« Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris » : différence entre les versions

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Version du 13 décembre 2011 à 15:34

DÉDICACE.


AUX ÂMES SENSIBLES.


C’est à vous, âmes sensibles, à qui je dédie cet ouvrage. En effet, à qui pourrait-il mieux convenir ?

L’homme du monde, livré à ses affaires et à ses plaisirs, tourmenté par l’ambition ou le désir insatiable des richesses, est-il susceptible d’éprouver quelques sentimens tendres ? est-il capable d’arrêter un seul moment son esprit sur cette vérité, que toutes ces futilités qu’il poursuit avec tant de persévérance, que toutes ces jouissances auxquelles il se livre et dans lesquelles il semble trouver le bonheur, passeront avec la rapidité de l’éclair ? Quand même il pourrait se persuader que le sort, pendant toute sa vie, ne lui sera jamais contraire, s’avisera-t-il une seule fois, dans le silence de ses méditations, de penser qu’un jour viendra où il faudra que toutes ces choses l’abandonnent ? non ; son égoïsme, son amour de lui-même, les soins qu’il prend d’éloigner de lui tout ce qui pourrait, en jetant le trouble dans son cœur, diminuer ses jouissances, lui rendront constamment étrangères de pareilles réflexions. Cet ouvrage ne peut donc avoir pour lui aucune espèce d’intérêt. C’est un monument élevé contre son insensibilité et la dureté de son cœur. En vain lui rappellerait-il les personnes qui ont contribué à son avancement, à son élévation, à sa fortune, son œil, que jamais n’humectèrent les larmes de la reconnaissance, resterait sec devant l’urne cinéraire qui lui reprocherait son ingratitude. C’est donc à vous, âmes sensibles, que je livre, que j’abandonne avec confiance ce fruit de mes laborieux travaux. C’est pour vous seules que j’y ai consacré mes veilles. J’ai pleuré avec vous, j’ai partagé votre douleur en traçant sur ces feuilles les monumens qui renferment les précieux restes des personnes qui vous furent et qui vous sont encore si chères. Entretenir votre douleur, donner un nouveau cours à vos larmes en rapprochant de vous le lieu, la tombe, le cyprès qui ombrage la dépouille mortelle d’un père, d’un époux, d’un ami, sur la perte desquels vous trouvez une sorte de consolation à prolonger vos regrets, c’est sans doute entrer dans vos vues, c’est partager vos pieuses afflictions, c’est en diminuer les rigueurs. Puissiez-vous me tenir compte de mes efforts ! Si je n’ai pas entièrement rempli vos espérances, j’en ai eu le désir : cela me suffit pour me croire assuré du succès de mon ouvrage. Il est impossible d’être sensible et de ne pas être reconnaissant.

PRÉFACE.



Dans les dessins que j’ai faits au trait des tombeaux qui se trouvent érigés depuis plusieurs années dans les quatre cimetières de Paris, je me suis appliqué à choisir particulièrement les plus marquans, soit par leur exécution, soit par les personnages qu’ils renferment ou par le style de leurs épitaphes ; j’ai cru devoir ajouter à ces dessins quelques descriptions du site, l’itinéraire, pour arriver plus directement au monument décrit. Toutes les fois que j’ai pu me procurer des renseignemens sur les personnes, j’ai donné quelques notices sur leur vie, et je les ai accompagnées de quelques réflexions religieuses ou morales. J’ai inséré les pièces de vers qui m’ont été remises, et j’y insérerai toutes celles qui pourront m’être envoyées par la suite, lorsqu’elle seront jugées convenables d’y être placées. Je n’examinerai pas si les corps des personnes pour lesquelles ces vers auraient été composés, reposent dans des monumens particuliers et remarquables par leur exécution ; les corps de celles qui reposent dans les sépultures communes sont également respectables à mes yeux. Si la chimère de l’égalité a été parmi nous un problème irrésoluble jusqu’à ce jour, là, dans la nuit du tombeau, le problême est résolu : l’égalité est parfaite.


AVIS DE L’ÉDITEUR.



Cet ouvrage était désiré par un grand nombre de familles. C’est pour répondre à leur vœu que je l’ai entrepris, malgré les difficultés qu’il présentait. J’espère qu’elles seront satisfaites, et que cette disposition de Monumens que je leur offre servira à perpétuer, dans leur cœur, le souvenir de ceux qu’ils ont fait élever à la mémoire des personnes qui leur furent si chères[1].


(1ère Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 1, 2, 3, 4.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 1.

TOMBEAU DE J. DELILLE.


Delille est décédé le 1er mai 1815, à l’âge de 75 ans, son corps a été embaumé et exposé sur un lit de parade, dans une salle du Collège de France ; une couronne de laurier ornait son front. Ses obsèques ont eu lieu le 7 mai 1815, à onze heures du matin, dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, sa Paroisse : ses restes ont été déposés ensuite au Cimetière de Mont-Louis, dit le Père la Chaise.


À l’extrémité de l’avenue des tilleuls, à mi-coteau, est une allée formant berceau. C’est là qu’on a élevé le tombeau de J. Delille, en forme de sarcophage, en pierres de liais. On a percé une porte sur celle qui regarde l’orient. Sur la face opposée est une table saillante, en marbre blanc veiné, destinée à recevoir une inscription en lettres d’or. Deux vases lacrymatoires en ornent les côtés. L’intérieur de ce monument a dix pieds de long, huit de large, et six de hauteur. Le sol est dallé en pierre. C’est là qu’on a déposé le cercueil du traducteur des Géorgiques. Ce tombeau est fermé par une porte de fer bronzé, à trois panneaux à compartimens. Celui du haut, qui est à jour, a la forme d’une grille à barreaux dont deux sont en diagonale et deux en croix.



CIMETIÈRE DE MONTMARTRE

Planche 2.

TOMBEAU DE M. MINEL.


C’est un Sarcophage en pierre de liais, d’un beau simple, érigé dans le vallon, à gauche en entrant.

Sur l’autre face du fronton, on lit :
Cette Tombe lui fut érigée par ses Enfans.




CIMETIÈRE DE VAUGIRARD

Planche 3.

TOMBEAU DE Mad. DE DURFORT.


Ce modeste monument se trouve à gauche en entrant par la porte du Petit-Vaugirard. Il est construit d’une dalle de pierre de liais formant Cippe.


CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 4.

TOMBEAU DE M. LE BARON CROUZET.


Ce monument est adossé au mur de face de la rue, à gauche, en entrant. Il est en pierre. La table d’inscription est saillante, et en marbre noir. L’épitaphe est en lettres d’or. Au-dessus est un médaillon qui contient les armoiries, sculptées en marbre noir.


Traduction de l’inscription latine du monument de
M. le Baron de Crouzet.


Il fut excellent frère, excellent époux, excellent père. La jeunesse, dont il dirigea les études et la conduite, eut pour lui une admiration égale à sa reconnaissance. Rival des anciens, il les égala quelquefois dans d’heureux vers qu’il se plaisait à composer dans ses momens de loisir. C’était son moindre mérite, et la vertu brillait avec éclat dans son âme céleste.


Son Épouse et ses Enfans inconsolables
lui ont érigé ce monument
.


VERS SUR LA MORT DE J. DELILLE.


Le printemps, de retour sur la terre embellie,
Renouvelle par-tout les sources de la vie ;
Mais, quoi ! lorsqu’il s’éveille annonçant ses bienfaits,
Le poëte des chants sommeille pour jamais !…
Apollon, attendri par les vœux de la France,
Court de son docte fils implorer la puissance ;
Ce fils protégera l’inimitable auteur
Des trois règnes d’Opis interprète enchanteur.
Veille, ô dieu d’Épidaure, au salut d’un grand homme
Que les Muses devaient au grand siècle de Rome !…
Venez, venez, beaux jours !… Ô désirs superflus !
Au souffle du printemps il ne renaîtra plus,
Plaçons à ses côtés, sous la pierre funèbre,
Son luth harmonieux ; et ce tombeau célèbre,
Tous les ans, au retour de la belle saison,
Rendra des sons plus doux que l’airain de Memnon.
Accourez tous, ô vous que son génie inspire !
À ces magiques sons accordez votre lyre ;
Pour lui laissez couler et vos vers et vos pleurs…
Il chanta les jardins ; couronnez de leurs fleurs
Le dernier monument du sensible Delille.
Du haut du Pinde alors vous sourira Virgile,
Pour prix du souvenir et des tributs touchans
Dont vous aurez payé le poëte des champs.
Pour couvrir son tombeau d’une ombre poétique,
Élevez sur sa cendre un arbre allégorique ;
Du laurier de Virgile entez un rejeton
Sur un rameau sacré du mûrier de Milton.
Toutefois suspendons cet hymne de tristesse ;
Il touche au terme heureux d’une longue vieillesse.
« Dis-moi, gémirais-tu de ton cruel destin ?
» Le bel astre du jour n’a-t-il pas son déclin ?

