« Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/14 » : différence entre les versions

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Thèbes, le 18 juin 1829.
 
Depuis mon retour au milieu des ruines de cette aînée des villes
royales, toutes mes journées ont été consacrées à l’étude de ce qui
reste d’un de ses plus beaux édifices, pour lequel je conçus, à sa
première vue, une prédilection marquée. La connaissance complète que
j’en ai acquise maintenant la justifie au delà de ce que je devais
espérer. Je veux parler ici d’un monument dont le véritable nom n’est
pas encore fixé, et qui donne lieu à de fort vives controverses : celui
qu’on a appelé d’abord le ''Memnonium'', et ensuite le ''Tombeau
d’Osimandyas''. Cette dernière dénomination appartient à la Commission
d’Égypte ; quelques voyageurs persistent à se servir de l’autre, qui
certainement est
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fort mal appliquée et très-inexacte. Pour moi, je
n’emploierai désormais, pour désigner cet édifice, que son nom égyptien
même, sculpté dans cent endroits et répété dans les légendes des frises,
des architraves et des bas-reliefs qui décorent ce palais. Il portait le
nom de ''Rhamesséion'', parce que c’était à la munificence du Pharaon
Rhamsès le Grand que Thèbes en était redevable.
 
L’imagination s’ébranle et l’on éprouve une émotion bien naturelle en
visitant ces galeries mutilées et ces belles colonnades, lorsqu’on pense
qu’elles sont l’ouvrage et furent souvent l’habitation du plus célèbre
et du meilleur des princes que la vieille Égypte compte dans ses longues
annales, et toutes les fois que je le parcours, je rends à la mémoire de
Sésostris l’espèce de culte religieux dont l’environnait l’antiquité
tout entière.
 
Il n’existe du Rhamesséion aucune partie complète ; mais ce qui a échappé
à la barbarie des Perses et aux ravages du temps suffit pour restaurer
l’ensemble de l’édifice et pour s’en faire une idée très-exacte.
Laissant à part sa partie architecturale, qui n’est point de mon
ressort, mais à laquelle je dois rendre un juste hommage en disant que
le Rhamesséion est peut-être ce qu’il y a de plus noble et de plus pur à
Thèbes
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en fait de grand monument, je me bornerai à indiquer rapidement
le sujet des principaux bas-reliefs qui le décorent, et le sens des
inscriptions qui les accompagnent.
 
Les sculptures qui couvraient les faces extérieures des deux massifs du
premier pylône, construit en grès, ont entièrement disparu, car ces
massifs se sont éboulés en grande partie. Des blocs énormes de calcaire
blanc restent encore en place ; ce sont les jambages de la porte ; ils
sont décorés, ainsi que l’épaisseur des deux massifs entre lesquels
s’élevait cette porte, des légendes royales de Rhamsès le Grand, et de
tableaux représentant le Pharaon faisant des offrandes aux grandes
divinités de Thèbes, Amon-Ra, Amon générateur, la déesse Mouth, le jeune
dieu Chons, Phtha et Mandou. Dans quelques tableaux, le roi reçoit à son
tour les faveurs des dieux, et je donne ici l’analyse du principal
d’entre eux, parce que c’est là que j’ai lu pour la première fois le nom
véritable de l’édifice entier.
 
Le dieu Atmou (une des formes de Phré) présente au dieu Mandou le
Pharaon Rhamsès le Grand, casqué et en habits royaux ; cette dernière
divinité le prend par la main en lui disant : « Viens, avance vers les
demeures divines pour contempler ton père, le seigneur des dieux, qui
t’accordera une longue suite de
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jours pour gouverner le monde et régner
sur le trône d’Hôrus. » Plus loin, en effet, on a figuré le grand dieu
Amon-Ra assis, adressant ces paroles au Pharaon : « Voici ce que dit
Amon-Ra, roi des dieux, et qui réside dans le ''Rhamesséion de Thèbes'' :
Mon fils bien-aimé et de mon germe, seigneur du monde, Rhamsès ! mon
coeur se réjouit en contemplant tes bonnes oeuvres ; tu m’as voué cet
édifice ; je te fais le don d’une vie pure à passer sur le trône de Sev
(Saturne) (c’est-à-dire dans la royauté temporelle). » Il ne peut donc, à
l’avenir, rester la moindre incertitude sur le nom à donner à ce
monument.
 
