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==NOTES==
===Note 1===
Hérodote raconte qu’après le meurtre du faux Smerdis, les sept libérateurs de la Perse s’étant assemblés pour délibérer sur la forme de gouvernement qu’ils donneraient à
===Note 2===
Dès mon premier pas je m’appuie avec confiance sur une de ces autorités respectables pour les philosophes, parce qu’elles viennent d’une raison solide et sublime qu’eux seuls savent trouver et sentir.
« Quelque intérêt que nous ayons à nous connaître nous-mêmes, je ne sais si nous ne connaissons pas mieux tout ce qui n’est pas nous. Pourvus par la nature d’organes uniquement destinés à notre conservation, nous ne les employons qu’à recevoir les impressions étrangères, nous ne cherchons qu’à nous répandre au-dehors, et à exister hors de nous ; trop occupés à multiplier les fonctions de nos sens et à augmenter l’étendue extérieure de notre être, rarement faisons-nous usage de ce sens intérieur qui nous réduit à nos vraies dimensions et qui sépare de nous tout ce qui n’en est pas. C’est cependant de ce sens dont il faut nous servir, si nous voulons nous connaître ; c’est le seul par lequel nous puissions nous juger. Mais comment donner à ce sens son activité et toute son étendue ? Comment dégager notre âme, dans laquelle il réside, de toutes les illusions de notre esprit ? Nous avons perdu l’habitude de l’employer, elle est demeurée sans exercice au milieu du tumulte de nos sensations corporelles, elle s’est desséchée par le feu de nos passions ; le
Hist. Nat. T4, p. 151, De la Nat. de l’homme.
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===Note 5===
Parmi les quadrupèdes, les deux distinctions les plus universelles des espèces voraces se tirent, l’une de la figure des dents, et l’autre de la conformation des intestins. Les animaux qui ne vivent que de végétaux ont tous les dents plates, comme le cheval, le
===Note 6===
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« Les Hottentots, dit encore le même auteur, sont d’une adresse surprenante à la chasse, et la légèreté de leur course passe l’imagination. » Il s’étonne qu’ils ne fassent pas plus souvent un mauvais usage de leur agilité, ce qui leur arrive pourtant quelquefois, comme on peut juger par l’exemple qu’il en donne : « Un matelot hollandais en débarquant au Cap chargea, dit-il, un Hottentot de le suivre à la ville avec un rouleau de tabac d’environ vingt livres. Lorsqu’ils furent tous deux à quelque distance de la troupe, le Hottentot demanda au matelot s’il savait courir. Courir ! répond le Hollandais, oui, fort bien. Voyons, reprit l’Africain, et fuyant avec le tabac il disparut presque aussitôt. Le matelot confondu de cette merveilleuse vitesse ne pensa point à le poursuivre et ne revit jamais ni son tabac ni son porteur.
Ils ont la vue si prompte et la main si certaine que les Européens n’en approchent point.
Le P. du Tertre dit à peu près sur les sauvages des Antilles les mêmes choses qu’on vient de lire sur les Hottentots du cap de Bonne-Espérance. Il vante surtout leur justesse à tirer avec leurs flèches les oiseaux au vol et les poissons à la nage, qu’ils prennent ensuite en plongeant. Les sauvages de l’Amérique septentrionale ne sont pas moins célèbres par leur force et leur adresse, et voici un exemple qui pourra faire juger de celles des Indiens de l’Amérique méridionale.
En l’année 1746, un Indien de Buenos Aires, ayant été condamné aux galères à Cadix, proposa au gouverneur de racheter sa liberté en exposant sa vie dans une fête publique. Il promit qu’il attaquerait seul le plus furieux taureau sans autre arme en main qu’une corde, qu’il le terrasserait, qu’il le saisirait avec sa corde par telle partie qu’on indiquerait, qu’il le sellerait, le briderait, le monterait, et combattrait, ainsi monté, deux autres taureaux des plus furieux qu’on ferait sortir du torillo et qu’il les mettrait tous à mort l’un après l’autre, dans l’instant qu’on le lui commanderait et sans le secours de personne ; ce qui lui fut accordé. L’Indien tint parole et réussit dans tout ce qu’il avait promis ; sur la manière dont il s’y prit et sur tout le détail du combat, on peut consulter le premier tome in-12 des Observations sur l’Histoire naturelle de M. Gautier, d’où ce fait est tiré, page 262.