» Cesse, ô grand voyageur ! de regretter la terre.
» De ton brillant génie admirateur sincère,
» Le Pinde, répétant ton refrain solennel,
» Te dit : « Consolez-vous, vous êtes immortel[2] ».

H. de Valori.


APOLLON ET LA MUSE.


De ta lyre d’où vient que les cordes plaintives
Ne rendent plus que des sons douloureux ?
Du Permesse étonné n’attriste point les rives,
Et redis des chants amoureux.
— J’étais la Muse de Delille ;
Sa perte a réveillé mes anciennes douleurs :
En lui payant le tribut de mes pleurs,
Je crois pleurer encore et Milton et Virgile.

Edmond de G***.




DISCOURS


Prononcé aux Obsèques de M. Delille ; par M. Delambre, Professeur d’Astronomie au collège de France, Secrétaire perpétuel de l’Institut pour les Sciences Mathématiques, Trésorier de l’Université impériale.


« Messieurs,

» Vous avez entendu avec attendrissement l’hommage qui vient d’être rendu au poëte émule de Virgile et de Milton, au chantre des Jardins, du Malheur, de l’Imagination et de la Nature. Il appartenait à la voix éloquente qui gémissait naguère sur les « places qu’une triste absence laissait inoccupées » à l’Académie française, d’exprimer ici les regrets de l’Institut, de la France, et de la république des lettres, qui voit aujourd’hui vaquer l’une de ces places, et la plus difficile peut-être à remplir. »

» Le Collége de France, qui se glorifiait aussi de compter M. Delille parmi ses membres les plus distingués, ne peut rester muet dans cette lugubre cérémonie : il ne peut taire des services éclatans rendus à l’instruction publique ; tous ses professeurs se seraient à l’envi disputé l’honneur d’être les interprètes de la douleur générale ; ils ont bien voulu le céder à celui qui, dans son enfance, avait eu l’avantage de recevoir les premières leçons publiques du grand homme que nous avons perdu, et qui, dans une liaison non interrompue de plus de cinquante années, s’est vu successivement honoré du titre de son confrère à l’Institut, au Collège de France et à l’Université impériale. »

» Toutes les nations connaissent les succès de M. Delille comme poëte ; sa réputation comme professeur n’était pas moindre, mais elle était nécessairement plus circonscrite ; elle a formé cependant ses premiers titres à l’estime de ses concitoyens. »

» Après des palmes dans tous les genres, obtenues aux concours de l’Université, et qui ont toujours annoncé des hommes d’un mérite éminent, le défaut absolu de fortune l’avait forcé d’accepter, dans un collège de Paris, des fonctions obscures qui ne le plaçaient pas même au dernier rang des professeurs de l’Université : celui qui devait enrichir un jour notre langue poétique fut réduit à donner à des enfans des leçons de syntaxe latine. À la destruction d’un ordre fameux, on lui offrit au collège d’Amiens une place de professeur d’humanités : il saisit cette première occasion de passer des élémens de la grammaire à ceux de la littérature. Il préparait dès-lors le chef-d’œuvre des Géorgiques ; quoique le poëme latin ne fût pas l’objet particulier des leçons qu’il devait nous donner, il ne pouvait s’empêcher de nous en entretenir souvent. Il nous en développait le sens et les beautés ; dans ses explications il passait en revue toutes les imitations plus ou moins éloignées qu’il avait rencontrées dans nos poètes français, dont il s’était enrichi la mémoire, la plus heureuse que j’aie jamais connue.

» Ceux qui ont entendu M. Delille, dans les séances académiques ou dans ses leçons au Collège de France, savent si jamais personne égala la grâce et la chaleur entraînante avec laquelle il récitait les vers. Que ceux qui l’ont entendu plus tard se le représentent à l’âge de vingt-quatre ans, ils pourront se faire une idée de ce que je devais éprouver dans ces explications auxquelles ne suffisait pas le temps ordinaire des classes, et qu’il avait l’excessive bonté de reprendre et de me continuer en particulier. Un demi-siècle d’intervalle n’a pu effacer ces impressions délicieuses auxquelles s’est joint un vif sentiment de reconnaissance, dès que j’ai pu faire la réflexion que c’était à un enfant de 13 ans qu’il prodiguait ces trésors d’érudition, d’enthousiasme et de talent poétique.

» Quand il me fut donné de venir à Paris et d’y entendre des professeurs justement célèbres, j’y cherchai vainement, je l’avoue, cette alliance si rare d’un grand talent avec la science et le goût. Elle ne s’y montra, du moins à ce degré, qu’au temps où M. Delille fut ramené sur un théâtre plus digne de lui. L’Université venait d’obtenir la fondation d’un corps d’agrégés destinés à remplacer les professeurs absens ou malades. Les titres que réunissait M. Delille le dispensaient de toutes les épreuves ; il n’eut qu’à se montrer pour être admis, et presque aussitôt il fut nommé à la chaire d’humanités du collège de la Marche.

» C’est là qu’il publia ses Géorgiques ; c’est là que plus d’une fois je l’ai vu, fatigué des succès qu’il commençait à obtenir dans les sociétés les plus brillantes, former le projet de renoncer au monde pour cultiver dans la retraite son talent poétique, et se laissant entraîner sans cesse à cette aimable facilité de caractère qui le rendait incapable de résister aux sollicitations et aux douces violences de ses nombreux amis.

» Le succès de ses Géorgiques, de cette traduction qu’on s’accordait à regarder comme impossible à la poésie française, devait lui ouvrir les portes de l’Académie. On lui opposait le préjugé qui prononçait l’incompatibilité entre le fauteuil académique et la chaire de professeur. Il triompha de cet obstacle, mais il ne tarda pas à sentir la difficulté de concilier tant de devoirs ; il désira plus de loisir, il en trouva au collège de France, dont un académicien, membre estimé de l’Université, M. Le Beau, lui facilita l’entrée. Il y devait professer l’éloquence, mais il était né pour la poésie ; un échange heureux avec un de ses confrères mit tous les littérateurs de Paris à portée de profiter de ces explications poétiques, qui sortent du cercle plus étroit où doit se renfermer un professeur ordinaire, et dont peut-être il n’avait encore été donné qu’à moi seul de jouir pleinement.

» Le Collège de France a long-temps retenti des applaudissement que sa verve arrachait à de nombreux auditeurs. Le feu, l’action qu’il mettait dans ses conférences ébranlaient sa faible constitution ; il sentit le besoin de quelque repos et celui de revoir les objets les plus habituels de ses chants ; ses amis secondaient ou faisaient naître en lui ce désir ; il fut donc forcé plus d’une fois d’interrompre ces leçons, qui attiraient une si grande affluence ; il était alors remplacé par l’estimable traducteur de Perse, son ami dès long-temps, et depuis son collègue à l’Institut (M. Sélis).

» Une absence plus longue fut occasionnée par nos troubles ; quelques esprits sévères lui en firent un sujet de reproche. Sans doute il était permis de regretter qu’il ne fût pas resté à son poste ; mais en quelque lieu qu’il habitât ou bien qu’il allât chercher de nouvelles inspirations, n’était-il pas toujours le poëte de la France ? en devions-nous moins jouir du fruit de ses veilles ? Eh ! que reprocher à l’ami de la paix, qui de ses courses utiles nous rapportait les Géorgiques françaises, l’Enéide et le Paradis Perdu, l’Imagination et les Trois Règnes ?

