obtint alors une réputation éphémère en répandant, au meilleur marché possible, des livres d'opposition politique et religieuse, - entre autres les oeuvresœuvres de Voltaire et de Rousseau, - auxquels l'esprit de parti donna dans l'instant beaucoup de vogue. De cette célébrité passagère, il ne reste aujourd'hui que deux titres inséparables : le Voltaire-Touquet et les Tabatières à la Charte. Ces dernières, qui se vendaient à bas prix, étaient de simples tabatières sur le couvercle desquelles toute la Charte était reproduite en lettres minuscules, avec figures allégoriques, imprimées en lithographie par Godefroy Engelmann c'était encore un procédé d'opposition, afin que les priseurs eussent toujours sous les yeux les droits écrits du citoyen français. Les royalistes répondirent à cette manoeuvremanœuvre en faisant fabriquer d'autres tabatières, avec le testament de Louis XVI et le portrait du roi-martyr ; mais le succès populaire était acquis et assuré aux Tabatières-Touquet.
 
Renduel entra, en 1821, chez le colonel Touquet, avec les idées duquel ses enthousiasmes de jeune homme s'accordaient sur plus d'un point. Les affaires de la librairie amenaient fréquemment le nouveau commis dans les bureaux de M. Laurens, imprimeur-libraire de la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice (aujourd'hui rue Bonaparte, de la rue du Vieux-Colombier à la rue de Vaugirard). Là, il eut occasion de voir plusieurs fois l'une des filles de l'imprimeur, la cadette, et la demanda en mariage : cette union allait se faire, et Renduel devait même succéder à son beau+père, lorsqu'un premier malheur, la mort de Mme Laurens, vint entraver l'accomplissement de ces beaux projets.
 
Le colonel Touquet avait très bien su profiter de son succès au point de vue commercial ; mais sa vogue ne tarda pas à baisser, dès que l'on reconnut que ses éditions, ayant le seul avantage de ne pas coûter cher, étaient fautives et peu soignées. Il en parut de beaucoup meilleures qui rendirent le débit des siennes presque nul; et, ses affaires allant de mal en pis, il dut enfin se réfugier en Belgique. Comme la librairie de Touquet commençait à décliner, bien qu'elle se fût transportée dans un quartier plus vivant, à la galerie Vivienne, M. Laurens engagea son futur gendre à faire quelques voyages pour mieux se mettre au courant des affaires. Renduel entra alors chez HautecoeurHautecœur jeune, dont la librairie était rue de Grenelle-Saint-Honoré (aujourd'hui rue J.-J. Rousseau, de la rue Saint-Honoré à la rue Coquillière); il espérait bientôt se marier et s'établir, mais il comptait sans les intrigues de gens qui avaient intérêt à ce que l'imprimerie passât en d'autres mains que les siennes. Il en arriva comme ceux-ci voulaient : M. Laurens transmit son brevet d'imprimeur à Honoré de Balzac. Ce nouveau contretemps ne devait pas arrêter Renduel, qui persista dans ses vues et finit par l'emporter : M. Laurens devint Mme Renduel (1).
 
A partir de ce moment, Renduel redoubla de zèle, pour mettre un peu d'aisance dans son ménage, et il fut vaillamment secondé par sa femme, qui, en digne fille d'imprimeur, lisait et corrigeait tous les ouvrages en cours d'impression. Grâce à leur activité commune, à leur ardeur au travail, ils purent élever peu à peu leur librairie au premier rang. C'est au courant de l'année 1828 que Renduel installa, au numéro 22 de la rue des Grands-Augustins, « ce cabinet de librairie » qui devait être, peu d'années après, le rendez-vous de toutes les célébrités littéraires et artistiques de l'époque, et surtout des chefs de file et des disciples enthousiastes de l'école romantique. Il débuta- de la façon la plus modeste, en publiant un tout petit code (format in-32), puis des Contes de Berquin, de moitié avec un ami, et d'autres ouvrages de peu d'importance.
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Combien d'ouvrages de mérite Renduel fit-il paraître ! Combien d'auteurs de génie ou de talent virent leur premier livre édité par lui, ou le vinrent successivement trouver par la force même des choses! Victor Hugo d'abord, puis Sainte-Beuve, Lamennais, Théophile Gautier, Henri Heine, Paul et Alfred de Musset, Gérard de Nerval, Alfred de Vigny, Jules et Paul Lacroix, Charles Nodier, Pétrus Borel, Frédéric Soulié, Eugène Sue, Léon Gozlan, Alphonse Royer, d'Ortigue, le vicomte d'Arlincourt, Michel Masson, Louis de Maynard, Raymond Brucker, etc.
 
