« Itinéraire de Paris à Jérusalem/Note sur la Grèce » : différence entre les versions

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Notre siècle verra-t-il des hordes de sauvages étouffer la civilisation renaissante dans le tombeau d'un peuple qui a civilisé la terre ? La chrétienté laissera-t-elle tranquillement les Turcs égorger des chrétiens ? Et la légitimité européenne souffrira-t-elle, sans en être indignée, que l'on donne son nom sacré à une tyrannie qui aurait fait rougir Tibère ?
 
On ne prétend point retracer ici l'origine et l'histoire des troubles de la Grèce ; on peut consulter les ouvrages qui abondent sur ce triste sujet. Tout ce qu'on se propose dans la présente ''Note'', c'est de rappeler l'attention publique sur une lutte qui doit avoir un terme ; c'est de fixer quelques principes, de résoudre quelques questions, de présenter quelques idées qui pourront germer utilement dans d'autres esprits, de montrer qu'il n'y a rien de plus simple et qui coûterait moins d'efforts que la délivrance de la Grèce, d'agir enfin par l'opinion, s'il est possible, sur la volonté des hommes puissants. Quand on ne peut plus offrir que des voeuxvœux à la religion et à l'humanité souffrante, encore est-ce un devoir de les faire entendre.
 
Il n'y a personne qui ne désire l'émancipation des Grecs, ou du moins il n'y a personne qui osât prendre publiquement le parti de l'oppresseur contre l'opprimé. Cette pudeur est déjà une présomption favorable à la cause que l'on examine.
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Les sujets légitimes du successeur de Mahomet sont des mahométans. Les Grecs, comme chrétiens, ne sont ni des sujets légitimes ni des sujets illégitimes, ce sont des esclaves, des ''chiens'' faits pour mourir sous le bâton des vrais croyants.
 
Quant à la nation grecque, que la nation turque n'a point incorporée dans son sein en l'appelant au partage de la communauté civile et politique, elle n'est tenue à aucune des conditions qui lient les sujets aux souverains et les souverains aux sujets. Soumise, dans l'origine, au droit de conquête, elle obtint quelques privilèges du vainqueur en échange d'un tribut qu'elle consentit à payer. Elle a payé, elle a obéi tant qu'on a respecté ces privilèges, elle a même encore payé et obéi après qu'ils ont été violés. Mais lorsque enfin on a pendu ses prêtres et souillé ses temples, lorsqu'on a égorgé, brûlé, noyé des milliers de Grecs, lorsqu'on a livré leurs femmes à la prostitution, emmené et vendu leurs enfants dans les marchés de l'Asie, ce qui restait de sang dans le coeurcœur de tant d'infortunés s'est soulevé. Ces esclaves par force ont commencé à se défendre avec leurs fers. Le Grec, qui déjà n'était pas sujet par le droit politique, est devenu libre par le droit de nature : il a secoué le joug sans être rebelle, sans rompre aucun lien légitime, car on n'en avait contracté aucun avec lui. Le musulman et le chrétien en Morée sont deux ennemis qui avaient conclu une trêve à certaines conditions : le musulman a violé ces conditions ; le chrétien a repris les armes : ils se retrouvent l'un et l'autre dans la position où ils étaient quand ils commencèrent le combat il y a trois cent soixante ans.
 
Il s'agit maintenant de savoir si l'Europe veut et peut arrêter l'effusion du sang. Mais ici se présentent les deux dernières raisons des publicistes :
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On est donc placé sur un terrain tout nouveau pour négocier ; et par la lettre de ses traités, notamment de ceux de Jassy et de Bucharest, la Russie a le droit incontestable de prendre part aux affaires religieuses de la Grèce.
 
D'un autre côté, l'Europe n'est plus, ni par la nature de ses institutions, ni par les vertus de ses souverains, ni par les lumières de ses cabinets et de ses peuples, dans la position où elle se trouvait lorsqu'elle rêvait le partage de la Turquie. Un sentiment de justice plus général est entré dans la politique depuis que les gouvernements ont augmenté la publicité de leurs actes. Qui songe aujourd'hui à démembrer les Etats du grand seigneur ? Qui pense à la guerre avec la Porte ? Qui convoite des terres et des privilèges commerciaux quand on a déjà trop de terres, et quand l'égalité des droits et la liberté du commerce deviennent peu à peu le voeuvœu et le code des nations ?
 
Il ne s'agit donc pas, pour obtenir l'indépendance de la Grèce, d'attaquer ensemble la Turquie et de se battre ensuite pour les dépouilles ; il s'agit simplement de demander en commun à la Porte de traiter avec les Grecs, de mettre fin à une guerre d'extermination qui afflige la chrétienté, interrompt les relations commerciales, gêne la navigation, oblige les neutres à se faire convoyer et trouble l'ordre général.
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Elle ne reconnaît point le droit politique de l'Europe, elle se gouverne d'après le code des peuples de l'Asie ; elle ne fait, par exemple, aucune difficulté d'emprisonner les ambassadeurs des peuples avec lesquels elle commence les hostilités.
 