(La suite à la Livraison prochaine.)
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(2ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 5, 6, 7, 8.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 5.

TOMBEAU DE Mad. HOQUART.


Ce Tombeau se voit à droite en entrant, près du bord de la route qui conduit à l’Étoile. Il est construit d’une pierre horizontale de six pieds de long sur trois de large, porté sur quatre dés, lesquels sont de même en pierre. Il résulte de cette construction que le dessous se trouve à jour, et que le dessus est taillé en deux pentes ou revers dans sa longueur, sur lesquelles sont gravées deux torches funèbres. Une autre pierre posée sur un socle, et élevée perpendiculairement, formant Cippe, reçoit une table renfoncée en marbre noir, sur laquelle est placée une inscription en lettres d’or. Au-dessus de la traverse, est un bas-relief représentant un vase lacrymatoire enlacé d’une couronne de roseaux noués par deux rubans.
CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 6.

TOMBEAU DE M. NARDOT.


Ce Tombeau, situé à gauche en entrant, sur le bord du chemin, forme un Sarcophage construit en pierre de liais. L’inscription est gravée en lettres d’or, sur une table de marbre noir, renfoncée.


Particularités sur la mort et l’inhumation de madame Deschennes de Saint-Edmond, et de M. Nardot, son père.


Madame Thérèse-Henriette Nardot, épouse de M. Deschennes de Saint-Edmond, possédait au dernier degré toutes les qualités qui, parmi nous, rendent recommandables les personnes de son sexe. Elle fut tout-à-la-fois et la meilleure des filles et la plus estimable des épouses. Si sa piété filiale pouvait être citée comme un modèle, son père, M. Nardot, avait pour sa fille une tendresse à laquelle rien ne pouvait être comparé. La mort de ce vieillard respectable a prouvé quel était le degré d’attachement qu’il avait pour elle.

Madame Deschennes, par suite d’une couche, fut affligée pendant huit ans d’une maladie de langueur. Son père, pendant toute la durée de cette maladie, agité continuellement par des inquiétudes toujours renaissantes, et partageant par suite de l’extrême tendresse qu’il avait pour elle, toutes les souffrances de sa fille, répondait à chaque instant du jour à tous ceux qui lui demandaient des nouvelles de son état : « Hélas ! elle souffre continuellement ; si j’ai le malheur de
la perdre, je sens que je ne pourrai lui survivre. Si Dieux m’accordait cette faveur, mon plus grand désir serait d’être inhumé auprès d’elle ».

Un jour, en sortant de table, il demande à une personne qui venait de quitter la malade, dans quel état pour le moment elle se trouvait : on lui répondit très-inconsidérément qu’elle venait de mourir ; M. Nerdot, frappé comme d’un coup de foudre, tombe aussitôt sans connaissance ; en vain lui prodigue-t-on tous les secours pour le rappeler à la vie, il expire, après être demeuré dans cet état pendant quatre heures.

La famille, pleine de respect pour la volonté de ce vieillard si profondément sensible, a regardé comme un devoir sacré l’obligation d’accomplir le vœu qu’il avait si souvent exprimé. La même pompe funèbre servit au père et à la fille. Tous deux furent présentés au même instant à Saint-Roch, leur paroisse ; les mêmes cérémonies religieuses leur furent communes, ensuite, transportés au Cimetière de Montmartre, on les enterra provisoirement dans une même fosse, où ils demeurèrent jusqu’au moment où M. Deschennes de Saint-Edmond les fit exhumer pour les placer ensemble dans le Tombeau qu’il leur fit élever, et dont nous donnons ici la gravure. Ce tombeau est une espèce de caveau sans voussure, solidement muré des quatre faces, rempli d’un sable fin jusqu’à fleur de terre, et recouvert d’un Sarcophage d’une belle proportion.

Nota. Madame Deschennes et M. Nardot sont décédés le 28 février 1812. Madame Deschennes, âgée d’environ 30 ans ; et M. Nardot, âgé de 83 ans.


CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 7.

TOMBEAU DE Mad. D’HÉRICY.


Ce Tombeau forme un Sarcophage construit en pierre de liais, et adossé au mur de clôture, vis-à-vis la petite porte. Ses trois faces sont ornées de Sculptures ; à droite, sont gravées les deux lettres initiales L. H. enlacées, et au-dessous, deux tiges de roseau, en sautoir ; à gauche, sont aussi gravées et enlacées les deux lettres initiales A. F., ainsi que deux tiges de roseau en sautoir.



CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 8.

TOMBEAU DE Mad. ALLARD.


Ce Monument est situé dans l’angle du côté gauche, en entrant. La Tombe a été creusée au pied du mur de la maison même que cette dame habitait. M. Allard, son époux, a fait planter auprès un berceau de verdure, de six pieds carré, pour y méditer, lui et ses enfans. Au fond de ce berceau, l’Épitaphe de la défunte est gravée sur une table perpendiculaire de six pieds et demi de haut, sur deux de large ; elle donne en peu de mots l’idée des agrémens corporels dont elle était douée, de la bonté de son cœur et de l’amabilité de son esprit.
Suite du Discours prononcé aux Obsèques de M. Delille ; par M. Delambre, etc. (Voyez le 1er morceau, page 5.)


» Quelle reconnaissance n’était-il pas en droit d’attendre pour tant de productions précieuses ! Cette reconnaissance ne fut pas universelle ; l’esprit de parti fit entendre une voix étouffée bientôt par les applaudissemens publics : à en croire ses détracteurs, il ne revenait que pour fréquenter les palais des grands et reprendre les chaînes dorées qu’il regrettait. Il leur avait répondu d’avance en choisissant pour sa demeure le quartier le plus solitaire de Paris ; il revint depuis occuper l’asile modeste que lui pouvait offrir le Collège de France ; là, il ne vivait que pour l’amitié et la poésie. Quatre attaques successives de la maladie qui vient de l’enlever lui avaient ôté les moyens de se livrer aux fonctions de l’enseignement. Il retrouva quelques forces pour installer l’élégant et fidèle traducteur des Bucoliques, qu’il avait demandé pour suppléant.

» On n’oubliera jamais cette séance mémorable où, entouré de sa famille, aux acclamations de ses confrères, et d’une jeunesse attendrie, il exprimait, en vers si touchans et si beaux, les plus doux sentimens de son cœur et ses volontés suprêmes. Hélas ! c’était la dernière fois que sa voix devait se faire entendre sous ces voûtes. C’est par ce triomphe du talent uni à la plus douce sensibilité que s’est vu terminée la carrière la plus brillante que jamais professeur ait parcourue. J’avais reçu sa première leçon, j’ai joui de la dernière : il m’honora d’une amitié constante. Puisse cette réunion heureuse de circonstances donner quelqu’intérêt à ce faible hommage que j’appose sur la tombe de l’homme aimable et du grand poëte que nous regrettons » !

M. Arnault a succédé à M. Delambre, et s’est exprimé en ces termes :

« Messieurs,

» L’Université doit aussi un tribut d’éloges et de regrets à l’homme immortel dont nous accompagnons ici les restes. M. Delille rivalisait de droit avec nos plus anciens professeurs par la durée de ses services, et dans leur éclat n’était rivalisé par personne. Les moyens qui faisaient sa gloire dans l’Institut doublaient de valeur dans l’Université, où il fournissait à la fois des leçons et des exemples, et à laquelle il appartint presque en naissant ; dans l’Université qu’il étonna pendant plus de soixante-ans, soit comme élève, soit comme maître, et qui, par cela même qu’elle fait une perle plus grande que tout autre corps littéraire, doit trouver plus difficilement les termes propres à faire connaître toute l’étendue de sa douleur.

» Mais que me reste-t-il à dire, à moi qui me fais ici l’organe de ce corps illustre ? que me reste-t-il à dire pour peindre ce que nous éprouvons sur les bords de cette tombe qui n’engloutit pas tout ?

» Les orateurs que vous venez d’entendre n’ont-ils pas développé ce que nous pensons ? et ce que nous sentons n’est-il pas encore plus éloquemment exprimé par ces sanglots qui couvrent ma voix, par ces larmes qui se confondent aux miennes ?