Il fallait alors un rare esprit d'initiative, presque de l'audace, pour publier les écrits de Heine et les contes d'Hoffmann. C'est Renduel qui, le premier, demanda à Henri Heine, alors connu seulement par quelques articles de la Revue des Deux Mondes, de réunir en un volume ses études sur notre pays; de là le premier ouvrage de Heine paru en 1833 et intitulé : De la France. Le succès n'avait pas trompé l'attente de l'éditeur, qui traita ensuite avec Henri Heine pour publier ses oeuvresœuvres complètes, et qui les fit paraître effectivement, au courant des deux années suivantes, en cinq volumes, dont un sur la France, deux sur l'Allemagne et deux de Reisebilder. Et ce qui prouve qu'il y avait alors un certain mérite à apprécier Henri Heine, quelque courage à l'accueillir, c'est que dix ans plus tard, quand Renduel eut pris ses quartiers définitifs à sa campagne, Heine fut très embarrassé de trouver un éditeur. Hachette n'avait pris qu'en dépôt le restant de l'édition de Renduel, et Heine, redevenu libre de placer ses ouvrages où il voudrait, les alla proposer à Charpentier. Or, celui-ci, qui n'était pourtant pas un homme ordinaire, écrivait dans ce temps à Renduel : « J'ai parcouru les ouvrages de Heine, que j'avais fait prendre, avec votre petit mot, chez Hachette, et franchement, ça n'est pas bon. C'est du dévergondage politique, philosophique, etc., sur tous les points enfin; et l'esprit qui s'y trouve quelquefois sent diablement le cruchon de bière. C'est d'un étudiant allemand échauffé. Je suis fâché de ne pouvoir les imprimer, car j'aurais eu du plaisir à vous compter encore quelques piles d'écus de 5 francs; mais c'est impossible. » Effectivement, Charpentier n'édita jamais les ouvrages de Heine, qui fut tout heureux et tout aise, à la fin, de rencontrer un second Renduel en la personne de Michel Lévy (2).
 
 
Lorsque Renduel, l'esprit séduit et charmé par les contes d'Hoffmann, avait décidé de les faire fous traduire, il s'était adressé, pour cette tâche délicate, à Loève-Veimars, et il avait eu la main heureuse, à ne juger que le talent de l'écrivain, dont la remarquable traduction est devenue classique. Cette longue publication obtint une vogue considérable, ne dura pas moins de cinq ans, de 1829 à 1833, et s'étendit jusqu'à vingt volumes, tandis qu'une traduction rivale, celle de Théodore Toussenel, suscitée par ce succès inespéré et commencée seulement un an plus tard, s'arrêta à douze volumes d'égale contenance. L'édition des Contes d'Hoffmann, publiée par Renduel, était aussi bien une oeuvreœuvre de luxe qu'une oeuvreœuvre littéraire; car, outre une notice historique de Walter Scott sur l'humoriste allemand, elle renfermait un beau portrait, dessiné par Henriquel-Dupont d'après une silhouette d'Hoffmann par lui-même, puis deux vignettes de Tony Johannot, l'une tirée du conte de Maître Floh et l'autre représentant le chat Murr.
 
Sue et Soulié contribuèrent aussi à la prospérité de l'entreprise de Renduel. S'il ne publia du second qu'une réédition des Deux Cadavres, il eut en revanche la primeur de deux des plus célèbres romans du premier. Au moment où Renduel entra en rapports avec Eugène Sue, celui-ci venait de quitter la carrière maritime pour s'essayer dans la littérature, après avoir exercé la chirurgie dans les armées de terre et de mer, parcouru l'Espagne, les Antilles, la Grèce et assisté enfin à la bataille de Navarin. Renduel commença par rééditer Atar-Gull, publié d'abord chez Vimont, puis il fit paraître, coup sur coup et à un an de distance, les deux grands romans maritimes de Plick et Plock et de la Salamandre. Plick et Plock était le premier ouvrage d'imagination sur la vie maritime qui fût écrit en France, et il avait d'abord paru dans un recueil littéraire, la Mode, mais il retrouva en volume le succès retentissant qu'il avait obtenu en feuilletons, et la vogue de ces récits fut telle qu'elle établit définitivement la réputation naissante du romancier.
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Cela demande explication. Victor Hugo étant de beaucoup le plus illustre entre tant d'écrivains célèbres édités à la librairie romantique par excellence, on croit généralement que c'est lui qui fit la fortune de Renduel : il n'en est rien. D'abord Hugo vendait ses ouvrages extrêmement cher en s'appuyant sur le grand succès remporté par ses premiers recueils de vers bien avant que Renduel n'eût monté sa maison d'édition. Celui-ci, en effet, ne put avoir dès l'origine que trois des volumes de poésies : les Feuilles d'automne, les Chants du Crépuscule et les Voix intérieures, tandis qu'il mit en vente les premières éditions de cinq drames Marion Delorme, le Roi s'amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo. J'ajouterai, pour être complet, les deux volumes de Littérature et Philosophie mélées.
 
