« Ahasvérus (Magnin) » : différence entre les versions

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CHŒUR DES GOTHS, dans le lointain : « Savez-vous un bon signe pour l'homme des combats? C'est un bon signe, si le cliquetis du glaive est accompagné du cri du corbeau, et des hurlemens de la louve de Freya sous le frêne d'Ygdrasil. Le vautour des montagnes sait le sentier où va mourir le cheval sauvage qu'il ombrage de ses ailes. Et nous aussi, nous savons le chêne sous lequel s'est abattue la cavale de Rome, que nos serres vont déchirer. Nornes et valkyries, mêlez dans vos chaudières le bec de l'aigle, les dents de Sleipnir, l'ivoire de l'éléphant qui font les runes des combats, et donnent la sagesse aux lèvres qui les touchent. Par le bord du bouclier, par la proue du vaisseau, par la pointe du glaive, par la roue du chariot, par l'écume de la mer, suivez-nous, soyez-nous propices. Le corbeau se penche sur l'épaule d'Odin pour redire nos paroles à son oreille. Le cerf court à travers la forêt, et se nourrit des branches du frêne qui ombrage les dieux; et nous, nous marchons après lui sur les feuilles sèches des forêts. Nous descendons vers le midi, comme la neige fondue qui descend dans les vallées. »
 
CHOEURCHŒUR DES HÉRULES : « Tenons-nous par la main pour une danse guerrière. Les femmes du Danube se dressent à demi dans le fleuve, sur leurs corps de cygnes, pour nous regarder passer. Mais le vent du nord est notre roi; c'est lui qui nous envoie abattre sur la terre les feuilles des orangers et les fleurs de la vigne. Oh ! marchons à grands pas avant que les figues soient mûres, avant que les citrons tombent d'eux-mêmes au pied de l'arbre, et que les raisins soient séchés sur la vigne. Encore un jour, et nous ne trouverons que l'écorce des oranges balayées à l'entour du bois. »
 
CHOEURCHŒUR DES HUNS : « A cheval ! à cheval ! demain vous achèverez de tondre la crinière des étalons sauvages. A cheval, dans la plaine et sur la montagne. Les fées se suspendent aux crins échevelés; les gnômes et les gnomides mordent en courant les croupes et la queue des chevaux. Crinières sur crinières, naseaux contre naseaux, au loin, au large, à l'alentour, que notre bande passe comme un nuage d'hiver sur une steppe de Mongolie; rapide au soleil couchant, et puis rapide quand le matin vient à luire, et puis rapide encore sous le soleil brûlant du jour, et puis après le jour dans les ténèbres de la nuit. Malheur à qui tourne la tête pour regarder en arrière ! un djinn ailé qui le suit le renverse et le jette aux vautours. Voyez ! l'herbe est encore penchée sous des pas d'archers qui nous ont devancés. Leur flèche touchera le but avant la nôtre. Nous arriverons quand le trésor de l'Italie aura été pillé, et que la coupe des Gaules aura été bue jusqu'à la lie.
 
CHOEURCHŒUR DE FÉES : « Sans tromperie, c'est un étrange voyage. L'herbe se dessèche sous le souffle des chevaux; on entend des chants magiques dans leurs crinières. Si nous pouvions mourir, nous aurions peur. Depuis mille ans nous tremblotons sous les mottes de terre des montagnes de Scythie. Nos joues s'y sont ridées en réchauffant nos mains de notre haleine. Chaque jour nous avons trouvé au bois une feuille de chêne pleine de rosée pour nous nourir. Et pourtant nous avons plus vécu que des dieux engraissés du sang des boeufs et des chevaux. Mais aujourd'hui, beaux cavaliers, votre colère nous fait pâmer. Partout où vous vous arrêterez, de grace laissez en chaque endroit quelques vieux murs debout, de quoi nous abriter sous le seuil d'une porte, à chacune, un pan de lin pour la vêtir, à chacune, un brin de bois sec pour faire bouillir sa chaudière. »
 
