« Chronique de la quinzaine - 28 février 1834 » : différence entre les versions

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Sans M. Thiers que deviendrait ce ministère, maintenant que M. Guizot se tait, et que M. de Broglie ne parle plus? Qui se chargerait de payer la chambre de mauvaises raisons, de fausser les idées, de tourmenter les chiffres, de les rendre inintelligibles, de couper insolemment les discussions les plus importantes, par la présentation de projets de loi de l'intérêt le plus mince? Il faut rendre cette justice aux autres membres du ministère, que pas un d'eux n'irait jusque-là. Ce n'est pas M. Guizot, homme grave et instruit, qui dirait dans une question commerciale qu'en Angleterre le ministère a un fonds particulier pour l'encouragement du commerce, et, que c'est avec ce fonds qu'on a creusé en ''Irlande le canal calédonien '' ; voilà cependant ce que le ministre du commerce a dit et imprimé la semaine dernière. M. de Broglie, qui, dans ses discours à la chambre des pairs, a si bien et si souvent défini le gouvernement représentatif, ne se chargerait certainement pas de venir déclarer à la chambre que sur vingt millions de crédits supplémentaires, onze millions ont été dépensés par ordre exprès du roi, et que les neuf autres sont trop peu de chose pour qu'on ait à s'en occuper sérieusement. « Vingt millions, disait M. Thiers, ce n'est pas un pour cent sur la totalité du budget ; et qui de vous, messieurs, est en état de calculer une affaire à un pour cent près ? » Au reste, il faut féliciter M. Thiers, puisque cette manière d'argumenter produit son effet sur la chambre, qui a cessé de le chicaner sur son budget, et ne l'oblige pas à dire, comme il disait l'aimée dernière : « Ah! ils me font des réductions. Eh bien! je leur f…des crédits supplémentaires. »
 
M. Thiers s'est encore montré bien supérieur dans la discussion de la loi sur l'état-major général de l'armée de terre. Ce jour-là, M. Dupin et la chambre se sentaient pris en même temps d'une velléité d'indépendance. Un amendement de M. Demarçay, qui interdit au roi la faculté de nommer des maréchaux en temps de paix, venait d'être adopté à une forte majorité. Un autre amendement de M. Félix Bodin, membre du tiers-parti, qui limite le nombre des maréchaux à douze, avait également passé sans opposition. Ces deux amendemens sont autant de coups de poignard frappés au cœur de M. Sébastiani, qui voit encore lui échapper ce bâton sur lequel il comptait pour soutenir sa débile vieillesse, et qui sera obligé d'attendre une vacance, à un âge où l'on n'a guère le temps d'attendre, ou de remporter une nouvelle victoire à Almanacid. La chambre semblait prendre goût à faucher ainsi les têtes dorées de l'armée, et la foule des lieutenans-généraux et des maréchaux-de-camp s'éclaircis¬sait déjà, comme dans un jour de bataille, sous les coups meurtriers des boules du scrutin. C'est alors que M. Thiers, jugeant, en homme d'esprit, qu'il ne s'agissait que de gagner du temps et de laisser passer ce moment de fièvre, monta tranquillement à la tribune, après avoir pris conseil de M. Guizot, et se mit à lire, d'une voix encore plus menue et plus éteinte que de coutume, quelques projets de loi concernant des intérêts locaux tout-à-fait étrangers à la discussion. On sait avec quelle vivacité M. Dupin fit observer au ministre que la présentation de ces projets de loi était inconvenante dans un pareil moment. On sait encore avec quelle ardeur M. Thiers défendit la prérogative royale attaquée, disait-il, par M. Dupin. Opposer ruse simple observation au singulier procédé du ministre du commerce, c'était, selon lui, attaquer la prérogative royale, dont il donne une bien haute idée, en la faisant servir à des roueries aussi misérables. Jamais aux époques les plus fâcheuses de la restauration, on n'avait élevé de prétentions pareilles, et les plus anciens députés ne se souviennent pas d'avoir vu une discussion interrompue de cette manière. Aussi la chambre, toute difficile à émouvoir qu'elle soit, fit-elle éclater un mouvement général d'indignation, si fort et si hautement manifesté, que M. Thiers sentit sa faute, et ne lut pas même le texte de son premier projet de loi. L'effet de cette habile manoeuvremanœuvre du ministre et des lourdes déclamations de M. Barthe qui vint soutenir son collègue dans sa défaite, fut de faire adopter l'amendement qui réduit le nombre des officiers-généraux, et de priver M. Thiers d'un dîner qu'il devait faire le lendemain chez M. Dupin. La question du dîner fut discutée en conseil des ministres. On délibéra long-temps, et il fut décidé à la majorité que M. Thiers n'irait pas chez le président de la chambre. Cette affaire parut si importante aux Tuileries, qu'on en oublia, pendant tout un jour, les évènemens de Lyon.
 
