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ces durs souverains le révoltaient... « Non, s’écriait-il, je ne pouvais me fier à cette Prusse, à ce bigot et long héros en guêtres, ? glouton, vantard, avec son bâton de caporal qu’il trempe dans l’eau bénite avant de frapper. Elle me déplaisait, cette nature à la fois philosophe, chrétienne et soldatesque, — cette mixture de bière blanche, de mensonge et de sable de Brandebourg. Elle me répugnait, mais au plus haut degré, cette Prusse hypocrite, avec ses semblans de sainteté, ''ce Tartufe entre les états'' ! »
ces durs souverains le révoltaient… « Non, s’écriait-il, je ne pouvais me fier à cette Prusse, à ce bigot et long héros en guêtres, ? glouton, vantard, avec son bâton de caporal qu’il trempe dans l’eau bénite avant de frapper. Elle me déplaisait, cette nature à la fois philosophe, chrétienne et soldatesque, — cette mixture de bière blanche, de mensonge et de sable de Brandebourg. Elle me répugnait, mais au plus haut degré, cette Prusse hypocrite, avec ses semblans de sainteté, ''ce Tartufe entre les états'' ! »


On dirait une page de pamphlétaire de génie, écrite à l’occasion de la guerre de 1870, — page prophétique en tout cas, à force de justesse dans l’observation des caractères et dans le discernement des causes lointaines. — Je ne voudrais cependant pas conclure cette étude sur un cri de colère. Tâchons d’élever nos âmes au-dessus de ce flot sanglant de haines et de violences qui sépare les deux pays, entraînés à cette lutte par des ambitions folles ou perverses. Gardons ce que nous pourrons préserver de cette noble et libérale sympathie qui devrait survivre entre les esprits cultivés des deux races, les deux grandes ouvrières de la civilisation moderne, et préparer le jour de leur réconciliation dans la justice et dans la paix. Cette réconciliation, je ne l’estime durable qu’à deux conditions : la première, c’est que l’Allemagne revienne aux nobles leçons d’Emmanuel Kant et désavoue à tout jamais celles qu’elle a reçues de M. de Bismarck. La seconde condition, c’est que l’unité, qui est, je le reconnais, dans la destinée de la race germanique et que nous ne devons ni entraver, ni troubler, se fasse par l’esprit allemand, non par l’esprit prussien. — L’esprit germanique, personne plus sincèrement que nous n’en a senti et reconnu l’honnête et naturelle grandeur. Tous nous rendons hommage, en France, à cette simplicité des mœurs de la famille chez nos voisins d’outre-Rhin, à cette sincérité de la vie, à cette profondeur de l’émotion poétique et du sentiment religieux. Il s’y joint, comme par surcroît, la plus grande liberté du travail intellectuel, la haute culture scientifique, et cette conscience réfléchie du droit qui se montre dans leurs livres, qui vient confirmer l’instinctive moralité du peuple, et qu’un dernier progrès réalisera, j’espère, un jour dans leur politique. — Avec cet esprit-là, notre réconciliation sera facile et douce; mais, pour Dieu! que ce fonds naturel d’honnêteté ne se laisse plus troubler par les génies malfaisans ! Que la race germanique ne livre plus les trésors de sa science, de son travail et de son cœur à cet esprit de conquête et de ruse qui est l’élément du génie et de l’histoire de la Prusse ! Avec l’unité allemande, la paix perpétuelle pourrait n’être pas un vain rêve. Avec l’unité prussienne, je crains qu’elle ne soit qu’une sanglante chimère.
On dirait une page de pamphlétaire de génie, écrite à l’occasion de la guerre de 1870, — page prophétique en tout cas, à force de justesse dans l’observation des caractères et dans le discernement des causes lointaines. — Je ne voudrais cependant pas conclure cette étude sur un cri de colère. Tâchons d’élever nos âmes au-dessus de ce flot sanglant de haines et de violences qui sépare les deux pays, entraînés à cette lutte par des ambitions folles ou perverses. Gardons ce que nous pourrons préserver de cette noble et libérale sympathie qui devrait survivre entre les esprits cultivés des deux races, les deux grandes ouvrières de la civilisation moderne, et préparer le jour de leur réconciliation dans la justice et dans la paix. Cette réconciliation, je ne l’estime durable qu’à deux conditions : la première, c’est que l’Allemagne revienne aux nobles leçons d’Emmanuel Kant et désavoue à tout jamais celles qu’elle a reçues de M. de Bismarck. La seconde condition, c’est que l’unité, qui est, je le reconnais, dans la destinée de la race germanique et que nous ne devons ni entraver, ni troubler, se fasse par l’esprit allemand, non par l’esprit prussien. — L’esprit germanique, personne plus sincèrement que nous n’en a senti et reconnu l’honnête et naturelle grandeur. Tous nous rendons hommage, en France, à cette simplicité des mœurs de la famille chez nos voisins d’outre-Rhin, à cette sincérité de la vie, à cette profondeur de l’émotion poétique et du sentiment religieux. Il s’y joint, comme par surcroît, la plus grande liberté du travail intellectuel, la haute culture scientifique, et cette conscience réfléchie du droit qui se montre dans leurs livres, qui vient confirmer l’instinctive moralité du peuple, et qu’un dernier progrès réalisera, j’espère, un jour dans leur politique. — Avec cet esprit-là, notre réconciliation sera facile et douce ; mais, pour Dieu ! que ce fonds naturel d’honnêteté ne se laisse plus troubler par les génies malfaisans ! Que la race germanique ne livre plus les trésors de sa science, de son travail et de son cœur à cet esprit de conquête et de ruse qui est l’élément du génie et de l’histoire de la Prusse ! Avec l’unité allemande, la paix perpétuelle pourrait n’être pas un vain rêve. Avec l’unité prussienne, je crains qu’elle ne soit qu’une sanglante chimère.