« Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/762 » : différence entre les versions

ThomasBot (discussion | contributions)
Phe-bot (discussion | contributions)
m Typographie
Contenu (par transclusion) :Contenu (par transclusion) :
Ligne 1 : Ligne 1 :
{{tiret2|chevale|resque}} signés d’un nom déjà illustre, ces lettres qu’anime, à défaut de conviction, le souffle du génie (conviction du moment à laquelle on ne résiste pas), tout cela arrivant sous le couvert de deux frères bien-aimés, surprenant une jeune fille au milieu des paisibles et monotones occupations de la vie de province, et qu’on dise s’il n’y a point de quoi éveiller l’imagination qui dort, surtout quand on suppose que la jeune fille a la tête vive et romanesque. Il est tel de ces jeux d’esprit où les plus habiles ont fini par se laisser prendre. On oublie facilement la fiction et le mensonge, on aime à se dire tout bas qu’on a été devinée, et, dans ce crépuscule de l’ame où le faux et le vrai, l’idéal et le positif, l’abstraction et la réalité, se confondent, de nouveaux horizons s’ouvrent qu’on anime et qu’on peuple à son gré. On n’en conviendra pas, mais l’entreprise de Goethe, écrivant à une jeune femme qu’il n’avait jamais vue et ne connaissait que par ses frères, devait réussir par son audace même et son excentricité. La sympathie une fois admise, restait à savoir comment elle se traduirait. Une femme quelque peu folle et extravagante, une Bettina par exemple, n’eût pas manqué de se passionner à outrance. La comtesse Auguste, en personne bien élevée, en femme du monde sûre d’elle-même, accueillit ce défi du génie avec un sourire amical, et les relations qui s’établirent entre eux, à la faveur de cette correspondance, furent telles, qu’un attachement profond s’ensuivit, attachement qui ne parut s’éteindre, après des années, que pour se réveiller plus vif un jour dans l’ame de la comtesse sous le souffle de la religion.
{{tiret2|chevale|resque}} signés d’un nom déjà illustre, ces lettres qu’anime, à défaut de conviction, le souffle du génie (conviction du moment à laquelle on ne résiste pas), tout cela arrivant sous le couvert de deux frères bien-aimés, surprenant une jeune fille au milieu des paisibles et monotones occupations de la vie de province, et qu’on dise s’il n’y a point de quoi éveiller l’imagination qui dort, surtout quand on suppose que la jeune fille a la tête vive et romanesque. Il est tel de ces jeux d’esprit où les plus habiles ont fini par se laisser prendre. On oublie facilement la fiction et le mensonge, on aime à se dire tout bas qu’on a été devinée, et, dans ce crépuscule de l’ame où le faux et le vrai, l’idéal et le positif, l’abstraction et la réalité, se confondent, de nouveaux horizons s’ouvrent qu’on anime et qu’on peuple à son gré. On n’en conviendra pas, mais l’entreprise de Goethe, écrivant à une jeune femme qu’il n’avait jamais vue et ne connaissait que par ses frères, devait réussir par son audace même et son excentricité. La sympathie une fois admise, restait à savoir comment elle se traduirait. Une femme quelque peu folle et extravagante, une Bettina par exemple, n’eût pas manqué de se passionner à outrance. La comtesse Auguste, en personne bien élevée, en femme du monde sûre d’elle-même, accueillit ce défi du génie avec un sourire amical, et les relations qui s’établirent entre eux, à la faveur de cette correspondance, furent telles, qu’un attachement profond s’ensuivit, attachement qui ne parut s’éteindre, après des années, que pour se réveiller plus vif un jour dans l’ame de la comtesse sous le souffle de la religion.


Le recueil des lettres du jeune Goethe à la comtesse Auguste s’ouvre par une déclaration ex abrupto si chaleureuse, si passionnément désordonnée, qu’elle dépasse le but. Dès les premières lignes, la fantaisie de l’artiste se trahit par l’incontinence : « Chère, mais j’aime mieux ne pas vous donner de nom, que seraient les noms d’amie, de sœur, d’épouse ou de fiancée, que serait même un nom renfermant la substance de tous ces noms, auprès du sentiment immédiat que…. ? » Ainsi écriraient Werther ou Saint-Preux ; évidemment il y a dans un pareil début une préoccupation de l’effet, un mouvement théâtral, qui change du premier coup en un intérêt de roman l’intérêt bien autrement sérieux qu’on se promettait. Dans quel but d’ailleurs ces brûlantes protestations à cette muse inconnue ? A cette divinité pour laquelle il ne trouve pas un nom dans le vocabulaire de l’amour, il va écrire, devinez quoi ? l’histoire de sa passion avec une belle jeune fille de Francfort. - Il convient, pour {{tiret|l’intel|ligence}}
Le recueil des lettres du jeune Goethe à la comtesse Auguste s’ouvre par une déclaration ex abrupto si chaleureuse, si passionnément désordonnée, qu’elle dépasse le but. Dès les premières lignes, la fantaisie de l’artiste se trahit par l’incontinence : « Chère, mais j’aime mieux ne pas vous donner de nom, que seraient les noms d’amie, de sœur, d’épouse ou de fiancée, que serait même un nom renfermant la substance de tous ces noms, auprès du sentiment immédiat que…. ? » Ainsi écriraient Werther ou Saint-Preux ; évidemment il y a dans un pareil début une préoccupation de l’effet, un mouvement théâtral, qui change du premier coup en un intérêt de roman l’intérêt bien autrement sérieux qu’on se promettait. Dans quel but d’ailleurs ces brûlantes protestations à cette muse inconnue ? A cette divinité pour laquelle il ne trouve pas un nom dans le vocabulaire de l’amour, il va écrire, devinez quoi ? l’histoire de sa passion avec une belle jeune fille de Francfort. Il convient, pour {{tiret|l’intel|ligence}}