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===Note 8===
Je crois voir entre les animaux carnassiers et les frugivores une autre différence encore plus générale que celle que j’ai remarquée dans la note de la page 163 puisque celle-ci s’étend jusqu’aux oiseaux. Cette différence consiste dans le nombre des petits, qui n’excède jamais deux à chaque portée, pour les espèces qui ne vivent que de végétaux et qui va ordinairement au-delà de ce nombre pour les animaux voraces. Il est aisé de connaître à cet égard la destination de la nature par le nombre des mamelles, qui n’est que de deux dans chaque femelle de la première espèce, comme la jument, la vache, la chèvre, la biche, la brebis, etc., et qui est toujours de six ou de huit dans les autres femelles comme la chienne, la chatte, la louve, la tigresse, etc. La poule, l’oie, la cane, qui sont toutes des oiseaux voraces ainsi que l’aigle, l’épervier, la chouette, pondent aussi et couvent un grand nombre
===Note 9===
Un auteur célèbre, calculant les biens et les maux de la vie humaine et comparant les deux sommes, a trouvé que la dernière surpassait l’autre de beaucoup et qu’à tout prendre la vie était pour l’homme un assez mauvais présent. Je ne suis point surpris de sa conclusion ; il a tiré tous ses raisonnements de la constitution de l’homme civil : s’il fût remonté jusqu’à l’homme naturel, on peut juger qu’il eût trouvé des résultats très différents, qu’il eût aperçu que l’homme n’a guère de maux que ceux qu’il s’est donnés lui-même et que la nature eût été justifiée. Ce n’est pas sans peine que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux. Quand d’un coté l’on considère les immenses travaux des hommes, tant de sciences approfondies, tant d’arts inventés, tant de forces employées, des abîmes comblés, des montagnes rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer couverte de vaisseaux et de matelots, et que de l’autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l’espèce humaine, on ne peut qu’être frappé de l’étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l’aveuglement de l’homme qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les misères dont il est susceptible, et que la bienfaisante nature avait pris soin d’écarter de lui.
Les hommes sont méchants ; une triste et continuelle expérience dispense de la preuve ; cependant l’homme est naturellement bon, je crois l’avoir démontré ; qu’est-ce donc qui peut l’avoir dépravé à ce point sinon les changements survenus dans sa constitution, les progrès qu’il a faits et les connaissances qu’il a acquises ? Qu’on admire tant qu’on voudra la société humaine, il n’en sera pas moins vrai qu’elle porte nécessairement les hommes à s’entre-haïr à proportion que leurs intérêts se croisent, à se rendre mutuellement des services apparents et à se faire en effet tous les maux imaginables. Que peut-on penser d’un commerce où la raison de chaque particulier lui dicte des maximes directement contraires à celles que la raison publique prêche au corps de la société et où chacun trouve son compte dans le malheur d’autrui ? Il n’y a peut-être pas un homme aisé à qui des héritiers avides et souvent ses propres enfants ne souhaitent la mort en secret, pas un vaisseau en mer dont le naufrage ne fût une bonne nouvelle pour quelque négociant, pas une maison qu’un débiteur ne voulût voir brûler avec tous les papiers qu’elle contient ; pas un peuple qui ne se réjouisse des désastres de ses voisins. C’est ainsi que nous trouvons notre avantage dans le préjudice de nos semblables, et que la perte de l’un fait presque toujours la prospérité de l’autre, mais ce qu’il y de plus dangereux encore, c’est que les calamités publiques sont l’attente et l’espoir d’une multitude de particuliers. Les uns veulent des maladies, d’autres la moralité, d’autres la guerre, d’autres la famine ; j’ai vu des hommes affreux pleurer de douleur aux apparences d’une année fertile, et le grand et funeste incendie de Londres, qui coûta la vie ou les biens à tant de malheureux, fit peut-être la fortune à plus de dix mille personnes. Je sais que Montaigne blâme l’Athénien Démades d’avoir fait punir un ouvrier qui vendant fort cher des cercueils gagnait beaucoup à la mort des citoyens, mais la raison que Montaigne allègue étant qu’il faudrait punir tout le monde, il est évident qu’elle confirme les miennes. Qu’on pénètre donc au travers de nos frivoles démonstrations de bienveillance ce qui se passe au fond des