Renduel avait un intérêt évident à réunir en faisceau dans son magasin toutes les oeuvresœuvres du poète, afin de devenir son éditeur exclusif, et il y arriva au prix de sacrifices pécuniaires qui n'étaient pas toujours suivis de bénéfices. Hugo se faisait payer également cher ses poésies et ses drames, mais autant les unes avaient de succès, autant les autres se vendaient mal, même Marion, même le Roi s'amuse, en sorte que le libraire perdait forcément d'un côté ce qu'il gagnait de l'autre. J'ai sous les yeux l'état des sommes comptées à Victor Hugo par Renduel du mois d'octobre 1835 à la fin de 1838, et le total de cette seule liste s'élève à 43.000 francs. Ce chiffre semblera peu considérable aujourd'hui, rapproché du prix exorbitant que le maître exigea pour les Misérables et les Travailleurs de la Mer; c'était au contraire une somme extrêmement élevée, même répartie sur trois années, au temps où Gautier s'estimait trop heureux de céder Mademoiselle de Maupin pour 1.500 francs.
 
Il faut lire les traités rédigés avec une minutie extrême et ,Surchargés de ratures restreignant encore les droits du libraire, pour avoir une idée des conditions léonines que le poète imposait dés lors à ses éditeurs et dont il exigeait l'exécution à une minute, à un centime près. Le premier traité conclu avec Renduel, -celui pour Marion Delorme, signé le 20 août 1831, soit neuf jours après la première représentation au théâtre de la Porte-Saint-Martin, - est un des plus simples : l'éditeur avait le droit de tirer autant ,l'exemplaires qu'il voudrait par série de 500, en payant 2 francs par exemplaire à l'auteur qui paraphait tous les titres, les gardait chez lui, ne les livrait que contre argent donné d'avance, par série de 500, et devait rentrer dans sa propriété au bout d'un an. Les conditions sont sensiblement plus dures pour les quatre autres drames que Renduel acheta dès l'origine, mais, à quelques chiffres près, elles sont identiques pour le Roi s'amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo : je me réserve d'en reparler un Peu plus loin.
 
Les 4.000 premiers exemplaires des Feuilles d'automne furent payés 6.000 francs, toujours pour une seule année. Le poète ne traitant jamais que pour un délai très court, dès que cette période finissait, le libraire se voyait forcé de signer de nouvelles ; conventions, ne fût-ce que pour empêcher l'auteur de porter telle ou telle oeuvreœuvre à un autre éditeur qui, en donnant le livre à meilleur compte, aurait arrêté net le débit des exemplaires restant en magasin. Tous ces traités et renouvellemens, accumulés à la file, atteignirent bien vite à un chiffre énorme qui montait toujours d'année en année. En 1835, le libraire paya 9.000 francs le droit de réimprimer les Odes et Ballades, les Orientales et les Feuilles d'automne, pour dix-huit mois, et de vendre pendant un an les premiers exemplaires d'un nouveau recueil : les Chants du Crépuscule. Et dès que ce traité approche de sa fin, Renduel en signe un autre où il payait 11.000 francs le droit de republier les quatre recueils durant dix-huit nouveaux mois ainsi que le volume à venir des Voix intérieures pendant une seule année.
 
