« Ahasvérus (Magnin) » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
m titre et cat |
m Bot : Remplacement de texte automatisé (-O[Ee] +Œ) |
||
Ligne 206 :
CHŒUR DES GOTHS, dans le lointain : « Savez-vous un bon signe pour l'homme des combats? C'est un bon signe, si le cliquetis du glaive est accompagné du cri du corbeau, et des hurlemens de la louve de Freya sous le frêne d'Ygdrasil. Le vautour des montagnes sait le sentier où va mourir le cheval sauvage qu'il ombrage de ses ailes. Et nous aussi, nous savons le chêne sous lequel s'est abattue la cavale de Rome, que nos serres vont déchirer. Nornes et valkyries, mêlez dans vos chaudières le bec de l'aigle, les dents de Sleipnir, l'ivoire de l'éléphant qui font les runes des combats, et donnent la sagesse aux lèvres qui les touchent. Par le bord du bouclier, par la proue du vaisseau, par la pointe du glaive, par la roue du chariot, par l'écume de la mer, suivez-nous, soyez-nous propices. Le corbeau se penche sur l'épaule d'Odin pour redire nos paroles à son oreille. Le cerf court à travers la forêt, et se nourrit des branches du frêne qui ombrage les dieux; et nous, nous marchons après lui sur les feuilles sèches des forêts. Nous descendons vers le midi, comme la neige fondue qui descend dans les vallées. »
UN ENFANT D ATTILA : Mon père, pourquoi nos chevaux ne peuvent-ils s'arrêter? pourquoi notre ombre est-elle couleur de sang? Là haut, voyez-vous un vieillard dans une niche de pierre? sa tête se penche sur la fenêtre, il chante pendant que nous passons, ses mains tiennent un livre sur lequel ses yeux sont baissés. Père, c'est sans doute un savant homme; il sait peut-être où nous allons.
Ligne 288 :
SAINT-MARC, sur un des vitraux : Et moi, Seigneur, je vous en prie, laissez-moi dans mon vitrail soulever de dessus mes yeux mon manteau de cristal pour regarder, à travers mes paupières azurées, ceux qui entrent dans l'église. C'est l'heure de la danse des morts. Tous les morts ont entendu la voix de la cathédrale. Les voilà. Ils viennent, ils viennent pour la danse. Ils viennent à pas légers, sans bruit dans les galeries, sans bruit dans les chapelles, sans bruit dans le jubé, comme la neige qui tombe par flocons dans un verger par une nuit de Noël. Les voyez-vous? Ils ont tous pris leurs habits de fête; à présent ils se penchent sur les balcons comme des cascatelles sur leurs rochers. Oh ! qu'ils ont l'air triste les morts pour venir à la danse ! Quand les feuilles de chêne tourbillonnent sous le vent dans les carrefours de bruyère, elles ne regrettent pas autant la cime du chêne, ni le creux de la grotte. Mes larmes tombent goutte à goutte sur mon auréole. Mais que pensent-ils de regarder avec leurs yeux vides du côté de l'horloge ? A présent ils se pendent avec les dents aux grilles du choeur ; ils se cramponnent avec leurs ongles aux dragons des piliers; ils s'accoudent dans les niches; ils se heurtent, ils se broient sous les voûtes, sur les degrés du maître-autel. A présent, les portes sont fermées, l'église est pleine. Que font les papes et les archevêques ? Ils gardent leurs mitres sur leurs chefs ; après eux viennent les rois qui portent leurs couronnes sur leurs fronts de squelettes; après les rois, six mille comtes qui couvrent leurs nuques de leurs manteaux. Voyez-les ! les rangs se serrent pour leur faire place. Les voilà maintenant qui se donnent la main. Ils font une grande ronde dans la nef, et ils vont commencer à chanter. Que vont-ils dire ? Leurs pieds nus sonnent sur les dalles. Leurs épées claquent à leurs côtés dans le fourreau. Leurs têtes branlantes s'entrechoquent : la cathédrale bondit avec eux comme une barque par la tempête sur la mer de Galilée.
