« L’Espagne au XIXe siècle » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m ThomasV : text
MarcBot (discussion | contributions)
m Bot : Remplacement de texte automatisé (-oeu +œu)
Ligne 13 :
L'Espagne a fini par nous contraindre à nous occuper sérieusement de son sort. Il a fallu que les convulsions de son agonie exerçassent, à Paris, un contrecoup qui déterminât un changement ministériel, pour amener le pays à comprendre que le drame joué au-delà des Pyrénées avec des péripéties si brusques et si sanglantes, n'était pas étranger à ses destinées elles-mêmes. Alors seulement notre solidarité dans un conflit qui décidera de la vitalité des idées que l'Europe entière appelle à bon droit les idées françaises, s'est révélée éclatante à tous les yeux.
 
Il a pu sembler commode, pendant trois années, de ne prêter aux affaires de la Péninsule qu'une attention distraite et secondaire, et d’en remettre la solution au hasard des événemens; on a pu prendre ses me¬sures pour s'arranger tour à tour avec MM. de Zea-Bermudez, Martinez de la Rosa, de Toreno, Mendizabal, peut-être même pour accueillir une combinaison toute différente si elle venait jamais à prévaloir; mais cette politique, qui fut long-temps funeste à l'Espagne avant que la France comprit qu'elle pouvait lui devenir funeste à elle-même, semble près de toucher à son terme; et quelles que puissent être les impossibilités actuelles de l'intervention, j'ose dire qu'il est peu de bons esprits qui ne déplorent comme un malheur et comme une faute le refus opposé en 1835 aux voeuxvœux du ministère espagnol. J'ajouterai qu'il n'est pas un homme de pénétration qui, sans prétendre déterminer aujourd'hui ou l'époque ou les conditions de notre concours, ne considère la coopération française comme inévitable dans la crise péninsulaire.
 
L'Espagne ne sortira du chaos où elle se débat entre deux principes également stériles, que par la prépondérance de la France venant en aide à un ordre politique analogue au sien : telle fut toujours notre inaltérable conviction; et ceux qui ont pu garder quelque souvenir des vues émises par nous sur cette matière, pourront attester qu'à nos yeux, cette idée, long-temps avant les complications actuelles, s'était produite avec une autorité qui domine les résolutions les mieux concertées, les volontés les plus énergiques.
Ligne 33 :
Nous allons parcourir trente années durant lesquelles l'Espagne s'est montrée sous toutes ses faces, donnant tour à tour gain de cause à chaque parti, et ne traversant l'ordre et la liberté régulière que pour retrouver le despotisme ou succomber sous l'anarchie. Nous aurons à nous demander si rien ne lie des faits qui semblent se produire au hasard, et n'enfanter que d'atroces représailles; et si au delà des essais impuissans des conservateurs, en deçà des imprudens essais des libéraux, il n'y aurait pas un point d'arrêt auquel tendit constamment l'élite de la nation espagnole, tendance qui aurait avorté par la fatalité des événemens, bien plus que par la puissance des idées contraires.
 
Il y a souvent de l'injustice à rendre les nations comptables de leur fortune, et à croire qu'elles ont voulu tout ce qu'elles ont souffert. La France de 91 s'estimait arrivée au terme des innovations révolutionnaires, et formait à cette époque des voeuxvœux à peu près analogues à ceux qu'elle s'efforce encore aujourd'hui de réaliser avec des chances plus favorables. Mais elle oubliait de tenir compte des résistances de l'émigration violemment dépouillée, résistances qui suscitèrent la guerre étrangère et l'exaltation de 92, d'où sortit l'affreux régime de la terreur, non par l'engendrement naturel des idées, mais par l'effet de leur froissement. Personne ne doute que la France du directoire, malgré tant d'illusions perdues, ne désirât aussi concilier l'ordre et la liberté, c'est-à-dire le repos avec l'honneur, l'unité administrative avec le respect des intérêts, l'égalité civile avec la hiérarchie des lumières et des services, les droits des citoyens avec les prérogatives d'un pouvoir limité; mais pour introniser ce règne de modération et de paix, elle eut besoin de l'épée d'un homme, et cet homme était Napoléon. En 1814, la nation accueillit la maison de Bourbon, parce qu'elle en attendait ce pouvoir fort et libre qu'elle rêvait toujours : les ordonnances de juillet la rejetèrent dans les voies chanceuses des révolutions, et l'anarchie triomphante l'eût indubitablement repoussée vers le despotisme. N'en serait-il pas ainsi de l'Espagne? n'y aurait-il pas là aussi quelque point fixe vers lequel graviteraient les esprits et les choses, quoique la violence des résistances n'ait pas encore permis de s'y arrêter?
 
Une étude consciencieuse nous autorise à le croire, et peut-être est-ce un devoir de le dire en un temps où l'intérêt public, qui se lasse vite comme la pitié, semble se retirer de la glorieuse nation dont l'imposante physionomie se dérobe aujourd'hui sous le voile de ses humiliations et de ses douleurs.
Ligne 39 :
Si l'on suit, en effet, avec l'attention désintéressée que les passions n'accordent guère aux événemens contemporains, l'histoire de l'Espagne depuis le commencement du siècle, on la verra d'abord dominée parles sympathies françaises qu'arrêta violemment la guerre de 1808, puis conduite par l'effet d'une position mal appréciée, autant que par l'inexpérience de ses représentans, à proclamer des principes inapplicables. On comprendra dès lors le concours momentané prêté par l'opinion populaire à la réaction de 1814, qui, manquant elle-même son but, amena le mouvement de 1820. Les premières cortès livrées à elles-mêmes se fussent alors trouvées dans une situation très favorable pour réaliser le bien qu'on en attendit d'abord; mais elles avaient malheureusement en face d'elles un prince auquel la crainte arrachait des sermens d'autant plus faciles qu'il n'aspirait qu'à les violer. Ne pouvant se confier à sa foi, les cortès abusèrent trop souvent du dangereux moyen auquel le monarque ne savait pas résister. L'effet de cette lutte continue aggrava vite la position au point de rendre l'intervention nécessaire pour la France, ardemment désirée par l'Espagne; elle y fut accueillie d'enthousiasme, peut-être par cet instinct qui révèle à la Péninsule que son salut viendra d'au-delà des Pyrénées, et qu'en tout temps, soit que la France exerce sur elle la pacifique influence de ses idées, soit qu'elle franchisse à main armée le rempart qui les sépare, l'Espagne devra s'écrier aussi en la voyant : ''Salus ex inimicis nostris''. L'occupation fut mieux comprise dans ce pays qu'en France même, où un parti puissant alors altéra son véritable caractère, qui devait être une médiation armée entre les partis et le pouvoir; aussi le gouvernement de Ferdinand VII, livré à lui-même, s'avança-t-il d'oscillations en oscillations jusqu'à la crise de 1833.
 
A cette époque, une ère nouvelle et plus heureuse sembla s'ouvrir pour ce royaume. Le système de M. de Zea, appuyé sur le parti des ''afrancesados'', ne pouvait être, il est vrai, un but définitif, et le principal tort de ce ministre fut d'avoir paru le croire; mais c'était un terrain sur lequel il fallait marcher dix années au moins avant de le dépasser. Malheureusement pour le pays, l'établissement de ce régime d'améliorations et de lumières pratiques, auquel il semblait donné de faire tant de bien, et qui déchaîna tant de maux, coïncidait avec une querelle dynastique et le commencement d'une guerre civile. Les idées françaises avaient besoin, pour s'épanouir en Espagne, d'une atmosphère pacifique, et elles se développaient dans la tempête; aussi ceux qui s'y rattachèrent furent-ils brisés tour à tour, non que la liberté modérée ait cessé d'être le vœu de la Péninsule, mais parce qu'à l'exemple de la France révolutionnaire, elle est placée dans une situation où ce voeuvœu doit nécessairement rester inexaucé. Son histoire, en se déroulant devant nous, va confirmer par un nouvel exemple cette assertion, triste peut-être, mais trop fondée, que pour atteindre un but et s'y fixer, il faut presque toujours commencer par le dépasser.
 
La décomposition du vieux régime espagnol, attaqué par Ferdinand-le-Catholique dans des vues nationales, par Charles-Quint dans l'intérêt égoïste de sa propre grandeur, était consommée au commencement du XVIIIe siècle (2). Cette oeuvreœuvre de démolition, à laquelle s'était ardemment attachée la maison de Bourbon, avait été d'autant plus facile, qu'à part les ''nations basques'', dont nous exposerons plus tard la situation exceptionnelle, l'ancien droit public des royaumes péninsulaires n'existait plus que dans les incohérentes compilations des jurisconsultes, tous dévoués ou soumis au pouvoir royal. La seule chance que l'on coure en démolissant des ruines, c'est d'être écrasé sous leur masse, et ce danger n'existait plus en Espagne pour la dynastie nouvelle, car les pierres y jonchaient le sol, et les ruines mêmes avaient péri. Les doctrines du temps firent invasion par deux directions à la fois : une philosophie anti-religieuse y pénétra du même pied qu'un système administratif unitaire et centraliste. Nous n'avons pas à exposer ici pourquoi ces deux ordres d'idées se sont simultanément produits en Europe, ce qu'il serait facile de faire en repoussant la conclusion qu'on en tire trop souvent, quant à leur prétendue connexité nécessaire; il suffit de constater un fait que mettent hors de doute les mesures combinées par le ministère espagnol sous le règne de Charles III. Pendant que ce prince chassait les jésuites, réprimait l'inquisition et contenait l'influence de Rome, il ouvrait des routes et des canaux, fondait des manufactures, des associations industrielles et savantes, et le chiffre de la population, combiné avec celui de la production, s'élevait dans une progression qui dépasse tous les calculs.
 
Les universités recevaient alors du pouvoir ministériel une impulsion qu'elles imprimaient à leur tour à la noblesse et au clergé. Le poète Valdez-Melendez, destiné à mourir exilé sur la terre d'où il avait reçu ses inspirations (3), introduisait la philosophie de l'époque dans son cours de belles-lettres à Salamanque. Les oeuvresœuvres du savant bénédictin Feijoo propageaient des doctrines économiques qui trouvèrent bientôt dans Jovellanos et Cabarrus d'éloquens et habiles interprètes.
 
L'administration subissait cette influence, ou, pour mieux dire, elle en était le centre. Les comtes d'Aranda, de Campo-Manès, de Florida-Blanca, rivaux de puissance, mais disciples de la même école, secondaient ce mouvement de réorganisation administrative, qui seul pouvait alors rendre à l'Espagne quelque importance politique; et les classes riches et éclairées lui prêtaient un concours expliqué par la nécessité de livrer à la culture d'immenses possessions stériles, et de faire fructifier les capitaux, ou, pour parler plus exactement, les métaux improductifs de l'Amérique.
Ligne 74 :
C'est sans doute une médiocre qualité que de faire valoir ses terres et de tenir régulièrement ses comptes; cependant elle est fort essentielle dans la vie, et je plains quelque peu les poètes auxquels le ciel ne l'a pas départie avec des dons plus précieux. A plus forte raison plaindrais-je une grande nation si, pour conserver sa physionomie pittoresque, il lui était interdit d'aspirer à ce bienfait essentiel de l'existence sociale.
 
Telle est l'oeuvreœuvre du régime administratif, tel est le principe de sa puissance et de son universalité. Le volumineux ''Bulletin des Lois'' est, je le confesse, une lecture fort insipide; mais en s'introduisant en Espagne il n'en chassera pas Calderon, pas plus que le bill de réforme, ce premier pas de l'Angleterre hors de l'ordre historique, ne fera tort au vieux Shakspeare. Les ressorts compliqués de l'organisation administrative représentant un état social où les rapports des hommes entre eux tendent à se multiplier à l'infini, il faut que l'action régulatrice, peu sensible sous une civilisation moins compliquée, et dans un milieu moins dense, si je l'ose dire, soit toujours et partout présente. .
 
Napoléon comprit, avec sa merveilleuse intelligence, quels étaient, sous ce rapport, les besoins de l'Espagne. Mais les troubles et les scandales intérieurs l'exposèrent à une tentation qui fut l'origine de toutes les calamités de ce pays, en même temps que de ses propres infortunes.
 
Il eut raison sans doute de vouloir continuer au delà des Pyrénées le système de Louis XIV, qui est plutôt un axiome qu'un système; mais Godoï lui était vendu, la perspective d'une souveraineté aux Algarves avait amorcé son ambition, et si elle s'avisait jamais de se montrer exigeante, l'empereur doublait sa popularité en donnant, par la chute du favori, la satisfaction que réclamaient à la fois l'honneur des trônes et le voeuvœu des peuples. Charles IV n'admettait pas qu'il fût possible de contrarier le grand monarque qui lui envoyait de si belles armes de chasse, et la faction du prince des Asturies n'aspirait au succès que pour se livrer à lui après la victoire. Ferdinand écrivait à l'empereur, du palais des rois catholiques, des lettres conçues avec une humilité d'antichambre, pour implorer de sa main une épouse, puis pour mettre à ses pieds et à sa discrétion la couronne que l'insurrection d'Aranjuez venait de lui déférer.
 
Napoléon occupant la Péninsule avec cent mille hommes en vertu du traité pour l'expédition du Portugal, commandant à Madrid par son ambassadeur, respectueusement sollicité d'unir son sang à celui des rois catholiques, n'avait évidemment qu'un intérêt comme un devoir. Il fallait profiter de cette unique occasion pour exercer une influence salutaire et décisive sur les destinées de la nation qui se confiait si noblement à sa bonne foi et à ses armes; il fallait devenir le régénérateur de l'Espagne en y effectuant avec le concours du pouvoir royal les réformes qu'on a demandées depuis à la liberté avec plus de péril et moins de succès. Telle fut son intention première : tous les documens contemporains l'attestent, et l attentat de Bayonne est trop coupable pour que l'histoire doive encore ajouter au crime lui-même celui d'une longue préméditation.
Ligne 90 :
Mais tout était déjà consommé dans sa pensée, car le génie de la politique s'était tu devant le démon de l'ambition.
 
