« La Comtesse de Tende » : différence entre les versions

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La princesse de Neufchâtel lui avait déjà fait confidence de son inclination pour le chevalier de Navarre, cette comtesse la fortifia. Le chevalier la vint voir, il prit des liaisons et des mesures avec elle, mais, en la voyant, il prit aussi pour elle une passion violente. Il ne s'y abandonna pas d'abord, il vit les obstacles que ces sentiments partagés entre l'amour et l'ambition apporteraient à son dessein, il résista, mais, pour résister, il ne fallait pas voir souvent la comtesse de Tende et il la voyait tous les jours en cherchant la princesse de Neufchâtel; ainsi il devint éperdument amoureux de la comtesse. Il ne put lui cacher entièrement sa passion, elle s'en aperçut, son amour-propre en fut flatté, et elle se sentit un amour violent pour lui.
 
Un jour, comme elle lui parlait de la grande fortune d'épouser la princesse de Neufchâtel, il lui dit en la regardant d'un air où sa passion était entièrement déclarée: Et croyez-vous, madame, qu'il n'y ait point de fortune que je préférasse à celle d'épouser cette princesse? La comtesse de Tende fut frappée des regards et des paroles du chevalier, elle le regarda des mêmes yeux dont il la regardait, et il y eut un trouble et un silence entre eux, plus parlant que les paroles. Depuis ce temps, la comtesse fut dans une agitation qui lui ôta le repos, elle sentit le remords d'ôter à son amie le coeurcœur d'un homme qu'elle allait épouser uniquement pour en être aimée, qu'elle épousait avec l'improbation de tout le monde, et aux dépens de son élévation.
 
Cette trahison lui fit horreur. La honte et les malheurs d'une galanterie se présentèrent à son esprit, elle vit l'abîme où elle se précipitait et elle résolut de l'éviter.
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La comtesse de Tende était prête à expirer de douleur. Le même jour qui fut pris pour le mariage, il y avait une cérémonie publique; son mari y assista. Elle y envoya toutes ses femmes; elle fit dire qu'on ne la voyait pas et s'enferma, dans son cabinet, couchée sur un lit de repos et abandonnée à tout ce que les remords, l'amour et la jalousie peuvent faire sentir de plus cruel.
 
Comme elle était dans cet état, elle entendit ouvrir une porte dérobée de son cabinet et vit paraître le chevalier de Navarre, paré et d'une grâce au-dessus de ce qu'elle ne l'avait jamais vu: Chevalier, où allez-vous? s'écria-t-elle, que cherchez-vous? Avez-vous perdu la raison? Qu'est devenu votre mariage, et songez-vous à ma réputation? Soyez en repos de votre réputation, madame, lui répondit-il, personne ne le peut savoir, il n'est pas question de mon mariage, il ne s'agit plus de ma fortune, il ne s'agit que de votre coeurcœur, madame, et d'être aimé de vous, je renonce à tout le reste. Vous m'avez laissé voir que vous ne me haïssiez pas, mais vous m'avez voulu cacher que je suis assez heureux, pour que mon mariage vous fasse de la peine. Je viens vous dire; madame, que j'y renonce, que ce mariage me serait un supplice et que je ne veux vivre que pour vous. L'on m'attend à l'heure que je vous parle, tout est prêt, mais je vais tout rompre, si, en le rompant, je fais une chose qui vous soit agréable et qui vous prouve ma passion.
 
La comtesse se laissa tomber sur un lit de repos, dont elle s'était relevée à demi et, regardant le chevalier avec des yeux pleins d'amour et de larmes: Vous voulez donc que je meure? lui dit-elle: Croyez-vous qu'un coeurcœur puisse contenir, tout ce, que vous me faites sentir? Quitter à cause de moi la fortune qui vous attend! je n'en puis seulement supporter la pensée. Allez à Mme la princesse de Neufchâtel, allez à la grandeur qui vous est destinée, vous aurez mon coeurcœur en même temps. Je ferai de mes remords, de mes incertitudes et de ma jalousie, puisqu'il faut vous l'avouer, tout ce que ma faible raison me conseillera, mais je ne vous verrai, jamais si vous n'allez tout à l'heure achever votre mariage. Allez, ne demeurez pas un moment, mais, pour l'amour de moi et pour l'amour de vous-même, renoncez à une passion aussi déraisonnable que celle que vous me témoignez et qui nous conduira peut-être à d'horribles malheurs.
 
Le chevalier fut d'abord transporté de joie de se voir si véritablement aimé de la comtesse de Tende, mais l'horreur de se donner à une autre lui revint devant les yeux. Il pleura, il s'affligea, il lui promit tout ce qu'elle voulut, à condition qu'il la reverrait encore dans ce même lieu. Elle voulut savoir, avant qu'il sortît, comment il y était entré. Il lui dit qu'il s'était fié à un écuyer qui était à elle, et qui avait été à lui, qu'il l'avait fait passer par la cour des écuries où répondait le petit degré qui menait à ce cabinet et qui répondait aussi à la chambre de l'écuyer.
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Le comte de Tende avait toujours trouvé sa femme très aimable, quoiqu'il ne l'eût pas également aimée, mais elle lui avait toujours paru la plus estimable femme qu'il eût jamais vue; ainsi, il n'avait, pas moins d'étonnement que de fureur et, au travers de l'un et de l'autre, il sentait encore, malgré lui, une douleur où la tendresse avait quelque part.
 
Il s'arrêta dans une maison qui se trouva sur son chemin, où il passa plusieurs jours, agité et affligé, comme on peut se l'imaginer. Il pensa d'abord tout ce qu'il était naturel de penser en cette occasion; il ne songea qu'à faire mourir sa femme, mais la mort du prince de Navarre et celle de La Lande qu'il reconnut aisément pour le confident, ralentit un peu sa fureur. Il ne douta pas que sa femme ne lui eût dit vrai, en lui disant que son commerce n'avait jamais été soupçonné; il jugea que le mariage du prince de Navarre pouvait avoir trompé tout le monde, puisqu'il avait été trompé lui-même. Après une conviction si grande que celle qui s'était présentée à ses yeux, cette ignorance entière du public pour son malheur, lui fut un adoucissement, mais les circonstances, qui lui faisaient voir à quel point et de quelle manière il avait été trompé; lui perçaient le coeurcœur, et il ne respirait que la vengeance. Il pensa néanmoins que, s'il faisait mourir sa femme et que l'on s'aperçut qu'elle fût grosse, l'on soupçonnerait aisément la vérité. Comme il était l'homme du monde le plus glorieux, il prit le parti qui convenait le mieux à sa gloire et résolut, de ne rien laisser voir au public. Dans cette pensée, il envoya un gentilhomme à la comtesse de Tende, avec ce billet:
 
Le désir d'empêcher l'éclat de ma honte l'emporte présentement sur ma vengeance; je verrai, dans la suite, ce que j'ordonnerai de votre indigne destinée. Conduisez-vous, comme si vous aviez toujours été ce que vous deviez être.