« Chronique de la quinzaine - 14 mars 1838 » : différence entre les versions

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Nous n'ajouterons qu'un mot. Dans son discours plus que vif, M. Jaubert, faisant un crime au ministère de son esprit de conciliation, et se montrant fort logique en cela, lui a reproché d'avoir accordé des faveurs à des écrivains qui avaient manqué autrefois au respect dû au roi et à sa famille. Nous ne savons de qui veut parler M. Jaubert, et il eût été plus honorable à lui de s'expliquer davantage. Nous savons seulement que sous ce ministère quelques écrivains avancés dans l'opposition anti-doctrinaire se sont fait un devoir de soutenir le gouvernement du roi. Ceux-là n'ont outragé personne, et le roi moins que personne; mais ils ont apprécié avec courage et indépendance, et depuis long-temps, la conduite du parti doctrinaire. Ils sont prêts à le faire encore, quoi qu'il puisse arriver, et M. Jaubert, ainsi que ses amis, doivent s'attendre à trouver en eux de loyaux adversaires le jour où la France aura le malheur de retomber en leurs mains. Au reste, M. Jaubert, qui compromet son parti à chaque mot de son discours, frappe cette fois sur M. Thiers, qu'il voudrait faire passer pour son allié, car c'est sous le ministère de M. Thiers que se sont ralliés les écrivains dont nous parlons; ils se font un devoir de le rappeler, et s'il y a crime à les avoir accueillis, c'est à M. Thiers que doit en revenir la responsabilité.
 
Finissons-en de M. Jaubert. Son dernier discours est un triste exemple du danger qu'il y a pour un homme d'esprit à faire divorce avec le bon sens et la modération. En ce sens-là, M. Jaubert a bien véritablement rompu, et sans retour, son mariage de raison. Quant à la séparation de M. Jaubert et du ministère, ce n'est qu'un acte dérisoire; M. Jaubert n'a jamais cessé d'être l'ennemi actif de ce cabinet, et la boule blanche qu'il lui accorde dans le vote des fonds secrets prouve seulement, un peu plus encore que son discours, que ses idées politiques sont dans un état de confusion réelle. C'est ainsi que M. Jaubert, dont quelque vivacité d'esprit, un organe agréable et une certaine facilité de manières pouvaient faire un des bons orateurs de seconde classe de la chambre, s'est perdu par cette ambition des premiers rangs, par cette soif d'orgueil ''qui frappe à la porte de tous les coeurscœurs'', comme dit si bien M. Guizot dans son homélie catholique. M. Jaubert a commencé par être mordant, spirituel, et on l'a applaudi; bientôt, pour avoir plus d'applaudissemens, il s'est fait emporté, déclamateur et violent. A présent son histoire est finie, et peut s'écrire en deux paroles : il a d'abord fait rire des autres, maintenant il fait rire de lui.
 