LA CATHÉDRALE, au bruit des cloches et de l'orgue : Dansez, dansez, rois et reines , enfans et femmes ; ce n'est pas le temps de pleurer. L'éternité se rit de vous, comme le vent quand il s'amuse à travers les carrefours, avec l'herbe des faneurs qu'il a ramassée dans les clairières.
Ligne 306 :
LA CATHÉDRALE : Dans la vallée ombreuse qui mène en Italie, je connais une grotte plus cachée que tes cent monastères; je connais sur les monts un pic plus haut que tes clochers; les nuages, en été, flottent mieux que tes bannières filées par le rouet de Berthe; la rosée est plus fraîche sur une marguerite de Linange que dans tes ciboires de vermeil, et les flots de l'Océan sont mieux courbés vers terre que tes peuples de Roncevaux jusqu'à la Forêt-Noire.
LA CATHÉDRALE : Les vents aussi ont des soupirs quand c'est le soir : demandez vos soupirs aux vents. Les grottes aussi ont des larmes qu'elles distillent goutte à goutte : demandez vos larmes aux grottes.
LA CATHÉDRALE : il y a des roses de pierre sur ma tige; il y a des guirlandes de pierre autour de ma tête. Enfans, si vous pouvez, découronnez ma tête et reprenez vos roses sur ma tige.
Ligne 316 :
LE PAPE GRÉGOIRE VII : Et moi, qu'ai-je à faire à présent de ma double croix et de ma triple couronne? Les morts s'assemblent autour de moi pour que je donne à chacun la portion de néant qui lui revient... Malheur ! le paradis, l'enfer, le purgatoire n'étaient que dans mon ame; la poignée et la lame del'épée des archanges ne flamboyaient que dans mon sein; il n'y avait de cieux infinis que ceux que mon génie pliait et dépliait lui-même pour s'abriter dans son désert... Mais peut-être l'heure va-t-elle sonner où la porte du Christ roulera sur ses gonds... Non, non! Grégoire de Soana, tu as assez attendu ! Tes pieds se sont séchés à frapper les dalles ; tes yeux se sont fondus dans leurs orbites à regarder dans la poussière de ton caveau; ta langue s'est usée dans ta bouche à appeler: Christ ! Christ ! et tes mains sont restées vides; oui, elles sont encore vides, toujours vides comme tout à l'heure! Regardez, regardez, mes bons seigneurs ; c'est la vérité : voyez ! que tous les morts me cachent leur blessure ! que tous les martyrs mettent leur plaie dans l'ombre ! je n'en peux guérir aucune. J'apporte en retour une toile filée par l'araignée à ceux qui ont donné leur couronne au Christ; j'apporte, dans le creux de ma main, une pincée de cendres à ceux qui attendaient un royaume d'étoiles dans l'océan du firmament.
LA CATHÉDRALE : Ça que feriez-vous donc tous, je vous prie, d'un royaume éternel, si je vous en donnais un? Croyez-moi ! vos bras sont trop maigres, vos mains sont trop froides, pour porter de nouveau ni sceptre, ni bulle, ni couronne. Deux ou trois jours de vie à vous tenir debout ont séché la moelle dans vos os. Que diriez-vous, s'il fallait porter comme moi, été, hiver, sur votre tête, sans fléchir, un diadème de rochers sous la neige et sous la pluie? Allez ! quand l'horloge a sonné sous mes arceaux, l'heure qui tremble ne dit pas à l'Éternité : Arrête-moi sur le bord de la cloche; je veux durer, je veux vibrer toujours ! Et moi, je suis l'Éternité visible sur la terre. Vous êtes, vous, l'heure errante qui s'est vêtue dans le monde, en courant, de son manteau retentissant. Maintenant, que je me joue de vous, s'il vous plaît, mes heures couronnées, oh ! si fragiles, est-ce possible? oh ! si fantasques ! oh! si bruyantes ! allons ! amusez-moi, égayez-moi, déridez-moi, mes belles heures empourprées ! Faites sonner en carillon, faites vibrer dans l'air les uns contre les autres, comme ferait un sonneur qui marquerait ma journée, vos mitres de papes, vos crosses d'évêques, vos sceptres de rois, vos têtes branlantes, vos mains pendantes, vos épées de capitaines, vos chapelets d'ermites, vos éperons de cavaliers, vos blasons, vos noms et vos couronnes ! Je suis triste : vous êtes tout mon jouet; dansez et dansez, rois et reines, enfans et femmes, jusqu'au matin !
