« De Buonaparte et des Bourbons » : différence entre les versions
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Comment expliquer les fautes de cet insensé ? Nous ne parlons pas encore de ses crimes.
Une révolution, préparée par la corruption des
Mais du moins le but que l'on semblait se proposer alors était noble. La liberté ne doit point être accusée des forfaits que l'on commit sous son nom ; la vraie philosophie n'est point la mère des doctrines empoisonnées que répandent les faux sages. Eclairés par l'expérience, nous sentîmes enfin que le gouvernement monarchique était le seul qui pût convenir à notre patrie.
Il eut été naturel de rappeler nos princes légitimes ; mais nous crûmes nos fautes trop grandes pour être pardonnées. Nous ne songeâmes pas que le
Il fallut donc songer à établir un chef suprême qui fût l'enfant de la révolution, un chef en qui la loi, corrompue dans sa source, protégeât la corruption et fît alliance avec elle. Des magistrats, intègres, fermes et courageux, des capitaines renommés par leur probité autant que pour leurs talents, s'étaient formés au milieu de nos discordes ; mais on ne leur offrit point un pouvoir que leurs principes leur auraient défendu d'accepter. On désespéra de trouver parmi les Français un front qui osât porter la couronne de Louis XVI. Un étranger se présenta : il fut choisi.
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Buonaparte n'annonça pas ouvertement ses projets ; son caractère ne se développa que par degrés. Sous le titre modeste de consul, il accoutuma d'abord les esprits indépendants à ne pas s'effrayer du pouvoir qu'ils avaient donné. Il se concilia les vrais Français, en se proclamant le restaurateur de l'ordre, des lois et de la religion. Les plus sages y furent pris, les plus clairvoyants trompés. Les républicains regardaient Buonaparte comme leur ouvrage et comme le chef populaire d'un Etat libre. Les royalistes croyaient qu'il jouait le rôle de Monk, et s'empressaient de le servir. Tout le monde espérait en lui. Des victoires éclatantes, dues à la bravoure des Français, l'environnèrent de gloire. Alors il s'enivra de ses succès, et son penchant au mal commença à se déclarer. L'avenir doutera si cet homme a été plus coupable par le mal qu'il a fait que par le bien qu'il eût pu faire et qu'il n'a pas fait. Jamais usurpateur n'eut un rôle plus facile et plus brillant à remplir. Avec un peu de modération, il pouvait établir lui et sa race sur le premier trône de l'univers. Personne ne lui disputait ce trône : les générations nées depuis la révolution ne connaissaient point nos anciens maîtres, et n'avaient vu que des troubles et des malheurs. La France et l'Europe étaient lassées ; on ne soupirait qu'après le repos ; on l'eût acheté à tout prix. Mais Dieu ne voulut pas qu'un si dangereux exemple fût donné au monde, qu'un aventurier pût troubler l'ordre des successions royales, se faire l'héritier des héros, et profiter dans un seul jour de la dépouille du génie, de la gloire et du temps. Au défaut des droits de la naissance, un usurpateur ne peut légitimer ses prétentions au trône que par des vertus : dans ce cas, Buonaparte n'avait rien pour lui, hors des talents militaires, égalés, sinon même surpassés par ceux de plusieurs de nos généraux. Pour le perdre, il a suffi à la Providence de l'abandonner et de le livrer à sa propre folie.
Un roi de France disait que " si la bonne foi était bannie du milieu des hommes, elle devrait se retrouver dans le
Bientôt un meurtre plus fameux consterna le monde civilisé. On crut voir renaître ces temps de barbarie du moyen âge, ces scènes que l'on ne trouve plus que dans les romans, ces catastrophes que les guerres de l'Italie et la politique de Machiavel avaient rendues familières au delà des Alpes. L'étranger, qui n'était point encore roi, voulut avoir le corps sanglant d'un Français pour marchepied du trône de France. Et quel Français, grand Dieu ! Tout fut violé pour commettre ce crime : droit des gens, justice, religion, humanité. Le duc d'Enghien est arrêté en pleine paix sur un sol étranger. Lorsqu'il avait quitté la France, il était trop jeune pour la bien connaître : c'est du fond d'une chaise de poste, entre deux gendarmes, qu'il voit comme pour la première fois, la terre de sa patrie et qu'il traverse pour mourir les champs illustrés par ses aïeux. Il arrive au milieu de la nuit au donjon de Vincennes. A la lueur des flambeaux, sous les voûtes d'une prison, le petit-fils du grand Condé est déclaré coupable d'avoir comparu sur des champs de bataille : convaincu de ce crime héréditaire, il est aussitôt condamné. En vain il demande à parler à Buonaparte (ô simplicité aussi touchante qu'héroïque !), le brave jeune homme était un des plus grands admirateurs de son meurtrier : il ne pouvait croire qu'un capitaine voulut assassiner un soldat. Encore tout exténué de faim et de fatigue, on le fait descendre dans les ravins du château ; il y trouve une fosse nouvellement creusée. On le dépouille de son habit ; on lui attache sur la poitrine une lanterne pour l'apercevoir dans les ténèbres, et pour mieux diriger la balle au
Il ne reste à celui qui s'est abaissé au-dessous de l'espèce humaine par un crime qu'à affecter de se placer au-dessus de l'humanité par ses desseins, qu'à donner pour prétexte à un forfait des raisons inaccessibles au vulgaire, qu'à faire passer un abîme d'iniquités pour la profondeur du génie. Buonaparte eut recours à cette misérable assurance qui ne trompe personne, et qui ne vaut pas un simple repentir : ne pouvant cacher son crime, il le publia.