Une autre affaire, non moins importante, a donné beaucoup d'embarras à nos hommes d'état. M.Gisquet, voyant avec quelle tyrannie M. Thiers traitait la chambre, imagina d'exercer le même despotisme envers les Parisiens; et ressuscitant une vieille ordonnance du règne de Louis XVI et de la Convention, comme dans les journées de juin il avait exhumé des ordonnances de Louis XIV, le préfet de police fit intimer aux théâtres de Paris l'ordre de terminer leurs représentations à onze heures. A onze heures le rideau devait tomber et le public s'écouler, sous peine d'amende, de prison pour les directeurs, et ce qui va sans dire, de violences de la part des agens de M. Gisquet. M. Gisquet trouvait tout naturel de sonner le couvre-feu pour les Parisiens, à l'heure où ils se retiraient autrefois, lorsque les théâtres commençaient à quatre heures du soir, ou comme en 1791 , quand la ville de Paris était journellement le théâtre de combats sanglans. M. Gisquet donnait pour motif l'excès de fatigue que la longueur des spectacles cause à ses agens, et la nécessité de leur assurer des nuits tranquilles. Les motifs et les conclusions de M. Gisquet lui ont attiré de vives et amères censures. Les hommes de loisir et de liesse qui applaudissent à tous les empiètemens du pouvoir, à toutes les violences et à toutes les vexations de la police, se sentant cette fois atteints, ont jeté de grands cris d'alarme. Toucher à leurs plaisirs, vouloir restreindre leurs jouissances, diminuer leurs belles et joyeuses veillées, c'était un crime, une tyrannie qu'on ne pouvait tolérer, et qu'il fallait dénoncer à la nation. Ceux qui avaient défendu l'état de siège criaient à l'arbitraire, ceux qui se frottaient les mains en apprenant les exploits des assommeurs, juraient, les larmes aux yeux, que la cité était en péril. Le ''Journal des Débats'', qui, depuis un grand mois, ne cesse de déclamer contre la liberté de la presse, défendit avec une violence inouie la liberté de rester la nuit hors de chez soi. Le maréchal de Richelieu et les grands seigneurs de la vieille cour ne traitaient pas avec plus de hauteur le lieutenant de police. C'est avec le plus profond dédain que le ''Journal des Débats'' déclara à M. Gisguet que son ordonnance était inexécutable, et en effet, M. Gisquet fut obligé de se justifier le lendemain. On le manda devant les puissances, et on lui prescrivit de se tenir désormais entre d'honnêtes limites, et surtout de ne pas s'attaquer aux plaisirs du juste-milieu. On lui laisse d'ailleurs d'amples compensations. On lui abandonne les crieurs, les associations, les fêtes du faubourg Saint Germain, les ''chahuts'' de la courtine; on le laisse faire à son gré des arrestations, des émeutes, des visites domiciliaires. C'est une assez belle part, il pourra s'en contenter.
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D'autres mariages moins difficiles à conclure ont eu lieu cette semaine. M. de Bondy, préfet de la Corrèze, et fils du dernier préfet de la Seine, a épousé Mlle Seillière, la nièce d'un de nos plus riches banquiers. M. Casimir Périer a épousé Mlle Paturle, fille du député de ce nom. Ces deux époux sont destinés à compléter une fortune de près d'un million de rentes. Enfin M. de N …, le plus jeune des fils du pair de France de ce nom, a enlevé une jeune Anglaise, riche et jolie, le jour même où son fiancé arrivait d'Angleterre pour l'épouser. On parle aussi du mariage de la fille du général Foy avec M. Piscatory, député d'Indre-et-Loire. Le mariage est en faveur, comme on voit. C'est d'ailleurs un moyen de plaire au château, où l'on voudrait former une cour de jeunes femmes pour entourer la princesse royale future. Il ne restera plus qu'à la trouver.
 