« Charles IV était usé pour les Espagnols, a-t-il dit depuis dans les amers ressouvenirs de cette époque de sa vie, il eût fallu user de même Ferdinand. Le plan le plus digne de moi, le plus sûr pour mes projets, eût été une espèce de médiation à la manière de celle de la Suisse. J'aurais dû donner une constitution libérale à la nation espagnole, et charger Ferdinand de la mettre en pratique. S'il l'exécutait de bonne foi, l'Espagne prospérait et se mettait en harmonie avec nos moeursmœurs nouvelles; le grand but était obtenu, la France acquérait une alliée intime, une addition de puissance vraiment redoutable. Si Ferdinand, au contraire, manquait à ses nouveaux engagemens, les Espagnols eux-mêmes seraient venus me solliciter de leur donner un maître. Cette malheureuse guerre m'a enlevé mes ressources et mon crédit en Europe; elle a été la cause première de nos calamités (9). »
 
On aime à retrouver dans la bouche de Napoléon cette haute et lucide appréciation des choses que l'infortune rend au génie en compensation de ce qu'elle lui ôte. Mais c'est surtout en se plaçant au point de vue espagnol qu'il convient de déplorer à jamais ce crime qui fut pour son auteur une immense faute, pour ses victimes une source inépuisable de calamités. Si l'on veut pénétrer l'origine des maux actuels de l'Espagne, il faut, en effet, remonter jusqu'à cette guerre de l'indépendance, toute légitime et toute glorieuse qu'elle pût être. Elle arrêta le mouvement des idées françaises dans leur application pratique, en n'en laissant dominer aux cortès de Cadix que la partie la plus théorique et la plus vague.
Ligne 96 :
Cette lutte sanglante ne ranima pas sans doute le cadavre de l'antique Espagne, et ce ne fut pas l'ombre de ses grands justiciers qui apparut aux héroïques défenseurs de Saragosse; mais elle donna aux masses populaires une prépondérance exorbitante, dont elles ont successivement abusé en faveur du pouvoir absolu et de l'anarchie; elle inspira au clergé une opinion exagérée de son influence, et fit aux classes riches et lettrées, qui avaient été plus ou moins favorables aux Français, une sorte de position excentrique au sein de la nation. Elle eut surtout pour résultat de développer dans les populations rurales ces goûts d'héroïque vagabondage contre lesquels se débat depuis si long-temps la Péninsule.
 
La résistance avait été tout espagnole : un parti se prit à dire qu'elle avait été toute monarchique, parce que le nom de Ferdinand captif était prononcé avec amour; un autre se prit à croire qu'elle avait été toute libérale, parce qu'elle avait eu lieu sous les cortès constituantes, et que le pacte de 1812 était sorti comme un éclatant météore de cette lutte acharnée contre le plus grand capitaine du siècle. Il faut oser le dire à l'Espagne : les souvenirs de la guerre de l'indépendance invoqués tour à tour dans le sens le plus opposé, n'ont guère eu d'autre résultat pour elle que d'inspirer à ses peuples un orgueil indicible et une haine de l'étranger, fort peu concordans avec les emprunts que leurs représentans lui avaient faits. Ce fut là surtout la véritable pierre d'achoppement. Tout imprégné qu'on était des maximes philosophiques et gouvernementales importées de France et d'Angleterre, on entendait avoir fait une oeuvreœuvre bien véritablement espagnole, funeste persuasion à laquelle, plus qu'à toute autre cause, on doit les résurrections successives d'un code incohérent et inapplicable. Si l'on avait vu clairement combien peu on était original en cousant à la constitution de 91 quelques lambeaux de Bentham et quelques textes des ''Partidas'', on ne se fût pas exalté pour cette oeuvreœuvre en l'associant à des souvenirs plus glorieux et plus vivans qu'elle.
 
Les nations ont rarement deux chemins pour atteindre un but, et celui que Napoléon indiquait à Sainte-Hélène étant fermé pour l'Espagne, elle vit s'ouvrir devant elle une longue carrière où elle marcha toujours à faux, parce que l'ordre naturel des événemens et des idées avait été violemment interrompu.
 
Elle agit noblement sans doute en affrontant sans réflexion une lutte terrible, quelles qu'en aient été les conséquences politiques; et Dieu me garde de discuter la question de savoir si, après l'insolent attentat de Bayonne, l'Espagne n'eût pas dû accepter le roi Joseph, pour reprendre encore la route où elle ne pouvait désormais marcher sans honte! Cet avis fut celui de bon nombre d'Espagnols, parmi lesquels ni les lumières, ni la noblesse du coeurcœur ne faisaient faute; car, si de basses ambitions s'associèrent à la fortune de ''l'intrus'', il eut également à sa suite des hommes éminens qui, en face des dangers de l'avenir, crurent pouvoir faire à leur patrie un sacrifice interdit aux nations comme aux citoyens, celui de leur considération personnelle. Leur donner raison, et croire qu'un mouvement admirable d'énergie et d'universalité puisse être complètement perdu pour l'avenir d'un peuple, ce serait blasphémer l'héroïsme et soumettre le dévouement à une dangereuse analyse. Disons-le donc : rien n'est à comparer dans l'histoire des nations modernes à cette émotion de tout un peuple qui, blessé au coeurcœur par son hôte et son ami, se soulève en face de ses bataillons avec une sombre unanimité, des rochers des Asturies aux montagnes de Ronda, comme la mer montante dont les flots s'avancent et s'enlacent dans une harmonie sublime. Il est un fait cependant que l'Europe doit connaître et que l'Espagne confesse douloureusement, et toujours en secret, quand la torture qu'elle éprouve depuis vingt ans vient à lui causer de plus insupportables angoisses. Lorsque l'enthousiasme des souvenirs de 1808 tombe devant les misères de l'exil que les partis traversent pour ainsi dire à tour de rôle, les uns, écrasés par un despotisme sans intelligence et sans ame, les autres, épouvantés des horreurs des révolutions, et les voyant toujours stériles, s'interrogent et se demandent si la constitution de Bayonne, exécutée par un prince étranger qui aurait eu tant d'intérêt à se rendre populaire, si l'union intime de l'Espagne et de l'empire, son étroite association à notre gloire et à nos prospérités, n'auraient pas préparé de meilleures destinées à leur patrie. Si l'on étudie avec quelque soin la Péninsule, et qu'on interroge les proscrits que ce sol volcanisé nous jette en si grand nombre, on surprendra cette pensée dans les ames les plus fortes, et cette révélation sera sans doute féconde en enseignemens sur le passé comme sur l'avenir.
 
Les artères de l'Espagne palpitèrent à nu pendant cette crise, comme ces viscères que la science observe sous le scalpel. On vit du même coup d'oeil tout ce qu'il y avait d'énergie vitale dans sa complexion, et tout ce qu'étala d'inertie cet ordre social où les apparences du pouvoir absolu ne recouvraient que l'impuissance.
Ligne 112 :
Pour apprécier la portée des idées gouvernementales en Espagne, il suffirait de se rendre compte de ce que fut cette junte suprême, réunie d'abord à Aranjuez, puis à Séville. Là brillaient, chargés de travaux et d'années, les débris du règne de Charles III et de l'école philosophique, Florida Blanca et Jovellanos, le célèbre écrivain Quintana, D. Martin Garay. Quelques autres réputations légitimes s'y faisaient remarquer au milieu des grands d'Espagne, des hauts dignitaires, du clergé et des hommes les plus importans entre les membres des juntes provinciales. Cependant pas un plan habile, pas une idée féconde ne sortit de cette réunion si difficilement formée, si impatiemment attendue. La junte, dominée par l'esprit routinier, asservie à toutes les vieilles formules, après s'être conféré le titre de majesté, et avoir accordé à chacun de ses membres, avec celui d'excellence et un traitement de 120,000 réaux, le droit d'orner sa poitrine d'une large plaque représentant les deux mondes, sembla d'abord mettre moins de soin à organiser des armées et à créer des ressources qu'à constater sa suprématie vis-à-vis le conseil de Castille, et à négocier avec lui. Ce dernier corps, conservateur jaloux de l'état d'anarchie légale par suite duquel il cumulait des attributions politiques, administratives et judiciaires, aussi mal limitées que peu conciliables; camp retranché de tous les abus, puissant par sa nombreuse clientelle et son invincible opiniâtreté; ce corps, dont la conduite avait été plus qu'ambiguë à l'arrivée de Joseph à Madrid, se trouva tout à coup, à la sortie de ce dernier de la capitale, ressuscité par l'insurrection.
 
Mais il y avait en celle-ci quelque chose d'entreprenant et d'audacieux qui lui donnait des vertiges. Ne tenant compte ni de la lente procédure du conseil ni de son gothique protocole, l'insurrection tranchait de la souveraineté populaire; et le plus souvent, pour la contenir, le conseil ne savait d'autre moyen que de rappeler les droits suprêmes des cortès. A chaque circonstance délicate, à chaque collision de pouvoir, ce cri partait aussi du sein des juntes provinciales. Le gouvernement central affectait le souverain pouvoir, comme représentant à la fois Ferdinand VII et cette assemblée suprême de la nation; les assemblées locales le lui refusaient en contestant vivement la légitimité de cette représentation, comme on déniait en France les droits politiques du parlement dans leur prétention de suppléer les états-généraux. C'était ainsi qu'une idée nouvelle jaillissait de toutes parts comme la plus impérieuse des nécessités, pendant que l'ancienne magistrature, représentée par le conseil de Castille, aspirait à mettre la révolution à son pas, à la manière de boeufsbœufs qui prétendraient s'attacher à une machine à vapeur.
 
On comprendrait mal, en effet, le mouvement de 1808, si l'on voulait le réduire à la question unique de l'indépendance. Ce fut là sans nul doute ce qui mit les armes aux mains de la multitude; mais sans parler des classes éclairées, dont on a déjà apprécié les tendances politiques, il est certain qu'au sein des masses populaires fermentait en ce moment un universel besoin de réformes. On y sentait plus douloureusement qu'ailleurs l'abaissement de la patrie, et, sans trop savoir par quel moyen, on entendait cependant guérir ses blessures.
Ligne 144 :
C'était ce fait qu'il s'agissait de régulariser par une application générale. Essayer de ranimer le droit obscur des ''partidas'' était une tentative un peu plus vaine encore que celle à laquelle un organe de la presse française s'est intrépidement dévoué : de plus, il fallait songer à la jeune Amérique qui n'avait, elle, à faire valoir ni ''carias'' ni ''fueros'', mais dont on ne pouvait espérer de comprimer les mouvemens insurrectionnels que par la plus parfaite égalité et une large diffusion des droits politiques.
 
La junte centrale conçut la pensée de concilier le principe populaire avec les prérogatives des classes privilégiées, et de renouer aussi la chaîne des temps, oeuvreœuvre toujours tentée et presque toujours infructueuse. Elle prit, à cet égard, des mesures trop peu connues en Europe, mais qui ne furent suivies ni de sa part, ni de celle de la régence, d'aucun commencement d'exécution.
 
Le décret primitif de la convocation des cortès portait qu'elles seraient composées des trois ''estamentos'', ecclésiastique, militaire (nobiliaire) et populaire. Il ordonnait l'expédition de lettres convocatoires personnelles à tous les archevêques et évêques, à tous les grands d'Espagne, chefs de famille et âgés de vingt-cinq ans.
Ligne 168 :
Une sorte d'unanimité présida pendant trois ans à cette longue série de travaux, qui devait, plus tard, soulever de trop justes objections, et que l'opinion publique accueillait alors avec une irréflexion enthousiaste.
 
Complètement livrées à elles-mêmes, sans plan et sans direction, soit par l'impéritie, soit par la mauvaise volonté de quelques membres de la régence, les cortès eurent le malheur de commencer leur oeuvreœuvre sans aucune influence pour contenir l'élan de chaque pensée qui se produisait au hasard; et si la nullité presque absolue des résistances ne donna guère lieu à la verve révolutionnaire de s'allumer, cette dangereuse omnipotence exposait à la tentation des utopies; et tel fut, en effet, le caractère dominant de leurs élucubrations législatives.
 
Il est juste de dire, néanmoins, que dans beaucoup de questions spéciales, résolues en courant au milieu des périls d'une guerre à laquelle s'attachaient toutes leurs pensées, les cortès extraordinaires firent preuve d'une sagacité que n'eût pas désavouée notre assemblée constituante dans ses meilleurs jours. Le congrès réforma l'administration provinciale, et refondit les diverses parties de l'organisation judiciaire, supprimant avec toutes les juridictions seigneuriales les prestations réelles et personnelles provenant d'une origine féodale; faisant ainsi à Cadix ce que Napoléon et Joseph firent à Madrid : singulière coïncidence, qui est à elle seule une complète révélation de l'état moral de l'Espagne. Parmi les objets qui éveillèrent surtout la sollicitude de l'assemblée, figurèrent les finances et la dette publique; et, malgré quelques fautes, au premier rang desquelles se place la tentative d'un impôt progressif, on doit reconnaître que les travaux de Canga Argüelles sur une matière entièrement neuve pour l'Espagne révèlent un esprit fort éclairé.
Ligne 200 :
Tel était, en résumé, le régime auquel on faisait passer subitement l'Espagne de Philippe II, d'Alberoni et du prince de la Paix, tombant d'un despotisme dans un autre, et traversant la liberté. C'était là l'établissement que la constitution qualifiait du nom de ''monarchie tempérée héréditaire''. L'hérédité, du reste, y demeurait à peu près aussi illusoire que les attributions royales, l'article 181 imposant aux cortès l'obligation « d'exclure de la succession la personne ou les personnes reconnues incapables de gouverner, ou ''qui auraient mérité par quelque action de perdre la couronne''. »
 
Si un pareil code était sorti d'une lutte violente entre une assemblée populaire et une royauté qui cherche à se défendre; si ces dispositions avaient sanctionné, pour ainsi dire, les défaites successives de celle-ci et les victoires de celle-là, les vices de la constitution de Cadis s'expliqueraient par l'effet ordinaire des résistances impuissantes. Mais il en fut tout autrement : les obstacles ne se présentèrent d'aucun côté, et que quelques protestations sans résultat ne purent exercer d'influence sur l'ensemble des travaux législatifs. De plus, l'opinion, tout entière à une lutte acharnée, n'était guère en mesure d'exercer alors sur les cortès cette action révolutionnaire incessante qu'entretinrent, après 1820, et la guerre civile et les tentatives mal concertées, mais trop patentes, de la couronne. C'est donc ailleurs qu'il faut chercher ces circonstances fatales sur lesquelles le ministère Calatrava rejette avec justice les imperfections de l'oeuvreœuvre de 1812.
 