UN ENFANT D ATTILA : Mon père, pourquoi nos chevaux ne peuvent-ils s'arrêter? pourquoi notre ombre est-elle couleur de sang? Là haut, voyez-vous un vieillard dans une niche de pierre? sa tête se penche sur la fenêtre, il chante pendant que nous passons, ses mains tiennent un livre sur lequel ses yeux sont baissés. Père, c'est sans doute un savant homme; il sait peut-être où nous allons.
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SAINT-MARC, sur un des vitraux : Et moi, Seigneur, je vous en prie, laissez-moi dans mon vitrail soulever de dessus mes yeux mon manteau de cristal pour regarder, à travers mes paupières azurées, ceux qui entrent dans l'église. C'est l'heure de la danse des morts. Tous les morts ont entendu la voix de la cathédrale. Les voilà. Ils viennent, ils viennent pour la danse. Ils viennent à pas légers, sans bruit dans les galeries, sans bruit dans les chapelles, sans bruit dans le jubé, comme la neige qui tombe par flocons dans un verger par une nuit de Noël. Les voyez-vous? Ils ont tous pris leurs habits de fête; à présent ils se penchent sur les balcons comme des cascatelles sur leurs rochers. Oh ! qu'ils ont l'air triste les morts pour venir à la danse ! Quand les feuilles de chêne tourbillonnent sous le vent dans les carrefours de bruyère, elles ne regrettent pas autant la cime du chêne, ni le creux de la grotte. Mes larmes tombent goutte à goutte sur mon auréole. Mais que pensent-ils de regarder avec leurs yeux vides du côté de l'horloge ? A présent ils se pendent avec les dents aux grilles du choeur ; ils se cramponnent avec leurs ongles aux dragons des piliers; ils s'accoudent dans les niches; ils se heurtent, ils se broient sous les voûtes, sur les degrés du maître-autel. A présent, les portes sont fermées, l'église est pleine. Que font les papes et les archevêques ? Ils gardent leurs mitres sur leurs chefs ; après eux viennent les rois qui portent leurs couronnes sur leurs fronts de squelettes; après les rois, six mille comtes qui couvrent leurs nuques de leurs manteaux. Voyez-les ! les rangs se serrent pour leur faire place. Les voilà maintenant qui se donnent la main. Ils font une grande ronde dans la nef, et ils vont commencer à chanter. Que vont-ils dire ? Leurs pieds nus sonnent sur les dalles. Leurs épées claquent à leurs côtés dans le fourreau. Leurs têtes branlantes s'entrechoquent : la cathédrale bondit avec eux comme une barque par la tempête sur la mer de Galilée.
 
CHOEURCHŒUR DES ROIS MORTS : Rentrons dans nos caveaux. Nos paupières sont trop pesantes ; nos cheveux secouent autour de nous une poussière trop humide; nos mains, qui pendillent, sont trop froides……… ô Christ ! ô Christ! pourquoi nous as-tu trompés? ô Christ! pourquoi nous as-tu menti? Depuis mille ans, nous nous roulons dans nos caveaux, sous nos dalles ciselées, pour chercher la porte de ton ciel. Nous ne trouvons que la toile que l'araignée tend sur nos têtes. Où sont donc les sons des violes de tes anges ? Nous n'entendons que la scie aiguë du ver qui ronge nos tombeaux. Où est le pain qui devait nous nourrir ? Nous n'avons à boire que nos larmes qui ont creusé nos joues. Où est la maison de ton père? Où est son dais étoilé? Est-ce la source tarie que nous creusons de nos ongles? Est-ce la dalle polie que nous frappons de nos têtes, jour et nuit? Où est la fleur de ta vigne qui devait guérir la plaie de nos coeurs? Nous n'avons trouvé que des vipères qui rampent sur nos dalles; nous n'avons vu que des couleuvres qui vomissent leur venin sur nos lèvres. O Christ ! pourquoi nous as-tu trompés?
 
CHOEURCHŒUR DES FEMMES : O vierge Marie! pourquoi nous avez-vous trompées ? En nous réveillant, nous avons cherché à nos côtés nos enfans, nos petits-enfans, et nos bien-aimés qui devaient nous sourire au matin dans des niches d'azur. Nous n'avons trouvé que des ronces, des mauves passées, et des orties qui enfonçaient leurs racines sur nos têtes.
 
