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des ''Mille et une Nuits''. On ne peut s’empêcher en lisant cette description de penser à la destinée tragique qui attendait l’amphitryon. On sait que Laborde, député à l’assemblée constituante, et désigné aux premiers coups de la terreur par son luxe autant que par son attachement à la famille royale, périt sur l’échafaud en 1793.
des ''Mille et une Nuits''. On ne peut s’empêcher en lisant cette description de penser à la destinée tragique qui attendait l’amphitryon. On sait que Laborde, député à l’assemblée constituante, et désigné aux premiers coups de la terreur par son luxe autant que par son attachement à la famille royale, périt sur l’échafaud en 1793.


Suivons maintenant notre guide dans la société la plus élégante de Paris, où l’introduisent de plain-pied ses relations antérieures et ses alliances de famille, et dans laquelle son esprit, ses connaissances, son humour même et son ironie l’auront bientôt naturalisé. Le voilà entrant dans un salon, « non sans une certaine affectation de délicatesse, » légèrement gauche et embarrassé comme tout homme qui a de l’amour-propre avec de l’esprit, et qui n’est pas insensible, tout en le redoutant, à l’effet qu’il va produire. Il est petit et mince, mais solide et bien fait. Sa taille est dégagée, et si la goutte ne lui rendait pas la marche difficile, il aurait la tournure d’un jeune homme; son front haut et pâle, ses yeux remarquablement brillans et pénétrans, tout, jusqu’à ce sourire sardonique, jusqu’à ce rire étrange et forcé, contribue à lui donner une ''physionomie'', cette chose si rare dans les mœurs effacées de l’époque. Il n’est pas jusqu’à cette légère difficulté qu’il ressent à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne, bien qu’il l’ait apprise à fond et qu’il en saisisse toutes les finesses, qui ne prête une certaine originalité à sa conversation. On lui sait gré de la difficulté vaincue, on goûte cette saveur du fruit nouveau, cette âpreté même qu’il aime à exagérer dès qu’il en voit le succès : il se livre bientôt sans mesure à cette liberté de juger et de critiquer les idolâtries et les idoles de la mode dès qu’il s’aperçoit que, dans cette société blasée, c’est un autre moyen de réussir que de railler tout ce qui réussit.
Suivons maintenant notre guide dans la société la plus élégante de Paris, où l’introduisent de plain-pied ses relations antérieures et ses alliances de famille, et dans laquelle son esprit, ses connaissances, son humour même et son ironie l’auront bientôt naturalisé. Le voilà entrant dans un salon, « non sans une certaine affectation de délicatesse, » légèrement gauche et embarrassé comme tout homme qui a de l’amour-propre avec de l’esprit, et qui n’est pas insensible, tout en le redoutant, à l’effet qu’il va produire. Il est petit et mince, mais solide et bien fait. Sa taille est dégagée, et si la goutte ne lui rendait pas la marche difficile, il aurait la tournure d’un jeune homme ; son front haut et pâle, ses yeux remarquablement brillans et pénétrans, tout, jusqu’à ce sourire sardonique, jusqu’à ce rire étrange et forcé, contribue à lui donner une ''physionomie'', cette chose si rare dans les mœurs effacées de l’époque. Il n’est pas jusqu’à cette légère difficulté qu’il ressent à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne, bien qu’il l’ait apprise à fond et qu’il en saisisse toutes les finesses, qui ne prête une certaine originalité à sa conversation. On lui sait gré de la difficulté vaincue, on goûte cette saveur du fruit nouveau, cette âpreté même qu’il aime à exagérer dès qu’il en voit le succès : il se livre bientôt sans mesure à cette liberté de juger et de critiquer les idolâtries et les idoles de la mode dès qu’il s’aperçoit que, dans cette société blasée, c’est un autre moyen de réussir que de railler tout ce qui réussit.


Rien de moins varié d’ailleurs qu’une journée dans le monde élégant de Paris en cet automne de 1765 : on dîne à deux heures et demie, on soupe à dix ; quand on ne va pas au théâtre, on commence un ''rubber'' avant le souper, on se lève au milieu du jeu, et après un repas de trois services et le dessert, on achève la partie en y ajoutant un nouveau rubber. On prend alors son ''sac à nœuds'', on se réunit en cercle étroit, et « les voilà tous partis sur une question de littérature et d’''irréligion'', jusqu’à ce qu’il soit l’heure de se coucher, c’est-à-dire jusqu’à l’heure où l’on devrait se lever. » Ce programme n’est varié que par quelques parties de campagne ou de spectacle, quelques fêtes plus spécialement invitées, quelques réunions plus brillantes, particulièrement à l’occasion de la première course de chevaux qui fut donnée à Paris, à l’exemple de l’Angleterre, et à laquelle Walpole apporta
Rien de moins varié d’ailleurs qu’une journée dans le monde élégant de Paris en cet automne de 1765 : on dîne à deux heures et demie, on soupe à dix ; quand on ne va pas au théâtre, on commence un ''rubber'' avant le souper, on se lève au milieu du jeu, et après un repas de trois services et le dessert, on achève la partie en y ajoutant un nouveau rubber. On prend alors son ''sac à nœuds'', on se réunit en cercle étroit, et « les voilà tous partis sur une question de littérature et d’''irréligion'', jusqu’à ce qu’il soit l’heure de se coucher, c’est-à-dire jusqu’à l’heure où l’on devrait se lever. » Ce programme n’est varié que par quelques parties de campagne ou de spectacle, quelques fêtes plus spécialement invitées, quelques réunions plus brillantes, particulièrement à l’occasion de la première course de chevaux qui fut donnée à Paris, à l’exemple de l’Angleterre, et à laquelle Walpole apporta