Ligne 388 :
LA VIERGE MARIE : Les fleurs flétries sur les tombeaux sont les premières ressusci¬tées; je les entends déjà qui se rhabillent sur leurs tiges.
ROSA MYSTICA : J'ai mis tous vos parfums dans ma cassolette; n'ayez pas peur, ils ne sont pas perdus; je vous les rendrai pour l'éternité.
Ligne 396 :
MATER SANCTISSIMA : Ne craignez rien, je vous cueillerai dans votre haie pour me faire une guirlande, comme une jeune jardinière.
MATER CASTISSIMA : Ne craignez rien non plus : dans la tour du ciel, je vous ferai un nid de soie, au coin de ma fenêtre.
VOIX DU MONT-BLANC : J'ai mené paître devant moi mes génisses blanches : les montagnes des Alpes sont mes blanches génisses; leurs cornes sont de neige; elles secouent sur leurs têtes les nuages d'hiver, comme une touffe d'herbe fauchée. Pour taches sur leurs flancs, elles ont trois forêts de sapins noirs; leurs mamelles sont de cristal; leur queue balaie mon chemin, En mugissant sous le vent et sous la bise, elles lavent la corne de leurs pieds dans le lavoir des lacs. A leurs cols sont pendus des villes et des villages, des voix de peuples et des états croulans, comme des clochettes d'acier fin, pour être entendues de loin, dans le pâturage du Seigneur.
LE PÈRE ÉTERNEL : Vous avez douté une heure dans le fond de vos grottes. Allez ! je me ferai de tous vos sommets ensemble, l'un sur l'autre, un banc de pierre pour m'asseoir sur ma porte.
Ligne 412 :
LE PÈRE ÉTERNEL : Tu as douté jusqu'au fond de tes vagues. Va ! je prendrai toute ton eau dans ma main pour en laver la plaie et le calice de mon fils.
STELLA MATUTINA : Vous n'avez pas assez pleuré dans la nuit d'orient de la Passion, quand je tenais mon fils mort dans mes bras sur le Calvaire, et vous avez souri dès le lendemain !
LE PÈRE ÉTERNEL : C'est assez ! Vous aussi vous avez douté votre heure, sous votre tente de lumière. Rendez-moi tous vos brillans pour m'en faire un pendant d'oreille. De l'aurore jusqu'au couchant, au loin, à l'alentour, des plis du firmament, du sommet de la vague, de la cime de l'arbre, où vous vous éveillez, rendez-moi tous vos joyaux, qui étincellent, pour m'en faire une bague à mon doigt.
I.
Ligne 432 :
MATER DOLOROSA : Pitié ! pitié ! ''Miserere ! ''
I.
Ligne 670 :
Sort du fond du désert brillante de clarté?
Son
Mais, dira-t-on peut-être : De même que toute poésie paraît d'abord nécessairement folle, toute folie paraît-elle aussi nécessairement poétique ? suffit-il d'avoir le transport au cerveau pour obtenir un brevet de poète? Si cette question m'était adressée sérieusement, je répondrais que la poésie ne paraît folle qu'aux hommes entièrement privés d'imagination, et que la folie, proprement dite, paraît folle à tout le monde, même aux autres fous. Si la raison vulgaire ne comprend pas la poésie, la raison supérieure, l'intelligence complète, dont l'imagination fait partie, la comprend et l'admire. Il peut arriver que la disproportion soit trop grande entre le génie du poète et l'imagination de tel ou tel individu, de telle ou telle classe même de lecteurs, qui le jugent pourtant et le jugent mal; mais nul, fût-ce Dante, n'a plus d'imagination que le public en masse. Voilà pourquoi l'intervention du temps qui accroît le nombre et la compétence des juges est si nécessaire aux arrêts en matière de goût; voilà pourquoi l'heure vient toujours, où il se trouve assez d'imagination dans la société pour rendre justice aux grands poètes.
|