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Si la propriété était incertaine, la liberté civile était encore moins assurée. Qu'y avait-il de plus monstrueux que cette commission nommée pour inspecter les prisons, et sur le rapport de laquelle un homme pouvait être détenu toute sa vie dans les cachots, sans instruction, sans procès, sans jugement, mis à la torture, fusillé la nuit, étranglé entre deux guichets ? Au milieu de tout cela, Buonaparte faisait nommer chaque année des commissions de la liberté de la presse et de la liberté individuelle : Tibère ne s'est jamais joué à ce point de l'espèce humaine.
Enfin, la conscription faisait comme le couronnement de ses
Il était aisé de prévoir ce qui est arrivé : tous les hommes sages disaient que la conscription en épuisant la France l'exposerait à l'invasion aussitôt qu'elle serait sérieusement attaquée. Saigné à blanc par le bourreau, ce corps, vide de sang, n'a pu faire qu'une faible résistance ; mais la perte des hommes n'était pas le plus grand mal que faisait la conscription : elle tendait à nous replonger nous et l'Europe entière dans la barbarie. Par la conscription, les métiers, les arts et les lettres sont inévitablement détruits. Un jeune homme qui doit mourir à dix-huit ans ne peut se livrer à aucune étude. Les nations voisines, obligées, pour se défendre, de recourir aux mêmes moyens que nous, abandonnaient à leur tour les avantages de la civilisation ; et tous les peuples précipités les uns sur les autres, comme au siècle des Goths et des Vandales, auraient vu renaître les malheurs de ces temps. En brisant les liens de la société générale, la conscription anéantissait aussi ceux de la famille. Accoutumés dès leur berceau à se regarder comme des victimes dévouées à la mort, les enfants n'obéissaient plus à leurs parents ; ils devenaient vagabonds et débauchés, en attendant le jour où ils allaient piller et égorger le monde. Quel principe de religion et de morale aurait eu le temps de prendre racine dans leur
Telle était l'administration de Buonaparte pour l'intérieur de la France.
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Si, au lieu d'avoir recours à ces ruses dignes de Borgia, Buonaparte, par une politique toujours criminelle, mais plus habile, eût, sous un prétexte quelconque, déclaré la guerre au roi d'Espagne ; s'il se fût annoncé comme le vengeur des Castillans opprimés par le prince de la Paix ; s'il eût caressé la fierté espagnole, ménagé les ordres religieux, il est probable qu'il eût réussi. " Ce ne sont pas les Espagnols que je veux, disait-il dans sa fureur, c'est l'Espagne. " Eh bien ! cette terre l'a rejeté. L'incendie de Burgos a produit l'incendie de Moscou, et la conquête de l'Alhambra a amené les Russes au Louvre. Grande et terrible leçon !
Même faute pour la Russie : au mois d'octobre 1812, s'il s'était arrêté sur les bords de la Duna ; s'il se fût contenté de prendre Riga, de cantonner pendant l'hiver son armée de cinq cent mille hommes, d'organiser la Pologne derrière lui, au retour du printemps, il eût peut-être mis en péril l'empire des czars. Au lieu de cela, il marche à Moscou par un seul chemin, sans magasins, sans ressource. Il arrive : les vainqueurs de Pultawa embrasent leur ville sainte. Buonaparte s'endort un mois au milieu des ruines et des cendres ; il semble oublier le retour des saisons et la rigueur du climat, il se laisse amuser par des propositions de paix ; il ignore assez le
Absurde en administration, criminel en politique, qu'avait-il donc pour séduire les Français, cet étranger ? Sa gloire militaire ? Eh bien, il en est dépouillé. C'est en effet un grand gagneur de batailles ; mais hors de là le moindre général est plus habile que lui. Il n'entend rien aux retraites et à la chicane du terrain ; il est impatient, incapable d'attendre longtemps un résultat, fruit d'une longue combinaison militaire ; il ne sait qu'aller en avant, faire des pointes, courir, remporter des victoires, comme on l'a dit, à coups d'hommes , sacrifier tout pour un succès, sans s'embarrasser d'un revers, tuer la moitié de ses soldats par des marches au-dessus des forces humaines. Peu importe : n'a-t-il pas la conscription et la matière première ? On a cru qu'il avait perfectionné l'art de la guerre, et il est certain qu'il l'a fait rétrograder vers l'enfance de l'art [Il est vrai pourtant qu'il a perfectionné ce qu'on appelle l'administration les armées et le matériel de la guerre. (N.d.A.)] . Le chef-d'