Sans rappeler l'enseignement purement théorique et presque toujours pris en secret que l'ancien régime avait imposé en Espagne aux classes riches et lettrées, et leur antipathie trop légitime pour un ordre de choses qui avait failli amener l'anéantissement d'une glorieuse patrie, il ne faut pas un instant perdre de vue, lorsqu'on juge la constitution de Cadix, qu'à cette époque, aux yeux du congrès, la royauté, captive à Valençay, n'avait qu'une existence purement nominale. Si c'était encore un souvenir, ce n'était plus une espérance. Comme il était impossible à la prévision humaine de deviner et les résultats de la campagne de Russie et le soulèvement général de l'Europe, on doit reconnaître que, dans l'ordre naturel des événemens, le rétablissement de la maison de Bourbon sur le trône d'Espagne était soumis aux chances les plus éventuelles, et, il faut le dire, les moins probables.
Ligne 214 :
II échappa seulement à l'intelligence de Ferdinand que les peuples ne règnent qu'un jour, et que, dans la situation nouvelle où la paix allait faire entrer l'Espagne, c'était moins à une ivresse passagère qu'aux intérêts permanens et aux idées d'avenir qu'il fallait confier les destinées de sa couronne. Est-il un gouvernement qui ne puisse tout au moment de son établissement? Avant la promulgation de la charte et la déclaration de Saint-Ouen, le comte d'Artois n'était-il pas accueilli avec transport dans les rues de la capitale? C'est qu'il représentait pour le peuple le plus impérieux de tous les besoins, la paix. Mais il y eut cette différence entre la restauration de Louis XVIII et celle de Ferdinand VII, que la première fut faite en pensant au lendemain, et l'autre, sous le coup seulement des aveugles passions du jour; il y avait de plus, entre la France et l'Espagne de 1814, cette autre différence essentielle, qu'ici le peuple était sur le premier plan, tandis que là il n'occupait que le second.
 
Ferdinand venait de traverser plusieurs provinces, et partout il avait entendu retentir des acclamations qui ne s'adressaient qu'à sa personne. L'oeuvreœuvre de 1812 semblait oubliée, et l'était en effet au milieu de ce débordement d'enthousiasme. Nombre ''d'ayuntamientos'' constitutionnels l'invitaient avec chaleur à repousser les nouveautés; une minorité considérable des cortès, les soixante-neuf députés connus sous le nom de ''Perses'', lui avaient transmis une adresse dans le même sens. Ce fut en alléguant ces témoignages, qu'on ne manquait pas de lui présenter comme unanimes, qu'il rendit, le 4 mai 1814, la fameuse déclaration de Valence.
 
S'appuyant sur l'irrégularité des élections, l'absence des deux premiers ordres au sein des cortès constituantes, l'omnipotence qu'elles s'étaient attribuée, enfin les changemens radicaux introduits brusquement dans les institutions fondamentales de la monarchie, Ferdinand annulait toutes les décisions, lois ou décrets rendus par les deux législatures, ordonnait la clôture immédiate des séances, déclarant coupable de lèse-majesté quiconque engagerait ou exciterait à l'observation de la constitution de Cadix.
Ligne 249 :
(12) Décret de Séville du 18 avril 1810. ''Moniteur'' du 28 mai.
 
(13) Décrets de Napoléon, datés du camp de Madrid, supprimant l'inquisition, les droits féodaux, les justices seigneuriales, les douanes intérieures des provinces, organisant l'ordre judiciaire, réduisant le nombre des couverts, défendant l'admission des novices, etc. (4, 12 décembre 1808). Décrets de Joseph, supprimant les ordres religieux et militaires, les juridictions ecclésiastiques, le voeuvœu de saint Jacques, l'un des impôts les plus onéreux pour l'agriculture, etc., etc. (18 août, 18 septembre, 16 décembre 1809.)
 
(14) On voit des députés des villes aux cortès de Léon dès le XIIe siècle. A celles de Castille, tenues en 1188, le serment fut prêté par les députés de quarante-huit bourgs. ''Théorie des cortès'', par M. Martinez Marina. Cadix, 1812.
Ligne 297 :
On connaît le mot : ''J'aimerais mieux vous devoir toute ma vie que de nier ma dette un seul instant''. Cela s'appelait en 1818 comme en 1834 équilibrer un budget. On voit que ces traditions sont de vieille date en Espagne, et qu'elles appartiennent à tous les gouvernemens qui s'y sont succédé.
 
Mais ces expédiens ne suffisaient pas, et M. de Garay, avait compté sur des ressources que la cessation complète du commerce et l'état désastreux de l'agriculture rendirent de jour en jour plus illusoires. Les évènemens de l'Amérique réclamaient, d'ailleurs, des mesures auxquelles, dans ses plus beaux jours, l'Espagne aurait eu peine à faire face. Garay essaya donc, mais sans succès, de reprendre en sous-oeuvreœuvre quelques plans des deux législatures, comme l'établissement et l'égale répartition de l'impôt direct, la suppression des immunités financières des provinces et des corporations, l'ouverture de quelques ports francs, et la modification des anciens tarifs : toutes ces tentatives furent vaines.
 
Rien ne semblait pouvoir désormais relever ni le crédit, ni l'industrie de l'Espagne, bloquée de Cadix à la Corogne par les corsaires des insurgés, compromise avec les Etats-Unis pour les Florides, et contrainte d'acheter cher l'apparente neutralité de l'Angleterre dans la lutte contre ses colonies. La stagnation des affaires, la misère du peuple, et ce manque absolu de confiance qui engendre et annonce les révolutions, conduisirent enfin ce triste gouvernement à ce point de détresse, que le roi d'Espagne et des Indes, ayant besoin d'une somme de quinze millions de francs pour le départ de la grande expédition d'Amérique, ne put l'obtenir du crédit, malgré le taux de l'intérêt fixé à huit pour cent et l'hypothèque donnée sur les fonds de la guerre, et qu'il dut la faire recouvrer comme emprunt forcé sur ses sujets et les négocians étrangers fixés dans ses états (9) !
Ligne 327 :
Modifier profondément la législation civile, rendre à la circulation des masses énormes de propriétés substituées, en corrigeant des lois qui ruinaient les familles aux mains desquelles elles maintenaient des immeubles sans nulle valeur négocier avec Rome une réforme qui, sans toucher aux droits spirituels de l'église, donnerait au clergé une attitude nouvelle, et supprimerait graduellement ce qui, n'étant plus un objet d'édification, était devenu une pierre de scandale; refondre le système financier pour donner des gages à la confiance publique; soumettre les provinces au droit commun, en combinant un large système de libertés locales avec l'unité de l'administration; préparer l'émancipation intellectuelle du pays en réglant avec prudence la liberté de la presse; ne pas imiter enfin, dans ses précipitations et ses violences, un gouvernement qu'elles avaient perdu : telle était pour les cortès cette mission providentielle que tout pouvoir reçoit des circonstances qui l'ont fait naître.
 
La chute du régime de ''camarilla'', l'adhésion de l'Espagne à une constitution qu'elle connaissait à peine, s'expliquent par cette vague espérance. Elle attendait cette liberté réglée par l'ordre, qui n'est un lieu commun de la langue politique que parce qu'elle est le voeuvœu constant des nations. La Péninsule n'aspirait point à passer de l'atonie à la fièvre cérébrale; et en laissant tomber le gouvernement des valets de chambre, la démagogie de la ''Puerta del Sol'', les discours incendiaires de la ''Fontana d'Oro'' et du club ''Landaburu'' étaient fort loin de sa pensée.
 
Ses représentans, nommés partout avec enthousiasme et avec ordre, selon le mode compliqué de 1812, portèrent, pour la plupart, à Madrid des convictions analogues. Si des théories absolues étaient restées dans bien des têtes, si de longs ressentimens avaient fait couver la vengeance au fond de bien des ames, il est des instans solennels où tout semble s'oublier, parce qu'on est à son insu dominé par une vue plus générale et plus haute. Mais que celle-ci vienne à s'éclipser devant un obstacle qui surgit ou une méfiance qu'on fait naître; que l'opinion publique, constante au fond dans ses voeuxvœux, mais incertaine dans sa marche, faiblisse un jour devant les partis, dont l'unique étude est de la contraindre au silence, alors les passions individuelles reprennent leur cours, et les assemblées, où la majorité a commencé par être saine, deviennent des conventions; alors on va vite du 10 août an 21 janvier, du 21 janvier au 31 mai.
 
Telle eût été, on peut le croire, l'issue du mouvement parlementaire en Espagne, quoiqu'il eût commencé par donner la majorité aux Martinez de la Rosa et aux Toreno, noms honorables, qui, malgré quelques fautes, expriment depuis si long-temps, dans la disgrace comme au pouvoir, les voeuxvœux réels et les besoins constans de leur patrie. La seconde législature, où, dans le principe, ces opinions dominaient encore, s'effaça bientôt devant un autre pouvoir. Le sang coula sous le marteau ; le peuple rendit des arrêts, et le garrot fut à ses ordres; d'affreux engagemens firent pactiser les partis avec le génie du mal et de la mort; et, vers la fin de 1822, la nation tout entière paraissait engagée ou dans les sociétés secrètes ou dans les bandes de la foi.
 
L'Espagne de 1820, qui avait laissé choir le pouvoir absolu et salué le régime constitutionnel comme l'ère d'une pacifique réformé, cette Espagne-là semblait rentrée à cent pieds sous terre. Ainsi, après la nuit de la Granja, l'Espagne de 1834 a fait silence; et en la voyant aujourd'hui menacée par don Carlos et par l'anarchie, bon nombre d'écrivains se frottent les mains, disant : Vous voyez qu'il n'y a pas d'opinion modérée dans la Péninsule! Mais un Chinois qui eût vu la France à la fin de 93 n'eût pas manqué d'écrire aussi à ses correspondans de Pékin, que dans la grande monarchie de l'Occident il n'y avait que des septembriseurs et des Vendéens, l'émigration ou la Montagne. Il n'eût pas eu assez de discernement, le Chinois, pour deviner que la France de 89 vivait pourtant sous la tempête, comme vit aujourd'hui l'Espagne de 1834, comme en 1822 vivait l'Espagne de 1820.
Ligne 345 :
Des conspirations avaient été découvertes dans quelques villes contre le régime nouveau. A Saragosse, plusieurs membres influens du clergé parurent avoir pris part à ces complots; en Galice, quelques centaines d'anciens ''guerilleros'', de déserteurs et de paysans, coururent les campagnes en organisant une ''junte apostoligue'' qui se cachait dans les bois, mais dont les clubs de Madrid tiraient un merveilleux parti. Les cortès, au lieu d'essayer d'une fermeté calme, demandèrent de la force aux passions qu'elles avaient mortellement offensées; et pour les ramener, l'assemblée affecta des alarmes qu'elle n'éprouvait pas encore.
 
La discussion de la loi régulatrice des ordres religieux dut se ressentir de cette nouvelle disposition des esprits. L'on prétendit faire seul, et en un jour, l'oeuvreœuvre des années, imprimant ainsi une couleur de violence et de sacrilège à des mesures dont la prudence de Rome aurait compris la nécessité de sanctionner le plus grand nombre. En supprimant immédiatement la plus grande partie des congrégations religieuses, et en mettant leurs biens en vente, on se créait des difficultés de plus d'un genre. Si, dans la Galice, cette mesure excita l'indignation des peuples et grossit les bandes de la foi, en Catalogne et à Valence les troupes durent veiller nuit et jour à la porte des monastères pour les préserver du pillage et du massacre. C'était ainsi que ces rigueurs soulevaient une opposition moins dangereuse encore par elle-même que par tous les mauvais sentimens auxquels elles donnaient du ressort.
 
La conscience du roi alarmée avait hésité à sanctionner ce décret; et dans la solitude de l'Escurial, où il était allé chercher du repos et peut-être du courage, il fut trop facile aux anciens conseillers et aux dangereuses espérances de retrouver le chemin de son oreille et de son coeurcœur. On exagéra les forces dont disposait la contre-révolution; on l'offrit à sa religion comme nécessaire, à son esprit comme imminente. Un ordre étrange, adressé directement par lui au commandant militaire de Madrid, contrairement aux formes constitutionnelles, parut un indice flagrant de contre-révolution, quoiqu'il ne fût probablement qu'une tentative maladroite. La fermentation devint alors terrible, et le ministère, loin de la contenir, ne craignit pas de l'attiser en secret de tous ses moyens, dans le double but d'effrayer le monarque et de préparer, par une lâcheté, sa réconciliation avec les hommes qu'il s'était jusqu'alors efforcé de contenir.
 
Ferdinand vit enfin le danger provoqué par son imprudence; il le vit dans toute son étendue, sans qu'aucune voie fût ouverte pour lui échapper. Alors, pour sauver sa tête, il mit sa couronne au service de la révolution triomphante, et revint de l'Escurial à Madrid pour régner comme Louis XVI au retour de Varennes.
Ligne 359 :
Offenser en face des hommes pour lesquels leur injure allait devenir un gage de réconciliation et de popularité, était un acte plus téméraire que courageux. La majorité des cortès se sentit frappée dans ses chefs de 1812, et l'on vit se fractionner un parti qu'il était important de maintenir compacte contre la faction militaire des démagogues de 1820. Les clubs conférèrent une prompte adoption aux ministres qu'ils attaquaient naguère avec violence, et ceux-ci acceptèrent ce rôle d'amnistiés auquel les partis attachent des obligations si honteuses. Le congrès, semblant calquer sa délibération sur celle de l'assemblée législative, après le renvoi du ministère girondin, déclara que le cabinet congédié emportait la confiance de la nation, et se refusa à désigner d'autres hommes à la couronne, ainsi qu'elle le réclamait en gage de ses dispositions.
 
