« Armance/Chapitre XIII » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
ThomasBot (discussion | contributions)
m Marc : prose
MarcBot (discussion | contributions)
m Bot : Remplacement de texte automatisé (-oeu +œu)
Ligne 25 :
Armance était si heureuse, qu'elle ne se refusa l'examen d'aucune objection, quelque périlleuse qu'en fût la discussion. Si Octave me préférait à la fortune et à l'appui qu'il peut attendre de la famille d'une épouse, son égale pour le rang, nous pourrions aller vivre dans la solitude. Pourquoi ne pas passer dix mois de l'année dans cette jolie terre de Malivert, en Dauphiné, dont il me parle souvent? Le monde nous oublierait bien vite. - Oui; mais moi, je n'oublierais pas qu'il est un lieu sur la terre où je suis méprisée, et méprisée par les âmes les plus nobles.
 
Voir l'amour s'éteindre dans le coeurcœur d'un époux qu'on adore est le plus grand de tous les malheurs pour une jeune personne née avec de la fortune, eh bien, ce malheur si affreux ne serait encore rien pour moi. Même quand il continuerait à me chérir, chaque jour serait empoisonné par la crainte qu'Octave ne vint à penser que je l'ai préféré à cause de la différence de nos fortunes. Cette idée ne se présentera pas à lui, je veux le croire; des lettres anonymes comme celles qu'on adresse à Mme de Bonnivet, viendront la mettre sous ses yeux. Je tremblerai à chaque paquet qu'il recevra de la poste. Non, quoi qu'il puisse arriver; il ne faut jamais accepter la main d'Octave, et le parti commandé par l'honneur est aussi le plus sûr pour notre bonheur.
 
Le lendemain du jour qui fut si heureux pour Armance, Mmes de Malivert et de Bonnivet allèrent s'établir dans un joli château caché dans les bois qui couronnent les hauteurs d'Andilly. Les médecins de Mme de Malivert lui avaient recommandé des promenades à cheval et au pas; et dès le lendemain de son arrivée à Andilly, elle voulut essayer deux charmants petits poneys qu'elle avait fait venir d'Ecosse pour Armance et pour elle. Octave accompagna ces dames dans leur première promenade. On avait à peine fait un quart de lieue, qu'il crut remarquer un peu plus de réserve dans les manières de sa cousine à son égard, et surtout une disposition marquée à la gaieté.
Ligne 37 :
Le travail pourrait être une ressource; mais n'ai-je pas abandonné toute occupation raisonnable? à vrai dire, depuis six mois, tâcher de me rendre aimable aux yeux d'un monde égoïste et plat, n'est-ce pas mon seul travail? Pour se livrer au moins à ce genre de gêne utile, tous les jours, après là promenade de sa mère, Octave quittait Andilly et venait faire des visites à Paris. Il cherchait des habitudes nouvelles pour occuper le vide que laisserait dans sa vie cette charmante cousine quand elle quitterait sa société pour suivre son mari; cette idée lui donnait le besoin d'un exercice violent.
 
Plus son coeurcœur était serré de tristesse, plus il parlait et cherchait à se plaire; ce qu'il redoutait, c'était de se trouver seul avec lui-même; c'était surtout la vue de l'avenir. Il se répétait sans cesse: J'étais un enfant de choisir une jeune fille pour amie. Ce mot, par son évidence, devint bientôt une sorte de proverbe à ses yeux, et l'empêcha de pousser plus avant ses recherches dans son propre coeurcœur.
 
Armance, qui voyait sa tristesse, en était attendrie, et se reprochait souvent la fausse confidence qu'elle lui avait faite. Il ne se passait pas de jour qu'en le voyant partir pour Paris, elle ne fût tentée de lui dire la vérité. Mais ce mensonge fait toute ma force contre lui, se disait-elle; si je lui avoue seulement que je ne suis pas engagée, il me suppliera de céder aux voeuxvœux de sa mère, et comment résister? Cependant, jamais et sous aucun prétexte je ne dois consentir; non, ce mariage prétendu avec un inconnu que je préfère est ma seule défense contre un bonheur qui nous perdrait tous deux.
 
Pour dissiper la tristesse de ce cousin trop chéri, Armance se permettait avec lui les petites plaisanteries de l'amitié la plus tendre. Il y avait tant de grâce et de gaieté naïve dans les assurances d'éternelle amitié de cette jeune fille si naturelle dans toutes ses actions, que souvent la noire misanthropie d'Octave en était désarmée. Il était heureux en dépit de lui-même; et dans ces moments rien aussi ne manquait au bonheur d'Armance.