La plume d'un Français se refuserait à peindre l'horreur de ses champs de bataille ; un homme blessé devient pour Buonaparte un fardeau : tant mieux s'il meurt, on en est débarrassé. Des monceaux de soldats mutilés, jetés pêle-mêle dans un coin, restent quelquefois des jours et des semaines sans être pansés : il n'y a plus d'hôpitaux assez vastes pour contenir les malades d'une armée de sept ou huit cent mille hommes, plus assez de chirurgiens pour les soigner. Nulle précaution prise pour eux par le bourreau des Français : souvent point de pharmacie, point d'ambulance, quelquefois même pas d'instruments pour couper les membres fracassés. Dans la campagne de Moscou, faute de charpie, on pansait les blessés avec du foin ; le foin manqua, ils moururent. On vit errer cinq cent mille guerriers, vainqueurs de l'Europe, la gloire de la France ; on les vit errer parmi les neiges et les déserts, s'appuyant sur des branches de pin, car ils n'avaient plus la force de porter leurs armes, et couverts, pour tout vêtement, de la peau sanglante des chevaux qui avaient servi à leur dernier repas. De vieux capitaines, les cheveux et la barbe hérissés de glaçons, s'abaissaient jusqu'à caresser le soldat à qui il était resté quelque nourriture, pour en obtenir une chétive partie : tant ils éprouvaient les tourments de la faim ! Des escadrons entiers, hommes et chevaux, étaient gelés pendant la nuit ; et le matin on voyait encore ces fantômes debout au milieu des frimas. Les seuls témoins des souffrances de nos soldats dans ces solitudes étaient des bandes de corbeaux et des meutes de lévriers blancs demi-sauvages, qui suivaient notre armée pour en dévorer les débris. L'empereur de Russie a fait faire au printemps la recherche des morts : on a compté deux cent quarante-trois mille six cent dix cadavres d'hommes, et cent vingt-trois mille cent trente-trois de chevaux [Extrait d'un rapport officiel du ministre de la police générale au gouvernement russe, en date du 16 mai 1813. (N.d.A.)] . La peste militaire, qui avait disparu depuis que la guerre ne se faisait plus qu'avec un petit nombre d'hommes, cette peste a reparu avec la conscription, les armées d'un million de soldats et les flots de sang humain : et que faisait le destructeur de nos pères, de nos frères, de nos fils, quand il moissonnait ainsi la fleur de la France ? Il fuyait ! il venait aux Tuileries dire, en se frottant les mains au coin du feu : Il fait meilleur ici que sur les bords de la Bérésina . Pas un mot de consolation aux épouses, aux mères en larmes dont il était entouré ; pas un regret, pas un mouvement d'attendrissement, pas un remords, pas un seul aveu de sa folie. Les Tigellins disaient : " Ce qu'il y a d'heureux dans cette retraite, c'est que l'empereur n'a manqué de rien ; il a toujours été bien nourri, bien enveloppé dans une bonne voiture ; enfin, il n'a pas du tout souffert, c'est une grande consolation ; et lui, au milieu de sa cour, paraissait gai, triomphant, glorieux : paré du manteau royal, la tête couverte du chapeau à la Henri IV, il s'étalait, brillant sur un trône, répétant les attitudes royales qu'on lui avait enseignées ; mais cette pompe ne servait qu'à le rendre plus hideux, et tous les diamants de la couronne ne pouvaient cacher le sang dont il était couvert. "
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Ah ! quand Louis XVI refusait de punir quelques coupables dont la mort lui eût assuré le trône, en nous épargnant à nous-mêmes tant de malheurs ; quand il disait : " Je ne veux pas acheter ma sûreté au prix de la vie d'un seul de mes sujets ; " quand il écrivait dans son testament : " Je recommande à mon fils, s'il a le malheur de devenir roi, de songer qu'il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu'il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément ce qui a rapport aux chagrins que j'éprouve ; qu'il ne peut faire le bonheur des peuples qu'en régnant suivant les lois ; " quand il prononçait sur l'échafaud ces paroles : " Français, je prie Dieu qu'il ne venge pas sur la nation le sang de vos rois qui va être répandu " voilà le véritable roi, le roi français, le roi légitime, le père et le chef de la patrie !
Buonaparte s'est montré trop médiocre dans l'infortune pour croire que sa prospérité fut l'ouvrage de son génie ; il n'est que le fils de notre puissance, et nous l'avons cru le fils de ses
Lorsque Dieu envoie sur la terre les exécuteurs des châtiments célestes, tout est aplani devant eux : ils ont des succès extraordinaires avec des talents médiocres. Nés au milieu des discordes civiles, ces exterminateurs tirent leurs principales forces des maux qui les ont enfantés et de la terreur qu'inspire le souvenir de ces maux : ils obtiennent ainsi la soumission du peuple au nom des calamités dont ils sont sortis. Il leur est donné de corrompre et d'avilir, d'anéantir l'honneur, de dégrader les âmes, de souiller tout ce qu'ils touchent, de tout vouloir et de tout oser, de régner par le mensonge, l'impiété et l'épouvante, de parler tous les langages, de fasciner tous les yeux, de tromper jusqu'à la raison, de se faire passer pour de vastes génies, lorsqu'ils ne sont que des scélérats vulgaires, car l'excellence en tout ne peut être séparée de la vertu : traînant après eux les nations séduites, triomphant par la multitude, déshonorés par cent victoires, la torche à la main, les pieds dans le sang, ils vont au bout de la terre comme des hommes ivres, poussés par Dieu, qu'ils méconnaissent.