L’homme sauvage, quand il a dîné, est en paix avec toute la nature, et l’ami de tous ses semblables. S’agit-il quelquefois de disputer son repas ? Il n’en vient jamais aux coups sans avoir auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs sa subsistance et comme l’orgueil ne se mêle pas du combat, il se termine par quelques coups de poing. Le vainqueur mange, le vaincu va chercher fortune, et tout est pacifié, mais chez l’homme en société, ce sont bien d’autres affaires ; il s’agit premièrement de pourvoir au nécessaire, et puis au superflu ; ensuite viennent les délices, et puis les immenses richesses, et puis des sujets, et puis des esclaves ; il n’a pas un moment de relâche ; ce qu’il y a de plus singulier, c’est que moins les besoins sont naturels et pressants, plus les passions augmentent, et, qui pis est, le pouvoir de les satisfaire ; de sorte qu’après de longues prospérités, après avoir englouti bien des trésors et désolé bien des hommes, mon héros finira par tout égorger jusqu’à ce qu’il soit l’unique maître de l’univers. Tel est en abrégé le tableau moral, sinon de la vie humaine, au moins des prétentions secrètes du
Comparez sans préjugés l’état de l’homme civil avec celui de l’homme sauvage et recherchez, si vous le pouvez, combien, outre sa méchanceté, ses besoins et ses misères, le premier a ouvert de nouvelles portes à la douleur à la mort. Si vous considérez les peines d’esprit qui nous consument, les passions violentes qui nous épuisent et nous désolent, les travaux excessifs dont les pauvres sont surchargés, la mollesse encore plus dangereuse à laquelle les riches s’abandonnent, et qui font mourir les uns de leurs besoins et les autres de leurs excès, si vous songez aux monstrueux mélanges des aliments, à leurs pernicieux assaisonnements, aux denrées corrompues, aux drogues falsifiées, aux friponneries de ceux qui les vendent, aux erreurs de ceux qui les administrent, au poison des vaisseaux dans lesquels on les prépare, si vous faites attention aux maladies épidémiques engendrées par le mauvais air parmi des multitudes d’hommes rassemblés, à celles qu’occasionnent la délicatesse de notre manière de vivre, les passages alternatifs de l’intérieur de nos maisons au grand air, l’usage des habillements pris ou quittés avec trop peu de précaution, et tous les soins que notre sensualité excessive a tournés en habitudes nécessaires et dont la négligence ou la privation nous coûte ensuite la vie ou la santé, si vous mettez en ligne de compte les incendies et les tremblements de terre qui, consumant ou renversant des villes entières, en font périr les habitants par milliers, en un mot, si vous réunissez les dangers que toutes ces causes assemblent continuellement sur nos têtes, vous sentirez combien la nature nous fait payer cher le mépris que nous avons fait de ses leçons.
Je ne répéterai point ici sur la guerre ce que j’en ai dit ailleurs ; mais je voudrais que les gens instruits voulussent ou osassent donner une fois au public le détail des horreurs qui se commettent dans les armées par les entrepreneurs des vivres et des hôpitaux, on verrait que leurs
Qu’on ajoute à tout cela cette quantité de métiers malsains qui abrègent les jours ou détruisent le tempérament ; tels que sont les travaux des mines, les diverses préparations des métaux, des minéraux, surtout du plomb, du cuivre, du mercure, du cobalt, de l’arsenic, du réalgar ; ces autres métiers périlleux qui coûtent tous les jours la vie à quantité d’ouvriers, les uns couvreurs, d’autres charpentiers, d’autres maçons, d’autres travaillant aux carrières ; qu’on réunisse, dis-je, tous ces objets, et l’on pourra voir dans l’établissement et la perfection des sociétés les raisons de la diminution de l’espèce, observée par plus d’un philosophe.
Le luxe, impossible à prévenir chez des hommes avides de leurs propres commodités et de la considération des autres, achève bientôt le mal que les sociétés ont commencé, et sous prétexte de faire vivre les pauvres qu’il n’eût pas fallu faire, il appauvrit tout le reste et dépeuple
Le luxe est un remède beaucoup pire que le mal qu’il prétend guérir ; ou plutôt, il est lui-même le pire de tous les maux, dans quelque
De la société et du luxe qu’elle engendre, naissent les arts libéraux et mécaniques, le commerce, les lettres ; et toutes ces inutilités, qui font fleurir l’industrie, enrichissent et perdent les
Telles sont les causes sensibles de toutes les misères où l’opulence précipite enfin les nations les plus admirées.