Il n'est question ici que des poésies, mais les drames et les romans n'étaient pas oubliés. En février 1832, Renduel traitait avec Hugo pour réimprimer ses romans, publiés originairement par divers éditeurs: Bug-Jaryal, Han d'Islande, le Dernier Jour d'un condamné et Notre-Dame de Paris avec deux chapitres nouveaux (1). Les conditions étaient les mêmes pour tous ces ouvrages: quinze mois de délai, un franc par exemplaire, tirage de 1.000 exemplaires, sauf pour Bug-Jaryal réduit à 750. Si ces conventions n'étaient pas trop dures, c'est que Renduel, à ce qu'il m'a dit lui-même, avait regimbé contre les propositions d'Hugo qui ne demandait pas moins de 6.000 à 8.000 francs en raison du grand succès de Notre-Dame, publiée auparavant chez Gosselin. Au mois de mai de la même année 1832, l'éditeur s'engageait. par traité écrit en entier de la main d'Hugo, à publier Littérature et Philosophie mêlées à 2.000 exemplaires et avec dix-huit mois de délai, en payant 6.000 francs s'il y avait deux volumes et 3.000 s'il n'y en avait qu'un : il y en eut deux.
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Enfin en juillet 1836, Renduel, qui avait déjà tant à payer à Hugo pour ses poésies, œuvres critiques ou romans, concluait avec lui un nouveau traité en vue de rééditer Notre-Dame de Paris, toujours en trois volumes et à 11.000 exemplaires, puis la collection de ses sept drames depuis Cromwell et Hernani (2) jusqu'à Angelo, en six volumes (Marie Tudor et Angelo n'en formant qu'un) et à 3.300 exemplaires. Pour écouler cette énorme quantité de livres, il avait trois ans et demi pour le roman et seulement dix-huit mois pour les drames; enfin il payait à l'auteur la bagatelle de 60.000 francs, dont 10.000 comptant et le reste échelonné jusqu'à la fin de décembre 1838. Arrivé à ce point, Renduel s'aperçut qu'en suivant plus longtemps cette progression incessante, il irait droit à la ruine : il jugea donc prudent de s'arrêter, et quand parurent Ruy Blas et les Rayons et les Ombres, il passa la main à Delloye (3).
 
Victor Hugo faisait volontiers largesse de ses ouvrages, parfois même en les revêtant d'une reliure assortie, et l'on tenait soigneusement compte à la librairie des exemplaires et des frais de reliure à porter au compte de l'auteur; mais il ne paraît pas que Renduel les réclamât très vivement, le moment venu, car je possède une facture dressée pour tous les exemplaires que le poète avait pris ou fait relier de novembre 1835 à janvier 1837, et elle est restée telle quelle entre les mains du libraire : elle s'élève à 239 volumes et à 179 francs de reliure. Quelques détails curieux : le 20 août 1836, Victor Hugo faisait envoyer au curé de Fourqueux ses oeuvresœuvres complètes en vingt volumes, reliées pour 40 francs : c'est à Fourqueux, près Saint-Germain-en-Laye, que la famille Hugo allait en villégiature et que la jeune Léopoldine Hugo fit sa première communion. Le 22 mars 1837, il adressait ses Feuilles d'automne, brochées, à Henri Journet, et le 2 avril ses deux volumes d'Odes et Ballades, brochés, à Auguste Vacquerie. Le 17 du même mois, Auguste de Châtillon était gratifié des six volumes de drames, brochés, et le 23, Mlle Taglioni recevait en hommage Notre-Dame de Paris en trois volumes, reliés pour 8 francs ; enfin, le 18 mai Bernard de Rennes recevait à la fois Han d'Islande et les Odes, Cromwell et Hernani, brochés. Le 18 juillet 1837, Hugo adressait à M. de Féletz les Voix intérieures, brochées, et le 31 du mois de juin, il avait fait le même cadeau à Chateaubriand. Voilà pour les envois les plus significatifs.
 
Une révélation toute littéraire pour clore ces questions d'intérêt, qui ont bien leur importance quand il s'agit d'ouvrages de cette valeur. J'ai vu, de mes yeux vu, le traité en date du 25 août 1832, par lequel Victor Hugo s'engageait à réserver à Renduel les trois mille premiers exemplaires d'un grand roman intitulé le Fils de la Bossue aux conditions antérieurement stipulées pour d'autres ouvrages avec Renduel ou Gosselin. Rien que deux articles, le second atténuant le premier en établissant qu'aucun délai n'était fixé à l'auteur pour la remise du manuscrit. Renduel, on le sait, n'eut jamais à publier le Fils de la Bossue, non plus que la Quiquengrogne ou le Manuscrit de l'Évêque, pour lequel il avait pareil engagement de l'auteur et qui devint l'épisode de l'évêque Myriel dans Fantine, des Misérables. Lorsque l'éditeur Lacroix traita avec Hugo pour les Misérables, il fut averti par l'auteur qu'il devrait s'entendre avec Renduel pour racheter le droit de publication des deux premiers volumes; mais il n'en coûta pas à Lacroix la grosse somme de 30.000 francs, comme on l'a dit un jour, en plus des droits payés à Victor Hugo. La négociation fut des plus faciles; Lacroix alla trouver Renduel dans sa retraite de la Nièvre et l'entente se fit rapidement entre eux, sans débat d'aucune sorte : Renduel reçut en tout et pour tout 8.000 francs (4).
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(2) La première édition de Hernani avait paru chez Maine en 1829. Étourdi par le bruit qu'on faisait autour de ce drame, le libraire, à ce que m'a dit Renduel, avait fait la folie de le payer 6.000 francs. Ce fut autant de perdu, la vente ayant couvert tout juste les frais de publication.
 