CHOEURCHŒUR DES ENFANS : Ah! qu'il fait noir dans mon berceau de pierre ! Ah ! que mon berceau est dur ! Où est ma mère pour me lever? où est mon père pour me bercer ? Où sont les anges pour me donner ma robe, ma belle robe de lumière ? Mon père, ma mère, où êtes-vous? J'ai peur, j'ai peur dans mon berceau de pierre.
 
LA CATHÉDRALE, au bruit des cloches et de l'orgue : Dansez, dansez, rois et reines , enfans et femmes ; ce n'est pas le temps de pleurer. L'éternité se rit de vous, comme le vent quand il s'amuse à travers les carrefours, avec l'herbe des faneurs qu'il a ramassée dans les clairières.
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LA CATHÉDRALE : Dans la vallée ombreuse qui mène en Italie, je connais une grotte plus cachée que tes cent monastères; je connais sur les monts un pic plus haut que tes clochers; les nuages, en été, flottent mieux que tes bannières filées par le rouet de Berthe; la rosée est plus fraîche sur une marguerite de Linange que dans tes ciboires de vermeil, et les flots de l'Océan sont mieux courbés vers terre que tes peuples de Roncevaux jusqu'à la Forêt-Noire.
 
CHOEURCHŒUR DES FERMES : Rendez-nous à nous nos soupirs et nos larmes !
 
LA CATHÉDRALE : Les vents aussi ont des soupirs quand c'est le soir : demandez vos soupirs aux vents. Les grottes aussi ont des larmes qu'elles distillent goutte à goutte : demandez vos larmes aux grottes.
 
CHOEURCHŒUR DES ENFANS : Rendez-nous à nous nos couronnes de fleurs; rendez-nous nos corbeilles de roses que nous avons jetées à la Fête-Dieu sur le chemin des prêtres !
 
LA CATHÉDRALE : il y a des roses de pierre sur ma tige; il y a des guirlandes de pierre autour de ma tête. Enfans, si vous pouvez, découronnez ma tête et reprenez vos roses sur ma tige.
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LE PAPE GRÉGOIRE VII : Et moi, qu'ai-je à faire à présent de ma double croix et de ma triple couronne? Les morts s'assemblent autour de moi pour que je donne à chacun la portion de néant qui lui revient... Malheur ! le paradis, l'enfer, le purgatoire n'étaient que dans mon ame; la poignée et la lame del'épée des archanges ne flamboyaient que dans mon sein; il n'y avait de cieux infinis que ceux que mon génie pliait et dépliait lui-même pour s'abriter dans son désert... Mais peut-être l'heure va-t-elle sonner où la porte du Christ roulera sur ses gonds... Non, non! Grégoire de Soana, tu as assez attendu ! Tes pieds se sont séchés à frapper les dalles ; tes yeux se sont fondus dans leurs orbites à regarder dans la poussière de ton caveau; ta langue s'est usée dans ta bouche à appeler: Christ ! Christ ! et tes mains sont restées vides; oui, elles sont encore vides, toujours vides comme tout à l'heure! Regardez, regardez, mes bons seigneurs ; c'est la vérité : voyez ! que tous les morts me cachent leur blessure ! que tous les martyrs mettent leur plaie dans l'ombre ! je n'en peux guérir aucune. J'apporte en retour une toile filée par l'araignée à ceux qui ont donné leur couronne au Christ; j'apporte, dans le creux de ma main, une pincée de cendres à ceux qui attendaient un royaume d'étoiles dans l'océan du firmament.
 
CHOEURCHŒUR DE TOUS LES ROIS MORTS : Malheur ! malheur ! Qu'allons-nous devenir?
 