Du sein de cette crise long-temps prolongée, sortit cependant ce second ministère constitutionnel dont le souvenir est un titre d'honneur pour l'Espagne et pour ses membres (15). La plupart d'entre eux acceptèrent le pouvoir comme une charge, sans en avoir fait jusqu'alors le but de leur ambition; tous le quittèrent les mains pures, sans qu'à leurs noms s'attachât aucun de ces soupçons infamans qui n'avaient pas épargné certains hommes, assez habiles pour mettre leur réputation privée à couvert sous la facile protection des passions révolutionnaires. Il est aisé d'expliquer comment le système dont ce cabinet fut l'expression persévérante et courageuse succomba devant la gravité des obstacles, sans trouver dans sa chute l'occasion d'accuser la nation espagnole et de douter de ses voeuxvœux.
 
La chute du ministère Argüelles et Garcia Herreros avait donné aux exaltés, dans le sein des cortès, une majorité accidentelle et flottante, et les députés américains, récemment entrés dans l'assemblée (16), venaient en aide en toute occasion au parti ''communero''. C'était, en effet, le plus sur moyen de désorganiser l'Espagne et de la rendre impuissante contre ses anciennes colonies. ''L'ayuntamiento'' de Madrid, fidèle aux traditions de la trop fameuse commune de Paris, faisait à l'influence du congrès une concurrence redoutable. Les sociétés secrètes enlaçaient la représentation nationale et l'administration tout entière; leurs membres dépensaient en vociférations quotidiennes une énergie qu'ils se gardaient d'aller employer en Catalogne ou en Navarre, et qui, après avoir déterminé l'invasion française, ne sut pas lui résister un jour. On désignait des victimes et aux marteaux de la populace, rouges encore de la cervelle de Vinuesa, et aux poignards dont quarante mille sectaires tenaient le manche, pendant qu'une invisible main en dirigeait la lame. On sait, en effet, que les affiliés des ''Tours'' et des ''Châteaux'' juraient de mettre à mort quiconque aurait été déclaré traître, « vouant leur gorge au couteau, leurs restes au feu et leurs cendres au vent, s'ils manquaient à ce serment sacré. »
 
Au milieu de ce dévergondage d'imagination et de paroles, la résistance absolutiste s'organisait sur presque tous les points, moins compacte qu'aujourd'hui dans les quatre provinces, mais bien plus universelle. La Galice, la Navarre, la Catalogne, les Andalousies et les deux Castilles étaient sillonnées de bandes dont les succès momentanés ranimaient de vieilles illusions au coeurcœur du roi et d'anarchiques colères au sein des clubs. La défaite, sans combat des Napolitains avait jeté dans les cafés des grandes villes une masse d'hommes qui ne pouvaient faire pardonner leur lâcheté que par leur violence; l'Aragon était le foyer d'une conspiration républicaine, ourdie en même temps contre la France et contre l'Espagne, et Riego passait pour la connaître, sinon pour en être le complice. Les rapports diplomatiques devenaient chaque jour plus difficiles, car si, à Paris comme à Madrid, les gouvernemens désiraient encore la paix, deux partis opposés désiraient ardemment la guerre, la guerre nécessaire à l'un pour saisir le pouvoir, à l'autre pour le reprendre. Enfin, pour faire face aux dangers du moment et à ceux de l'avenir, le ministère s'appuyait sur un roi, dont le coeurcœur était aussi incapable de reconnaissance que la volonté de décision, et qui, aux premiers succès éclatans des hommes de la foi ou des clubistes, l'eût livré avec bonheur aux uns, et sans nulle résistance aux autres.
 
Placé dans cette terrible alternative, le cabinet eut d'abord à lutter contre une manoeuvremanœuvre dont les hommes de 1835 n'ont su se montrer que les plagiaires, car, dans la Péninsule, la série de tous les désordres semble depuis long-temps parcourue, et les vieux partis peuvent lire leurs destinées dans leur histoire. On vit alors s'organiser contre le pouvoir ces juntes locales d'insurrection, devenues aujourd'hui comme un rouage habituel du gouvernement de l'Espagne.
 
Un commandant militaire et un chef politique venaient d'être désignés pour Cadix et pour Séville. Ces choix donnaient des garanties incontestées à l'opinion libérale; mais ils étaient contresignés par des ministres « qui n'avaient pas la confiance de la nation. » Dès-lors rien de plus héroïque qu'une résistance à coups de fusil, dont le pacte fut signé ''inter pocula'' dans tous les cafés de l'Andalousie. On fit serment, peut-être sur la pierre de la constitution, de « mourir plutôt que de se soumettre à une oppression aussi atroce. » Les autorités révoquées, ayant elles-mêmes fermé les portes à leurs successeurs, furent déclarées pour ce fait des modèles de patriotisme; et dès cette époque, le lien social était si relâché, que la résistance ne s'organisa nulle part contre une aussi insolente tentative. Carthagène, Murcie, Valence, la plupart des cités méridionales, envoyèrent des députés à Cadix pour préparer une organisation et des moyens de défense. Barcelonne même, passant des horreurs de la contagion à celles de l'anarchie, s'insurgea contre son capitaine-général; soldats et citoyens, aux sons de l'hymne de Riégo, signèrent une pétition pour exiger le renvoi d'un ministère, dernière garantie de l'Espagne contre l'étranger et contre elle-même. Alors une junte d'insurgés déclara les provinces confédérées dégagées de tout lien envers le gouvernement central, tant qu'il n'aurait pas été fait droit aux justes plaintes des peuples par le renvoi d'un ministère odieux (17). A cette condition principale venaient s'en joindre quelques autres, comme destitution et incarcération des suspects, prompt jugement des coupables, immédiate exécution des condamnés bagatelles qui sont les épingles ordinaires de tous les marchés proposés par les factions aux pouvoirs avilis. Tel fut le premier essai de ce fédéralisme démagogique auquel on a semblé demander quelques chances de vie pour l'Espagne, et qui, s'il devait triompher encore, serait le manifeste indice d'une décomposition sans espoir. On put voir à cette époque combien les populations restaient étrangères à ces ligues que ne cimentent ni intérêts, ni croyances, ni souvenirs, et qui ne constatent que l'impassibilité des gens de bien entre un gouvernement impuissant et des passions dévastatrices.
 
Cependant à ces nouvelles les cortès s'émurent. Il fallut bien délibérer, quand le ministère les en somma au nom de cette constitution dont elles se disaient idolâtres, et lorsqu'elles se virent menacées par un torrent qui bientôt les emporterait elles-mêmes. Des commissaires furent nommés, dont on espéra d'abord des conclusions énergiques. Elles ne firent pas faute, en effet, car la commission ne proposa rien moins que la mise en jugement, sous prévention du crime de haute trahison, de tous les signataires des manifestes, membres des juntes, commandans de la force armée, et en première ligne des autorités constituées qui avaient osé méconnaître les ordres du gouvernement et s'étaient placées en rébellion ouverte contre lui (18). Mais on sut se ménager un moyen de faire agréer aux factieux le défi qu'on semblait leur jeter, et ni la peur, ni la haine ne perdirent rien à cette fermeté de parade. Au lieu de se précipiter soi-même dans le gouffre pour le fermer, on pensa qu'il était plus habile d'y jeter ses adversaires, et que cette immolation pourrait rapprocher les coeurscœurs.
 
Il est dans toutes les assemblées délibérantes une fraction pour qui les inimitiés personnelles passent avant les obligations politiques, et qui songe moins au salut du pays qu'aux mains chargées de le sauver ; parti inflexible dans les principes et souple dans la conduite, moins occupé de flétrir le crime que de lui chercher des motifs, et qui a besoin d'une excuse pour faire son devoir, comme d'autres pourraient en avoir besoin pour y manquer. Calatrava fut l'organe de ces hommes qui, sur le point de rentrer dans leur cité (la session touchait à son terme et les cortès. n'étaient pas rééligibles), désiraient à la fois, et prévenir la guerre civile, et ne pas faire de leur poitrine désarmée le but de tous les poignards. En des termes aussi énergiques qu'auraient pu le désirer les ministres eux-mêmes, il réclama pour le pouvoir exécutif tous les moyens nécessaires pour comprimer les juntes; puis, dans une seconde partie de son travail, destinée à faire pardonner la première, il conclut à déclarer que le ministère devait s'imputer la responsabilité de tous les maux qui pesaient sur la nation, sa conduite et sa mollesse ayant pu légitimement alarmer bien de patriotiques consciences. Il proposait donc de reconnaître qu'il avait ''perdu sa force morale''.
Ligne 387 :
Il est dans les crises politiques des hommes qui discernent le but avant qu'il soit possible de l'atteindre, et dont le sort est d'être long-temps vaincus, quoique la victoire ne puisse se fixer que dans leurs mains. C'est que pour terminer une révolution, il ne suffit pas d'avoir triomphé des partis extrêmes; il faut que ces partis aient acquis, par suite de longues déceptions, la conscience de leur défaite et de leur impuissance, et qu'ils en soient venus à désirer une transaction avec la même ardeur qu'ils désiraient la victoire. Or, cette situation des esprits était bien loin d'exister pour l'Espagne de 1822. L'absolutisme, battu en Navarre par Lopez Banos, et plus tard en Catalogne par Mina, se réorganisait au-delà des frontières, et comptait sur une guerre prochaine. Les exaltés se reposaient également sur elle du soin de livrer le gouvernement à leur merci et de remonter l'esprit national. Si les partis n'abdiquent que lorsqu'ils n'espèrent plus, on voit que l'instant n'était pas venu d'en obtenir des sacrifices. Il fallait que l'un et l'autre passassent encore au creuset de bien des misères avant que leurs débris vinssent se confondre dans ce parti moyen, qui finit toujours les révolutions, parce qu'il se tient, pour ainsi dire, en dehors d'elles, et qu'il résume tout ce qu'il y a de conciliable dans les prétentions opposées. Quoique l'Espagne gravitât visiblement dès-lors vers les formes et l'imitation françaises, parce que telle est sa destinée, l'opinion ''bicamériste'' n'y était pas encore distinctement formulée. Si les hommes les plus éclairés de l'école libérale lui appartenaient déjà, elle n'osait avouer ni ses chefs ni son symbole; aussi se présenta-t-elle avec une certaine apparence d'intrigue qui lui ôta beaucoup de sa force et quelque chose de sa dignité. Cette opinion s'évanouit dans la fusillade du 7 juillet sans s'être trouvée en mesure d'arborer avec franchise son drapeau de conciliation.
 
Ici se présente le problème de cette étrange journée incomplètement éclairée par les révélations historiques, peut-être parce que tous les acteurs y tinrent une position fausse, peut-être aussi parce que les plus honorables d'entre eux, pour expliquer leur conduite, se seraient vus contraints de livrer aux mépris du monde un pouvoir alors protégé par la majesté du malheur. S'il est douteux que la révolte des gardes ait été préparée par les hommes qui croyaient les circonstances favorables à une modification de la constitution de 1812 dans le sens de la charte française, il est au moins certain que les chefs de ce parti, puissant alors, sinon unanime dans le conseil de Ferdinand VII, tentèrent de profiter de l'occurrence terrible où Madrid se trouvait jetée pour offrir à tous les intérêts une large transaction. Ils reçurent à cet égard des engagemens qu'on sembla tenir jusqu'à l'instant où l’on se sentit assez fort pour les enfreindre. Mais lorsqu'au palais on se crut en mesure de contenir la ville et de triompher des efforts mal combinés des milices, lorsque des nouvelles apocryphes eurent annoncé plusieurs insurrections royalistes dans l'armée, on cessa soudain de ménager ceux qui, après avoir été si long-temps nécessaires, n'apparaissaient plus que comme des obstacles. Le ministère se vit prisonnier dans cette royale demeure pour la sûreté de laquelle il avait si souvent combattu. Mais voici que la chance tourne, que Morillo, désabusé de négociations fallacieuses, attaque avec désespoir la révolte qu'il ménagea jusqu'alors; que les gardes, sans direction et sans chef, se compromettent par de fausses manoeuvresmanœuvres; voici qu'on les traque et qu'on les fusille comme des bêtes fauves, et que les portes du palais sont forcées. Alors on est aux pieds de ceux qu'on emprisonnait naguère; on les embrasse humblement pour obtenir une protection qu'il n'est plus en leur pouvoir de dispenser. Il faut désormais se livrer sans réserve au vainqueur, se livrer à lui en ayant perdu ce qui console l'honnête, homme tombé en faisant son devoir.
 
On sait le résultat de toutes les résistances avortées. Le parti exalté se saisit du pouvoir; une enquête fut commencée contre les membres du ministère, et l'homme principal du nouveau cabinet fut Evariste San-Miguel, le chef d'état-major de Riego. Le parti ''communero'' s'empara de toutes les positions importantes, recomposa tout le personnel du palais et des diverses administrations, et le ministère puisa dans son union temporaire avec la majorité des comtés, et surtout dans la dispersion de l'ar¬mée de la foi, récemment opérée par Mina, une certaine force pour contenir les entraînemens de l'assemblée et le mouvement populaire du dehors.
Ligne 393 :
Mais la question étrangère venait désormais compliquer celles de l'intérieur, au point de les effacer complètement. Pour quiconque n'était pas dénué de coup d'oeil, il était évident que la journée du 7 juillet, où le parti des deux chambres avait maladroitement joué ses chances, avait décidé de la guerre, et qu'un échange plus ou moins long de notes diplomatiques ne la rendait pas moins inévitable. La médiation anglaise ne pouvait la prévenir, car on rejetait avec hauteur à Madrid ce qui devait en former la base, la promesse de modifier le pacte de 1812; et la coopération active de la Grande-Bretagne ne pouvait être un objet de préoccupations sérieuses, car elle eût été le signal d'une ligue continentale, que M. Canning ne pouvait songer à provoquer, L'intervention de 1823 fut pour le gouvernement de la branche aînée des Bourbons une nécessité que l'histoire doit savoir comprendre; et quoique on puisse en déplorer les résultats, il faut reconnaître qu'il eut été bien facile de les nationaliser. Si, au lieu de s'effacer en Espagne derrière les passions réactionnaires, on s'était hardiment posé en face d'elles, si l'on avait saisi cette unique occasion de cimenter l'alliance de la dynastie avec les idées constitutionnelles par leur diffusion au dehors, la guerre de 1823, loin d'être exploitée contre la restauration comme un souvenir accusateur, fût devenue sa sauvegarde aux mauvais jours.
 