Qu’on daigne nous expliquer une fois ce qui avait pu produire ces nuées de barbares qui durant tant de siècles ont inondé l’Europe, l’Asie et l’Afrique ?
Quoi donc ? Faut-il détruire les sociétés, anéantir le tien et le mien, et retourner vivre dans les forêts avec les ours ? Conséquence à la manière de mes adversaires, que j’aime autant prévenir que de leur laisser la honte de la tirer. O vous, à qui la voix céleste ne s’est point fait entendre et qui ne reconnaissez pour votre espèce d’autre destination que d’achever en paix cette courte vie, vous qui pouvez laisser au milieu des villes vos funestes acquisitions, vos esprits inquiets, vos
===Note 10===
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Ils marchent quelquefois en troupes et tuent les Nègres qui traversent les forêts. Ils tombent même sur les éléphants qui viennent paître dans les lieux qu’ils habitent et les incommodent si fort à coups de poing ou de bâton qu’ils les forcent à prendre la fuite en poussant des cris. On ne prend jamais de pongos en vie ; parce qu’ils sont si robustes que dix hommes ne suffiraient pas pour les arrêter. Mais les Nègres en prennent quantité de jeunes après avoir tué la mère, au corps de laquelle le petit s’attache fortement : lorsqu’un de ces animaux meurt, les autres couvrent son corps d’un amas de branches ou de feuillages. Purchass ajoute que dans les conversations qu’il avait eues avec Battel, il avait appris de lui-même qu’un pongo lui enleva un petit Nègre qui passa un mois entier dans la société de ces animaux ; car ils ne font aucun mal aux hommes qu’ils surprennent, du moins lorsque ceux-ci ne les regardent point, comme le petit Nègre l’avait observé. Battel n’a point décrit la seconde espèce de monstre.
Dapper confirme que le royaume de Congo est plein de ces animaux qui portent aux Indes le nom d’orang-outang, c’est-à-dire habitants des bois, et que les Africains nomment Quojas-Morros. Cette bête, dit-il, est si semblable à l’homme qu’il est tombé dans l’esprit à quelques voyageurs qu’elle pouvait être sortie d’une femme et d’un singe : chimère que les Nègres mêmes rejettent. Un de ces animaux fut transporté de Congo en Hollande et présenté au prince d’Orange Frédéric-Henri. Il était de la hauteur d’un enfant de trois ans et d’un embonpoint médiocre, mais carré et bien proportionné, fort agile et fort vif ; les jambes charnues et robustes, tout le devant du corps nu, mais le derrière couvert de poils noirs.
Il est encore parlé de ces espèces d’animaux anthropoformes dans le troisième tome de la même Histoire des voyages sous le nom de Beggos et de Mandrills ; mais pour nous en tenir aux relations précédentes on trouve dans la description de ces prétendus monstres des conformités frappantes avec l’espèce humaine, et des différences moindres que celles qu’on pourrait assigner d’homme à homme. On ne voit point dans ces passages les raisons sur lesquelles les auteurs se fondent pour refuser aux animaux en question le nom d’hommes sauvages, mais il est aisé de conjecturer que c’est à cause de leur stupidité, et aussi parce qu’ils ne parlaient pas ; raisons faibles pour ceux qui savent que quoique l’organe de la parole soit naturel à l’homme, la parole elle-même ne lui est pourtant pas naturelle, et qui connaissent jusqu’à quel point sa perfectibilité peut avoir élevé l’homme civil au-dessus de son état originel. Le petit nombre de lignes que contiennent ces descriptions nous peut faire juger combien ces animaux ont été mal observés et avec quels préjugés ils ont été vus. Par exemple, ils sont qualifiés de monstres, et cependant on convient qu’ils engendrent. Dans un endroit Battel dit que les pongos tuent les Nègres qui traversent les forêts, dans un autre Purchass ajoute qu’ils ne leur font aucun mal, même quand ils les surprennent ; du moins lorsque les Nègres ne s’attachent pas à les regarder. Les pongos s’assemblent autour des feux allumés par les Nègres, quand ceux-ci se retirent, et se retirent à leur tour quand le feu est éteint ; voilà le fait, voici maintenant le commentaire de l’observateur : Car avec beaucoup d’adresse, ils n’ont pas assez de sens pour l’entretenir en y apportant du bois. Je voudrais deviner comment Battel ou Purchass son compilateur a pu savoir que la retraite des pongos était un effet de leur bêtise plutôt que de leur volonté. Dans un climat tel que Loango, le feu n’est pas une chose