(3) A ce moment-là, d'ailleurs, toutes les oeuvresœuvres antérieures de Victor Hugo, portant l'indication des deux librairies Renduel et Delloye, subirent un rabais considérable, de moitié ou même des deux tiers, selon qu'elles étaient de vente plus ou moins facile. On en trouve le détail dans les journaux du temps : Notre-Dame, en trois volumes, se vendait 12 francs au lieu de 22 fr. 50; chaque volume de poésies, 4 francs au lieu de 7 fr. 50 et S francs ; chaque drame, 2 fr. 50 au lieu de 7 fr. 50 et S francs, etc. On voit que cette diminution confirme ce que Renduel m'a dit sur le débit très lent des drames et ouvrages en prose comparé à celui des poésies et de Notre-Dame de Paris.
 
(4) A propos de la Quiquengrogne, on lit ce qui suit dans la Revue de Paris (n° de septembre 1832) : « M. Victor Hugo, dont le dernier drame, le Roi s'amuse, est en répétition, doit publier cet automne un nouveau volume de poésies et deux romans. Le premier, qui a pour titre la Quiquengrogne, a été acheté 15.000 francs par les libraires Charles Gosselin et Eugène Renduel. Ce titre a quelque chose de bizarre. Qu'est-ce que la Quiquengrogne? Nous avons entendu faire déjà si souvent cette question que nous sommes heureux de pouvoir répondre par un document à peu près officiel. Voici l'extrait d'une lettre de M. Victor Hugo lui-même à ses éditeurs : « La Quiquengrogne est le nom populaire de l'une des tours de Bourbon-l'Archambault. Le roman est destiné à compléter ses vues sur l'art du moyen âge, dont Notre-Dame de Paris a donné la première partie. Notre-Dame de Paris, c'est la cathédrale ; la Quiquengrogne, ce sera le donjon. L'architecture militaire, après l'architecture religieuse. Dans Notre-Dame j'ai peint plus particulièrement le moyen-âge sacerdotal; dans la Quiquengrogne, je peindrai plus spécialement le moyen-âge féodal, le tout selon mes idées, bien entendu, qui, bonnes ou mauvaises, sont à moi. Le Fils de la Bossue paraîtra après la Quiquengrone et n'aura qu'un volume. » - La Quiquengrogne et le Fils de la Bossue, autant en emporta le vent.
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(7) Cet article, qui parut à la Revue des Deux Mondes en novembre 1535, se retrouve en entier dans le premier volume des Portraits contemporains (Paris, Didier, 1846).
 
(8) La rupture de Sainte-Beuve avec Hugo a inspiré à Henri Heine une de ses facéties les plus plaisantes : « ... Presque tous ses anciens amis l'ont abandonné (Victor Hugo), écrit-il à Auguste Lewald en mars 1838, et, pour dire la vérité, l'ont abandonné par sa faute, blessés qu'ils étaient par cet égoïsme, très nuisible dans le commerce social. Sainte-Beuve lui-même n'a pu y résister; Sainte-Beuve le blâme aujourd'hui, lui qui fut jadis le héraut le plus fidèle de sa gloire. Comme en Afrique, quand le roi de Darfour sort en public, un panégyriste va criant devant lui de sa voix la plus éclatante : « Voici venir le buffle, véritable descendant du buffle, le « taureau des taureaux; tous les autres sont des boeufsbœufs : celui-ci est le seul véritable buffle! » Ainsi Sainte-Beuve, chaque fois que Victor Hugo se présentait au public avec un nouvel ouvrage, courait jadis devant lui, embouchait la trompette et célébrait le buffle de la poésie. »