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échappent au naufrage, sont ceux qui ont eu l’énergie de se vaincre eux-mêmes, qui dès le début ont fixé une limite à leurs désirs et se sont enfermés par raison, par vertu, dans le strict accomplissement du devoir. Edouard porte au contraire la peine de l’impétuosité de ses passions; il détruit son repos de ses propres mains, et entraîne avec lui dans son malheur la naïve Ottilie, coupable aussi de l’avoir trop écouté, de s’être laissé séduire par le mirage de l’amour. Lorsque Goethe touche à cette question du renoncement volontaire, de l’obligation imposée à chacun de nous par la nature de nous priver et de nous restreindre, si nous voulons être heureux, il rencontre le fondement même de la loi morale, qui a été la règle de sa vie intérieure et le principal secret de sa force. Dès sa jeunesse, il s’est défendu comme d’un piège des excès de la passion et des entraînemens de la sensibilité. Chez lui, l’amour de l’ordre, qu’il tenait de son père, a toujours contre-balancé l’amour du plaisir, qu’il tenait de sa mère. Sa vertu n’a rien de farouche; il jouit souvent de la vie en épicurien indulgent pour lui-même; mais il se fixe une limite qu’il ne dépasse jamais, il sait s’arrêter à propos au moment où le plaisir dérangerait l’équilibre de ses facultés et troublerait son bonheur. Il y a du stoïcisme dans cette perpétuelle vigilance, dans ce constant effort accompli sur soi-même; il y a aussi une merveilleuse intelligence des conditions de la vie. C’est pour mieux jouir du plaisir que Goethe s’interdit l’excès du plaisir : chaque privation se traduit pour lui par un accroissement de jouissances morales; il se dédommage des satisfactions passagères qu’il sacrifie par la tranquillité durable qu’il s’assure.
échappent au naufrage, sont ceux qui ont eu l’énergie de se vaincre eux-mêmes, qui dès le début ont fixé une limite à leurs désirs et se sont enfermés par raison, par vertu, dans le strict accomplissement du devoir. Edouard porte au contraire la peine de l’impétuosité de ses passions ; il détruit son repos de ses propres mains, et entraîne avec lui dans son malheur la naïve Ottilie, coupable aussi de l’avoir trop écouté, de s’être laissé séduire par le mirage de l’amour. Lorsque Goethe touche à cette question du renoncement volontaire, de l’obligation imposée à chacun de nous par la nature de nous priver et de nous restreindre, si nous voulons être heureux, il rencontre le fondement même de la loi morale, qui a été la règle de sa vie intérieure et le principal secret de sa force. Dès sa jeunesse, il s’est défendu comme d’un piège des excès de la passion et des entraînemens de la sensibilité. Chez lui, l’amour de l’ordre, qu’il tenait de son père, a toujours contre-balancé l’amour du plaisir, qu’il tenait de sa mère. Sa vertu n’a rien de farouche ; il jouit souvent de la vie en épicurien indulgent pour lui-même ; mais il se fixe une limite qu’il ne dépasse jamais, il sait s’arrêter à propos au moment où le plaisir dérangerait l’équilibre de ses facultés et troublerait son bonheur. Il y a du stoïcisme dans cette perpétuelle vigilance, dans ce constant effort accompli sur soi-même ; il y a aussi une merveilleuse intelligence des conditions de la vie. C’est pour mieux jouir du plaisir que Goethe s’interdit l’excès du plaisir : chaque privation se traduit pour lui par un accroissement de jouissances morales ; il se dédommage des satisfactions passagères qu’il sacrifie par la tranquillité durable qu’il s’assure.