M. Le Dieu, étudiant en droit, l’un des élèves de M. Delille, s’est alors présenté et a obtenu la permission de prononcer le discours suivant :

» Souffrez que la jeunesse s’approche aussi de la tombe d’un grand homme, et qu’elle y vienne épancher sa douleur. Permettez-lui d’y déposer, après vous, l’hommage de sa reconnaissance et de ses regrets. C’est sur-tout à l’âge du sentiment à louer et à pleurer le poëte du sentiment.

» Cette qualification, qui la mérita mieux que M. Delille ? Relisez ses chefs-d’œuvre et ses nombreux ouvrages ; dans chacune de leurs pages, vous retrouverez ses titres humides encore des larmes qu’ils ont arrachées à vos yeux. Là, toujours c’est son ame qui parle ; toujours c’est au cœur qu’elle s’adresse ; c’est de la vertu, c’est de la nature qu’elle l’entretient, et vers le bien qu’elle le dirige.

» Mais la sensibilité, caractère principal du poëte illustra que nous regrettons, n’était pas seulement l’artifice et le charme de ses écrits. Elle se manifestait sur-tout dans sa conduite ; dans ses affections, et il l’aimait dans les autres. Ce grand homme chérissait les jeunes gens, et il se glorifiait de leur amitié. Lui demandait-on pourquoi ? « C’est qu’à leur âge, disait-il, elle est un sentiment ». Aurait-il reconnu, et serait-il vrai, que plus tard elle n’est souvent qu’un calcul ?

» Pour nous, fiers d’une préférence si honorable, nous y avons répondu. Toujours nous avons payé du plus tendre retour l’attachement de l’interprète de Virgile et de Milton. Nous nous disposions à lui donner une nouvelle preuve d’amour ; déjà sa couronne tressée de nos mains était prête à ceindre son front ; déjà l’heure était arrivée, nous espérions… Hélas ! et il n’y avait plus d’espoir ! nous nous étions réunis pour sa fête ; et nous avons suivi sa pompe funèbre ! Homme immortel ! la fatalité qui vient d’éteindre ton génie n’a point éteint dans nos cœurs l’amour que tes talens et tes vertus y ont allumé. Du séjour de la gloire, daigne abaisser tes regards sur ces lieux : vois-nous, pressés autour de tes restes, leur présenter nos dernières offrandes, et souris au vœu que nous faisons de t’aimer toujours, d’aimer toujours la vertu et la nature.

» Ah ! si la voix de ton jeune ami peut encore émouvoir ton ame, ô Delille ! ô mon maître ! ô mon père ! (ta bienveillance me permettait, me demandait ces doux noms), entends-le déplorer une perte prématurée, ne trouver de consolation que dans l’expression de sa douleur, et, malheureux émule d’une épouse et des sœurs les plus tendres, jurer fidélité à ta mémoire, et assiduité à tes écrits et à ton monument ».




VERS

Écrits au crayon sur une des encoignures du mur
de terrasse de Mont-Louis.


Dans ces paisibles lieux, sous des berceaux de fleurs,
Le chagrin, les regrets viennent verser des pleurs ;
Ils peuvent y trouver une ombre officieuse :
Le trépas à leurs yeux cache sa faux hideuse ;
Il range ses sujets dans un vaste jardin,
Et le séjour des morts est un nouvel Éden.



Vous qui ne savez pas que le deuil a des charmes,
Qui visitez ces lieux, mais qui venez sans larmes…..
Par de bruyans éclats n’en troublez point la paix ;
Apprenez que les morts ont aussi leurs secrets.



Peut-être ici pour vous la place est préparée,
foulez avec respect cette terre sacrée.

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(3ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 9, 10, 11, 12.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 9.

TOMBEAU DE Mad. la Duchesse DE VALMY.


Pour arriver à ce monument, il faut prendre la route à droite en entrant et en traversant le carrefour l’étoile, et ensuite sur la droite l’allée tournante. Ce monument se trouve à gauche sur le bord de ladite allée, et se compose d’un mur de terrasse construit en pierre à cet effet, il se termine en chevron brisé espèce de fronton : il est un peu engagé dans le rampant de la colline sur la face duquel est adossé ledit monument qui se compose d’un tombeau de forme antique d’un pied d’épaisseur dans sa plus grande saillie, et de six pouces la partie qui porte sur les pieds de lion, au-dessus est une table saillante, sur laquelle est gravée l’épitaphe en lettres d’or. Ledit tombeau et ladite table saillante et le socle sont en marbre noir, granit de Flandre ; les armoiries qui sont sur le retable de la face dudit tombeau sont en bronze ciselé et doré, les pieds de lion, et l’urne sont en marbre blanc statuaire.

Ce monument est entouré d’une balustrade en fer à barreaux ronds, dont le bout se termine en chardon à cinq pointes dorés.


CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 10.

TOMBEAU DE Mad. ROSE FÉRA.


Ce petit monument est formé d’un pilastre couronné d’un fronton. Il est construit en pierre. Il se trouve dans la vallée à droite en entrant.


CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 11.

TOMBEAU DE Mad. ATROF et de ses enfans.


Ce modeste monument, qui est placé à gauche

près du mur de clôture en entrant par la porte du petit Vaugirard, est formé d’une tombe horizontale, c’est-à-dire, d’une pierre en pente et posée sur deux traverses de pierre. On y lit ces épitaphes.
Ci-Gissent
Marie Antoinette Augustine
Nathalie ATROF,
Décédée le 20 Décembre, 1805.
Agée de six ans.


Marie Claudine Caroline
Eulalie ATROF,
Décédée le 26 Février, 1806.
Agée de trois ans et demie,


et


Charlotte Catherine Augustine
CONVERS, leur mère,
Décédée Épouse de Jean
Guillaume ATROF,
Le 26 Juillet 1807,
Agée de vingt-six ans et demie.




Ames sensibles,
Pleurez sur leurs malheurs,
Et priez pour elles.
De profundis, etc.


Ce monument fut élevé par l’amitié Fraternelle.


Ci-Git.
M. M. LEROY, née le 11 Octobre 1739,
Décédée le 29 Mai 1812,
Épouse de C. P. CONVERS, Architecte,
Bonne Épouse, tendre Mère,
La perte de ses Enfans l’a réunie a eux,
Soutien du malheureux,
Elle jouit maintenant
Du prix de ses bonnes œuvres,
Dans le sein de Jésus-Christ,
Requiescat in pace,
Placé par la Reconnaissanse,
Ici Repose
Le Corps de Claude Marie
Théodore MAURY,
Décédé le 28 Novembre 1808,
Agé de trois ans quatre mois vingt-trois jours
après six mois de souffrance,
Son ame
Comme un parfum
D’une agréable odeur,
S’est envolée dans sein
De son Dieu.

Lorsque l’on s’arrête devant ce tombeau, on a peine à retenir ses larmes, en pensant à la respectable famille qu’elle renferme et en réfléchissant sur la légitimité de la douleur qui causa la mort des deux mères estimables qui y reposent auprès de leurs Enfants.

Madame Atrof, née Convers, avait deux filles, (Nathalie et Eulalie), qui faisaient tout le bonheur de sa vie. Ces jeunes enfans donnaient les plus grandes espérances ; quoique encore dans la plus extrême jeunesse, tout semblait annoncer en elles qu’elles auraient la sensibilité, la bonté, toutes les vertus de leur mère. L’aînée, âgée de six ans, après une maladie vive, contre laquelle tous les efforts de l’art furent inutiles, succomba à ses souffrances et termina sa vie le 26 Décembre 1805. Eulalie, atteinte de la même maladie de sa sœur, ne lui survécut que deux mois. Elle mourut le 26 Février 1806, âgée de trois ans et demi.