fort nécessaire aux animaux, et si les Nègres en allument, c’est moins contre le froid que pour effrayer les bêtes féroces ; il est donc très simple qu’après avoir été quelque temps réjouis par la flamme ou s’être bien réchauffés, les pongos s’ennuient de rester toujours à la même place et s’en aillent à leur pâture, qui demande plus de temps que s’ils mangeaient de la chair. D’ailleurs, on sait que la plupart des animaux, sans en excepter l’homme, sont naturellement paresseux, et qu’ils se refusent à toutes sortes de soins qui ne sont pas d’une absolue nécessité. Enfin il paraît fort étrange que les pongos dont on vante l’adresse et la force, les pongos qui savent enterrer leurs morts et se faire des toits de branchages, ne sachent pas pousser des tisons dans le feu. Je me souviens d’avoir vu un singe faire cette même
Les jugements précipités, et qui ne sont point le fruit d’une raison éclairée, sont sujets à donner dans l’excès. Nos voyageurs font sans façon des bêtes sous les noms de Pongos, de Mandrills, d’Orang-Outang, de ces mêmes êtres dont sous le nom de Satyres, de Faunes, de Sylvains, les Anciens faisaient des divinités. Peut-être après des recherches plus exactes trouvera-t-on que ce sont des hommes. En attendant, il me paraît qu’il y a bien autant de raison de s’en rapporter là-dessus à Merolla, religieux lettré, témoin oculaire, et qui avec toute sa naïveté ne laissait pas d’être homme d’esprit, qu’au marchand Battel, à Dapper, à Purchass, et aux autres compilateurs.
Quel jugement pense-t-on qu’eussent porté de pareils observateurs sur l’enfant trouvé en 1694 dont j’ai déjà parlé ci-devant, qui ne donnait aucune marque de raison, marchait sur ses pieds et sur ses mains, n’avait aucun langage et formait des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux d’un homme ? Il fut longtemps, continue le même philosophe qui me fournit ce fait, avant de pouvoir proférer quelques paroles, encore le fit-il d’une manière barbare. Aussitôt qu’il put parler, on l’interrogea sur son premier état, mais il ne s’en souvint non plus que nous nous souvenons de ce qui nous est arrivé au berceau. Si malheureusement pour lui cet enfant fût tombé dans les mains de nos voyageurs, on ne peut douter qu’après avoir remarqué son silence et sa stupidité, ils n’eussent pris le parti de le renvoyer dans les bois ou de l’enfermer dans une ménagerie ; après quoi ils en auraient savamment parlé dans de belles relations, comme d’une bête fort curieuse qui ressemblait assez à l’homme.
Depuis trois ou quatre cents ans que les habitants de l’Europe inondent les autres parties du monde et publient sans cesse de nouveaux recueils de voyages et de relations, je suis persuadé que nous ne connaissons d’hommes que les seuls Européens ; encore paraît-il aux préjugés ridicules qui ne sont pas éteints, même parmi les gens de lettres, que chacun ne fait guère sous le nom pompeux d’étude de l’homme que celle des hommes de son pays. Les particuliers ont beau aller et venir, il semble que la philosophie ne voyage point, aussi celle de chaque peuple est-elle peu propre pour un autre. La cause de ceci est manifeste, au moins pour les contrées éloignées : il n’y a guère que quatre sortes d’hommes qui fassent des voyages de long cours ; les marins, les marchands, les soldats et les missionnaires. Or, on ne doit guère s’attendre que les trois premières classes fournissent de bons observateurs et quant à ceux de la quatrième, occupés de la vocation sublime qui les appelle, quand ils ne seraient pas sujets à des préjugés d’état comme tous les autres, on doit croire qu’ils ne se livreraient pas volontiers à des recherches qui paraissent de pure curiosité et qui les détourneraient des travaux plus importants auxquels ils se destinent. D’ailleurs, pour prêcher utilement
Ne verra-t-on jamais renaître ces temps heureux où les peuples ne se mêlaient point de philosopher, mais où les Platon, les Thalès et les Pythagore épris d’un ardent désir de savoir, entreprenaient les plus grands voyages uniquement pour s’instruire, et allaient au loin secouer le joug des préjugés nationaux, apprendre à connaître les hommes par leurs conformités et par leurs différences et acquérir ces connaissances universelles qui ne sont point celles d’un siècle ou d’un pays exclusivement mais qui, étant de tous les temps et de tous les lieux, sont pour ainsi dire la science commune des sages ?
