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réponds... Je suis en crise ministérielle, ne vous inquiétez pas... Tout va bien ici, l’ordre ne sera pas troublé... » Bientôt, à quelque marque de surprise ou à quelque observation, elle répond avec un emportement douloureux : « Vous ne vous rendez pas compte de la situation... Les difficultés sont immenses. M. Schneider me met le couteau sur la gorge pour un ministère presque impossible. Pour faire face à cette situation, je suis sans commandant de troupes, et l’émeute est presque dans la rue... » Le 8, la malheureuse femme écrit : « Ne vous privez pas de Canrobert, il peut vous être utile... » Le lendemain, elle dit: « Canrobert m’est indispensable. Prenez Trochu à sa place, vous donnerez satisfaction à l’opinion publique, et vous me donnerez un homme dévoué, ce dont je manque complètement. Dans quarante-huit heures, je serai trahie par la peur des uns, par l’inertie des autres... » La question la plus grave est de faire comprendre à l’empereur que l’opinion devient impérieuse, qu’il faut absolument éloigner le maréchal Lebœuf, rendu « responsable de tous les ordres et contre-ordres qui transpirent à Paris, » qu’il est nécessaire de s’entendre « avec Bazaine, qui seul inspire confiance, » et lui remettre au besoin le commandement. L’empereur ne comprend pas en effet, il ne comprend ni cette prétention de vouloir lui enlever son major-général, ni rien de ce qui se passe à Paris, et il ajoute assez mélancoliquement : « J’apprends avec peine que la chambre s’est déclarée en permanence, c’est une violation manifeste de la constitution... Je crois que nous revenons au beau temps de la révolution, où l’on voulait conduire les armées par des représentans de la convention... » De guerre lasse, l’impératrice s’adresse au maréchal Lebœuf lui-même en lui disant d’un ton fébrile : « Au nom de votre ancien dévoûment, donnez votre démission de major-général, je vous en supplie... Dans les circonstances actuelles, nous sommes tous obligés aux sacrifices; croyez qu’il n’en est pas de plus dur que la démarche que je fais auprès de vous... » Notez que ce drame intime des relations de Paris et de Metz, le nouveau ministère était obligé de le voiler dans ses réponses aux incessantes questions dont on l’assaillait dans le corps législatif; il se voyait réduit, pour couvrir les incertitudes de la direction militaire, les irrésolutions de l’empereur, à représenter souvent comme accompli ce qui ne l’était pas, ce qu’on s’efforçait d’obtenir du souverain en l’assiégeant de télégrammes, de supplications, d’insinuations, de démarches directes ou dissimulées.
réponds… Je suis en crise ministérielle, ne vous inquiétez pas… Tout va bien ici, l’ordre ne sera pas troublé… » Bientôt, à quelque marque de surprise ou à quelque observation, elle répond avec un emportement douloureux : « Vous ne vous rendez pas compte de la situation… Les difficultés sont immenses. M. Schneider me met le couteau sur la gorge pour un ministère presque impossible. Pour faire face à cette situation, je suis sans commandant de troupes, et l’émeute est presque dans la rue… » Le 8, la malheureuse femme écrit : « Ne vous privez pas de Canrobert, il peut vous être utile… » Le lendemain, elle dit : « Canrobert m’est indispensable. Prenez Trochu à sa place, vous donnerez satisfaction à l’opinion publique, et vous me donnerez un homme dévoué, ce dont je manque complètement. Dans quarante-huit heures, je serai trahie par la peur des uns, par l’inertie des autres… » La question la plus grave est de faire comprendre à l’empereur que l’opinion devient impérieuse, qu’il faut absolument éloigner le maréchal Lebœuf, rendu « responsable de tous les ordres et contre-ordres qui transpirent à Paris, » qu’il est nécessaire de s’entendre « avec Bazaine, qui seul inspire confiance, » et lui remettre au besoin le commandement. L’empereur ne comprend pas en effet, il ne comprend ni cette prétention de vouloir lui enlever son major-général, ni rien de ce qui se passe à Paris, et il ajoute assez mélancoliquement : « J’apprends avec peine que la chambre s’est déclarée en permanence, c’est une violation manifeste de la constitution… Je crois que nous revenons au beau temps de la révolution, où l’on voulait conduire les armées par des représentans de la convention… » De guerre lasse, l’impératrice s’adresse au maréchal Lebœuf lui-même en lui disant d’un ton fébrile : « Au nom de votre ancien dévoûment, donnez votre démission de major-général, je vous en supplie… Dans les circonstances actuelles, nous sommes tous obligés aux sacrifices ; croyez qu’il n’en est pas de plus dur que la démarche que je fais auprès de vous… » Notez que ce drame intime des relations de Paris et de Metz, le nouveau ministère était obligé de le voiler dans ses réponses aux incessantes questions dont on l’assaillait dans le corps législatif ; il se voyait réduit, pour couvrir les incertitudes de la direction militaire, les irrésolutions de l’empereur, à représenter souvent comme accompli ce qui ne l’était pas, ce qu’on s’efforçait d’obtenir du souverain en l’assiégeant de télégrammes, de supplications, d’insinuations, de démarches directes ou dissimulées.


Le résultat de cette dramatique et laborieuse diplomatie était de faire tomber le commandement des mains du major-général et de l’empereur lui-même aux mains du maréchal Bazaine proposé par l’opposition, poussé par l’opinion, désiré aussi par l’armée, qui se lassait de tergiversations. La faveur publique, par une de ces
Le résultat de cette dramatique et laborieuse diplomatie était de faire tomber le commandement des mains du major-général et de l’empereur lui-même aux mains du maréchal Bazaine proposé par l’opposition, poussé par l’opinion, désiré aussi par l’armée, qui se lassait de tergiversations. La faveur publique, par une de ces