Nous ne savons ce qu'on pensera de la séance d'hier, où M. Gisquet, ancien préfet de police, s'est servi, à la tribune, des renseignemens qu'il avait recueillis dans l'exercice de ses fonctions, pour désigner comme excessif le chiffre des fonds de police, qu'il trouvait trop minime quand il était en place. Nous ne savons si la chambre a approuvé les excellentes paroles de M. de Montalivet, qui a accusé M. Gisquet d'avoir manqué à la réserve imposée aux anciens fonctionnaires. Toujours est-il que M. Guizot a dû se rappeler, dans cette séance, la lutte qu'il eut autrefois avec M. Odilon Barrot, alors préfet de la Seine. Comme ministre de l'intérieur, M. Guizot imposait une réserve semblable à son subordonné, et lui traçait encore plus rigoureusement la ligne de ses devoirs, quoique le poste de préfet de la Seine ne commande pas une réserve aussi minutieuse que la place de préfet de police. On avait annoncé un discours de M. Guizot dans cette discussion. Il n'eût plus manqué à la confusion des idées et des principes de la nouvelle opposition, que de voir M. Guizot répondre au discours de M. Montalivet. Rien d'impossible, du reste, quand les passions se font jour. M. Thiers, à qui les doctrinaires ont donné leur voix comme président de la commission des travaux publics, n'avait-il pas été attaqué, après le 22 février, avec une violence rare, par M. Duvergier de Hauranne et par M. Jaubert, au sujet des travaux publics et du crédit de 100 millions? N'est-ce pas M. Guizot, ministre de l'instruction publique, qui a octroyé 200,000 francs au gérant d'un journal politique, pour une entreprise littéraire? Où était alors M. Jaubert? Se plaignait-il des relations du ministère et des écrivains? La tribune n'était-elle pas là pour défendre ses amis politiques contre ce qu'il appelle le joug de cette puissance irrégulière? Non, tout s'efface, tout s'oublie et change au gré de quelques intérêts. A la bonne heure. Qu'on se montre sans fiel et sans rancune, assurément rien de mieux; mais que cette haine et ce fiel ne se reportent pas aussitôt ailleurs. Qu'on ne se gêne pas avec ses principes politiques, et qu'on les dépose comme des fardeaux trop lourds pour des piétons forcés de monter péniblement au pouvoir; mais qu'on n'affecte plus le rigorisme et la sévérité à l'égard des autres. Un peu de charité ne messied à personne. Ceci s'adresse aux catholiques comme aux protestans.
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M. de Montalivet avait bien défini la question à l'égard de M. Gisquet, déjà avant qu'une indisposition ne l’eût forcé de quitter la tribune où il était monté pour répondre aussi à M. Jaubert. M. Guizot en avait jugé ainsi quelques années auparavant. « Une fois, a dit le ministre, qu'on laisse la porte entr'ouverte, elle pourra l'être un jour tout entière. » En effet, un ancien fonctionnaire est-il le juge des révélations qu'il lui plaira de faire? et n'est-ce pas manquer à la chambre elle-même qui a reconnu la nécessité du secret, quand elle a accordé les fonds destinés à cet emploi? Le ministre a déclaré qu'il n'entendait pas attaquer l'indépendance du député, qu'un ancien préfet de police était entièrement le maître d'accorder ou de refuser les fonds secrets, un ex-directeur des ponts-et-chaussées de réduire les travaux publics, etc., mais qu'il contestait une seule liberté, celle de divulguer, sous quelque forme que ce soit, les secrets qui ont été confiés à un député, en sa qualité de fonctionnaire du gouvernement. Et à cette occasion, loin de se refuser à la discussion, M. de Montalivet, tout souffrant qu'il était visiblement, a donné quelques explications sur la nature des services qui nécessitent les fonds secrets. M. de Montalivet avait déjà produit des explications de ce genre dans les bureaux de la chambre, où elles avaient été appréciées. C'est au moment où M. de Montalivet abordait la situation actuelle, qu'il a été forcé de quitter la tribune, et d'abandonner le sort du projet de loi à M. Molé, qui l'a défendu avec une rare dignité.
 
Le discours de M. Molé restera comme un modèle des nobles paroles qu'un homme de coeurcœur et de talent peut trouver dans une situation épineuse. La délicatesse la plus élevée a pu seule dicter ces mots : « Lorsqu'il s'agit de fonds dont on ne rend pas compte, il faut en poser le chiffre scrupuleusement, et se rendre à soi-même un compte sévère de l'emploi des fonds. » Après de telles paroles, on ne pouvait que conclure comme a fait M. Molé: « Je regarderais toute réduction comme un refus de confiance de votre part. C'est à vous de porter votre arrêt. » Et l'arrêt a été rendu à une majorité de 116 voix, en faveur du ministère. On ne s'attendait pas peut-être à une majorité si grande. Elle ne nous a pas étonnés après avoir entendu le discours de M. Molé. Jamais la susceptibilité de l'honneur n'avait parlé plus haut. On ne parlera plus maintenant de l'indécision du ministère, et de ses transactions avec les doctrinaires. Le divorce pour ''incompatibilité d'humeur'' répond, une fois pour toutes, aux avances et aux bouderies de M. Jaubert. M. Molé l'a rejoint sur le terrain de l'esprit et du sarcasme, et il l'a battu de ses propres armes, terrassé de ses propres argumens. Aussi M. Guizot a-t-il jugé prudent de prendre la responsabilité du discours de M. Jaubert, et de le protéger. C'est un acte de courage, un acte de courage véritable, et de courage malheureux, pour parler comme M. Guizot. Il a dû paraître au moins étrange d'entendre M. Guizot réclamer pour le gouvernement plus de grandeur morale, et exiger que la politique soit élevée, au milieu du trouble causé par son parti, par son parti seul, qui venait mettre toutes les passions en émoi pour l'intérêt personnel le moins déguisé! L'étonnement de la chambre, sa surprise, se sont manifestés par un profond silence, - et par un vote d'approbation éclatante pour le ministère du 15 avril. Nous le répétons, M. Guizot ne s'était jamais montré plus courageux.
 
Quant à M. Passy, M. Molé lui a prouvé que M. Passy, ministre, n'avait été ni aussi décidé, ni aussi heureux que lui-même; il a spirituellement déclaré à M. Guizot que c'est dans ses mains et dans celles des doctrinaires que se trouve le remède à la difficulté de la position, ''et non dans un changement de cabinet''. Mais, en pareil cas, on peut être assuré que M. Guizot et ses amis imiteront le philosophe Fontenelle, et tiendront leurs mains fermées.