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Buonaparte est un faux grand homme : la magnanimité, qui fait les héros et les véritables rois, lui manque. De là vient qu'on ne cite pas de lui un seul de ces mots qui annoncent Alexandre et César, Henri IV et Louis XIV. La nature le forma sans entrailles. Sa tête, assez vaste, est l'empire des ténèbres et de la confusion. Toutes les idées, même celle du bien, peuvent y entrer, mais elles en sortent aussitôt. Le trait distinctif de son caractère est une obstination invincible, une volonté de fer, mais seulement pour l'injustice, l'oppression, les systèmes extravagants ; car il abandonne facilement les projets qui pourraient être favorables à la morale, à l'ordre et à la vertu. L'imagination le domine, et la raison ne le règle point. Ses desseins ne sont point le fruit de quelque chose de profond et de réfléchi, mais l'effet d'un mouvement subit et d'une révolution soudaine. Il a quelque chose de l'histrion et du comédien ; il joue tout, jusqu'aux passions qu'il n'a pas. Toujours sur un théâtre, au Caire, c'est un renégat qui se vante d'avoir détruit la papauté ; à Paris, c'est le restaurateur de la religion chrétienne ; tantôt inspiré, tantôt philosophe, ses scènes sont préparées d'avance ; un souverain qui a pu prendre des leçons afin de paraître dans une attitude royale est jugé pour la postérité. Jaloux de paraître original, il n'est presque jamais qu'imitateur ; mais ses imitations sont si grossières, qu'elles rappellent à l'instant l'objet ou l'action qu'il copie ; il essaye toujours de dire ce qu'il croit un grand mot, ou de faire ce qu'il présume une grande chose. Affectant l'universalité du génie, il parle de finances et de spectacles, de guerre et de modes, règle le sort des rois et celui d'un commis à la barrière, date du Kremlin un règlement sur les théâtres, et le jour d'une bataille fait arrêter quelques femmes à Paris. Enfant de notre révolution, il a des ressemblances frappantes avec sa mère ; intempérance de langage, goût de la basse littérature, passion d'écrire dans les journaux. Sous le Ménisque de César et d'Alexandre, on aperçoit l'homme de peu et l'enfant de petite famille. Il méprise souverainement les hommes, parce qu'il les juge d'après lui. Sa maxime est qu'ils ne font rien que par intérêt, que la probité même n'est qu'un calcul. De là le système de fusion qui faisait la base de son gouvernement, employant également le méchant et l'honnête homme, mêlant à dessein le vice et la vertu, et prenant toujours soin de vous placer en opposition à vos principes. Son grand plaisir était de déshonorer la vertu, de souiller les réputations : il ne vous touchait que pour vous flétrir. Quand il vous avait fait tomber, vous deveniez son homme, selon son expression ; vous lui apparteniez par droit de honte ; il vous en aimait un peu moins, et vous en méprisait un peu plus. Dans son administration, il voulait qu'on ne connût que les résultats, et qu'on ne s'embarrassât jamais des moyens, les masses devant être tout, les individualités rien. " On corrompra cette jeunesse, mais elle m'obéira mieux ; on fera périr cette branche d'industrie, mais j'obtiendrai pour le moment plusieurs millions ; il périra soixante mille hommes dans cette affaire, mais je gagnerai la bataille. " Voilà tout son raisonnement, et voilà comme les royaumes sont anéantis !