On admire la magnificence de quelques curieux qui ont fait ou fait faire à grands frais des voyages en Orient avec des savants et des peintres, pour y dessiner des masures et déchiffrer ou copier des inscriptions : mais j’ai peine à concevoir comment dans un siècle où l’on se pique de belles connaissances il ne se trouve pas deux hommes bien unis, riches, l’un en argent, l’autre en génie, tous deux aimant la gloire et aspirant à l’immortalité, dont l’un sacrifie vingt mille écus de son bien et l’autre dix ans de sa vie à un célèbre voyage autour du monde ; pour y étudier, non toujours des pierres et des plantes, mais une fois les hommes et les
Les académiciens qui ont parcouru les parties septentrionales de l’Europe et méridionales de l’Amérique avaient plus pour objet de les visiter en géomètres qu’en philosophes. Cependant, comme ils étaient à la fois l’un et l’autre, on ne peut pas regarder comme tout à fait inconnues les régions qui ont été vues et décrites par les La Condamine et les Maupertuis. Le joaillier Chardin, qui a voyagé comme Platon, n’a rien laissé à dire sur la Perse ; la Chine paraît avoir été bien observée par les Jésuites. Kempfer donne une idée passable du peu qu’il a vu dans le Japon.
===Note 11===
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Cela me paraît de la dernière évidence, et je ne saurais concevoir d’où nos philosophes peuvent faire naître toutes les passions qu’ils prêtent à l’homme naturel. Excepté le seul nécessaire physique, que la nature même demande, tous nos autres besoins ne sont tels que par l’habitude avant laquelle ils n’étaient point des besoins, ou par nos désirs, et l’on ne désire point ce qu’on n’est pas en état de connaître. D’où il suit que l’homme sauvage ne désirant que les choses qu’il connaît et ne connaissant que celles dont la possession est en son pouvoir ou facile à acquérir, rien ne doit être si tranquille que son âme et rien si borné que son esprit.
===Note 12=== Je trouve dans le Gouvernement civil de Locke une objection qui me paraît trop spécieuse pour qu’il me soit permis de la dissimuler. « La fin de la société entre le mâle et la femelle, dit ce philosophe, n’étant pas simplement de procréer, mais de continuer l’espèce, cette société doit durer, même après la procréation, du moins aussi longtemps qu’il est nécessaire pour la nourriture et la conservation des procréés, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils soient capables de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. Cette règle que la sagesse infinie du Créateur a établie sur les
Et en cela, à mon avis, consiste la principale, si ce n’est la seule raison pourquoi le mâle et la femelle dans le genre humain sont obligés à une société plus longue que n’entretiennent les autres créatures. Cette raison est que la femme est capable de concevoir et est pour l’ordinaire derechef grosse et fait un nouvel enfant, longtemps avant que le précédent soit hors d’état de se passer du secours de ses parents et puisse lui-même pourvoir à ses besoins. Ainsi un père étant obligé de prendre soin de ceux qu’il a engendrés, et de prendre ce soin-là pendant longtemps, il est aussi dans l’obligation de continuer à vivre dans la société conjugale avec la même femme de qui il les a eus, et de demeurer dans cette société beaucoup plus longtemps que les autres créatures, dont les petits pouvant subsister d’eux-mêmes, avant que le temps d’une nouvelle procréation vienne, le lien du mâle et de la femelle se rompt de lui-même et l’un et l’autre se trouvent dans une pleine liberté, jusqu’à ce que cette saison qui a coutume de solliciter les animaux à se joindre ensemble les oblige de choisir de nouvelles compagnes. Et ici l’on ne saurait admirer assez la sagesse du Créateur, qui, ayant donné à l’homme des qualités propres pour pourvoir à l’avenir aussi bien qu’au présent, a voulu et a fait en sorte que la société de l’homme durât beaucoup plus longtemps que celle du mâle et de la femelle parmi les autres créatures ; afin que par là l’industrie de l’homme et de la femme fût plus excitée, et que leurs intérêts fussent mieux unis, dans la vue de faire des provisions pour leurs enfants et de leur laisser du bien : rien ne pouvant être plus préjudiciable à des enfants qu’une conjonction incertaine et vague ou une dissolution facile et fréquente de la société conjugale. »