A la fin de 1822, l'opinion publique en Europe reconnaissait unanimement que la constitution de Cadix était impraticable, et qu'il fallait passer à la république en supprimant une royauté dérisoire, ou revenir à la monarchie en lui rendant des attributions essentielles. Il ne pouvait, d'ailleurs, échapper à personne qu'en fait d'aptitude gouvernementale les patriotes de 1820 étaient au niveau des absolutistes de 1814. Ces hommes, divisés en sectes nombreuses, depuis les théoriciens ''communeros'' jusqu'aux ignobles ''Zurriagistes'' (21), qui bégayaient la langue d'Hébert et s'essayaient à la massue de septembre; ces hommes, dont l'esprit était farci de lieux communs et le coeurcœur vide de tout élément de sociabilité, semblaient destinés à se combattre les uns les autres sans résultat et sans terme. De son côté, le parti ''de la foi'', que Mina venait d'écraser, avait constaté son impuissance à terminer par lui-même et à son profit la crise péninsulaire. D'ailleurs, le nom de ses chefs, sortis presque tous des derniers rangs du peuple et du clergé, constatait la présence dans son sein d'une force démagogique dont les manifestations seraient bientôt redoutables au pouvoir qu'il consentirait à élever.
 
C'était donc du seul parti modéré qu'on pouvait attendre quelque avenir pour l'Espagne, car lui seul n'avait pas encore donné sa mesure. Divisé en associations et nuances aussi nombreuses que ses adversaires, composé d'une portion notable de la grandesse et de la magistrature, d'officiers supérieurs, de commerçans, de propriétaires, de quelques dignitaires ecclésiastiques, de l'élite des ''afrancesados'', ce parti, chassé du gouvernement après la crise de juillet, ne pouvait plus rien par les voies légales et ne pouvait rien encore par la force. Attendre de circonstances éloignées un retour éventuel d'influence pour ces hommes nombreux, mais isolés, c'était livrer à des chances redoutables cette question espagnole, que tous les gouvernemens de la France doivent tendre à décider dans le sens de leur principe. L'intervention française pouvait seule remettre en selle ce parti démonté par les évènemens, quoique seul pourtant capable de conduire l'Espagne.
 
Ce n'est pas aujourd'hui que les esprits sérieux commencent à apprécier selon sa valeur le système suivi depuis trois ans dans nos rapports avec ce pays, qu'on pourrait reprocher à l'ancien gouvernement une expédition devant laquelle il hésita long-temps, et que son seul tort fut d'entreprendre sans en avoir préalablement fixé l'esprit. Au lieu de s'en remettre humblement à une volonté royale qui n'était point en mesure et n'avait guère le droit d'être exigeante, il fallait savoir faire ses conditions avec elle, et la perspective d'une délivrance eût paru trop douce à Ferdinand, même à ce prix. Au lieu de se présenter comme exécutrice, des arrêts de l'Europe continentale et l'avant-garde de ses armées, il appartenait à la France, sans repousser le concours moral qui lui était offert, d'agir pour elle-même, selon ses principes et ses intérêts, selon le droit très légitime d'asseoir son influence dans la Péninsule. La chute de l'insurrection militaire, dût-elle être remplacée par un gouvernement constitutionnel, était chose si précieuse aux puissances représentées à Vérone, qu'elles l'eussent acceptée comme un bienfait sous cette réserve, que rien, d'ailleurs, ne contraignait de faire avec elles. En vain le parti aux yeux duquel une opération combinée dans le double intérêt de la dynastie et de la France devenait une pure croisade de droit divin, aurait-il prétendu qu'il ne seyait pas, en délivrant Ferdinand, de substituer le joug de l'étranger à celui d'une faction; la réponse était trop facile : ce n'était pas la coërcition exercée sur la volonté présumée de ce prince qui légimait l'intervention armée, c'était le caractère d'une révolution incapable de se régler elle-même, et devenue menaçante pour nos institutions et nos frontières. Dès-lors, pour prévenir dans l'avenir des dangers analogues ou d'une nature opposée, mais également menaçans, la France était en droit de ne consulter que sa politique. L'intervention opérée dans ce sens exerçait à l'intérieur une puissante influencé sur l'opinion; elle enlevait à l'Angleterre le rôle que son cabinet avait su prendre en face de la sainte-alliance; elle eût pu nationaliser le principe représenté par la maison de Bourbon, en en faisant l'instrument de la régénération pacifique de l'Espagne, et sans doute aussi du Portugal, où le coeurcœur du bon Jean VI était ouvert d'avance à toutes les idées saines et généreuses.
 
Quelques difficultés se fussent rencontrées sans doute, moindres toutefois que le concours actif offert par tant d'hommes honorables qu'allait frapper une réaction brutale. On eût entendu de vieux ''tragalistes'' acclamer l'inquisition et le roi absolu; le Trappiste et Mérino eussent protesté; Bessières se fût fait fusiller un peu plus tôt, et l'insurrection des ''aggraciados'', au lieu d'éclater en 1827, eût commencé à temps pour que l'armée française, en sortant, pût en finir avec elle. Le gouvernement français eût compris, si un parti n'eût ou fasciné sa vue ou forcé sa main, que pour lui, autant que pour l'Espagne, une transaction était plus désirable qu'une victoire. Or, le moyen le plus assuré de l'atteindre, était, ce semble, après l'occupation de la capitale et sous la menace d'une attaque immédiate, de négocier à Séville avec le roi, la partie modérée des cortès et la majorité du conseil d'état. On s'appuyait alors sur la grandesse (22) et sur les généraux, presque tous favorables à ces vues conciliatrices, qui seules déterminèrent leur soumission (23). Mais on recula devant les sourdes résistances de Paris, plus que devant les résistances de l'Espagne, et des actes partiels vinrent attester au monde que l'on comprenait tous les devoirs de la France, sans être en mesure de les remplir (24).
Ligne 407 :
Des croix de Saint-Ferdinand et des opinions plus libérales, le mépris de ses auxiliaires en guenilles et l'horreur des réactions, voilà ce que l'armée de la restauration rapportait d'une campagne où il fut plus difficile de rencontrer l'ennemi que de le vaincre. Quant aux agens politiques, ils prévoyaient une catastrophe dont la France devenait en quelque sorte solidaire, et réclamaient vainement une amnistie pour laquelle son gouvernement avait engagé sa parole. Dans l'absence de tout crédit et de toutes ressources, en face de la banqueroute qui n'est d'aucune opinion, et qu'une d'elles cependant ne craignait pas de préconiser, au milieu de la consternation des hautes classes et des classes bourgeoises, toutes plus ou moins atteintes par d'innombrables catégories, ils voyaient le gouvernement espagnol passer de la démagogie des clubs à celle des volontaires royalistes, sans qu'on leur reconnût le droit de faire arriver jusqu'à lui un conseil de prudence, une parole de modération. Les prisons regorgeaient de détenus, le sabre des janissaires royaux fonctionna dans maintes villes, et cent mille Français regardaient ! Aujourd'hui encore ils regardent; mais du moins c'est par de là les Pyrénées, et le sang n'éclabousse plus leurs armes immobiles.
 
La France a forfait deux fois à sa mission civilisatrice sur ce pays. En 1808, Napoléon refusa de le prendre sous la protection de son génie et de sa gloire; en 1823, la restauration n'osa lui dispenser le bienfait d'une liberté régulière. Puisse la France ne pas manquer une troisième fois à son oeuvreœuvre! Triste destinée que celle de l'Espagne où l'expérience semble perdue pour tous, où l'abîme semble toujours invoquer l'abîme; étrange destinée que celle de la France, contrainte pour obtenir quelque adoucissement à un régime qui compromettait sa victoire, et pour faire tomber un ministère inepte autant qu'impitoyable, de s'abriter derrière la Russie, et de pousser à Madrid le comte Pozzo di Borgo au secours de son ambassadeur (25) !
 
Nous proposant de faire comprendre l'Espagne, et non d'en retracer l'histoire, nous ne saurions donner à une époque de transition l'attention que nous avons dû porter à ces crises durant lesquelles les partis se montrent sans déguisement et sans pudeur, temps solennels où la nature humaine laisse plonger dans ses abîmes, comme la mer lorsque la tempête en soulève les vagues. Si, après les évènemens que nous venons de retracer, une question est jugée en dernier ressort, c'est l'impossibilité, de constituer un gouvernement par l'une ou l'autre des factions auxquelles l'intervention armée de la France et l'intervention diplomatique de l'Europe firent en une même année échapper l'Espagne : factions debout encore l'une et l'autre, réclamant comme leur proie ce pays qu'on leur laisse, et qu'il eût été facile de leur ôter, si le gouvernement français avait tenu les yeux ouverts sur cette crise pour la finir en temps utile. L'une promène dans les montagnes de Biscaye son impuissance que dissimule une force locale vivante et plus populaire; l'autre répète, avec un sang-froid qui fait honte, les banalités révolutionnaires que ne relèveront jamais pour elle ni l'enthousiasme de la ''Marseillaise'', ni la victoire sur l'étranger; partis de la ''Tragala'' et du ''Rey neto'', du bonnet phrygien et du bonnet soufré, des égorgeurs de moines et des bourreaux monarchiques, où règne un égal mépris de l'homme et de Dieu.
Ligne 415 :
Non que Ferdinand fasse du juste-milieu; il ne songe aucunement à Constituer un tel parti, à proclamer ses maximes, à faire dominer ses intérêts. II choisit seulement quelques hommes qu'il sait habiles, et qu'il oppose avec adresse, dans son conseil, à des hommes nécessaires, mais redoutables. En face de Calomarde et de Ugarte, ces valets-de-chambre politiques, vis-à-vis des Erro, des Eguia, des Aymerich, ces croupions de l'absolutisme, il pose et tient en équilibre les Zea, les d'Ofalia, les Recacho, les Burgos, les Ballesteros, les Zambrano, novateurs qui pactisent avec l'esprit de révolution au point de désirer que l'état ait quelque crédit, que ses dividendes, son administration et son armée soient payés, que l'industrie et le commerce se ravivent; enfin, que les volontaires royalistes n'emprisonnent et n'assomment plus à discrétion. Ferdinand en est arrivé à se servir de chacun sans plus se livrer à personne, car tel, malgré son absolu dévouement, a des affinités révolutionnaires, tel autre voit en secret don Carlos et les deux infantes portugaises; les constitutionnels sourient au premier, les apostoliques font des confidences au second; que M. de Zea soit donc tenu en échec par Thaddeo Calomarde, et que dans les circonstances pressantes le duc de l'Infantado fasse contre-poids à l'un et à l'autre.
 
Ce rôle allait à un roi rendu sceptique par le malheur, et qui n'aimait pas plus sa famille qu'il n'en était aimé. L'Espagne, d'ailleurs, s'y prêtait sans résistance; car, si dans son sein les partis, comme le pouvoir, conservaient les mêmes symboles, à leurs paroles et à leurs actes on sentait la voix qui tombe et l'ardeur qui s'éteint. Les volontaires royalistes faisaient encore parfois main basse sur les ''negros'', ces chiens de ''negros'' qui avaient des idées libérales et de l'argent; mais en les louant de leurs excellens sentimens, on osait les punir sans qu'ils osassent résister. On réclamait encore le rétablissement de l'inquisition; des corps constitués firent plusieurs fois des représentations officielles sur l'urgence de cette mesure pour le trône et pour l'autel : je crois même que deux prélats la déclarèrent sur simple mandement rétablie dans leur diocèse (27) ; mais la majorité du corps épiscopal resta calme, le clergé séculier se sépara de la démagogie turbulente de ses moines, et le saint office ne se releva plus. En vain, les vieilles bandes de la foi, furieuses qu'on leur mesurât les récompenses sur le dénuement du trésor, se soulevèrent en Catalogne contre Ferdinand et ses ministres franc-maçons; l'armée des ''aggraviados'' succomba comme toutes les factions dont l'esprit se retire. L'on vit alors une main monarchique, qui sans doute aujourd'hui regrette son oeuvreœuvre imprudente, accrocher à toutes les potences de la principauté les chefs d'un parti que don Carlos a vainement tenté d'y réveiller, parce qu'en cette crise de 1827 son dévouement s'épuisa avec son sang et avec sa foi.
 
Devant les mêmes causes on voit aussi tomber l'effervescence libérale; on sent que toutes les orthodoxies politiques sont entamées à la fois. Tarifa et Almeria sont attaqués sans résultat, les frères Bazan restent sans concours à Alicante. Plus tard, Milans s'agite en vain sur la frontière de Catalogne; et, chose plus grave, le contrecoup de la révolution de juillet ne remet pas même à flot une opinion qui a perdu en force tout ce que le pouvoir a paru gagner en intelligence. En Navarre, Valdès échoue en 1830 comme en 1824 il échouait en Andalousie; Torrijos et sa troupe viennent se faire fusiller dans des provinces qui contemplent avec pitié sans doute, mais sans sympathie, leur défaite et leur massacre juridique; Mina lui-même, dans sa fuite, rougit de son sang les pointes de ces rochers aigus qu'il gravit si souvent aux cris joyeux de ses compagnons de victoire. Toutes les tentatives de réfugiés essayées pendant six ans sur tous les points du royaume; au nom de la constitution de 1812, échouent sans trouver de concours, sans qu'une compagnie se soulève, qu'une ville s'émeuve, qu'une ''guerilla'' se mette en campagne, sans que la ''Puerta del sol'' se rappelle un instant ses beaux jours, les jours de Vinuesa et de Goiffieux.
Ligne 509 :
L'opposition de quinze ans, par son hostilité systématique et incessante, n'avait pas peu contribué à persuader aux royautés européennes que chaque concession était en même temps un acte d'inhabileté et de faiblesse, un pas gratuitement fait vers l'abîme, opinion que le gouvernement espagnol n'était pas alors en mesure de professer, et sur laquelle, d'ailleurs, il est bon de s'entendre. S'il est des temps où les concessions deviennent des armes pour l'ennemi, il en est d'autres où ce sont des armes que l'on s'assure, des positions où l'on s'établit. Louis XVI avant le serment du jeu de paume, Ferdinand VII avant l'insurrection du 7 mars 1820, pouvaient faire des concessions précieuses pour l'autorité royale; après cette époque elles étaient devenues inutiles. Les sacrifices de Ferdinand à son retour d'Aranjuez, l'adhésion de Louis aux décrets contre les émigrés et les prêtres non assermentés, ne les dérobèrent pas à de nouvelles exigences, de même que Charles Ier, en sanctionnant l'exclusion des évêques de la chambre des lords, n'échappa point aux menaçantes réclamations des communes pour le bill de la milice.
 