Né surtout pour détruire, Buonaparte porte le mal dans son sein, tout naturellement, comme une mère porte son fruit, avec joie et une sorte d'orgueil. Il a l'horreur du bonheur des hommes ; il disait un jour : " Il y a encore quelques personnes heureuses en France ; ce sont des familles qui ne me connaissent pas, qui vivent à la campagne, dans un château, avec 30 ou 40 000 liv. de rente ; mais je saurai bien les atteindre. " Il a tenu parole. Il voyait un jour jouer son fils ; il dit à un évêque présent : " Monsieur l'évêque, croyez-vous que cela ait une âme ? " Tout ce qui se distingue par quelque supériorité épouvante ce tyran ; toute réputation l'importune. Envieux des talents, de l'esprit, de la vertu, il n'aimerait pas même le bruit d'un crime, si ce crime n'était pas son ouvrage. Le plus disgracieux des hommes, son grand plaisir est de blesser ce qui l'approche, sans penser que nos rois n'insultaient jamais personne, parce qu'on ne pouvait se venger d'eux ; sans se souvenir qu'il parle à la nation la plus délicate sur l'honneur, à un peuple que la cour de Louis XIV a formé, et qui est justement renommé pour l'élégance de ses
Lorsque Buonaparte chassa le Directoire, il lui adressa ce discours :
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" Qu'avez-vous fait de cette France que je vous ai laissée si brillante ? Je vous ai laissé la paix, j'ai retrouvé la guerre ; je vous ai laissé des victoires, j'ai retrouvé des revers ; je vous ai laissé les millions de l'Italie, et j'ai trouvé partout des lois spoliatrices et la misère. Qu'avez-vous fait de cent mille Français que je connaissais tous, mes compagnons de gloire ? Ils sont morts. Cet état de choses ne peut durer ; avant trois ans il nous mènerait au despotisme : mais nous voulons la république, la république assise sur les bases de l'égalité, de la morale, de la liberté civile et de la tolérance politique, etc. "
Aujourd'hui, homme de malheur, nous te prendrons par tes discours, et nous t'interrogerons par tes paroles. Dis, qu'as-tu fait de cette France si brillante ? Où sont nos trésors, les millions de l'Italie, de l'Europe entière ? Qu'as-tu fait, non pas de cent mille, mais de cinq millions de Français que nous connaissions tous, nos parents, nos amis, nos frères ? Cet état de choses ne peut durer ; il nous a plongés dans un affreux despotisme. Tu voulais la république, et tu nous as apporté l'esclavage. Nous, nous voulons la monarchie assise sur les bases de l'égalité des droits, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique et religieuse. Nous l'as-tu donnée, cette monarchie ? Qu'as-tu fait pour nous ? que devons-nous à ton règne ? Qui est-ce qui a assassiné le duc d'Enghien, torturé Pichegru, banni Moreau, chargé de chaînes le souverain pontife, enlevé les princes d'Espagne, commencé une guerre impie ? C'est toi. Qui est-ce qui a perdu nos colonies, anéanti notre commerce, ouvert l'Amérique aux Anglais, corrompu nos
Telles sont les paroles que nous adressons à l'étranger. Mais si nous rejetons Buonaparte, qui le remplacera ? - Le Roi .
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Les fonctions attachées à ce titre de Roi sont si connues des Français, qu'ils n'ont pas besoin de se le faire expliquer : le roi leur représente aussitôt l'idée de l'autorité légitime, de l'ordre, de la paix, de la liberté légale et monarchique. Les souvenirs de la vieille France, la religion, les antiques usages, les
Les Bourbons, dernière branche de cet arbre sacré, ont vu, par une destinée extraordinaire, leur premier roi tomber sous le poignard du fanatique, et leur dernier sous la hache de l'athée. Depuis Robert, sixième fils de saint Louis, dont ils descendent, il ne leur a manqué pendant tant de siècles que cette gloire de l'adversité, qu'ils ont enfin magnifiquement obtenue. Qu'avons-nous à leur reprocher ? Le nom de Henri IV fait encore tressaillir les
Louis XVIII, qui doit régner le premier sur nous, est un prince connu par ses lumières, inaccessible aux préjugés, étranger à la vengeance. De tous les souverains qui peuvent gouverner à présent la France, c'est peut-être celui qui convient le mieux à notre position et à l'esprit du siècle, comme, de tous les hommes que nous pouvions choisir, Buonaparte était peut-être le moins propre à être roi. Les institutions des peuples sont l'ouvrage du temps et de l'expérience : pour régner, il faut surtout de la raison et de l'uniformité. Un prince qui n'aurait dans la tête que deux ou trois idées communes, mais utiles, serait un souverain plus convenable à une nation qu'un aventurier extraordinaire, enfantant sans cesse de nouveaux plans, imaginant de nouvelles lois, ne croyant régner que quand il travaille à troubler les peuples, à changer, à détruire le soir ce qu'il a créé le matin. Non seulement Louis XVIII a ces idées fixes, cette modération, ce bon sens si nécessaires à un monarque, mais c'est encore un prince ami des lettres, instruit et éloquent comme plusieurs de nos rois, d'un esprit vaste et éclairé, d'un caractère ferme et philosophique.
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Choisissons entre Buonaparte, qui revient à nous portant le code sanglant de la conscription, et Louis XVIII, qui s'avance pour fermer nos plaies, le testament de Louis XVI à la main. Il répétera à son sacre ces paroles écrites par son vertueux frère :
" Je pardonne de tout mon
Monsieur , comte d'Artois, d'un caractère si franc, si loyal, si français, se distingue aujourd'hui par sa piété, sa douceur et sa bonté, comme il se faisait remarquer dans sa première jeunesse par son grand air et ses grâces royales. Buonaparte fuit abattu par la main de Dieu, mais non corrigé par l'adversité : à mesure qu'il recule dans le pays qui échappe à sa tyrannie, il traîne après lui de malheureuses victimes chargées de fers ; c'est dans les dernières prisons de France qu'il exerce les derniers actes de son pouvoir. Monsieur arrive seul, sans soldats, sans appui, inconnu aux Français auxquels il se montre. A peine a-t-il prononcé son nom, que le peuple tombe à ses genoux : on baise respectueusement son habit, on embrasse ses genoux ; on lui crie, en répandant des torrents de larmes : " Nous ne vous apportons que nos
M. le duc d'Angoulême a paru dans une autre de nos provinces ; Bordeaux s'est jeté dans ses bras ; et le pays de Henri IV a reconnu avec des transports de joie l'héritier des vertus du Béarnais. Nos armées n'ont point vu de chevalier plus brave que M. le duc de Berry. M. le duc d'Orléans prouve, par sa noble fidélité au sang de son roi, que son nom est toujours un des plus beaux de la France. J'ai déjà parlé des trois générations de héros, M. le prince de Condé, M. le duc de Bourbon : je laisse à Buonaparte à nommer le troisième.