Rien ne put consoler madame Atrof d’une perte aussi sensible. À une douleur vive à laquelle on ne pouvait apporter aucun soulagement succéda un chagrin lent qui, plaçant dans son cœur le dégoût de la vie, ne lui permit plus de trouver le bonheur que dans l’espoir prochain qu’elle concevait d’être bientôt réunie à tout ce qu’elle aimait. Ni l’attachement qu’elle avait pour son époux, ni les égards, les soins, les prévenances toujours nouvelles que celui-ci avait pour cette femme qui lui était si chère, rien ne put ranimer en elle le désir de vivre encore. Après avoir vécue, ou plutôt languit dans cet état de consomption pendant près d’un an et demi, elle expira le 26 Juillet 1807, âgée de 26 ans et demi, en exprimant à sa dernière heure tout le contentement qu’elle éprouvait en quittant cette vie, et en priant son époux et sa mère de réunir dans la même tombe son corps à celui de ses enfants

Madame Convers, sa mère, âgée alors de soixante-six ans, frappée dans tout ce qu’elle avait de plus cher, accablée de tant de pertes, malgré le courage dont elle voulut s’armer pour ne point affliger son époux, en lui donnant à connaître combien était concentré et profond le chagrin qui la dévorait, traîna son existence cinq années encore après le décès de madame sa fille. Enfin elle succomba à sa douleur, le 29 mai 1812, âgée de soixante-onze ans, en exprimant le même vœu que madame Atrof, d’être placée à côté de ses enfants.

Il n’y a que des mères qui soient susceptibles d’apprécier le degré de douleurs et de souffrances, qu’éprouvèrent ces deux femmes estimables, pendant le peu de temps qu’elles survécurent à tout ce qu’elles aimaient.


À la gauche de la tombe de madame Atrof, est placé le tombeau de madame Convers, sa mère.


Il est formé d’un Cippe en marbre blanc veiné de trois pieds de haut, un pied six pouces de large, trois pouces d’épaisseur.


Ce Cippe est orné dans la partie circulaire d’une couronne de feuilles d’Olivier, au milieu de laquelle on a gravé une croix. Au-dessous est l’épitaphe.

À la droite de ce tombeau est la tombe de Théodore MAURY, son neveu, et petit-fils de madame Convers. Cette tombe est composée d’une pierre horizontale de trois pieds six pouces de long, sur deux pieds de large, posée sur deux parpins, ou traverses de pierre, en tête de cette tombe on a planté un saule pleureur.

Ces trois monumens réunis sont entourés d’un treillage formant un berceau rustique, orné de chevrefeuilles, de rosiers et de violettes.


CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 12.

TOMBEAU DE M. et de Mad. DAGNET.


Ce monument, qui est en pierre, est situé à droite en entrant, en forme de pilastre. C’est-à-dire qu’il a pour épaisseur la moitié de sa largeur.


AUX MANES
De MM. Lagrange, Delille et Grétry.


Idem tergeminum patrice decus abstulit annus :
Heu ! morti triplex ecce triumphus ades.
Circimus uranies, confractis partibus, altum
Testatur vulnus tristitiamque deve.
Mœrens Calliope prœstantia carmina delet
Telluremque Erato non reditura fugit.
Grangius en cocidit, cecidit Delillius, atque
Cantator Gretry funeris ipse sui.
Gallia ! tergemini tumulo condantur eodem :
Una triun Deitas indubitata manet.
Raptos terra fleat ; raptis lœtetur Olympus ;
Terrarum lacrymœ sidera cuneta beant,
Nunc Goemetra tenet quas sedes mante tenebat ;
Natus homo, genio sit Deus ipsa suo,
Nunc patriam vates, nunc musicus occupat ; allo
Nunc solites cœlo reddit uterque sono.

Par M. Bouvet, maître de Pension.


Traduction.


La même année a enlevé à la patrie son triple ornement. Hélas ! le trépas a remporté sur elle trois triomphes. Les débris du compas d’Uranie atteste la blessure et la profonde douleur de cette déesse. Calliope efface ses vers avec les pleurs qu’elle répand ; Erato abandonne la terre pour n’y plus revenir. Nous avons donc perdu Lagrange, Delille et Gretry qui prépara lui-même les chants par lesquels nous devions pleurer sa mort. Ô France ! enfermons-les tous trois dans le même cercueil, et révérons-les tous trois comme une même divinité. Que la terre soit inconsolable de leur perte ! Que l’Olympe se réjouisse de les avoir reçus ! Les larmes de la terre sont le bonheur du ciel. C’est maintenant que l’illustre géomètre habite le séjour que son génie mesuroit. Mortel, son propre génie en fait un dieu. L’honneur de la poésie, l’orgueil de la musique, les deux autres partagent son immortalité glorieuse, et tous les deux ils font retentir l’Olympe de leurs mélodieux accens.




ÉLÉGIE.


Dans quels lieux la douleur conduit-elle mes pas ?
Je demande la mort, et ne la trouve pas.
Je t’en conjure, viens ; termine ma souffrance :
Viens, frappe, arrache-moi ma cruelle existence,
Ah ! ne te laisse plus accuser de lenteur ;
Les heures sont pour moi des siècles de douleur.
Qui pourrait m’attacher désormais à la vie ?
Mon cœur avait fait choix d’une amante chérie :
D’un heureux avenir j’avais conçu l’espoir,
Aminte, pour ton jours, me défend de la voir.
Il lui faut obéir : sort cruel et barbare !…
Mais dieux !… où m’a conduit le transport qui m’égare ?


(4ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 13, 14, 15, 16.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 13.

TOMBEAU DE M. RENOUARD.[3]


Ce tombeau est au-bout de la nouvelle allée de tilleuls, à gauche en montant près du château, et en descendant ensuite dans la vallée au pied de la colline. Il est en forme de Sépulchre, d’une belle proportion ; des Cyprès l’ombragent. Il est construit en pierres de liais. Voici l’épitaphe qu’on y lit sur l’autre face.

Il rendit l’Étranger tributaire

De son industrie, Et par sa bienfaisance,

Mérita le nom de père de ses ouvriers
.
Il fut enlevé trop tôt à ses Enfants désolés,
Et à son inconsolable Épouse.


Des hommes tel que M. Renouard ne meurent pas tout entier, lorsqu’ils ont cessé d’exister, leur réputation leur survit. L’honneur, la probité qui étaient le principe de toutes leurs actions, toutes les vertus qu’ils ont pratiquées et qu’ils ont léguées à leurs familles, tout le bien qu’ils ont fait, voilà ce qui les rend continuellement présens aux souvenirs des personnes qui ont eu le bonheur de les connaître ; on vit encore avec eux, on se rappelle leurs conseils, on les imite dans leur conduite, ou cherche et on trouve le bonheur, (cette chimère de la vie) dans les actions qui les ont rendus heureux, et, comme eux ont fait le bien, on s’oublie pour être utile aux autres, et c’est ainsi que la société jouit encore bien longtemps après avoir eu le malheur d’être privé, de l’inappréciable avantage d’avoir connu un homme de bien. La famille de M. Renouard donne la preuve de cette vérité. Le même esprit anime tous ceux de cette famille respectable qui vivent encore au milieu de nous. Le frère du défunt, M. Renouard, Maire de Charonne, sa nièce, madame Godard, etc. Ne s’occuppent continuellement qu’à faire le bien.




CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 14.

TOMBEAU DE de Gaétan Apollin Baltazar VESTRIS.


Dans le vallon à gauche en entrant, on voit le tombeau de Vestris. Il consiste en une pierre
horizontale de six pieds de long sur trois de large, formant tombe. Sur cette tombe, on a gravé une couronne d’olivier, et deux torches funèbres. À la tête, s’élève une autre pierre en forme de Cippe, sur laquelle est gravée l’épitaphe.

Sur le sommet de ce Cippe est placé une croix, dernière volonté de Vestris.

Il n’était pas nécessaire de placer sur la tombe de Vestris une Épitaphe qui apprit ce que tout le monde savait que cet homme si célèbre dans son genre était Artiste de l’Académie Impérial de musique. Le nom de Vestris seul suffisait pour rappeller au souvenir de ceux qui l’ont connu qu’il atteignit à la perfection de son art. Le nom de Vestris et cette perfection sont aujourd’hui synonimes. Vestris lui même, était si pénétré de cette vérité qu’il se plaisait souvent à dire qu’il était le Dieu de la danse. Ce mot était si connu, il était, quoiqu’un peu vain, si convenable à celui qui s’était permis de se l’appliquer, que, s’il n’y eut point eu une sorte d’indécence à le graver sur une tombe, c’eût été peut-être la seule épitaphe qui aurait pu conserver de son talent l’idée qu’on doit en avoir. Mais sa famille a préféré avec raison faire connaître à ceux qui auraient pu les ignorer, les vertus, les qualités estimables dont était doué cet artiste célèbre.