Le pouvoir ne doit pas plus s'appuyer sur les couches molles de la société que l'architecte sur le sable; il doit aller jusqu'au coeurcœur des intérêts fixes et dominans pour s'asseoir imperturbablement sur eux. Qui peut douter, par exemple, que si la branche aînée des Bourbons, au lieu de revenir au 8 août sur les concessions faites au centre droit par la formation du ministère Martignac, les eût poussées jusqu'au centre gauche, essayant de M. Périer, au lieu de se livrer à M. de Polignac, rétablissant la garde nationale de Paris au lieu de préparer les ordonnances, qui peut douter que la restauration n'eût augmenté ses chances, au lieu de les amoindrir? Il y a raison de penser également que si le ministère Martinez de la Rosa avait été formé à la mort de Ferdinand VII, au lieu de paraître arraché à la régente par l'attitude des provinces et les remontrances des capitaines-généraux, l'avenir de l'Espagne eût pu se présenter sous des couleurs moins sombres.
 
Le parti libéral déploya une véritable habileté durant l'administration transitoire de M. de Zéa. Se ralliant au seul nom d'Isabelle, il parut d'abord s'offrir sans conditions, assuré d'être promptement en mesure d'agir à son gré. Dominés par les circonstances, les capitaines-généraux, dans presque toutes les provinces, avaient dissous et désarmé les volontaires royalistes, sans attendre les ordres du ministère qui, après de longues hésitations, dut sanctionner un fait désormais consommé. En Catalogne, Llauder avait organisé vingt mille gardes d'Isabelle pour faire tête à l'insurrection; dans le royaume de Valence, on dut, pour résister, recourir à une mesure analogue. Partout l'autorité se voyait contrainte de remettre les commandemens à des officiers libéraux, quelquefois à des émigrés rentrés de la veille : déjà Valdez, plus dévoué sans être plus heureux, avait remplacé Saarsfield en Navarre; l'amnistie, d'abord limitée, avait été étendue à tous les proscrits, qui, en rentrant dans leur patrie, recevaient les avances du pouvoir, au lieu de lui donner des gages. Mais tout cela se faisait en vain une idée fermentait dans toutes les têtes comme en 1808, comme en 1820, une idée, force irrésistible, dès qu'elle parvient à se formuler.
Ligne 521 :
Si le sort des peuples pouvait se décider à la majorité numérique, et si nous appartenions sur ce point à l'école du général Lafayette, nous ne savons pas trop s'il serait possible d'échapper en Espagne à la légitimité de Charles V. En reconnaissant que cette opinion n'existe plus dans les masses à l'état de croyance exaltée, et que la source du dévouement est aussi manifestement tarie pour le parti de la foi que pour le parti révolutionnaire, il semble difficile de contester que le nom du prétendant n'obtint encore les plus nombreux suffrages, si on les comptait par tête, en plaçant l'élite de la nation sur le pied d'une parfaite égalité avec les montagnards des Pyrénées et les contrebandiers des Alpuxaras. Mais il se trouve que don Carlos, qui, par son droit salique datant du XVIIIe siècle, devrait représenter les idées modernes contre l'héritière des vieilles reines de Castille, est, par les plus étroits engagemens de sa vie, la vivante expression d'une nationalité qui se transforme, comme le czaréwitz Alexis le fut contre son père. Or, si dans les vastes domaines des Ivan, la solitaire pensée d'un homme triompha de l'énergique volonté des peuples, de leur histoire et de leur génie, si l'Asie recula devant l'Europe, l'Espagne reculera devant la France.
 
Dans la Péninsule, cette cause a pour elle mieux qu'un grand homme, elle est assise sur un parti qui n'a jamais plus avancé son oeuvreœuvre que lorsqu'il a dû céder la place à d'ineptes adversaires.
 
Nous nous défions des formules où l'on encadre les destinées des peuples sans rien laisser à faire ni à Dieu ni aux hommes : comment ne pas admettre pourtant qu'il y a dans l'esprit français une force intime, un élément général et providentiel, base future d'une nouvelle unité? Quel est le grand mouvement intellectuel ou social qui ne soit devenu européen? L'unité romaine absorba les Gaules et l'Ibérie, et la pensée chrétienne a transformé le monde. L'organisation féodale, diversement modifiée, à son tour enlaça l'Europe, qui s'agite aujourd'hui sous des idées d'autant plus puissantes, que la France est parvenue à les contenir et à les régler.
Ligne 537 :
Une simple observation établit, d'ailleurs, tout ce qu'il y eut de spécial dans l'insurrection basque, et ne permet point à l'opinion carliste de s'en prévaloir comme d'un indice de sa force. Au moment où Ferdinand ferma les yeux, les tentatives insurrectionnelles ne furent pas circonscrites au nord du royaume. Pendant que la Navarre courait aux armes sans s'émouvoir du coup de foudre qui venait de frapper son chef (8), Mérino avait soulevé les volontaires royalistes entre l'Ebre et le Guadarrama. En Catalogne, des mouvemens avaient eu lieu sur divers points, et aux confins des royaumes d'Aragon et de Valence, les insurgés s'établirent d'abord dans le château de Morella d'où ils appelèrent aux armes les nombreux bataillons de volontaires. Néanmoins, dès le commencement de 1834, tous ces mouvemens étaient étouffés, toutes ces tentatives étaient reconnues impuissantes, et la guerre ne se maintenait qu'au-delà de l'Ebre, parce qu'ailleurs elle était guerre de parti, et que là seulement elle était guerre nationale. Du moment où les diversions tentées par don Carlos sur la Catalogne restaient sans succès, où cette terre des bandes de la foi, n'armait plus ses vieux ''somatènes'' et les restes épuisés de ses ''aggraviados'', il était démontré que l'insurrection carliste, livrée à elle-même, viendrait échouer ou contre l'opposition ou contre l'apathie de l'Espagne.
 
Ces prévisions que tout homme connaissant la Péninsule pouvait former dès les premiers mois de 1834, n'ont point été infirmées par les évènemens. En vain l'anarchie a-t-elle massacré les moines, exercé ses proscriptions, proscrit les gens de bien, porté l'épouvante au coeurcœur des hommes timides : aucun vengeur n'est sorti de ce sang qui crie encore, et les armées du prétendant n'ont pas plus recueilli les fugitifs de Madrid, que celles de l'émigration ne recevaient les proscrits de la Gironde. Le seul résultat qu'ait amené pour don Carlos cette complète dissolution du pouvoir qui suivit les évènemens du mois d'août, c'est l'expédition de Gomez, audacieuse maraude dont le caractère politique est assez vaguement indiqué.
 
Cette marche de quatre cents lieues n'a été signalée par aucun soulèvement populaire; aucune junte locale ne s'est organisée sous la protection de ce chef, qui semble avoir moins eu pour but de tenter un appel à des sympathies comprimées, que de faire des fonds pour le quartier-général, en quoi ce fourrageur en grand a merveilleusement réussi. On en est arrivé en Espagne à ce point de lassitude qu'amis et ennemis ont mieux aimé lui livrer leur or que de prendre les armes soit pour le repousser, soit pour le défendre. La marche de Gomez a eu le résultat de constater en même temps et l'impuissance de la révolution et la faiblesse du parti carliste; ou, pour parler plus vrai, ce fut une soudaine révélation que ce pays sembla donner au monde de toutes ses misères à la fois.
Ligne 549 :
On n'entend pas contester l'identité de la cause carliste avec celle dont l'armée de la foi poursuivait le triomphe; il est de plus manifeste que le clergé a autant et plus souffert, dans ses intérêts matériels, de la révolution actuelle que de celle de 1820. Néanmoins on ne saurait nier, de l'aveu de tous les hommes qui ont observé l'Espagne depuis l'origine de la lutte dynastique, que le clergé n'y soit resté généralement passif dans son action, quelles qu'aient été ses sympathies secrètes. Que celles-ci soient acquises à don Carlos, c'est ce que nous croyons sans peine, et la révolution ne s'est montrée ni assez juste ni assez grande pour avoir le droit de s'en plaindre. Mais il est certain, ainsi l'attestent les organes de toutes les opinions, que la conduite du clergé séculier a été presque toujours marquée au coin de la prudence et de la réserve, que tous les évêques, un seul excepté, sont restés dans leurs sièges épiscopaux, et que ceux d'entre eux appelés à la chambre des ''proceres'' ont implicitement concouru à légaliser la déchéance du prétendant et de sa famille. La lutte stratégique de la Navarre n'a rien d'une croisade; et si les franciscains de Bilbao et d'autres monastères saccagés ont grossi les bataillons de don Carlos, c'est qu'ils ont trouvé à y vendre chèrement leur vie, au lieu de s'abandonner à la discrétion de leurs ennemis. Le clergé possède plus que nul autre corps le pressentiment de l'avenir; il n'a le droit de le compromettre pour aucune pensée terrestre, et son premier devoir est de se séparer à temps des causes qui tombent. Aussi, voyez le clergé séculier dans la Péninsule : il paraît se résigner, quoique avec douleur, sans doute, à ne pas associer son sort à celui des ordres monastiques dont la résurrection devient de jour en jour plus impossible. Entre deux partis politiques en présence, il laisse se prononcer la fortune, certain de profiter de la victoire de don Carlos, et ne voulant pas se compromettre par sa défaite.
 
A cette attitude passive du clergé s'est jointe l'attitude hostile de la noblesse, que les partisans de l'infant n'ont jamais contestée. On comprend dès-lors que des succès obtenus dans l'épuisement de l'Espagne n'avanceraient guère la seule question vraiment importante, et qui, réduite à sa plus simple expression, devrait se formuler ainsi : Constituer la doctrine du pouvoir absolu sur la démocratie morale ; se soutenir sans crédit et sans armée régulière, les hommes et l'argent manquant également pour la former, et le premier voeuvœu des Navarrais étant de retourner dans leurs provinces, si jamais ils consentaient à en sortir; se placer en dehors de la classe élevée et de la classe industrielle, pour gouverner contre toutes les influences dominantes dans la société contemporaine. Tel est le problème que don Carlos devrait résoudre en Espagne, et cette solution serait moins facile qu'une victoire.
 
Que le prétendant s'installe au palais des rois catholiques, nous demandons ce qu'il fera le lendemain? Ne parlons pas des insurrections libérales qui s'organiseront alors, avec moins de consistance, il est vrai, que le mouvement de Navarre, mais sur bien plus de points à la fois; ne nous enquérons pas du sort de ces cités méridionales se déclarant indépendantes, comme Cadix a déjà plus d'une fois menacé de le faire; ne nous arrêtons pas à faire remarquer l'évidente différence de cette situation d'avec celle de 1823, alors que Ferdinand, pour organiser un gouvernement et une armée, put disposer de toutes les ressources de la France, dont l'occupation se prolongea jusqu'en 1828; admettons que ces obstacles, devant lesquels aurait reculé le cardinal Ximenès, s'aplanissent devant l'évêque de Léon; supposons la France et l'Angleterre impassibles, le traité de la quadruple alliance décidément déchiré, et nos maîtres de poste fournissant des relais aux ministres du Nord pour aller saluer à Madrid le représentant de la légitimité triomphante. Puis, quand nous aurons accumulé les hypothèses et les miracles, demandons-nous quels hommes seront près de Charles V pour soutenir sa couronne et la rajuster sur son front? J'aperçois autour de lui des soldats navarrais et des généraux improvisés, pris, pour la plupart, au soc de la charrue, braves gens sans contredit, personnages de roman et de chronique, que j'aime à voir dans le livre du capitaine Henningsen, couverts de leur fourrure d'ours, comme des Klephtes de Thessalie : mais d'hommes d'état et d'administrateurs, pas un seul pour le cabinet; de grands et de titrés de Castille, presque aucun pour les antichambres royales. Tout cela a courbé la tête sous le veau d'or; tous les esprits ouverts aux idées du temps, toutes les grandes existences, fatiguées de leurs loisirs stériles, se sont tournés vers la vie politique, et ont reçu avec bonheur Isabelle et le statut royal. Les uns cédèrent au sentiment libéral, les autres à la volonté de Ferdinand VII exerçant sa puissance suprême : entraînement d'esprit ou faiblesse, un abîme les sépare de celui qu'ils ont proscrit.
Ligne 555 :
Mais je prévois la réponse; je crois l'entendre venir de Saint Pétersbourg et de Vienne : Si don Carlos parvenait à Madrid, il aurait bientôt près de lui ces hommes de modération et de lumières pratiques, auxquels l'Espagne eût dû plus d'une fois confier ses destinées; quoique principal instigateur, de la pragmatique de Ferdinand, le parti ''afrancisado'', dont toutes les vues réformatrices ont été dépassées, n'hésiterait pas à choisir entre la révolution et le roi légitime. Sait-on si ce choix n'est pas déjà fait, si des engagemens ne sont pas pris? Don Carlos, de son côté, éclairé par les conseils des grandes puissances, ne pourrait manquer d'entrer dans la voie des concessions aux nécessités du temps; il le promet d'ailleurs en échange des subsides qui lui sont transmis; il ne pourra se dispenser de prendre leurs hommes, puisqu'il a pris leur argent.
 