Les tableaux militaires, relatifs aux conquêtes du roi, couvrent les
faces des deux massifs du pylône sur la première cour du palais ; ils
sont visibles en assez grande partie, parce que l’éboulement des
portions supérieures du pylône a eu lieu du côté opposé. Ces scènes
militaires offrent la plus grande analogie avec celles qui sont
sculptées dans l’intérieur du temple d’''Ibsamboul'' et sur ''le pylône de
Louqsor,'' qui font partie du Rhamesséion ou Rhamséion oriental de
Thèbes. Les inscriptions sont semblables, et tous ces bas-reliefs se
rapportent évidemment à une même campagne contre des peuples asiatiques
qu’on ne peut, d’après leur p
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hysionomie et d’après leur costume,
chercher ailleurs, je le répète, que dans cette vaste contrée sise entre
le Tigre et l’Euphrate d’un côté, l’Oxus et l’Indus de l’autre, contrée
que nous appelons assez vaguement la Perse. Cette nation, ou plutôt le
pays qu’elle habitait, se nommait ''Chto, Chéto, Scéhto'' ou ''Schto'' ; car
je me suis aperçu, enfin, que le nom par lequel on la désigne
ordinairement dans les textes historiques, et qui peut se prononcer
''Pscharanschétko, Pscharinschèto'' ou ''Pscharéneschto'' (vu l’absence des
voyelles médiales), est composé de trois parties distinctes : 1e d’un mot
égyptien, épithète injurieuse ''Pscharé'' qui signifie une plaie ; 2e de la
préposition N (''de'') que j’avais d’abord crue radicale ; 3e de ''Chto,
Schto, Schéto,'' véritable nom de la contrée. Les Égyptiens désignèrent
donc ces peuples ennemis sous la dénomination de ''la plaie de Schéto'',
de la même manière que l’Ethiopie est toujours appelée ''la mauvaise race
de Kousch''. Ce n’est point ici le lieu d’exposer les raisons qui me
portent à croire fermement que c’est de peuples du nord-est de la
Perse, de Bactriens ou Scythes-Bactriens, qu’il s’agit ici.
 
On a sculpté sur le massif de droite la réception des ambassadeurs
scytho-bactriens dans le camp du roi ; ils sont admis en la présence de
Rhamsès, qui leur adresse des reproches ; les soldats,
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dispersés dans le
camp, se reposent ou préparent leurs armes, et donnent des soins aux
bagages ; en avant du camp, deux Égyptiens administrent la bastonnade à
deux prisonniers ennemis, afin, porte la légende hiéroglyphique, de leur
faire dire ce que fait ''la plaie de Schéto''. Au bas du tableau est
l’armée égyptienne en marche, et à l’une des extrémités se voit un
engagement entre les chars des deux nations.
 
La partie gauche de ce massif offre l’image d’une série de forteresses
desquelles sortent des Égyptiens emmenant des captifs ; les légendes
sculptées sur les murs de chacune d’elles donnent leur nom et apprennent
que Rhamsès le Grand les a prises de vive force la huitième année de son
règne.
 
Il manque près de la moitié du massif de droite du pylône ; ce qui reste
offre les débris d’un vaste bas-relief représentant une grande bataille,
toujours contre les Schéto. Comme j’aurai l’occasion d’en décrire une
seconde, tout à, fait semblable et beaucoup mieux conservée, je passerai
rapidement sur celle-ci, disant seulement qu’on y a représenté l’un des
principaux chefs bactriens, nommé ''Schiropsiro'' ou ''Schiropasiro'',
blessé et gisant sur le bord du fleuve, vers lequel se dirige aussi,
fuyant devant le vainqueur, un allié, le chef de ''la mauvaise race du
pays de Schirbech''
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ou ''Schilbesch''. A côté de la bataille est un tableau
triomphal : Rhamsès le Grand, debout, la hache sur l’épaule, saisit de sa
main gauche la chevelure d’un groupe de captifs, au-dessus desquels on
lit : « Les chefs des contrées du Midi et du Nord conduits en captivité
par Sa Majesté. »
 
Les colonnades qui fermaient latéralement la première cour n’existent
plus aujourd’hui. Le vaste espace compris jadis entre ces galeries et
les deux pylônes est encombré des énormes débris du plus grand et du
plus magnifique colosse que les Égyptiens aient peut-être jamais élevé :
c’était celui de ''Rhamsès le Grand.'' Les inscriptions qui le décorent ne
permettent pas d’en douter. Les légendes royales de cet illustre Pharaon
se lisent en grands et beaux hiéroglyphes vers le haut des bras, et se
répètent plusieurs fois sur les quatre faces de la base. Ce colosse,
''quoique assis, n’avait pas moins de 35 pieds de hauteur'', non compris
la base, second bloc d’environ 33 pieds de long sur 6 de haut.
 
Il faut admirer à la fois la puissance du peuple qui érigea ce
merveilleux colosse et celle des Barbares qui l’ont mutilé avec tant
d’adresse et de soins.
 