Elle ne reconnaît pas notre droit des gens : si le voyageur qui parcourt son empire est protégé par les moeursmœurs, en général hospitalières, par les préceptes charitables du Coran, il ne l'est pas par les lois.
 
Dans les transactions commerciales l'individu musulman est sincère, religieux observateur de ses propres conventions ; le fisc est arbitraire et faux.
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Mais la Grèce, Etat indépendant, sera-t-elle d'une considération aussi importante que la Turquie dans les transactions de l'Europe ? Pourra-t-elle offrir par sa propre masse un rempart contre les entreprises d'un pouvoir, quel qu'il soit ?
 
La Turquie est-elle un plus fort boulevard ? La facilité de l'attaquer n'est-elle pas démontrée à tous les yeux ? On a vu dans ses guerres avec la Russie, on a vu en Egypte, quelle est sa force de résistance. Ses milices sont nombreuses et assez braves au premier choc, mais quelques régiments disciplinés suffisent pour les disperser. Son artillerie est nulle ; sa cavalerie même ne sait pas manoeuvrermanœuvrer, et vient se briser contre un bataillon d'infanterie : les fameux mameloucks ont été détruits par une poignée de soldats français. Si telle puissance n'a pas envahi la Turquie, rendons-en grâces à la modération même sur le trône.
 
Que si l'on veut supposer que la Turquie a été ménagée par la crainte prudente que chacun a ressentie d'allumer une guerre générale, n'est-il pas évident que tous les cabinets seraient également attentifs à ne pas laisser succomber la Grèce ? La Grèce aurait bientôt des alliances et des traités, et ne se présenterait pas seule dans l'arène.
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Les Grecs, qu'aucune puissance n'a pu jusque ici secourir pour ne pas compromettre des intérêts plus immédiats, les Grecs, qui bâtiront leur liberté de leurs propres mains ou qui s'enseveliront sous ses débris, les Grecs ont incontestablement le droit de choisir la forme de leur existence politique. Il faudrait avoir partagé leurs périls pour se permettre de se mêler de leurs lois. Il y a trop d'équité, trop de connaissances, trop d'élévation de sentiments, trop de magnanimité dans les hautes influences sociales, pour craindre qu'on entrave jamais l'indépendance d'un peuple qui l'a conquise au prix de son sang.
 
Mais si l'on pouvait, d'après les faits, hasarder un jugement sur la Grèce ; si les divisions dont elle a été travaillée pouvaient donner une idée assez juste de son esprit national ; si sa forte tendance religieuse, si la prépondérance de son clergé, expliquaient le secret de ses moeursmœurs ; si l'histoire, enfin, qui nous montre les peuples de l'Attique et du Péloponèse sortant, après plus de mille ans, du double esclavage du Bas-Empire et du fanatisme musulman ; si cette histoire pouvait fournir quelque base solide à des conjectures, on serait porté à croire que la Grèce, excepté les îles, inclinerait plutôt à une constitution monarchique qu'à une constitution républicaine.
 
Les droits de tous les citoyens sont aussi bien conservés (particulièrement chez un vieux peuple) dans une monarchie constitutionnelle que dans un Etat démocratique. Si les passions avaient été moins pressées, peut-être aujourd'hui de grandes monarchies représentatives s'élèveraient-elles dans les Amériques espagnoles, d'accord avec la légitimité. Les besoins de la civilisation auraient été satisfaits, une liberté nécessaire aurait été établie sans que l'avenir des antiques royaumes de l'Europe eût été menacé par l'existence de tout un monde républicain.
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Ont-ils les conditions sociales voulues par le droit politique pour être reconnus des autres nations ? Oui.
 
Est-il possible de les délivrer sans troubler le monde, sans se diviser, sans prendre les armes, sans mettre même en danger l'existence de la Turquie ? Oui, et cela dans trois mois, par une seule dépêche collective souscrite des grandes puissances de l'Europe, ou par des dépêches simultanées exprimant le même voeuvœu.
 
Ce sont là de ces pièces diplomatiques qu'on aimerait à signer de son sang.
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Nous voulons aussi témoigner notre gratitude à ces officiers de toutes armes qui viennent nous offrir leur expérience, leur bras et leur vie. Telle est la puissance du courage et du talent, que quelques hommes peuvent seuls faire pencher la victoire du côté de la justice, ou donner le temps, en arrêtant la mauvaise fortune, d'arriver à une médiation que tous les intérêts doivent désirer.
 
Quelles que soient les déterminations de la politique, la cause des Grecs est devenue la cause populaire. Les noms immortels de Sparte et d'Athènes semblent avoir touché le monde entier : dans toutes les parties de l'Europe il s'est formé des sociétés pour secourir les Hellènes ; leurs malheurs et leur vaillance ont rattaché tous les coeurscœurs à leur liberté. Des voeuxvœux et des offrandes leur arrivent jusque des rivages de l'Inde, du fond des déserts de l'Amérique : cette reconnaissance du genre humain met le sceau à la gloire de la Grèce.