Il n'est pas dans nos habitudes de trancher insolemment de hautes questions et de paraître initié à ce que nous ignorons. Mais on ne donne sans doute rien au hasard en affirmant que telle doit être, relativement à la question espagnole, la pensée des cabinets restés eu dehors du traité du 22 avril 1834. Ce qui leurre aujourd'hui les cours hostiles à la royauté d'Isabelle, c'est évidemment l'espoir de constituer la restauration espagnole sur la hase des améliorations administratives et d'une large amnistie; elles sont assurément trop éclairées pour s'associer à une réaction dont les suites seraient si faciles à prévoir. Or, j'ose dire que c'est là une pure illusion pour qui se rend un compte sincère et de l'état de l'Espagne et du mouvement politique de ce pays depuis 1814. En admettant que don Carlos, sacrifiant ses répugnances aux conseils de ses alliés, faisant fléchir sa conscience politique sous les nécessités de sa position, consentit à s'entourer de ceux qui furent ses premiers proscripteurs, ne suffit-il pas de se rendre compte de la position de ce prince pour voir que ses promesses seraient illusoires, et que la modération lui créerait des dangers plus immédiats et peut-être plus redoutables que la violence? Une restauration peut être modérée, à vingt ans de distance, et lorsque l'état des moeursmœurs est tel que les partis ont appris à se vaincre sans s'exterminer; mais en Espagne, où chaque moitié de la nation a voué l'autre à la mort et à la misère, qui oserait prendre au sérieux une promesse d'amnistie ou le programme d'un gouvernement réparateur? Ferdinand même put à peine entrer dans ces voies, et ne les suivit jamais sans être contraint d'en dévier bientôt, lui qui avait la France pour alliée, au lieu de l'avoir pour ennemie, et que l'Europe entière entourait de son concours et de ses bons offices; et l'on espérerait amener don Carlos à se compromettre avec ceux qui l'auraient fait roi pour suivre des inspirations contraires à sa conscience, et l'on s'imaginerait qu'une telle restauration est possible, sans imprimer à la cause monarchique de dangereuses flétrissures, sans faire peser sur elle une solidarité trop redoutable pour les temps où nous sommes! Funeste croyance, dont l'effet fut d'égarer dès l'origine le sens habituel des cabinets, de les détacher d'une cause à laquelle leur appui aurait prêté une force efficace pour prévenir de grandes calamités : cause représentée par une enfant, et dont l'adoption était, ce semble, peu pénible au prix d'autres sacrifices que la prudence avait fait faire sans hésiter à la paix du monde et au bonheur des peuples!
 
Disons donc, en résumant ces observations réunies sans parti pris et dans le seul intérêt de la vérité, que, si le parti carliste est encore le plus nombreux en Espagne, il y est aussi le plus impropre à fonder un gouvernement, puisque toutes les fois que l'Espagne a été tant soit peu gouvernée depuis vingt ans, elle a dû l'être contre lui. Ajoutons que ce parti, incapable par lui-même de lutter en 1823, s'est, depuis cette époque, affaibli par le concours d'une foule de causes, au premier rang desquelles on doit placer l'incertitude du droit dynastique, qui, dès la pragmatique de Ferdinand, rallia autour de la jeune princesse des Asturies toute la noblesse de cour et la plus grande partie de celle des provinces. Dans une telle situation, s'il est permis de discuter les chances stratégiques du prétendant, il semble difficile de lui reconnaître des chances politiques, à moins toutefois que les puissances dont les secours lui ont été si utiles pour prolonger la lutte, n'obtiennent le transit à travers la France de cent mille hommes, plus précieux que leurs ambassadeurs pour maintenir don Carlos dans un système de modération dont, en Espagne surtout, la première condition; C'est la force.
 
En face de l'opinion carliste se présente l'opinion libérale, divisée en deux grandes fractions. L'une, qui s'appelle par essence l'opinion constitutionnelle, a pris l'acte de 1812 non pour symbole, mais pour drapeau. Quelle est sa force véritable dans la Péninsule; avec quels hommes et quelles idées se produisit-elle dans la lutte actuelle? sa victoire sur le système successivement représenté par MM. Martinez de la Rosa, de Toreno et Isturitz fut-elle l'expression d'un voeuvœu national ou l'oeuvreœuvre de circonstances transitoires?
 
Le pouvoir est la pierre de touche des partis; c'est au pouvoir seulement qu'ils donnent leur mesure. Il était donc difficile, en 1833, d'apprécier les ressources et l'avenir du parti qui se posait pour la première fois devant les deux autres, car l'opinion bicamériste n'avait eu jusqu'alors en Espagne ni corps de doctrines, ni organes avoués. Mais le parti de la constitution de Cadix avait possédé tout cela. Nous l’avons étudié en 1812 dans son orgueilleuse inexpérience, en 1820 dans sa brusque transformation militaire; nous avons vu les théoriciens céder presque sans résistance la place aux hommes d'épée, l'intelligence s'abaisser devant la force, Arguelles devant Riégo. C'est à ce point que se trouvait amené, au moment de l'invasion française, le parti démocratique, et c'est à ce point qu'on le retrouve à sa rentrée en Espagne sous Marie-Christine; et peut-être est-il digne de remarque que l'acte par lequel le ministère Mendizabal scella son alliance avec lui, fut la réhabilitation solennelle d'un homme dans lequel ce parti honorait moins la triste victime d'une réaction politique que le fougueux représentant de ses voeuxvœux et de ses rêves (9). Pour apprécier la force réelle de l'opinion de 1820, n'oublions pas avec quelle promptitude elle laissa choir sans le défendre le code immortel de 1812, à l'apparition des premiers bataillons français; reportons-nous surtout à l'universel enthousiasme qui sembla faire de l'invasion de 1823 une délivrance. Ce n'était pas en effet parmi les populations rurales seulement qu'éclatèrent ces témoignages d'adhésion, et les acclamations au roi absolu n'en étaient pas l'accompagnement nécessaire. Les villes les plus notoirement connues pour leurs idées libérales ouvraient sans résistance leurs portes à l'étranger; elles contemplaient avec une ambition triste et jalouse ces soldats, heureux fils d'un pays où la liberté régnait sans violences : tous les voeuxvœux se tournaient vers la France, tous les regrets se reportaient vers l'Espagne. Les généraux en masse et la plus grande partie des officiers désiraient conserver des institutions libérales en modifiant leur action, en substituant des influences plus calmes et plus morales à celles qui avaient bouleversé le pays sans y exciter même un courage d'un jour. Les miliciens de Madrid, les insurgés de ''Las-Cabezas'', peu nombreux, mais fort compromis, prolongèrent seuls quelques mois derrière les remparts de Cadix une résistance sans concours et sans espoir. Du jour où le premier soldat français eut passé la frontière, on put dire avec vérité que la constitution de 1812 avait cessé d'être en cause, et que l'avenir de l'Espagne ne se débattait plus qu'entre le vieil absolutisme et une charte à la française.
 
On a déjà vu que toutes les tentatives des réfugiés avaient été frappées d'impuissance sous la restauration, époque durant laquelle se développèrent simultanément dans les classes éclairées une tendance chaque jour plus prononcée vers les réformes politiques, et un repoussement qui allait jusqu'à l'effroi au seul souvenir de 1820. C'est à ce sentiment, partagé par l'armée elle-même, qu'il faut attribuer l'inquiétude avec laquelle l'Espagne accueillit la nouvelle des évènemens de juillet, sur la portée desquels personne ne se faisait illusion. On sait comment échouèrent dans les provinces du midi aussi bien que dans celles du nord des entreprises essayées sur des points à peu près sans défense. Il était évident, rien qu'à voir l'attitude du pays, qu'il hésitait à recevoir la liberté de mains qui menaçaient de la lui rapporter folle encore et sanglante.
Ligne 575 :
Là est le secret de sa force dans l'avenir, en même temps que de sa faiblesse dans le présent, faiblesse dont il serait néanmoins inexact d'arguer pour contester à ce parti une supériorité politique, au moins relative, sur les deux autres. S'il est moins nombreux que celui-ci, ou moins entreprenant que celui-là, seul, du moins, il est en mesure, hors certaines circonstances passagères, d'exercer dans le pays une action gouvernementale, interdite au parti carliste aussi bien qu'à la faction militaire. Quoiqu'il n'y ait en Espagne ni centre, ni point de ralliement pour les forces nationales ou pour les idées, quoique les provinces, les villes et les citoyens vivent à part les uns des autres et dans un état en quelque sorte passif en face des factions, il est certain que, depuis trois années, chaque fois que ce malheureux pays a pu exprimer sa pensée avec quelque liberté, il s'est instinctivement rapproché de cette opinion moyenne, qu'il sait désireuse de le défendre contre des violences qu'il redoute, sans avoir par lui-même le moyen de s'y dérober.
 
Ainsi l'on vit, en 1834, la majorité des ''procuradores'', arrivés à Madrid sous le coup des souvenirs et des préjugés de l'époque constitutionnelle, se lier étroitement, sur presque toutes les questions, au système du statut royal; et plus tard, malgré le mouvement des juntes et les pratiques de M. Mendizabal, elle tenta de se séparer d'un ministre compromis pour revenir aux hommes de son estime et de sa confiance politique. Et, si l'on peut juger des voeuxvœux de la nation par l'issue des élections si hardiment affrontées par M. Isturitz, sous l'empire d'une loi très libérale, et où se rendirent avec un empressement inaccoutumé des milliers de citoyens, concours inouï pour l'Espagne; cette chambre, choisie sous les menaces d'une faction et dans le feu de la guerre civile, eût représenté, à un degré plus éminent encore, cet esprit constitutionnel qui allait recevoir un éclatant hommage, lorsque l'insurrection de Saint-Ildephonse vint, non pas changer le cours de l'opinion publique, mais en entraver la manifestation. Enfin, il suffit de suivre les travaux des nouvelles cortès pour comprendre la puissance de ces idées adoptées aujourd'hui par leurs plus vieux adversaires, et desquelles on est réduit à attendre désormais, contre les progrès du parti carliste, une force si vainement demandée à la faction dont le courage semble s'être épuisé dans les émeutes sanglantes de Barcelone et de Malaga.
 
On comprendrait assurément fort mal ces observations, si l'on en concluait qu'à mes yeux le statut royal fût une oeuvreœuvre de haute sagesse politique, propre à satisfaire tous les voeuxvœux de l'Espagne, et à fixer irrévocablement son avenir. Les institutions ont, en général, bien moins d'importance par leur valeur théorique que par les sympathies qui s'y rattachent, et pour les esprits sérieux, il s'agit moins d'en juger le mécanisme que de savoir quels intérêts et quels hommes elles sont destinées à mettre en scène. A ce titre seulement, l'acte royal du 10 avril 1834 résolvait d'une manière heureuse le problème social pour l'Espagne, car c'était un drapeau franchement arboré contre les apostoliques et les exaltés, il pouvait dès-lors devenir la base d'une transaction pour l'élite de tous les partis. Sous ce point de vue, la chambre des ''proceres'' était une heureuse institution, non qu'une telle chambre fût précisément dans les moeursmœurs de l'Espagne et qu'elle dût exercer une grande influence sur son gouvernement, mais parce qu'il est important de faire concourir à une révolution toutes les classes que celle-ci doit atteindre par ses effets civils et politiques. De nos jours, avec les tendances unitaires qui travaillent la société en Europe, une pairie se conçoit moins comme contre-poids pour les intérêts que comme position pour les personnes : elle n'empêche rien, mais elle assure à tout ce qui se fait un assentiment plus unanime.
 
Il faut bien reconnaître, du reste, que les dispositions du statut étaient vagues, incomplètes et timides. Elles entraînaient quelques conséquences qu'il eût été plus habile de consacrer que de se laisser arracher par la logique, cette arme si dangereuse dans la main des passions. Il y avait, d'ailleurs, de graves inconvéniens à se placer sur le terrain de l'octroi royal, d'où venait de choir la plus vieille monarchie du monde. Rien n’irrite plus les assemblées délibérantes qu'une pareille prétention : elle les contient beaucoup moins qu'elle ne les excite, et ôte au pouvoir bien plus de force qu'elle ne lui en donne.
Ligne 583 :
M. Martinez de la Rosa se flatta d'échapper à ce danger en présentant le statut royal comme une simple restauration des antiques lois de l'Espagne (10), innocent mensonge destiné à caresser le naïf orgueil d'un peuple dont l'héroïsme surpasse chaque matin celui de Sparte et de Rome, lieu commun de tribune, qui n'empêche pas, nous aimons à le croire, l'éloquent rédacteur du statut d'y voir tout modestement une simple contrefaçon mutilée de la charte de 1814. Qu'on ait jugé utile de dissimuler à la plus fabuleusement vaniteuse de toutes les nations l'origine étrangère de son code politique, je l'admets; mais, d'une part, M. Martinez de la Rosa n'a pu prendre le change sur ce point, et, de l'autre, les faits ont bientôt démontré que l'origine exclusivement monarchique du statut était loin d'avoir eu pour la royauté les résultats qu'en attendaient ses honorables rédacteurs. Le cercle si rigoureusement tracé autour de la représentation nationale n'eut pour effet que de la rejeter vers ces discussions de principes, qui ne sont jamais plus séduisantes et plus dangereuses que lorsqu'elles paraissent interdites. On sait qu'à l'ouverture de la session, une déclaration des droits fut proposée (11), et sanctionnée, malgré l'opposition du ministère, sous l'empire de ces préoccupations inquiètes, qu'il eût été plus habile de ne pas faire naître. Dans la situation des esprits en Espagne, à l'avènement d'Isabelle, il y eût eu bien moins d'inconvéniens que d'avantages à faire participer les chambres législatives à la confection de la loi fondamentale. Les dispositions du statut royal auraient été indubitablement sanctionnées par une adhésion presque unanime, et l'on enlevait par avance aux hommes de 1820 leur principal champ de bataille. En proclamant le principe de l'octroi royal, M. Martinez de la Rosa, comme avant lui M. de Zéa, songea moins à l'Espagne qu'à l'Europe; et c'était donner à ses adversaires une position dont ils ne pouvaient manquer de profiter à la première chance favorable. La révision du statut, à raison de son origine, devint en effet le programme des juntes et du ministère Mendizabal.
 