On se souvient d'un livre écrit en faveur de l'ordre de choses actuel, d'un panégyrique des deux premières années de ce régime, composé d'après des inspirations émises d'en haut, et sur des documens confiés à un jeune avocat qui se chargea avec beaucoup de zèle de la responsabilité de ce singulier ouvrage. C'était une preuve de dévouement s'il en fut jamais. Elle avait été donnée, il faut le dire, avec beaucoup de coeurcœur et de franchise par le jeune écrivain qui connaissait bien mal les choses et encore plus mal les hommes qu'il vantait. Ce zèle méritait une récompense; elle vient d'être accordée. L'auteur du livre dont il est question, peu familier avec les affaires, avait si mal arrangé l'exécution matérielle de celle-ci, que les bénéfices furent absorbés par les frais, et que poursuivi lui-même pour un excédant de dépenses, il fut écroué à Sainte-Pélagie. On s'adressa vainement pour lui à l'ordre de choses qu'il avait si bien servi, et à ses dépens encore. Les ministres qui l'avaient loué et encouragé, firent également la sourde oreille. Enfin, après plusieurs mois de captivité cruelle, le haut personnage le plus intéressé à la publication du livre, celui pour qui il avait été fait, s'est décidé à venir au secours du pauvre écrivain. Il y a peu de jours qu'un de ses familiers est venu, de sa part, remettre an ministre de l'intérieur deux mille francs pour le prisonnier. Il en fallait huit mille pour le mettre en liberté ! Avis aux écrivains ministériels.
 
 
 
M. Alphonse Royer, l'un des deux auteurs du beau roman des ''Mauvais-Garçons'', a publié seul un nouveau roman, intitulé ''Venezia la Bella'' (1), dédié à son ancien collaborateur, M. Auguste Barbier, l'auteur des ''Iarnbes'' et du ''Pianto''. Dans ce nouveau livre, M. Royer peint en artiste des derniers jours de la république de Venise; il annonce, par un dernier cri de douleur, la chute totale de cette merveilleuse cité. Un long séjour à Venise, un goût éclairé des arts, une tournure d'esprit toute particulière qui le porte à s'occuper, plus des monumens que des races, des ruines que des monumens debout, donnent à ce livre un caractère de vérité et une forme originale. ''Venezia la Bella'' est un roman; M. Royer a assujéti ce beau tableau de Venise aux formes d'un drame, et ce drame est quelquefois plein d'intérêt; mais ce qui vaut mieux que le drame de M. Royer, ce sont les belles et curieuses descriptions des églises, des places, des canaux, de la mer et des lagunes, ce soit les belles appréciations historiques qui les accompagnent. Les hommes qui aiment et cultivent les arts, regretteront, en lisant le livre de M. Royer, que son talent incontestable n'ait pas pris une forme plus sérieuse, et que les immenses recherches auxquelles il a dû se livrer, les incursions sans nombre qu'il a dû faire dans Venise, n'aient pas produit un vaste et complet ouvrage, qui nous manque encore sur cette cité. Il eût été digne d'un écrivain qui n'a épargné nulle fatigue pour exécuter son oeuvreœuvre, d'élever ce monument littéraire sur les décombres de Venise, et de la dérober ainsi à sa ruine qui s'avance chaque jour. Ces regrets s'augmentent encore en lisant le premier chapitre du roman de M. Royer, belle et noble introduction, conçue d'une façon si ingénieuse, où l'auteur, placé au sommet de la grande tour du Campanile, sur la place Saint-Marc, jette un long regard sur tout le territoire vénitien qu'on découvre du haut de cette tour, depuis le canal de Mestre qui sépare Venise de la terre ferme, depuis l'île de Santa-Chiara jusqu'à la pointe de la Douane. C'est un admirable panorama qu'il nous montre. Que de soleil, que de flots, que de marbres, de granits, de colonnes, de statues, de clochers, de voûtes et d'ogives ! D'abord, arrivé au tiers de la hau¬teur de la tour, à travers les meurtrières qui l'éclairent inégalement, on voit à cent pieds au-dessous de soi la foule, les hommes, le peuple de Venise et les soldats autrichiens, les vaincus et les vainqueurs, tous pêle-mêle, bien chétifs et bien petits. C'est à peine si, au milieu des matelots aux jambes velues, des pêcheurs, des gondoliers, des porte-faix, des mendians et des bourgeois, vous apercevez les uniformes blancs des troupes allemandes; à peine si l'on distingue de loin en loin les fusils et les canons qui font leur force et assurent leur domination. Vous montez encore, les hommes ont disparu; vous ne voyez plus qu'une ville, ses tours, ses maisons; la matière humaine n'est plus qu'une masse d'une seule teinte. - « Ce n'est plus la terre, quoique ce ne soit pas encore le ciel, dit l'auteur. C'est Venise. Le regard ne sait où poser dans cet amas d'eau et de marbre qui étincelle de toutes parts. Montez encore; ce n'est plus seulement une ville qui est à vos pieds, c'est un empire, l'immense dédale des lagunes et les villes qui les peuplent, la mer, le ciel, la terre ferme, et du côté du nord, les Alpes avec leur rideau de neige. Venise, dit le poète, vous apparaît alors dans toute sa splendeur. Il n'y a plus pour vous de cocarde ni de pavillon; les cloches du Campanile ne sonnent pas d'un autre son pour l'empereur François II, qu'elles ne sonnaient pour les doges de la république.- Si un vaisseau entrant dans le port du Lido salue le fort de son artillerie; vous pouvez croire qu'il appartient à Morosini, et qu'il revient du Péloponèse où le drapeau de Saint-Marc flotte encore en conquérant. Pour vous, l'humiliant traité de Passarowitz n'a pas abrogé celui de Carlowitz, et vous oubliez jusqu'aux noms de Léoben et de Campo-Formio. »
 
