« P’tit Bonhomme/Première partie/Chapitre 11 » : différence entre les versions

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La porte s’ouvrit, et le pourceau s’esquiva en jetant un grognement féroce.
 
Un homme, arrêté sur le seuil, faillit être renversé. Il se remitre
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mit d’aplomb, et, au lieu de se fâcher, parut plutôt disposé à demander excuse de son importunité. Son salut eut l’air de s’adresser autant à l’immonde animal qu’à la non moins immonde matrone du cabin. Et, en vérité, pourquoi aurait-il été surpris de voir un cochon sortir de cette soue ?
 
« Que voulez-vous… et qui êtes-vous ? demanda brusquement la Hard, en barrant l’entrée.
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— Un agent d’assurances. »
 
C’était un de ces courtiers qui fourmillent à travers les campagnes irlandaises comme les chardons sur les mauvaises terres. Ils courent les villages cherchant à assurer la vie des enfants, et, dans ces conditions, autant dire que c’est leur assurer la mort. Pour quelques pence
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à payer par mois, des père ou mère — cela est horrible à penser ! — des parents ou tuteurs, d’abominables créatures du genre de la Hard, ont la certitude de toucher une prime de trois ou quatre livres au décès de ces petits êtres. C’est donc là un encouragement au crime, et un mobile si puissant que, par l’accroissement dans une énorme proportion de la mortalité infantile, il a pu devenir un danger national. Aussi, ces abominables officines qui les produisent, M. Day, président des Assises du Wiltshire, a-t-il pu justement les traiter de fléaux, d’écoles d’ignominie et d’assassinat.
 
Depuis lors, il est vrai, une notable amélioration du système a été produite par la loi de 1889, et l’on ne s’étonnera pas que la création de la Société Nationale pour la répression des actes de cruauté envers les enfants donne actuellement quelques bons résultats.
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Hard était un homme de quarante-cinq à cinquante ans, l’air en dessous, la mine hypocrite, les manières persuasives, la parole insinuante. Type de courtier qui ne songe qu’au courtage, et auquel tous les moyens sont bons pour l’obtenir. Amadouer cette mégère, affecter de ne rien voir de l’état honteux dans lequel croupissaient ses victimes, la féliciter, au contraire, de l’affection qu’elle leur témoignait, c’est par ces procédés qu’il comptait « enlever l’affaire ».
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« Bonne dame, reprit-il, si ce n’est pas trop vous déranger, vous conviendrait-il de sortir un instant ?…
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— En effet, c’est insuffisant, bonne dame, et il faut un véritable dévouement de votre part pour subvenir aux besoins de ces chères créatures… Nous disons que vous avez actuellement deux fillettes et un garçonnet ?…
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— Oui.
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— Pourquoi toutes ces questions ?
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— Pourquoi ?… Bonne dame, vous allez le savoir. »
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« Certainement, reprit-il, l’air est pur dans ce comté de Donegal… Les conditions hygiéniques y sont excellentes… Et pourtant, ces babys sont si frêles que, malgré vos bonnes tendresses, il pourrait vous arriver — pardonnez-moi de déchirer votre cœur — il pourrait vous arriver de perdre l’un ou l’autre de ces petits… Vous devriez les assurer…
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— Les assurer ?…
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— Vous assureriez même la petite ?…
 
— Certainement, bonne dame, et quoiqu’elle m’ait paru bien malade !
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Si vos soins ne parvenaient pas à la sauver, ce serait deux livres — vous entendez, deux livres !… Et remarquez-le, ce que fait notre compagnie, dont l’œuvre est si morale, c’est pour le bien des chers babys… Nous avons intérêt à ce qu’ils vivent, puisque leur existence nous rapporte !… Nous sommes désolés, lorsque l’un d’eux succombe ! »
 
Non ! Ils n’étaient point désolés, ces honnêtes assureurs, du moment que la mortalité ne dépassait pas une certaine moyenne. Et en offrant de prendre la petite mourante, l’agent avait la certitude de conclure une bonne affaire, ainsi que le démontre cette réponse d’un directeur qui s’y connaissait :
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Elle voulut marchander.
 
« C’est inutile, répliqua l’agent. Songez, bonne dame, que, malgré vos soins, cette enfant peut mourir demain… aujourd’hui… et que la
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Compagnie aura deux livres à vous payer… Voyons… signez… croyez-moi… signez… »
 
Il avait sur lui plume et encre. Une signature au bas de la police, c’était réglé.
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La Hard, immobile, laissa l’agent s’éloigner du cabin, dont les enfants n’avaient pas osé sortir. Jusqu’alors, elle ne considérait que les quelques guinées que lui valait chaque année de leur existence, et voilà que leur mort allait lui en rapporter autant ! Ces neuf pence, payés une première fois, ne dépendait-il pas d’elle de ne pas les payer une seconde fois ?
 
Aussi, en rentrant, quel regard la Hard jeta sur ces malheureux, le regard d’un épervier à l’oiseau blotti sous les herbes. Il semblait que P’tit-Bonhomme et Sissy l’eussent compris. Par instinct, ils reculèrent,
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comme si les mains de ce monstre fussent prêtes à les étrangler.
 
Toutefois, il convenait d’agir avec prudence. Trois enfants morts, il y aurait eu de quoi éveiller les soupçons. Des huit ou neuf shillings qui restaient, la Hard en emploierait une petite part à les nourrir pendant quelque temps. Trois ou quatre semaines encore… oh ! pas davantage… L’agent, quand il reviendrait, recevrait les neuf pence, et la prime d’assurances paierait dix fois ces frais indispensables. Elle ne songeait plus maintenant à rendre les enfants à la maison de charité.
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— Non… on ne peut pas ! »
 
Quelques instants après, un mouvement convulsif agita cette frêle
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créature dont la vie ne tenait plus qu’à un souffle. Ses yeux se tournèrent, et son âme d’enfant s’exhala dans un dernier soupir.
 
Sissy tomba à genoux, effarée. P’tit-Bonhomme, imitant sa compagne, s’agenouilla devant ce corps chétif qui ne remuait plus.
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Cette besogne achevée, Sissy embrassa la fillette sur les joues. P’tit-Bonhomme voulut en faire autant… Il fut saisi d’épouvante.
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« Viens… viens !… dit-il à Sissy.