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b. J’ignore où M. Locke a trouvé qu’entre les animaux de proie la société du mâle et de la femelle dure plus longtemps que parmi ceux qui vivent d’herbe et que l’un aide l’autre à nourrir les petits. Car on ne voit pas que le chien, le chat, l’ours, ni le loup reconnaissent leur femelle mieux que le cheval, le bélier, le taureau, le cerf ni tous les autres quadrupèdes ne reconnaissent la leur. Il semble au contraire que, si le secours du mâle était nécessaire à la femelle pour conserver ses petits, ce serait surtout dans les espèces qui ne vivent que d’herbe, parce qu’il faut fort longtemps à la mère pour paître, et que durant tout cet intervalle elle est forcée de négliger sa portée, au lieu que la proie d’une ourse ou d’une louve est dévorée en un instant et qu’elle a, sans souffrir la faim, plus de temps pour allaiter ses petits. Ce raisonnement est confirmé par une observation sur le nombre relatif de mamelles et de petits qui distingue les espèces carnassières des frugivores et dont j’ai parlé dans la note 2 de la page 167. Si cette observation est juste et générale, la femme n’ayant que deux mamelles et ne faisant guère qu’un enfant à la fois, voilà une forte raison de plus pour douter que l’espèce humaine soit naturellement carnassière, de sorte qu’il semble que pour tirer la conclusion de Locke, il faudrait retourner tout à fait son raisonnement. Il n’y a pas plus de solidité dans la même distinction appliquée aux oiseaux. Car qui pourra se persuader que l’union du mâle et de la femelle soit plus durable parmi les vautours et les corbeaux que parmi les tourterelles ? Nous avons deux espèces d’oiseaux domestiques, la cane et le pigeon, qui nous fournissent des exemples directement contraires au système de cet auteur. Le pigeon, qui ne vit que de grain, reste uni à sa femelle et ils nourrissent leurs petits en commun. Le canard, dont la voracité est connue, ne reconnaît ni sa femelle ni ses petits et n’aide en rien à leur subsistance, et parmi les poules, espèce qui n’est guère moins carnassière, on ne voit pas que le coq se mette aucunement en peine de la couvée. Que si dans d’autres espèces le mâle partage avec la femelle le soin de nourrir les petits, c’est que les oiseaux qui d’abord ne peuvent voler et que la mère ne peut allaiter sont beaucoup moins en état de se passer de l’assistance du père que les quadrupèdes à qui suffit la mamelle de la mère, au moins durant quelque temps.
c. Il y a bien de l’incertitude sur le fait principal qui sert de base à tout le raisonnement de M. Locke. Car, pour savoir si, comme il le prétend, dans le pur état de nature la femme est pour l’ordinaire derechef grosse et fait un nouvel enfant longtemps avant que le précédent puisse pourvoir lui-même à ses besoins, il faudrait des expériences qu’assurément Locke n’avait pas faites et que personne n’est à portée de faire. La cohabitation continuelle du mari et de la femme est une occasion si prochaine de s’exposer à une nouvelle grossesse qu’il est bien difficile de croire que la rencontre fortuite ou la seule impulsion du tempérament produisît des effets aussi fréquents dans le pur état de nature que dans celui de la société conjugale ; lenteur qui contribuerait peut-être à rendre les enfants plus robustes, et qui d’ailleurs pourrait être compensée par la faculté de concevoir, prolongée dans un plus grand âge chez les femmes qui en auraient moins abusé dans leur jeunesse.