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Je ne sais si la postérité pourra croire que tant de princes de la maison de Bourbon ont été proscrits par ce peuple qui leur devait toute sa gloire, sans avoir été coupables d'aucun crime, sans que leur malheur leur soit venu de la tyrannie du dernier roi de leur race ; non, l'avenir ne pourra comprendre que nous ayons banni des princes aussi bons, des princes nos compatriotes, pour mettre à notre tête un étranger, le plus méchant de tous les hommes. On conçoit jusqu'à un certain point la république en France : un peuple, dans un moment de folie, peut vouloir changer la forme de son gouvernement, et ne plus reconnaître le chef suprême ; mais si nous revenons à la monarchie, c'est le comble de la honte et de l'absurdité de la vouloir sans le souverain légitime, et de croire qu'elle puisse exister sans lui. Qu'on modifie, si l'on veut, la constitution de cette monarchie, mais nul n'a le droit de changer le monarque. Il peut arriver qu'un roi cruel, tyrannique, qui viole toutes les lois, qui prive tout un peuple de ses libertés, soit déposé par l'effet d'une révolution violente ; mais dans ce cas extraordinaire la couronne passe à ses fils ou à son plus proche héritier. Or, Louis XVI a-t-il été un tyran ? Pouvons-nous faire le procès à sa mémoire ? En vertu de quelle autorité privons-nous sa race d'un trône qui lui appartient à tant de titres ? Par quel honteux caprice avons-nous donné à Buonaparte l'héritage de Robert le Fort ? Ce Robert le Fort descendait vraisemblablement de la seconde race, et celle-ci se rattachait à la première. Il était comte de Paris. Hugues Capet apporta aux Français, comme Français lui-même, Paris, héritage paternel, des biens et des domaines immenses. La France, si petite sous les premiers Capets, s'enrichit et s'accrut sous leurs descendants. Et c'est en faveur d'un insulaire obscur, dont il a fallu faire la fortune en dépouillant tous les Français, que nous avons renversé la loi salique, palladium de notre empire. Combien nos pères différaient de nous de sentiments et de maximes ! A la mort de Philippe le Bel, ils adjugèrent la couronne à Philippe de Valois, au préjudice d'Edouard III, roi d'Angleterre ; ils aimèrent mieux se condamner à deux siècles de guerre que de se laisser gouverner par un étranger. Cette noble résolution fut la cause de la gloire et de la grandeur de la France : l'oriflamme fut déchirée aux champs de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt. mais ces lambeaux triomphèrent enfin de la bannière d'Edouard III et de Henri V, et le cri de Montjoie Saint-Denis étouffa celui de toutes les factions. La même question de l'hérédité se représenta à la mort de Henri III : le parlement rendit alors le fameux édit qui donna Henri IV et Louis XIV à la France. Ce n'étaient pourtant pas des têtes ignobles que celles d'Edouard III, de Henri V, du duc de Guise et de l'infante d'Espagne. Grand Dieu ! qu'est donc devenu l'orgueil de la France ! Elle a refusé d'aussi grands souverains pour conserver sa race française et royale, et elle a fait choix de Buonaparte !
En vain prétendrait-on que Buonaparte n'est pas étranger : il l'est aux yeux de toute l'Europe, de tous les Français non prévenus ; il le sera au jugement de la postérité : elle lui attribuera peut-être la meilleure partie de nos victoires, et nous chargera d'une partie de ses crimes. Buonaparte n'a rien de français, ni dans les
Qu'il sera doux de se reposer enfin de tant d'agitations et de malheurs sous l'autorité paternelle de notre souverain légitime ! Nous avons pu un moment être sujets de la gloire que nos armes avaient répandue sur Buonaparte ; aujourd'hui qu'il s'est dépouillé lui-même de cette gloire, ce serait trop que de rester l'esclave de ses crimes. Rejetons cet oppresseur comme tous les autres peuples l'ont déjà rejeté. Qu'on ne dise pas de nous : Ils ont tué le meilleur et le plus vertueux des rois ; ils n'ont rien fait pour lui sauver la vie, et ils versent aujourd'hui la dernière goutte de leur sang, ils sacrifient les restes de la France pour soutenir un étranger qu'eux-mêmes détestent. Par quelle raison cette France infidèle justifierait-elle son abominable fidélité ? Il faut donc avouer que ce sont les forfaits qui nous plaisent, les crimes qui nous charment, la tyrannie qui nous convient. Ah ! si les nations étrangères, enfin lasses de notre obstination, allaient consentir à nous laisser cet insensé ; si nous étions assez lâches pour acheter par une partie de notre territoire la honte de conserver au milieu de nous le germe de la peste et le fléau de l'humanité, il faudrait fuir au fond des déserts, changer de nom et de langage, tâcher d'oublier et de faire oublier que nous avons été Français.