Quoi qu'il en soit, nonobstant une réserve dont la responsabilité ne leur appartient pas tout entière, MM. Martinez de la Rosa et de Toréno se sentaient soutenus par cette force intime qui gît toujours au centre des véritables intérêts nationaux. Leur modération et leur sens politique, leurs intentions droites et leurs lumières, cette attitude d'un pouvoir croyant en lui-même et en son oeuvreœuvre, avaient vite rallié ces opinions flottantes qui, en Espagne plus qu'ailleurs, demandent à être protégées et conduites. Bientôt l'entrée dans ''l'estamento des procuradorès'' de MM. Argüelles et Galiano, immobiles représentans de la constitution de 1812, rendit la majorité ministérielle plus compacte et plus décidée. D'utiles réformes furent essayées, d'autres plus importantes étaient en projet, et malgré bien des erreurs inséparables d'une situation aussi grave, on pouvait dire qu'un pouvoir doué de prévoyance et de quelque dignité présidait enfin aux destinées de l'Espagne.
 
L'opinion publique semblait se former à cette école si nouvelle. Malheureusement cette opinion était trop faible encore pour soutenir efficacement un ministère contre les complications que les évènemens de Navarre allaient bientôt susciter. M. de Zéa-Bermudez était tombé devant une révolution qu'il s'obstinait à méconnaître; tout entier à la lutte parlementaire, son successeur tomba devant une guerre civile, dont il se dissimula d'abord la gravité.
Ligne 593 :
Que le mauvais succès du vieux ''guerillero'' ait tenu à ces circonstances ou à la nature même de cette lutte, c'est ce que pour nous, Français, il est peu intéressant et très difficile de décider. Toujours est-il qu'après des désastres multipliés, dont l'effet fut de porter au plus haut degré l'irritation populaire, sans qu'il en sortit une énergique résistance; les choses en arrivèrent bientôt au point que les généraux de cette armée, réduite de quarante-trois mille hommes à moins de dix mille combattans, consultés officiellement par le général Valdez, successeur de Mina, sur les moyens de sortir d'une position aussi critique, reconnurent à la presque unanimité que le concours de la France était indispensable pour terminer la guerre de Navarre.
 
Le général Llauder, pendant le cours de son ministère, ne s'était pas dissimulé ce résultat, auquel l'apathie de l'opinion publique et l'épuisement de ses ressources ne donnaient à l'Espagne aucun moyen d'échapper. Mais comme il reste toujours quelque- chose du poète, dans l'homme d'état, M. Martinez de la Rosa avait repoussé avec une vive indignation cette idée, fort douloureuse sans doute au coeurcœur d'un patriote, mais que le premier ministre d'un grand pays n'avait pas le droit de rejeter péremptoirement, si c'était désormais son seul moyen de salut. Malheureusement la ferme volonté de l'Espagne de terminer par ses propres efforts, et sans recourir à ses alliés, une lutte engagée contre un petit nombre de factieux, avait été pour M. Martinet de la Rosa un de ces lieux communs de tribune, que tous les orateurs tiennent en réserve. Celui-ci le servait d'autant mieux qu'il réduisait au silence l'opposition, dont la tactique était de prêter au gouvernement une arrière-pensée toute différente. L'intervention, en effet, était alors présentée, par la presse périodique de Madrid et de Paris, comme le voeuvœu secret du cabinet du 11 octobre, pour contenir le mouvement révolutionnaire dans la Péninsule; et la plus complète impopularité s'attachait à une idée autour de laquelle on multipliait à plaisir des obstacles, qu'on n'est guère en droit de contester après avoir tant contribué à les faire naître. Le premier ministre espagnol se donnait donc beau champ, et s'assurait à bon marché les applaudissemens du journalisme, en protestant chaque jour contre la pensée d'appeler jamais les baïonnettes étrangères au secours de la plus glorieuse des régénérations.
 
Son opinion, passionnée sur ce point, avait été, entre lui et le ministre de la guerre Llauder, le motif d'une scission presque scandaleuse qui commença dans les journaux pour finir devant la reine. Cependant le capitaine-général de Catalogne avait à peine quitté le ministère, que M. Martinez de la Rosa, dominé par une triste évidence, en vint, dans les derniers jours de sa vie politique, à embrasser la distinction fameuse entre l'intervention et la coopération. Mais soit qu'elle répugnât à sa droiture, soit qu'il se sentit sans autorité pour solliciter de la France et faire agréer à l'Espagne une mesure qu'il avait trop légèrement condamnée, il dut céder à M. le comte de Toréno la pénible tâche de ramener la presse et l'opinion à une plus exacte appréciation des choses; et ce dernier reçut mission de fixer avec la France et l'Angleterre le sens d'un traité qui n'avait guère été jusqu'alors qu’un instrument sans valeur (13).
Ligne 619 :
Les avantages de l'intervention au point de vue national étaient manifestes, et le bon sens public y fût revenu malgré les déclamations de la presse; car il importait aussi bien au gouvernement français de prévenir le triomphe des hommes de violence, dont son refus allait inaugurer le règne, que d'empêcher une restauration que cette fois avec justice M. Fox aurait appelée la ''pire des révolutions''.
 
On comprendrait fort bien que la monarchie de 1830, placée entre les démagogues et les carlistes, traitât avec ces derniers, si le pouvoir du prétendant pouvait s'établir dans ces conditions normales de force et de durée qui permettent de contenir toutes les imprudences. Quelles que soient les dissidences de principes, on s'arrange, en effet, de tous les gouvernemens assez solidement établis pour pouvoir être modérés; et la monarchie nouvelle n'en est pas à ignorer pour son propre compte ce qu'elle a sur ce point si utilement enseigné à l'Europe. Malheureusement ceci ne saurait s'appliquer à l'Espagne, et les illusions qu'on a pu se faire à cet égard seront éternellement regrettables. On devait voir la position telle que l'ont faite l'histoire, les moeursmœurs et les circonstances locales, et comprendre qu'il s'agissait de l'anarchie sous le drapeau de la foi comme sous celui de 1820; il fallait voir dans un prochain avenir l'agonie d'un grand peuple exploité par toutes les mauvaises passions, devenant pour la France une source de précautions ruineuses, pour l'Espagne d'horreurs sans fin, pour le monde de scandales à se voiler la tête.
 
Notre concours aurait-il prévenu ces dangers, sauvé la vie à de nombreuses légions de martyrs, épargné aux armées de l'Europe l'exemple de la Granja, qui, après avoir eu ses parodistes à Strasbourg, peut avoir autre part ses imitateurs? Une intervention, même très limitée quant aux forces militaires, aurait-elle suffi pour maintenir le gouvernement aux mains des hommes honorables que la nation entourait d'une adhésion manifeste, quoique timide, pour pacifier la Navarre, et rendre à la sécurité le pays du continent qui, depuis un siècle, a offert à notre commerce les débouchés les plus constamment favorables? Questions graves, sans nul doute, mais auxquelles j'ose répondre affirmativement, en déplorant qu'une gloire si digne d'elle n'ait pas été acquise à la France, et qu'on ait espéré sortir par des expédiens d'une crise qu'il fallait embrasser dans toute sa gravité.
Ligne 643 :
A la question d'intervention se lie celle de la coopération, comme l'accessoire au principal. On sait comment elle se produisit. Ayant été saisies, dans le courant de mai 1835, de la demande du gouvernement espagnol, l'Angleterre et la France répondirent que le moment ne paraissait pas venu de donner aux articles additionnels du 18 août une aussi complète extension, mais que de promptes mesures seraient prises pour répondre aux vues du gouvernement de la reine-régente. En vertu de cette déclaration, un ordre du conseil de sa majesté britannique, du 10 juin, permit les enrôlemens à l'étranger. La France, de son côté, dénationalisa sa belle légion d'Alger pour la faire passer sous les drapeaux espagnols. Comment ces secours furent-ils aussi complètement inefficaces contre une armée démoralisée par la mort de son chef et l'échec de Bilbao? Comment la coopération, au lieu de finir la guerre civile, la rendit-elle plus cruelle et plus persévérante? La force, anglo-française était-elle insuffisante, et de nouveaux corps auxiliaires auraient-ils mené à fin la pacification des provinces basques?
 
Pas davantage. Ce qui a perdu la coopération, c'est son inefficacité politique, et pas du tout son insuffisance militaire. Si les secours envoyés à l'armée de la reine pouvaient lui assurer quelques succès sur le champ de bataille, ils relevaient le moral de l'insurrection, bien loin de l'abattre. Ce concours, quelque développement qu'on essayât de lui donner, contribuerait à prolonger la lutte sans présenter aucun moyen de la terminer. Ce qu'il fallait en Navarre, c'était une force médiatrice, qui pût traiter avec le gouvernement espagnol et se porter garante des conditions de la paix; ce qu'il importait surtout d'y présenter, c'était un drapeau qui n'eût pas été cent fois vaincu, et devant lequel des gens de coeurcœur pussent sans honte abaisser leur épée.
 
Au lieu de cette occupation tutélaire que la Navarre aurait bénis sans doute, que lui a-t-on montrer? Des Français déshérités de leurs couleurs nationales, et n'ayant conservé qu'une bravoure inutile; des aventuriers ramassés dans les docks et les tavernes de Londres, étalant aux yeux de ce peuple le scandale d'une intempérance que la victoire n'a pas même une seule fois honorée? Ces ''condottieri'' sans patrie étaient aussi sans mission pour faire espérer aux provinces l'évacuation militaire et le respect de leurs droits, aux vaincus l'amnistie, aux hommes les plus compromis un exil sans flétrissure et sans misère. Comment n'a-t-on pas vu qu'il ne servait à rien d'envoyer des soldats là où il fallait des négociateurs armés, et qu'il s'agissait moins de vaincre la Navarre que de la rassurer'?
 
Là gît toute la faiblesse d'un système qui n'est ni dans nos moeursmœurs, ni dans nos traditions nationales. La France fut toujours assez grande, et l'Europe la sait assez modérée, pour avoir le droit d'agir à la face du monde, et pour couvrir tous ses enfans de l'ombre de son drapeau, lorsqu'ils combattent pour elle. La coopération, telle que l'a conçue le ministère du 11 octobre, telle même que l'administration du 22 février voulait l'étendre, ne pouvait avoir pour effet que d'atténuer l'irréparable faute commise en juin 1835, et d'en retarder les inévitables conséquences. A ce titre, elle avait sans doute encore une véritable importance politique; et l'on comprend qu'un cabinet, plutôt que de renoncer à cette dernière ressource, se soit dissous en face d'une telle responsabilité.
 
Cependant l'état des choses s'était compliqué à ce point, que la continuation du concours semblait nous compromettre désormais autant que l'avaient fait les refus antérieurs, et qu'il y eut peut-être sagesse à livrer au hasard des évènemens qu'on s'était rendu gratuitement incapable de maîtriser. Au fond, le ministère du 22 février et celui du 6 septembre restent en dehors de la véritable question espagnole; c'était avant qu'il fallait la résoudre; depuis on n'a guère eu qu'à choisir entre des fautes et des impossibilités.
Ligne 661 :
Je suis fort loin de partager les vues de séparation politique émises dans ce recueil par un écrivain, du reste, fort compétent et fort éclairé; un tel projet susciterait d'insolubles objections dans l'intérêt même des quatre provinces, outre que le mouvement européen incline bien plus à réunir les peuples qu'à les fractionner. Cependant, comment nier qu'il n'y ait là des droits historiques tout pleins de sève, avec lesquels la victoire oblige d'ailleurs à composer? Le moment ne peut être éloigné où l'Europe elle-même comprendra l'urgence de maintenir à la fois, par une intervention diplomatique probablement inefficace sans une occupation militaire, et l'intégrité de la monarchie espagnole et une position exceptionnelle que le temps seul fera cesser.
 
Quant à l'avenir du pays dont on vient de s'occuper longuement, il serait problématique sans doute, si un peuple chrétien pouvait disparaître sous le ciel, sans invasion, sans catastrophe, et par le seul effet d'une irrémédiable décrépitude. Mais un tel exemple de la rigueur divine sur les nations ne s'est pas encore vu dans le monde. Que l'Espagne souffre donc pour tant de maux versés sur les cieux continens, pour l'orgueil barbare de ses pères auquel le ''deposuit potentes'' est si sévèrement appliqué; qu'elle expie le crime de s'être placée à part du mouvement du monde, et d'avoir mis l'héritage de la vérité sous l'exclusive protection du bras de chair; qu'elle souffre, mais qu'elle espère, car déjà, malgré l'incertitude des évènemens politiques, ses idées se transforment et ses moeursmœurs avec elles; qu'elle espère surtout en la France, car la France la sauvera : c'est encore là l'une des fatalités glorieuses de sa destinée.
 
 
Ligne 680 :
Nous recommandons vivement ces deux ouvrages aux personnes qui veulent étudier avec quelque soin les affaires de la Péninsule. L'ouvrage du capitaine Henningsen est jeune d'esprit et court de vues politiques; mais les impressions en sont vraies, l'histoire y est sincère, et le drame s'y déroule, dans sa grandeur confuse, sans prétention et sans recherche. Je doute que l'auteur soit capable d'écrire le moindre article de journal; mais à coup sûr la plupart des journalistes se tourmenteraient en vain pour atteindre à cette naïveté pittoresque.
 
''L'Essai sur les provinces basques'' est une oeuvreœuvre de haute portée. Cet ouvrage, avec les fragmens publiés à diverses reprises dans la ''Revue de la Gironde'', offre, sans contredit, ce qui s'est écrit de plus substantiel sur la question espagnole, que la presse périodique de Madrid est plus propre à embrouiller qu'à éclaircir.
 
(7) Au commencement d'octobre 1833, lorsque les bataillons de volontaires proclamèrent l'infant don Carlos à Vittoria et à Bilbao, il n'y avait pas, d'après les documens publiés par le gouvernement espagnol, un soldat dans ces places. De l'Ebre aux Pyrénées, on comptait deux régimens seulement, l'un à Saint-Sébastien, l'autre à Pampelune. Il y en avait quatre ou cinq dans les places de guerre de la Catalogne, et un seulement dans la Vieille-Castille.