LA CATHÉDRALE : Ça que feriez-vous donc tous, je vous prie, d'un royaume éternel, si je vous en donnais un? Croyez-moi ! vos bras sont trop maigres, vos mains sont trop froides, pour porter de nouveau ni sceptre, ni bulle, ni couronne. Deux ou trois jours de vie à vous tenir debout ont séché la moelle dans vos os. Que diriez-vous, s'il fallait porter comme moi, été, hiver, sur votre tête, sans fléchir, un diadème de rochers sous la neige et sous la pluie? Allez ! quand l'horloge a sonné sous mes arceaux, l'heure qui tremble ne dit pas à l'Éternité : Arrête-moi sur le bord de la cloche; je veux durer, je veux vibrer toujours ! Et moi, je suis l'Éternité visible sur la terre. Vous êtes, vous, l'heure errante qui s'est vêtue dans le monde, en courant, de son manteau retentissant. Maintenant, que je me joue de vous, s'il vous plaît, mes heures couronnées, oh ! si fragiles, est-ce possible? oh ! si fantasques ! oh! si bruyantes ! allons ! amusez-moi, égayez-moi, déridez-moi, mes belles heures empourprées ! Faites sonner en carillon, faites vibrer dans l'air les uns contre les autres, comme ferait un sonneur qui marquerait ma journée, vos mitres de papes, vos crosses d'évêques, vos sceptres de rois, vos têtes branlantes, vos mains pendantes, vos épées de capitaines, vos chapelets d'ermites, vos éperons de cavaliers, vos blasons, vos noms et vos couronnes ! Je suis triste : vous êtes tout mon jouet; dansez et dansez, rois et reines, enfans et femmes, jusqu'au matin !
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LA VIERGE MARIE : Les fleurs flétries sur les tombeaux sont les premières ressusci¬tées; je les entends déjà qui se rhabillent sur leurs tiges.
 
CHOEURCHŒUR DES FLEURS : Si c'est le jour du jugement, nous nous levons au plus haut de nos tiges, pour que notre jardinier nous cueille. Nous n'avons rien à craindre du jardinier de Golgotha. Nous avons fait la tâche qu'il nous avait donnée. Chaque matin nous avons lavé nos écharpes et notre tunique dans la rosée, pour que le baiser de l'abeille n'y laissât point de traces. Chaque soir, nous avons filé, sur notre quenouille, notre fuseau parfumé dans nos doigts. Pas une fois, le soleil en se levant tout éclos, au plus haut du feuillage du ciel, ne nous a trouvées endormies sur notre chevet. Pas une fois, la mer, en se couchant dans sa corolle de rocher, ne nous a appelées à demi-voix de son dernier murmure, sans que nous n'avons laissé tomber sur elle notre corbeille pleine de feuilles de citronniers et de roses sauvages. En hiver, nous avons mis sur nos épaules notre manteau de neige. En été, nous avons pris dans notre coffre notre ceinture qu'un rayon des étoiles nous tissait. Si une larme d'une femme tombait par hasard sur la terre, toujours nous l'avons recueillie sur le bord de notre calice. Si Ahasvérus passait par notre chemin, toujours nous avons baigné notre couronne dans le sang de Golgotha.
 
ROSA MYSTICA : J'ai mis tous vos parfums dans ma cassolette; n'ayez pas peur, ils ne sont pas perdus; je vous les rendrai pour l'éternité.
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MATER SANCTISSIMA : Ne craignez rien, je vous cueillerai dans votre haie pour me faire une guirlande, comme une jeune jardinière.
 
CHOEURCHŒUR DES OISEAUX : Et nous aussi, nous avons fait ce que notre oiseleur nous avait commandé; nous avons trempé au fond des bois les plumes de nos ailes dans des ruisseaux d'argent qui coulaient goutte à goutte, et que personne autre que nous ne connaissait. Nous avons aiguisé nos becs d'aigle sur le bord des nuages enflammés, et rougi nos gorges de fauvette au feu de bruyère des laboureurs. Oh ! que les villes étaient petites quand nous passions avec la nue, le cou tendu, sur leurs broussailles ! Avec leurs ponts et leurs murailles à sept enceintes, avec leurs vaisseaux dans le port, avec leurs clochers qui chantaient dès le jour, que de fois nous avons dit en les voyant sous l'ombre de nos ailes : Allons ! fondons sur elles; c'est la couvée d'une fauvette qui se penche sur son nid pour prendre sa becquée. Sans jamais nous inquiéter, dans nos voyages, nous avons été, chaque année, chercher le grain d'or que notre oiseleur nous tendait, dans le creux de sa main, à travers l'Océan et le désert. A présent, nos ailes sont lassées; nous allons tomber dans l'abîme, si un doigt ne nous retient. Tous les mâts sont rentrés dans le port; toutes les villes sont fermées. Nous avons mendié chez les rois de la terre : « Donnez-nous, rois de la terre, un brin d'herbe pour nous y reposer. Donnez-nous dans vos royaumes une branche de bois sèche pour nous y asseoir une heure.» Pas un d'eux n'a pu trouver, chez lui, ni brin d'herbe, ni branche sèche. Les vallées tremblent; les sommets frémissent comme un feuillage d'automne.
 
