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raison en effet, il offre deux sens à l’esprit. On peut entendre par là la raison spiritualiste, intuitive, au sens de Platon, de Malebranche; c’est d’elle que Fénelon disait : « Raison, n’es-tu pas le dieu que je cherche? » On peut entendre encore la raison qui doute, examine, s’efforce d’arriver au vrai par l’analyse, et qui constitue la faculté ''critique'' par excellence. Est-il donc possible de s’y méprendre? La raison, pour les disciples des encyclopédistes, c’était ce raisonnement qui, soumettant tout au contrôle, plus d’une fois détruit, fait table rase. Or que penser de l’idée qui accorde à la faculté critique les honneurs d’un culte tout rempli de symboles, qui fait du raisonnement une divinité, qui niet l’analyse philosophique sûr l’autel? L’étonnement redouble quand on apprend sous quels traits cette raison, devenue ''déesse'', est appelée à y figurer. Ce singulier culte n’en eut pas moins les honneurs de Notre-Dame. La vieille cathédrale n’avait jamais brillé de plus de feux, déployé des pompes plus éclatantes, une plus grande richesse d’emblèmes : cérémonies païennes, musique profane, danses bizarres, tout ce qu’on peut supposer de moins religieux au sens mystique, mais effort pour garder au culte le caractère de luxe public, qui en est un des moyens et un des attraits.
raison en effet, il offre deux sens à l’esprit. On peut entendre par là la raison spiritualiste, intuitive, au sens de Platon, de Malebranche ; c’est d’elle que Fénelon disait : « Raison, n’es-tu pas le dieu que je cherche ? » On peut entendre encore la raison qui doute, examine, s’efforce d’arriver au vrai par l’analyse, et qui constitue la faculté ''critique'' par excellence. Est-il donc possible de s’y méprendre ? La raison, pour les disciples des encyclopédistes, c’était ce raisonnement qui, soumettant tout au contrôle, plus d’une fois détruit, fait table rase. Or que penser de l’idée qui accorde à la faculté critique les honneurs d’un culte tout rempli de symboles, qui fait du raisonnement une divinité, qui niet l’analyse philosophique sûr l’autel ? L’étonnement redouble quand on apprend sous quels traits cette raison, devenue ''déesse'', est appelée à y figurer. Ce singulier culte n’en eut pas moins les honneurs de Notre-Dame. La vieille cathédrale n’avait jamais brillé de plus de feux, déployé des pompes plus éclatantes, une plus grande richesse d’emblèmes : cérémonies païennes, musique profane, danses bizarres, tout ce qu’on peut supposer de moins religieux au sens mystique, mais effort pour garder au culte le caractère de luxe public, qui en est un des moyens et un des attraits.


Au reste, ce culte fut célébré, non-seulement à Paris, dans plusieurs églises, mais dans presque toute la France. Parfois, au milieu des flots d’encens et de l’éclat des lumières, ce n’est rien que le plus grossier naturalisme, la matière qui s’adore, le culte de la Vénus impudique. Dans quelques villes, dans quelques temples, une honnête femme, une innocente jeune fille est installée sur l’autel. Ce n’est plus le cynisme du vice, c’est souvent encore une débauche d’impiété. La raison philosophique, opprimée sous la chair dans le culte d’une belle déesse, reparaît ici, mais sous ses formes inférieures, agressives, toutes négatives et ironiques. Le catholicisme est bafoué; on outrage ses mystères, on profane ses vases sacrés, on promène dérisoirement ses emblèmes; un âne est habillé en prélat et porte l’encensoir et tous les insignes du culte. Pourtant, mais ce fut l’exception, ce culte prit çà et là un caractère plus régulier et plus décent. La raison, ce qui peut paraître étrange ici, semble redevenir presque raisonnable : elle se dépouille de la livrée de la folie; elle enseigne, elle prêche la morale, une honnête morale. On appelle cet enseignement du nom de religieux : il ne l’est ni plus ni moins que le catéchisme de Saint-Lambert, dont il reproduit les doctrines. On y prêche le civisme, le respect de l’âge et. des parens, les vertus sociales enfin; il y a peu de cérémonies, c’est pour ainsi dire un simple sermon.
Au reste, ce culte fut célébré, non-seulement à Paris, dans plusieurs églises, mais dans presque toute la France. Parfois, au milieu des flots d’encens et de l’éclat des lumières, ce n’est rien que le plus grossier naturalisme, la matière qui s’adore, le culte de la Vénus impudique. Dans quelques villes, dans quelques temples, une honnête femme, une innocente jeune fille est installée sur l’autel. Ce n’est plus le cynisme du vice, c’est souvent encore une débauche d’impiété. La raison philosophique, opprimée sous la chair dans le culte d’une belle déesse, reparaît ici, mais sous ses formes inférieures, agressives, toutes négatives et ironiques. Le catholicisme est bafoué ; on outrage ses mystères, on profane ses vases sacrés, on promène dérisoirement ses emblèmes ; un âne est habillé en prélat et porte l’encensoir et tous les insignes du culte. Pourtant, mais ce fut l’exception, ce culte prit çà et là un caractère plus régulier et plus décent. La raison, ce qui peut paraître étrange ici, semble redevenir presque raisonnable : elle se dépouille de la livrée de la folie ; elle enseigne, elle prêche la morale, une honnête morale. On appelle cet enseignement du nom de religieux : il ne l’est ni plus ni moins que le catéchisme de Saint-Lambert, dont il reproduit les doctrines. On y prêche le civisme, le respect de l’âge et. des parens, les vertus sociales enfin ; il y a peu de cérémonies, c’est pour ainsi dire un simple sermon.
Voilà l’essai de ce culte, au fond tout matérialiste, et qui le plus souvent aussi l’est brutalement dans la forme. La commune de
Voilà l’essai de ce culte, au fond tout matérialiste, et qui le plus souvent aussi l’est brutalement dans la forme. La commune de