Pensons au bonheur de notre commune patrie ; songeons bien que notre sort est entre nos mains : un mot peut nous rendre à la gloire, à la paix, à l'estime du monde, ou nous plonger dans le plus affreux comme dans le plus ignoble esclavage. Relevons la monarchie de Clovis, l'héritage de saint Louis, le patrimoine de Henri IV. Les Bourbons seuls conviennent aujourd'hui à notre situation malheureuse, sont les seuls médecins qui puissent fermer nos blessures La modération, la paternité de leurs sentiments, leurs propres adversités, conviennent à un royaume épuisé, fatigué de convulsions et de malheurs. Tout deviendra légitime avec eux, tout est illégitime sans eux Leur seule présence fera renaître l'ordre dont ils sont pour nous le principe. Ce sont de braves et illustres gentilshommes, autant et plus Français que nous. Ces seigneurs des fleurs de lis furent dans tous les temps célèbres par leur loyauté ; ils tiennent si fort à la racine de nos
Si tout doit devenir paisible avec eux, s'ils peuvent seuls mettre un terme à cette trop longue révolution, le retour de Buonaparte nous plongerait dans des maux affreux et dans des troubles interminables. L'imagination la plus féconde peut-elle se représenter ce que serait ce monstrueux géant resserré dans d'étroites limites, n'ayant plus les trésors du monde à dévorer et le sang de l'Europe à répandre ? Peut-on se le figurer renfermé dans une cour ruinée et flétrie, exerçant sur les seuls Français sa rage, ses vengeances et son génie turbulent ? Buonaparte n'est point changé ; il ne changera jamais. Toujours il inventera des projets, des lois, des décrets absurdes, contradictoires ou criminels ; toujours il nous tourmentera ; il rendra toujours incertaines notre vie, notre liberté, nos propriétés. En attendant qu'il puisse troubler le monde nouveau, il s'occupera du soin de bouleverser nos familles. Seuls esclaves au milieu du monde libre, objet du mépris des peuples, le dernier degré du malheur sera de ne plus sentir notre abjection et de nous endormir, comme l'esclave de l'Orient, indifférents au cordon que le sultan nous enverra à notre réveil.
Non, il n'en sera pas ainsi. Nous avons un prince légitime, né de notre sang, élevé parmi nous, que nous connaissons, qui nous connaît, qui a nos
Il ne me reste plus qu'à prouver que si le rétablissement de la maison de Bourbon est nécessaire à la France, il ne l'est pas moins à l'Europe entière.
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A ne considérer d'abord que les raisons particulières, est-il un homme au monde qui voulût jamais s'en reposer sur la parole de Buonaparte ? N'est-ce pas un point de sa politique commun, un des penchants de son
On le liera de sorte qu'il ne puisse recommencer ses ravages. - Vous aurez beau l'affaiblir en démembrant la France, en mettant garnison dans les places frontières pendant un certain nombre d'années, en l'obligeant à payer des sommes considérables, en le forçant à n'avoir qu'une petite armée et à abolir la conscription : tout cela sera vain. Buonaparte, encore une fois, n'est point changé. L'adversité ne peut rien sur lui, parce qu'il n'était pas au-dessus de la fortune. Il méditera en silence sa vengeance : tout à coup, après un ou deux ans de repos, lorsque la coalition sera dissoute, que chaque puissance sera rentrée dans ses Etats, il nous appellera aux armes, profitera des générations qui se seront formées, enlèvera, franchira les places de sûreté, et se débordera de nouveau sur l'Allemagne. Aujourd'hui sommeil ne parle que d'aller brûler Vienne, Berlin et Munich ; il ne peut consentir à lâcher sa proie. Les Russes reviendront-ils assez vite des rives du Borysthène pour sauver une seconde fois l'Europe ? Cette miraculeuse coalition, fruit de vingt-cinq années de souffrances, pourra-t-elle se renouer quand tous les fils en auront été brisés ? Buonaparte n'aura-t-il pas trouvé le moyen de corrompre quelques ministres, de séduire quelques princes, de réveiller d'anciennes jalousies, de mettre peut-être dans ses intérêts quelques peuples assez aveugles pour combattre sous ses drapeaux ? Enfin, les princes qui règnent aujourd'hui seront-ils tous sur le trône, et ce changement dans les règnes ne pourrait-il pas amener un changement dans la politique ? Des puissances si souvent trompées pourraient-elles reprendre tout à coup une sécurité qui les perdrait ? Quoi ! elles auraient oublié l'orgueil de cet aventurier qui les a traitées avec tant d'insolence, qui se vantait d'avoir des rois dans son antichambre, qui envoyait signifier ses ordres aux souverains, établissait ses espions jusque dans leur cour, et disait tout haut qu'avant dix ans sa dynastie serait la plus ancienne de l'Europe ! Des rois traiteraient avec un homme qui leur a prodigué des outrages que ne supporterait pas un simple particulier ! Une reine charmante faisait l'admiration de l'Europe par sa beauté, son courage et ses vertus, et il a avancé sa mort par les plus lâches comme par les plus ignobles outrages. La sainteté des rois comme la décence m'empêchent de répéter les calomnies, les grossièretés, les ignobles plaisanteries qu'il a prodiguées tour à tour à ces rois et à ces ministres qui lui dictent aujourd'hui des lois dans son palais. Si les puissances méprisent personnellement ces outrages, elles ne peuvent ni ne doivent les mépriser pour l'intérêt et la majesté des trônes : elles doivent se faire respecter des peuples, briser enfin le glaive de l'usurpateur et déshonorer pour toujours cet abominable droit de la force, sur qui Buonaparte fondait son orgueil et son empire.