Vestris fut bon époux, bon ami, bon parent. Il aima de l’amour le plus vrai et le plus constant l’épouse qu’il s’était choisie. Il ne s’occupa que de son bonheur. Sa perte fut pour lui une source intarissable de regrets. Une autre perte, qui ne lui fut pas moins sensible fut celle d’une sœur sur laquelle reposèrent ses plus chers affections. Privé de ces objets de sa tendresse, il y pensait continuellement ; son attachement pour l’une et pour l’autre alla jusqu’au delà du tombeaux, car il voulut qu’après sa mort son corps fut déposé auprès d’elles. Son épitaphe nous apprend que l’on a rempli religieusement envers lui cette dernière disposition.

Il est présumable que sur la fin de sa vie, retiré du théâtre depuis plusieurs années, revenus de toutes les illusions de ce monde, il chercha des consolations dans la religion, et que cette même religion le rendit heureux dans ses derniers moment.

Ce qui le donne à croire, c’est qu’il exigea que l’on plaçât une croix sur sa tombe. Cette dernière volonté, qu’il manifesta hautement pendant sa maladie, ne fait qu’ajouter encore à cette réputation de probité qu’il s’était acquise, et ne peut que donner une idée avantageuse de la moralité de son fils qui l’a fait scrupuleusement exécuter. Il y a dans les quatre Cimetières de Paris beaucoup de tombes dépouillées de ce signe du Christianisme, quoique les personnes dont les corps y reposent fussent d’une profession qui aurait dû faire présumer en elles plus de sentimens de piété que dans celle qu’exerçait Vestris.




CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 15.

TOMBEAU DE M. ROTALIÉ.


Ce monument a été élevé à gauche, en entrant par la porte du petit Vaugirard ; il est construit en pierre ; la table saillante de six lignes, qui porte l’inscription, est de marbre noir antique, et les lettres sont dorées.

CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 16.

TOMBEAU DE Mlle. JULIE DU VALDOIR.


Ce monument se voit à gauche en entrant près du deuxième Cimetière ; il est construit en pierre, un peu incliné par le pied. Il est orné à ses encoignures, de triglyphes à cannelures circulaires, bronzées.

Cette jeune personne, morte à vingt-deux ans, emporta avec elle dans le tombeau toutes les espérances de bonheur et de consolation que sa famille avait cru devoir fonder sur elle. Malgré qu’elle eût toutes les vertus qui rendent si estimables les personnes de son sexe, toutes les grâces, tous les talens qui commandent l’admiration, rien de si modeste que son épitaphe. On lit sur sa tombe, ce peu de mots :

Ci-gît Julie Duvaldoire,
Morte à 22 ans.

Que de réflexions douloureuses cette épitaphe ne doit-elle pas faire naître dans le cœur de l’homme véritablement sensible ! Ce laconisme, dit beaucoup plus que le verbiage de mille autres, qui souvent n’est qu’une longue série de mensonges. Dans ces longues épitaphes, qui, sous un certain rapport, se ressemblent presque toutes, en donnant toutes les vertus à ceux que l’on regrette, il est naturel d’être en garde contre un pareil éloge et de douter d’une telle perfection. Dans celle-ci, on peut, on doit supposer tout ce que l’on ne dit pas. Les regrets que laisse après elle une jeune fille qui termine sa carrière à l’âge de vingt-deux ans sont assez puissans pour qu’il soit permis de lui supposer toutes les qualités aimables, toutes les vertus dont souvent on gratifie tant d’autres si gratuitement.


Suite de l’Élégie. (Voyez le 3e. morceau, page 24.)


Que vois-je ! c’est ici le séjour du trépas.
Quels gouffres ! quels tombeaux entr’ouverts sous mes pas !
Ah ! fuyons ; de la mort c’est ici la demeure…
Pourquoi fuir ? que plutôt sonne ma dernière heure !
Ce silence profond, ces lugubres oiseaux,
Ces cadavres épars, ces horribles tombeaux !
Tout est ici conforme à ma douleur mortelle,
Tout m’offre le tableau d’une nuit éternelle.
Qui s’avance vers moi ? ce n’est point une erreur :
Tous mes sens sont glacés d’épouvante et d’horreur !
Un jeune homme… écoutons ; d’une voix gémissante,
Il vient ici pleurer la mort de son amante.
« Florella, Florella… mais tu ne m’entends plus :
C’est moi, c’est ton amant, ô regrets superflus :
Dois-je en croire mes yeux ? eh quoi ! sous cette pierre
Mon amante n’est plus, qu’une froide poussière.
Ces traits qui tant de fois séduisirent mon cœur,
Ces yeux où tant de fois j’avais lu mon bonheur,
Que sont-ils devenus ? ô souvenir funeste !
De celle que j’aimais voilà ce qui me reste ;
Ses grâces, ses appas, ses vertus, ses talens,
Tous est enseveli dans le gouffre du temps.
Repose, Florella, repose, infortunée.
Lorsque tu me jurais que bientôt l’hyménée

Allait t’unir au sort de ton fidèle amant,
J’étais loin de prévoir cet affreux changement,
Près de toi je gémis, et tu ne peux m’entendre ;
Et ton corps, à mes yeux, n’offre qu’un peu de cendre,
Ce tombeau que je viens inonder de mes pleurs,
Rappelle à chaque instant mes horribles malheurs.
Florella, c’en est fait… je le sens… je succombe :
Reçois-moi dans tes bras, j’expire sur ta tombe. »
Qui que tu sois, ô toi ! mortel trop malheureux,
Ah ! tu n’es pas le seul qui gémisse en ces lieux.
Tu pleures le trépas d’une amante fidèle ;
Comme toi je succombe à ma douleur mortelle ;
Chaque jour je languis, je déplore mon sort ;
Il ne me reste plus d’autre espoir que la mort…
Viens trop cruelle Aminte, en voyant ma souffrance,
Jouis, elle est le fruit de ton indifférence,
Je t’aime, tu me hais, tu t’éloignes de moi ;
Penses-tu que je puisse exister loin de toi ?
Tu l’ordonnes, barbare ; il faut que je t’oublie ;
Ordonne mon trépas, tu seras obéie…
Oui, j’ai lu dans ton cœur cet arrêt foudroyant ;
C’est toi qui l’as dicté, viens me voir expirant.
C’est trop longtemps souffrir, ma mort est ton ouvrage.
Je vois devant mes yeux se former un nuage.
Dieux ! pour moi du néant les portes vont s’ouvrir :
Daigne d’un malheureux garder le souvenir,
Aminte… je le sens… la force m’abandonne :
J’expire sous tes coups, mais mon cœur te pardonne.

A. Dépierris.

Le cercueil de M. Delille, qui avait été provisoirement déposé en terre dans le cimetière de Mont-Louis (dit le Père la Chaise) a été transporté dans le tombeau que l’épouse de ce grand poëte lui a fait élever. Cette cérémonie avait attiré un certain nombre d’hommes de lettres, d’artistes et d’amis de l’illustre défunt.

Au même instant où le corps entrait dans l’asile sacré qu’il ne doit plus quitter, M. Tissot, successeur de M. Delille à la chaire de poésie du Collège de France, prononça quelques paroles simples et touchantes ; elles furent suivies de quelques vers remplies d’âme, lus et composés par madame Germard de Courchamps, amie de M. Delille depuis plus de quarante années.

La cérémonie a été terminée par a lecture d’un dithyrambe, dont l’auteur est M. Ledieu, jeune homme que M. Delille encourageait par ses conseils, et honorait d’une affection particulière. On a remarqué de très-belles pensées et de fort beaux vers dans ce dithyrambe.




DISCOURS


Prononcé par M. Tissot au moment où le corps de M. Delille a été déposé dans le tombeau qui lui avait été préparé.

Nous donnerons ce discours dans un numéro prochain.


(5ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 17, 18, 19, 20.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 17.