d. Enfin M. Locke prouve tout au plus qu’il pourrait bien y avoir dans l’homme un motif de demeurer attaché à la femme lorsqu’elle a un enfant ; mais il ne prouve nullement qu’il a dû s’y attacher avant l’accouchement et pendant les neuf mois de la grossesse. Si telle femme est indifférente à l’homme pendant ces neuf mois, si même elle lui devient inconnue, pourquoi la secourra-t-il après l’accouchement ? pourquoi lui aidera-t-il à élever un enfant qu’il ne sait pas seulement lui appartenir, et dont il n’a résolu ni prévu la naissance ? M. Locke suppose évidemment ce qui est en question, car il ne s’agit pas de savoir pourquoi l’homme demeurera attaché à la femme après l’accouchement, mais pourquoi il s’attachera à elle après la conception. L’appétit satisfait, l’homme n’a plus besoin de telle femme, ni la femme de tel homme. Celui-ci n’a pas le moindre souci ni peut-être la moindre idée des suites de son action. L’un s’en va d’un côté, l’autre d’un autre, et il n’y a pas d’apparence qu’au bout de neuf mois ils aient la mémoire de s’être connus, car cette espèce de mémoire par laquelle un individu donne la préférence à un individu pour l’acte de la génération exige, comme je le prouve dans le texte, plus de progrès ou de corruption dans l’entendement humain qu’on ne peut lui en supposer dans l’état d’animalité dont il s’agit ici. Une autre femme peut donc contenter les nouveaux désirs de l’homme aussi commodément que celle qu’il a déjà connue, et un autre homme contenter de même la femme, supposé qu’elle soit pressée du même appétit pendant l’état de grossesse, de quoi l’on peut raisonnablement douter. Que si dans l’état de nature la femme ne ressent plus la passion de l’amour après la conception de l’enfant, l’obstacle à la société avec l’homme en devient encore beaucoup plus grand, puisqu’alors elle n’a plus besoin ni de l’homme qui l’a fécondée ni d’aucun d’autre. Il n’y a donc dans l’homme aucune raison de rechercher la même femme, ni dans la femme aucune raison de rechercher le même homme. Le raisonnement de Locke tombe donc en ruine et toute la dialectique de ce philosophe ne l’a pas garanti de la faute que Hobbes et d’autres ont commise. Ils avaient à expliquer un fait de l’état de nature, c’est-à-dire d’un état où les hommes vivaient isolés, et où tel homme n’avait aucun motif de demeurer à côté de tel homme, ni peut-être les hommes de demeurer à côté les uns des autres, ce qui est bien pis ; et ils n’ont pas songé à se transporter au-delà des siècles de société, c’est-à-dire de ces temps où les hommes ont toujours une raison de demeurer près les uns des autres, et où tel homme a souvent raison de demeurer à côté de tel homme ou de telle femme.
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===Note 16===
C’est une chose extrêmement remarquable que depuis tant d’années que les Européens se tourmentent pour amener les sauvages des diverses contrées du monde à leur manière de vivre, ils n’aient pas pu encore en gagner un seul, non pas même à la faveur du christianisme ; car nos missionnaires en font quelquefois des chrétiens, mais jamais des hommes civilisés. Rien ne peut surmonter l’invincible répugnance qu’ils ont à prendre nos
On a plusieurs fois amené des sauvages à Paris, à Londres et dans d’autres villes ; on s’est empressé de leur étaler notre luxe, nos richesses et tous nos arts les plus utiles et les plus curieux ; tout cela n’a jamais excité chez eux qu’une admiration stupide, sans le moindre mouvement de convoitise. Je me souviens entre autres de l’histoire d’un chef de quelques Américains septentrionaux qu’on mena à la cour d’Angleterre il y a une trentaine d’années. On lui fit passer mille choses devant les yeux pour chercher à lui faire quelque présent qui pût lui plaire, sans qu’on trouvât rien dont il parut se soucier. Nos armes lui semblaient lourdes et incommodes, nos souliers lui blessaient les pieds, nos habits le gênaient, il rebutait tout ; enfin on s’aperçut qu’ayant pris une couverture de laine, il semblait prendre plaisir à s’en envelopper les épaules ; vous conviendrez, au moins, lui dit-on aussitôt, de l’utilité de ce meuble ? Oui, répondit-il, cela me paraît presque aussi bon qu’une peau de bête. Encore n’eût-il pas dit cela s’il eût porté l’une et l’autre à la pluie.
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===Note 19===
La justice distributive s’opposerait même à cette égalité rigoureuse de l’état de nature, quand elle serait praticable dans la société civile ; et comme tous les membres de
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