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Après ces considérations particulières, il s'en présente d'autres d'une nature plus élevée, et qui seules peuvent déterminer les puissances coalisées à ne plus reconnaître Buonaparte pour souverain.
Il importe au repos des peuples, il importe à la sûreté des couronnes, à la vie comme à la famille des souverains, qu'un homme sorti des rangs inférieurs de la société ne puisse impunément s'asseoir sur le trône de son maître, prendre place parmi les souverains légitimes, les traiter de frères, et trouver dans les révolutions qui l'ont élevé assez de force pour balancer les droits de la légitimité de la race. Si cet exemple est une fois donné au monde, aucun monarque ne peut compter sur sa couronne. Si le trône de Clovis peut être, en pleine civilisation, laissé à un Corse, tandis que les fils de saint Louis sont errants sur la terre, nul roi ne peut s'assurer aujourd'hui qu'il régnera demain. Qu'on y prenne bien garde : toutes les monarchies de l'Europe sont à peu près filles des mêmes
Il importe encore à l'Europe civilisée que la France, qui en est comme l'âme et le
Sous le règne des tyrans toutes les lois morales sont comme suspendues, de même qu'en Angleterre, dans les temps de trouble, on suspend l'acte sur lequel repose la liberté des citoyens. Chacun sait qu'il n'agit pas bien, qu'il marche dans une fausse voie ; mais chacun se soumet et se prête à l'oppression : on se fait même une espèce de fausse conscience, on remplit scrupuleusement les ordres les plus opposés à la justice. L'excuse est qu'il viendra de meilleurs jours, que l'on rentrera dans ses droits ; que c'est un temps d'iniquités qu'il faut passer, comme on passe un temps de malheurs. Mais en attendant ce retour, le tyran fait tout ce qui lui plaît ; il est obéi : il peut traîner tout un peuple à la guerre, l'opprimer, lui demander tout sans être refusé. Avec un prince légitime cela est impossible : tout le monde sous un sceptre légal est en jouissance de ses droits naturels et en exercice de ses vertus. Si le roi voulait passer les bornes de son pouvoir, il trouverait des obstacles invincibles ; tous les corps feraient des remontrances, tous les individus parleraient ; on lui opposerait la raison, la conscience, la liberté. Voilà pourquoi Buonaparte, resté maître d'un seul village de la France, est plus à craindre pour l'Europe que les Bourbons avec la France jusqu'au Rhin.
Au reste, les rois peuvent-ils douter de l'opinion de la France ? croient-ils qu'ils seraient parvenus aussi facilement jusqu'au Louvre si les Français n'avaient espéré en eux des libérateurs ? N'ont-ils pas vu dans toutes les villes où ils sont entrés des signes manifestes de cette espérance ? Qu'entend-on en France depuis six mois, sinon ces paroles : Les Bourbons y sont-ils ? Où sont les princes ? viennent-ils ? Ah ! si l'on voyait un drapeau blanc ! D'une autre part, l'horreur de l'usurpateur est dans tous les
Les rois alliés ne trouveront aucun obstacle à leur dessein s'ils veulent suivre le seul parti qui peut assurer le repos de la France et celui de l'Europe. Ils doivent être satisfaits du triomphe de leurs armes. Nous Français, nous ne devons considérer ces triomphes que comme une leçon de la Providence, qui nous châtie sans nous humilier. Nous pouvons nous dire avec assurance que ce qui eût été impossible sous nos princes légitimes ne pouvait s'accomplir que sous ce règne d'un aventurier. Les rois alliés doivent désormais aspirer à une gloire plus solide et plus durable. Qu'ils se rendent avec leur garde sur la place de notre Révolution ; qu'ils fassent célébrer une pompe funèbre à la place même où sont tombées les têtes de Louis et d'Antoinette ; que ce conseil de rois, la main sur l'autel, au milieu du peuple français à genoux et en larmes, reconnaisse Louis XVIII pour roi de France : ils offriront au monde le plus grand spectacle qu'il ait jamais vu, et répandront sur eux une gloire que les siècles ne pourront effacer.
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