CÉNOTAPHE DE GUILLAUME LAGRANGE.


Ce Cénotaphe est placé à l’entrée de la contre allée de celle des tilleuls, dite de Vincennes. Il a la forme d’une borne tumulaire antique. Il est construit en pierre de liais et est entouré d’une balustrade en fer. Pour y arriver, il faut, à la sortie du carrefour de l’étoile, traverser la route tournante et gravir le sentier qui serpente le penchant de la colline. On arrive alors à la route, au bout de laquelle il est érigé. M. GODDE, architecte dudit cimetière, est l’artiste qui a construit ce monument.

Ce Cénotaphe[4] est chargé d’inscriptions, qui, toutes, donnent la preuve de la douleur la plus exaltée.

Un jeune homme, fils unique de la plus tendre des mères, emporté par la fougue de l’âge, l’amour de la gloire et le désir de s’illustrer dans la carrière des armes, ou ses ayeux s’étaient rendus recommandable, ne réfléchissant point assez qu’il était la seule consolation d’une mère qui ne vivait que pour lui ; quitte cette mère inconsolable de cette séparation, et vole audacieusement au-devant des dangers.

Il se signale à Austerlitz, à Iena, à Erfurt, à Spandau ; partout, son audace, son courage sont couronnés par le succès ; mais il trouve la mort dans les affreux déserts de la Pologne, au combat du 4 février 1807.

Sa mère, dans son désespoir, en apprenant qu’elle a perdu dans ce fils chéri tout ce qui l’attachait au monde, privée même de la douloureuse consolation de pouvoir répandre des larmes sur ses tristes restes, pour trouver quelques soulagemens dans sa déplorable situation, a fait élever ce Cénotaphe à la mémoire de ce fils, l’objet de toutes ses pensées, de sa pieuse et si légitime mélancolie.

Ce monument qui est le seul de ce genre, dans le Cimetière de Mont-Louis, fait nombre parmi ceux qui, dans ce Cimetière fixent les regards de l’homme sensible, de l’homme honnête et bon, qui au milieu de ces tombeaux, cherche ces douces émotions qui consolent, qui lui rappelle quelques-unes de ces vertus précieuses qui ne sont point aussi généralement répandues au milieu de nous qu’elles devraient l’être, je veux dire, l’amour maternel, la piété filiale, la fidélité conjugale, la reconnaissance, etc. etc,

Sur la face opposée du monument, se lit cette Inscription.

N. B. La douleur est un peu prolixe. Mais il faut le pardonner à une mère inconsolable, qui ne croit jamais en dire assez lorsqu’elle fait l’éloge du fils qu’elle regrette. Cette faiblesse est dans la nature.


Monument élevé à la gloire du plus tendre des fils et des amis.


Antoine C. M. de Guillaume LAGRANGE, fils unique, âgé de 25 ans et demi, sous-officier au 16e régiment de dragons, mort en héros, sur le champ de bataille, victime de son courage, de sa bravoure, regretté de ses chefs, de ses amis, de ses camarades et généralement de tous ceux qui le connaissaient.

Il était le rejetton de la plus ancienne noblesse de Limoge. Ses ancêtres ont servi avec distinction et ont occupé des places honorables.


Après avoir signalé sa valeur à Austerlitz, à Iena, à Erfurt, à Spandau, etc. Il trouva la mort dans les affreux déserts de la Pologne, au combat du 4 février 1807.

Ce fut à l’entrée d’un village ; dans un passage dangereux ; on demanda : Qui veut passer le premier ? C’est moi, s’écrie-t-il. Aussitôt il s’élance… A l’instant une balle lui perce le cœur !!!

Ses dernières paroles sur le champ de bataille, furent[5] : Ma mère ! ma pauvre mère !!

O mon cher et bien aimé fils, mon meilleur ami ! Tout ce que j’avais de plus précieux au monde !

C’est ta bravoure, ton grand dévouement à la patrie, qui me prive de te revoir, seul bonheur que nous désirions.

O toi, si bon, si aimant, si sensible, jamais je ne te pleurerai assez, ni autant que tu le méritais.

Toi, qui possédais toutes les qualités de l’âme et du cœur.

Reçois l’hommage de ta malheureuse et inconsolable mère. La mort seule, peut mettre un terme à sa douleur.

Êtres bons et sensibles, plaignez son sort. Il méritait bien de vivre, d’être réuni à sa tendre mère. Il ne demandait à Dieu pour récompense de tant de peines et de fatigues, que de la revoir, de la serrer encore une fois contre son cœur, avant que de finir l’un et l’autre leur carrière.




CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 18.

TOMBEAU DE Mad. MATHON.


On le trouve à gauche en entrant, sur le sommet de la colline. Il est construit en pierre de liais, et il

représente un piédestal carré.

Sur la face de droite est un flambeau renversé, entouré d’une couronne de myrthe.

Sur la face de gauche est un lacrymatoire[6], au milieu d’une couronne d’olivier. Derrière est représenté un arbre mort.

Les différentes allégories dont il est orné parlent plus au cœur et donnent beaucoup plus à penser que tous les éloges qu’on aurait pu faire de la défunte, dans une longue épitaphe.




CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 19.

TOMBEAU DE Mlle. Amélie PAYRE.


Ce tombeau qui est à gauche en entrant, non loin de la porte du Petit Vaugirard, est exécuté en pierre de liais. Le timpan du couronnement est orné d’un petit bas reliefs en forme de calote, dont l’idée est assez ingénieuse. La jeune fille, dont le corps est déposé sous ce monument, décédée, âgée de trois ans, y est représentée sous l’emblême d’un bouton de rose, à la tige duquel ne sont encore poussées que trois feuilles. Un ver, ronge, flétrit et fait périr ce bouton de rose.




CIMETIÈRE DE SAINTE-CATHERINE.

Planche 20.

TOMBE HORIZONTALE DE M. BRUNET et de sa FILLE.


Ce monument se voit à gauche en entrant. Il est formé d’une pierre inclinée. On y a incrusté une table en marbre noir, sur laquelle est gravée une épitaphe en lettres d’or.


SUITE DU DISCOURS.


Prononcé par M…, sur la tombe de Jacques DELILLE. (Voyez la 1 2 3 4me. Livraison.)


« Ombre chère et sacrée, nous avions confié un moment tes dépouilles mortelles à la mère commune : nous venons aujourd’hui les déposer dans la tombe que leur a préparée
la piété d’une épouse. Cette tombe est modeste et conforme à tes vœux[7] ; mais notre encens et les hommages de la postérité en feront un autel. Malgré deux mille ans et les barbares, le laurier qui survit au mausolée de Virgile reçoit encore le culte d’une admiration passionnée. Virgile ! Combien les destinées de ce grand poëte ont de ressemblance avec les tiennes ! Tous deux vous avez été instruits à l’école du malheur, toi dès l’enfance et lui dans la jeunesse ; tous deux vous avez chanté au milieu des guerres civiles ; tous deux vous avez essayé d’amollir, par de douces et innocentes peintures, les passions les plus féroces ; tous deux vous avez rendu sœurs la noble poésie et l’austère phylosophie ; tous deux vous avez surpassé Lucrèce dans l’art de prêter le charme du langage des dieux à la raison et à la vérité, tous deux vous comptez des amis et des contemporains illustres ; tous deux vous avez joui vivans de votre renommée ; tous deux vous avez recueilli les témoignages unanimes de l’admiration publique ; tous deux vous avez parcouru les mers qui conduisent à Troie, reconnu la patrie d’Homère, et foulé le sol d’Athènes. Il est vrai que

tu n’as pu interroger que les ruines de cette ville superbe ; tandis que Virgile a vu debout encore ; et le temple de Minerve et le Jupiter de Phidias, et les statues des grands hommes dans le Céramique, et la tribune où tonnait Démosthènes. Mais ce spectacle, si beau pour les yeux et pour l’ame d’un poëte, est le seul avantage que la destinée ait accordé sur toi au chantre divin de la malheureuse Didon. Virgile mourut jeune encore : il mourut avec la douleur de laisser imparfait l’impérissable monument de sa gloire ; et pour comble d’infortune, privé des mains d’un ami qui lui fermât les yeux, il succomba à une maladie cruelle, et fut réduit à prononcer sur lui-même, en jetant ses derniers regards vers la terre natale, ce trait si touchant de son Énéide :

Et dulces moriens reminiscitur argos.

