« Le Règne de l’esprit malin (1941)/VII » : différence entre les versions

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Il n’y avait que la voix qui venait ; la voix disait :
 
Marie !
 
La voix disait :
 
Marie, est-ce que tu viens, parce qu’on a besoin de toi...toi…
 
La voix venait du côté du village ; et c’est de ce côté qu’il lui faudrait aller, pensait-elle, pendant qu’elle ne voyait toujours personne ; il y avait seulement la pente du pré où la chèvre tirait sur les touffes d’herbe fraîche en secouant sa barbiche blanche, et puis, posé dans le haut de la pente, le ciel qui avait l’air d’un plafond peint en bleu.
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Et jusqu’alors aucun être vivant ne s’était encore présenté ; ce fut comme elle passait devant la maison du meunier, aux murs fendus, à la grosse roue moussue tombée ; là, brusquement :
 
Où est-ce que tu vas ?
 
Une fenêtre s’était ouverte, une tête se montrait, c’était la femme du meunier.
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Marie ne la reconnut pas, tellement elle était changée. Et donc la femme du meunier :
 
Ne va pas plus loin, ou tu es perdue !
 
Mais elle :
 
L’avez-vous vu ?
 
Qui ?
 
Mon père.
 
Et, parce qu’on ne l’avait pas vu, elle continua son chemin.
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Elle n’était déjà plus qu’à quelques pas des premières maisons du village ; des fenêtres s’y ouvraient aussi :
 
Arrête-toi ! Ne va pas plus loin !... C’est que tu ne sais pas encore !…
 
Mais elle n’écoutait pas, parce que voilà, à présent, elle avait cru voir son père, qui sortait la tête de derrière un mur, comme s’il la guettait sans oser se montrer ; et elle : « Sûrement que je vais le trouver chez nous. »
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Il fallut pourtant que Marie se fût encore rapprochée, alors Gentizon l’aperçut. Ce fut Gentizon qui l’aperçut le premier. Il se souleva sur le coude. Labre était couché à côté de lui. Gentizon poussa Labre de l’épaule. Et, d’abord, ils ne l’avaient pas reconnue ; Gentizon avait dit simplement : « Encore une ! » mais, comme elle était maintenant tout près :
 
Pas possible ! la Marie ! la fille de Lude, tu sais bien. Depuis le temps qu’on ne l’avait pas vue. Et lui non plus, on ne l’a pas revu...revu…
 
Il recommença :
 
C’est qu’elle est jolie !
 
Voilà comment l’affaire s’engagea. Labre et Gentizon s’étaient regardés, ils s’étaient compris. Ils avaient vu qu’ils étaient deux et qu’ils allaient se faire concurrence, mais ils avaient besoin l’un de l’autre. En effet, ils n’eussent pas pu se mettre debout tout seuls. Il leur fallut se soutenir mutuellement, ainsi ils eurent un genou en terre, puis ils se prirent à bras-le-corps. Et la chose les faisait rire, mais ce qu’ils se promettaient pour ensuite les faisait rire plus encore, contribuant d’avance à leur plaisir.
 
Pour elle, elle les vit sortir peu à peu devant elle ; elle s’étonnait, parce qu’ils étaient très grands. Ils s’agitaient là, ils lui tendaient les bras ; ils se balançaient sur eux-mêmes, comme un arbre plus tenu par ses racines. Ils ouvraient la bouche en riant, ils avaient les dents gâtées. Ils avaient les yeux rouges avec une poche dessous. Et, de nouveau, ils tendaient les bras à Marie, disant : « Dépêche-toi ! Depuis le temps qu’on t’attendait !... »
 
Alors peut-être qu’elle eut quand même un instant d’hésitation. On la vit s’arrêter. Et les autres s’étant réveillés, s’étant mis assis à leur tour, s’étaient aussi tournés vers elle. Il y avait tout ce monde, elle était seule ; elle ne s’arrêta pourtant pas longtemps.
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Est-ce vrai ? Est-ce possible ? Ils ne glissent plus seulement la tête dehors, ils glissent dehors le corps tout entier.
 
Et, pendant ce temps, ceux sur la place commençaient à s’impatienter, particulièrement les femmes : « Allez chercher le Maître ! criaient-elles...elles… Elle se moque de nous, allez le chercher !... »
 
On entendit encore ces voix venir ; il y avait surtout les femmes, à cause que la jalousie leur était entrée dans le cœur : « Le Maître ! recommençaient-elles, où est-ce qu’il est ? elle va voir...voir… »
 
Et on eut juste encore le temps de s’étonner qu’il n’eût pas paru de lui-même, mais à présent on allait le chercher ; juste encore le temps de voir une dernière fois l’auberge, sa façade blanche, Criblet à une des fenêtres, Criblet disant : « Moi, je regarde ; moi, je suis désintéressé » ; juste encore le temps de heurter à la porte, – après quoi, l’Homme avait paru.
 
L’Homme fut là. « Tu vas voir ! tu vas voir !... » criaient les femmes à Marie ; l’Homme était là, il s’avança.
 
Il fit deux ou trois pas, il fit de nouveau deux ou trois pas.
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Il s’arrêta cette fois tout à fait ; Marie ne s’était pas arrêtée.
 
Et elle n’eut qu’à faire le signe, le vrai signe...signe…
 
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Ils ont raconté depuis qu’une grande lueur rouge avait rempli le ciel ; la terre se mit à bouger, les maisons penchèrent tellement qu’on pensa qu’elles allaient tomber.
 
« Et puis, disent-ils, ça a été tout...tout… On a écouté, plus rien ; on a été regarder à la fenêtre. »
 
Et ce qu’ils virent par les fenêtres, quand ils allèrent regarder, ils n’y purent pas croire d’abord ; mais que oui ! il le fallait bien : et c’est que le soleil à présent rebrillait, tandis que, dessous, se voyait un village comme refait à neuf.
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Elle venait, ils se poussaient, ils l’entourèrent, ils auraient voulu lui parler : ils ne pouvaient pas ; alors, du moins, n’est-ce pas ? être là, du moins la voir et la toucher.
 
Mais qu’est-ce qu’il y avait de nouveau ? C’est elle, à présent, qui semblait inquiète ; elle les écartait d’elle, disant : « Laissez-moi ! Laissez-moi !... »
 
Elle continuait son chemin, les écartant ; puis, comme si elle essayait d’un dernier moyen sans trop y croire : « Et vous, ne l’avez-vous pas vu, mon père ? vous ne l’auriez pas rencontré ? J’ai été le chercher chez nous...nous… » Elle s’arrêtait. « Il n’y était pas. »
 
Ils étaient tombés à genoux, des femmes baisaient le bas de sa jupe.
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Et Marie :
 
Est-ce toi ? Père, père ! Est-ce bien toi ?...
 
Il ne répondit point, on l’entendit qui sanglotait, il se cachait la tête dans ses mains. Il fallut qu’elle le prît contre elle.