Cette indication des pensées de l'auteur de ''Venezia la Bella'' suffira pour faire connaître le caractère de ce livre, écrit souvent avec énergie et toujours avec bonheur. M. Royer, qui conçoit les choses en grand, annonce dans une préface que ce livre n'est que la première partie d'un grand travail, et que deux autres parties succéderont à celle-ci. Dans ce roman, l'auteur a placé son personnage à l'âge des illusions, au milieu des brillantes merveilles de Venise. Il le suivra dans l'âge mur, sous un autre ciel, et peindra alors le Tyrol, qu'il a aussi parcouru en artiste; puis il le montrera dans la vieillesse, au milieu des tristes et misérables populations moldaves et valaques, ce théâtre de guerres éternelles que M. Royer, voyageur infatigable, a étudié au prix de mille souffrances.
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Peu d'ouvrages historiques, dans les temps modernes, ont obtenu un succès plus éclatant que ''l'Histoire des Suisses'', par Jean Muller. Il y avait peut-être quelque exagération à le comparer, comme l'a fait Villers, à Tacite et à Thucydide; mais il est du moins incontestable qu'il occupe le premier rang parmi les historiens de son pays. L'Allemagne, plus riche généralement en poètes qu'en prosateurs, lui doit un monument littéraire impérissable, et écrit avec beaucoup de simplicité et de clarté; qualités qui, comme on sait, ne sont pas très communes parmi les écrivains allemands. Malheureusement, les fonctions politiques que Muller remplit à la fin de sa vie le forcèrent de suspendre ses travaux scientifiques; et, lorsque la mort le frappa en 1809, il laissait son ouvrage inachevé. Quelques années après la mort de Muller, un jeune Soleurois, Gloutz, entreprit de poursuivre cette oeuvreœuvre incomplète; mais il fut surpris par la mort dans la force de l'âge et à peine au début de son travail. Cette histoire, une seconde fois inachevée, a été reprise par un Zurichois, M. Hottinger, qui se sentait digne par son talent de la tâche difficile de continuer Jean Muller. Son ouvrage retrace l'histoire de la Suisse au XVIe siècle, dans une des époques les plus intéressantes de ses annales. Les éloges que les critiques allemands ont décernés à ce livre en faisaient vivement désirer la traduction, que nous croyons destinée en France à un égal succès.
 
Dans la première partie de son histoire, M. Hottinger fait le récit des campagnes auxquelles les Suisses prirent part en Italie et en Allemagne. Depuis la guerre de Bourgogne, les Suisses étaient regardés comme invincibles : tous les souverains recherchaient leur alliance, et croyaient la victoire assurée lorsqu'ils avaient à leur solde quelques milliers de soldats suisses. Mais, au commencement du XVIe siècle, une tactique nouvelle s'était introduite dans l'art de la guerre. Les Suisses, enflés de leur succès, et, en général, peu portés aux innovations, conservèrent leur ancien système militaire : c'est ce qui explique les sanglantes défaites qu'ils essuyèrent dans leurs trois campagnes en Italie. L'histoire de la Suisse, à cette époque, présente un intérêt très général, et se confond avec l'histoire de la grande guerre que soutint François Ier avec les souverains ligués contre lui.