» Et ces honneurs suprêmes qu’il avait décrits tant de fois avec un charme inexprimable, on ignore s’ils ont été dignement rendus à son ombre. Ces pleurs de la patrie en deuil qu’il avait espéré sans doute, l’infortuné ne les a point obtenues sur son tombeau. Combien le Ciel fut plus indulgent pour toi, ô mon illustre maître ! Rien de plus brillant, de plus heureux que ta jeunesse et ton âge mûr. Les monumens de ta gloire ont excité sous tes propres yeux un enthousiasme général. Tu as eu le tems de donner à tes ouvrages, dans un examen sévère et réfléchi, le sceau de la maturité. Ta vieillesse troublée, il est vrai, par des orages, a enfanté des chefs-d’œuvres, que tu dois, peut-être à l’adversité. Tu as vu toutes les classes de la société, et sur-tout les générations naissantes, espoir de l’État, t’environner d’applaudissemens, de respect et d’amour. Jusques à la fin de ta carrière, tu as conservé la chaleur de ton ame, la force de ton talent, la fraicheur et la vivacité de ta brillante imagination. Deux jours avant ta mort, les beaux vers coulaient encore de ta veine, comme des inspirations

de la jeunesse.


(6ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 21, 22, 23, 24.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 21.

TOMBEAU de la Famille FIEFFÉ.


Ce tombeau construit en pierre de liais, forme un Sarcophage, d’une belle proportion dans sa simplicité, sous lequel est un caveau.

Il n’a d’autres ornemens que deux lacrymatoires de chaque côté de l’inscription.

À l’une des extrémités, au couchant, est l’entrée du caveau destiné à la famille. Sur la porte en pierre, de ce tombeau, est gravée cette inscription : Sépulture de la famille FIEFFÉ. Cette porte est fermée par un cadenas. On y voit suspendues une couronne d’immortelles en fleurs naturelles, ainsi qu’une autre à l’orillon.

Ce tombeau est situé au milieu d’une belle allée de tilleuls, laquelle a ses contre allées revêtues de charmille et dont une de ses extrémités reprend la vue sur une vaste campagne. On appelle cette allée, l’allée de Vincennes, parce qu’on y découvre les donjons de ce château fort.

Ce monument est entouré d’une balustrade en fer de neuf pieds de long, sur six pieds et demie de large, à chaque angle de laquelle on a planté un Cyprès.[8]

Devant l’entrée du caveau, est un banc en pierre de huit pieds et demie de long. On voit souvent sur cette pierre les parens de M. et Mad. FIEFFÉ, se livrer à leur pieuse douleur et à cette idée consolante, qu’un jour viendra leurs cendres seront confondues avec les leurs.

Le chemin le plus direct pour arriver à cette sépulture est de prendre en entrant dans le cimetière, l’allée tournante à droite, traverser le carrefour de l’Étoile et le petit sentier pratiqué diagonalement sur le penchant de la colline. Arrivé là, le tombeau est alors tout près de vous, sur la droite.

Le pourtour de ce tombeau excepté le côté de l’entrée est orné d’une caisse en fleurs que je n’ai pu placer dans la gravure, parce qu’elle aurait caché l’épitaphe de M. et Mad. FIEFFÉ. Cette caisse depuis le commencement du printems jusqu’à la fin de l’automne est couverte de fleurs, suivant les saisons.

Tout le monde a connu M. FIEFFÉ. Les fonctions honorables de Notaire, de Maire, de Législateur, qu’il remplit successivement, le mirent en rapport avec la grande majorité des habitans de cette Capitale. Je ne dirai pas que personne n’eût à se plaindre de lui ; tous eurent à se féliciter de s’être adressé à cet homme estimable, dans les différentes affaires qui ressortissaient de son pouvoir. Comme Notaire, la probité, l’honneur, la sagesse le dirigèrent constamment dans toutes ses démarches. Comme Maire, sa justice, sa bonté, son désir d’être utile à tous, le firent aimer de tous ses administrés. Comme Législateur, jamais l’intrigue, la basse adulation ne le déterminèrent à agir contre sa conscience. Comme une famille est heureuse de pouvoir citer un tel homme pour lui avoir appartenu !!


CIMETIÈRE DE MONT-MARTRE

Planche 22.

TOMBEAU DE Mad. BONTEMS, de Saint-Cernin.


Ce monument pyramidal, est construit en pierre de liais ; les tables saillantes d’inscriptions, sur toutes les faces ; sont en marbre noir. Il est placé dans le vallon à gauche en entrant. Il est composé d’un piedestal sur lequel est posé une pyramide, laquelle est surmontée d’un globe doré, portant une croix et des armoiries, d’autres armoiries se voyent aussi sur la pyramide et le piedestal.

Le dessein de ce monument et les inscriptions sont de M. BONTEMS, de Saint-Cernin.


TRADUCTION.


Elle surpassa par ses vertus, les femmes les plus recommandables sous le rapport de leur conduite. Sous celui des agrémens de la figure, aucunes ne purent lui être comparées ; depuis sa naissance jusqu’au milieu de sa carrière les honneurs l’environnèrent, elle vient au sein de l’opulence, elle fut la gloire de son époux, les délices de ses enfans, l’objet constant de l’amour de ses parens, de sa famille, de tous ceux qui eurent le bonheur de la connaitre.

Hélas ! combien la félicité de ce monde est de courte durée ! Cette révolution subite qui bouleversait la France, en détruisant cet état de bonheur dans lequel elle vivait, et en la livrant à une longue suite d’infortunes la conduisit au tombeau bien avant l’âge elle aurait dû y descendre.

  1. Les premières Livraisons de cet ouvrage ont paru dans le commencement de 1814
  2. C’est ainsi que se termine la dernière strophe du dithyrambe de M. Delille sur l’immortalité de l’ame.
  3. Nota. L’échelle, qui est sur le bord de la gravure n’est faite que pour l’élévation géométrale et non pas pour l’élévation latérale qui n’est qu’une fausse perspective pour faire voir la disposition du couronnement et les ornemens qui pourraient être faits sur les dites faces.
  4. Cénotaphe vient du mot grec Kenotaphion, qui signifie un tombeau vide.
  5. Combien de malheureux jeunes gens, ont fait entendre le même cri d’adieu à leur mère ; en expirant ! sur le champ de bataille.
  6. Un lacrymatoire chez les anciens, était un vase qu’on plaçait sur les tombeaux, pour recevoir les larmes qu’on pouvait répandre sur la perte de la personne que l’on avait à regretter.
  7. On lit les vers suivans dans une épitre de DELILLE, à son épouse.

    Écoute-donc, avant de me fermer les yeux,
    Ma dernière prière et mes derniers adieux.
    Je te l’ai dit ; au bout de cette courte vie,
    Ma plus chère espérance et ma plus douce envie.
    C’est de dormir au bord d’un clair ruisseau,
    À l’ombre d’un vieux chêne ou d’un jeune arbrisseau :
    Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte,
    Que la religion y répande l’eau sainte,
    Et que de notre foi le signe glorieux,
    s’immola pour nous le rédempteur du monde,
    M’assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,
    De mon réveil victorieux

    Cette belle épitre est en tête du Poëme de l’Imagination. Et sera imprimé dans une des livraisons prochaines.

  8. On a attaché injustement une idée funèbre au Cyprès, par la raison que les anciens en plantaient autour des tombeaux des personnes riches, comme on le voit par un vers de Lucain, l. 3. v. 442.

    Et non plebeios luctus testata Cupressus.

    Ce qui signifie : Et le Cyprès ne sen point à marquer le deuil du Plébeïn.

    Mais il faut observer qu’on ne plaçait des Cyprès autour des tombeaux, que parce qu’ils faisaient une décoration. Les Romains employaient aussi cette arbre pour l’agrément. Petrone parle d’une plantation de Cyprès, dans un lieu de délices ; et Pline en avait orné sa campagne. Epist. 8.