MATER CASTISSIMA : Ne craignez rien non plus : dans la tour du ciel, je vous ferai un nid de soie, au coin de ma fenêtre.
 
CHOEURCHŒUR DES MONTAGNES : Comme un troupeau de cavales sauvages qui s'éveillent au jour et soulèvent leurs cheveux de leur front, si un bruit leur arrive, ainsi nos croupes et nos flancs se sont dressés sous le fouet des tempêtes. Notre crinière est faite de forêts, la corne de nos pieds est faite de marbre blanc; l'arçon de notre selle et le mors de notre bouche sont de nuage doré; notre écume est un fleuve qui blanchit notre frein; et nos naseaux, quand l'aiguillon nous éperonne, vomissent leur lave dans l'Océan. Tous les dieux, l'un après l'autre, ont passé sur nos sommets. De leurs trésors, nous n'avons gardé, Seigneur, que votre croix pour couvrir notre cime dans l'orage. Par nos petits sentiers, nous avons monté jour et nuit pour prendre dans nos coupes les fleuves et les fontaines. Chaque soir, nous avons enfermé, dans le fond de nos grottes, les brises embaumées et les parfums d'été que nous cueillions le jour. Pour vous plaire, chaque hiver, nous avons roulé sur nos têtes nos neiges entassées; et nous avons gémi, au fond de nos volcans, comme un homme qui s'endort oppressé, dans son lit, sous le poids de votre nom.
 
VOIX DU MONT-BLANC : J'ai mené paître devant moi mes génisses blanches : les montagnes des Alpes sont mes blanches génisses; leurs cornes sont de neige; elles secouent sur leurs têtes les nuages d'hiver, comme une touffe d'herbe fauchée. Pour taches sur leurs flancs, elles ont trois forêts de sapins noirs; leurs mamelles sont de cristal; leur queue balaie mon chemin, En mugissant sous le vent et sous la bise, elles lavent la corne de leurs pieds dans le lavoir des lacs. A leurs cols sont pendus des villes et des villages, des voix de peuples et des états croulans, comme des clochettes d'acier fin, pour être entendues de loin, dans le pâturage du Seigneur.
 
CHOEURCHŒUR DES ALPES : Cherchez où vous voudrez vos génisses blanches : nous ne connaissons plus votre cornemuse. Nous sommes, nous, une ronde de filles à marier qui nous donnqns la main. Seigneur, changez, de grace, pour un habit de fête, notre ancienne robe de vapeurs. Pour amoureux, jamais nous n'avons eu à notre porte que l'aigle, qui nous baisait de son aile noire; pour fiancé, que le chamois, et pour époux, que le torrent qui roule sur nos pieds. Sans faute, chaque jour nous avons porté les fleuves dans nos jattes, comme la laitière qui descend du chalet. Mais l'été est fini; l'hiver du monde approche... Laissez-nous aussi, nous, descendre de nos cimes pour voir, à notre tour, dans la vallée, passer sur notre seuil ouvert les voyageurs, les marchands, les moines et les joueurs de chalumeaux !
 
LE PÈRE ÉTERNEL : Vous avez douté une heure dans le fond de vos grottes. Allez ! je me ferai de tous vos sommets ensemble, l'un sur l'autre, un banc de pierre pour m'asseoir sur ma porte.
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LE PÈRE ÉTERNEL : Tu as douté jusqu'au fond de tes vagues. Va ! je prendrai toute ton eau dans ma main pour en laver la plaie et le calice de mon fils.
 
CHOEURCHŒUR DES ÉTOILES : Comme un pèlerin de Palestine emporte sur son habit les coquillages de la rive, ainsi vous nous aviez attachées au bord du manteau du matin. Comme les mules d'un évêque qui s'en va à Tolède secouent sous leurs crinières des clochettes dorées, ainsi nos voix argentines pendaient et résonnaient sous la crinière noire des mules de la nuit. Pour abréger notre voyage, il ne fallait qu'une goutte de rosée où nous nous mirions en passant; jusqu'à ce que le jour vînt à luire, nous nous contions nos rêves; et si quelque nuage mouillait notre chevelure, nous lui demandions en souriant notre chemin dans le désert. Mais, à cette heure, l'orage nous chasse avec les feuilles dans la forêt de Josaphat.
 
STELLA MATUTINA : Vous n'avez pas assez pleuré dans la nuit d'orient de la Passion, quand je tenais mon fils mort dans mes bras sur le Calvaire, et vous avez souri dès le lendemain !
 
CHOEURCHŒUR DES ÉTOILES : Pardonnez-nous, Marie!... Quel crime encore avons-nous fait? Est-ce d'avoir effleuré dans la nuit les lèvres closes et la paupière d'une femme de Turquie, d'avoir baisé son turban, son poignard avec ses tresses, et encore sa ceinture dénouée sous sa tente? Est-ce d'avoir été trop lente à me lever dans le golfe de Naples, ou trop paresseuse à me bercer aux vignes grimpantes de ses îles? Est-ce d'avoir oublié l'heure dans les gondoles de Venise, à la porte des palais déserts, ou d'avoir pris tant de fois le message du poëte, sur sa fenêtre, pour le porter au bout de l'infini ?
 
LE PÈRE ÉTERNEL : C'est assez ! Vous aussi vous avez douté votre heure, sous votre tente de lumière. Rendez-moi tous vos brillans pour m'en faire un pendant d'oreille. De l'aurore jusqu'au couchant, au loin, à l'alentour, des plis du firmament, du sommet de la vague, de la cime de l'arbre, où vous vous éveillez, rendez-moi tous vos joyaux, qui étincellent, pour m'en faire une bague à mon doigt.
 
CHOEURCHŒUR DES FEMMES :
 
I.
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MATER DOLOROSA : Pitié ! pitié ! ''Miserere ! ''
 
CIHOEURCIHŒUR DES FEMMES :
 
I.
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Sort du fond du désert brillante de clarté?
 
Son OeuvreŒuvre, à peine comprise, fut conspuée par les beaux-esprits du temps, et il lui fallut attendre près d'un demi-siècle que le peuple lui rendît, comme au ''Cid'', son rang parmi les chefs-d'œuvre. L'imagination a beau parler un langage parfaitement clair et lucide pour l'imagination, elle ne peut être entendue que de l'imagination; toutes les fois que la raison seule s'avise de vouloir juger l’oeuvre du poète, celle-ci peut être sûre d'être déclarée folle et fantasque.
 
Mais, dira-t-on peut-être : De même que toute poésie paraît d'abord nécessairement folle, toute folie paraît-elle aussi nécessairement poétique ? suffit-il d'avoir le transport au cerveau pour obtenir un brevet de poète? Si cette question m'était adressée sérieusement, je répondrais que la poésie ne paraît folle qu'aux hommes entièrement privés d'imagination, et que la folie, proprement dite, paraît folle à tout le monde, même aux autres fous. Si la raison vulgaire ne comprend pas la poésie, la raison supérieure, l'intelligence complète, dont l'imagination fait partie, la comprend et l'admire. Il peut arriver que la disproportion soit trop grande entre le génie du poète et l'imagination de tel ou tel individu, de telle ou telle classe même de lecteurs, qui le jugent pourtant et le jugent mal; mais nul, fût-ce Dante, n'a plus d'imagination que le public en masse. Voilà pourquoi l'intervention du temps qui accroît le nombre et la compétence des juges est si nécessaire aux arrêts en matière de goût; voilà pourquoi l'heure vient toujours, où il se trouve assez d'imagination dans la société pour rendre justice aux grands poètes.