Ce beau monument s’élevait devant le massif de gauche du second pylône
ou mur, détruit jusqu’au niveau du sol actuel ; c’est par nos fouilles
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que je me suis assuré que l’on avait aussi couvert ce massif de
sculptures représentant des scènes militaires ; j’y ai retrouvé le bas
d’un tableau représentant le roi, après une grande bataille, recevant
des principaux officiers le compte des ennemis tués dans l’action, et
dont les mains coupées sont entassées à ses pieds. Plus loin existait
une inscription toujours relative à la guerre contre les Schéto ; le peu
qui reste des dernières ligues, interrompu par de nombreuses fractures,
m’a fait vivement regretter la destruction de ces documents historiques
abondants en noms propres et en désignations géographiques. Il y est
surtout question des honneurs que le roi accorde à deux chefs Scythes ou
bactriens, ''Iroschtoasiro,'' grand chef du pays de Schéto, et
''Peschorsenmausiro,'' qualifié aussi de grand chef : ce sont
très-probablement les gouverneurs établis par le conquérant après la
soumission du pays.
 
Les sculptures du massif de droite du deuxième pylône ou mur subsistent
en très grande partie sous la galerie de la seconde cour à droite en
entrant ; c’est le tableau d’une bataille livrée sur le bord d’un fleuve,
dans le voisinage d’une ville que ceignent deux branches de ce fleuve,
et sur les murailles de laquelle on lit : ''la ville forte Watsch'' ou
''Batsch'' (la première lettre est douteuse). Vers l’extrémité actuelle du
tableau, à la
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gauche du spectateur, l’on voit le roi Rhamsès sur son
char lancé au galop, au milieu du champ de bataille couvert de morts et
de mourants. Il décoche des flèches contre la masse des ennemis en
pleine déroute ; derrière le char, sur le terrain que le héros vient de
quitter, sont entassés les cadavres des vaincus, sur les-quels
s’abattent les chevaux d’un chef ennemi nommé ''Torokani,'' blessé d’une
flèche à l’épaule et tombant sur l’avant de son char brisé. Sous les
pieds des coursiers du roi gisent, dans diverses positions, le corps de
''Torokato, chef des soldats du pays de Nakbésou'', et ceux de plusieurs
autres guerriers de distinction. Le grand chef bactrien, ''Shiropasiro'',
se retire sur le bord du fleuve ; les flèches du roi ont déjà atteint
''Tiotouro'' et ''Simaïrosi'', fuyant dans la plaine et se dirigeant du côté
de la ville. D’autres chefs se réfugient vers le fleuve, dans lequel se
précipitent lès chevaux du chef ''Krobschatosi'', blessé, et qu’ils
entraînent avec eux. Plusieurs enfin, tels que ''Thotâro'' et ''Mafèrima,
frère'' (allié) ''de la plaie de Schêto ''(des Bactriens), sont allés
mourir en face de la ville, sur la rive du fleuve, que d’autres, tels
que le Bactrien ''Sipaphéro'', ont été assez heureux pour traverser,
secourus et accueillis sur la rive opposée par une foule immense
accourue pour connaître le résultat de la bataillé. C’est au milieu
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de
tout ce peuple amoncelé qu’on aperçoit un groupe donnant des secours
empressés à un chef que l’on vient de retirer du fleuve, où il s’est
noyé ; on le tient ''suspendu par les pieds, la tête en bas'', et on
s’efforce de lui faire rendre l’eau qui le suffoque, afin de le rappeler
à la vie. Sa longue chevelure semble ruisseler, et le traitement ne
produira aucun effet, si l’on en juge par la physionomie et le mouvement
de l’assistance. On lit au-dessus de ce groupe : « Le chef de la mauvaise
race du pays des ''Schirbesch'', qui s’est éloigné de ses guerriers en
fuyant le roi du côté du fleuve. »
 
Enfin, au milieu de la foule sortie de la ville par ''un pont'' jeté sur
l’une des branches du fleuve, on remarque des symptômes d’un prochain
changement dans l’état des esprits : un individu adresse un discours à
ceux qui l’entourent ; sa harangue a pour but d’encourager ses
compatriotes à se soumettre au joug de Rhamsès le Grand ; on lit en
effet, au-dessus du bras de l’orateur, le commencement d’une inscription
ainsi conçue : « Je célèbre la gloire du dieu gracieux, parce qu’il a
dit.... » Le reste est détruit.
 
J’ai voulu, en entrant dans tous ces détails, donner une idée des
bas-reliefs historiques dont on décorait les grands monuments de
l’Égypte,
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de ces compositions immenses que je me plais à nommer des
''tableaux homériques'' ou de la sculpture héroïque, parce qu’ils sont
pleins de ce feu et de ce désordre sublimes qui nous entraînent, à la
lecture des batailles de l’Iliade. Chaque groupe, considéré à part, sera
trouvé certainement défectueux dans quelques points relatifs à la
perspective ou aux proportions, comparativement aux parties voisines ;
mais ces petits défauts de détails sont rachetés, et au delà, par
l’effet des masses, et j’ose dire ici que les plus ''beaux vases grecs''
représentant des ''combats'' pèchent précisément (si péché il y a) sous
les mêmes rapports que ces bas-reliefs égyptiens.
 
Sur le haut de cette grande paroi on a sculpté un long bas-relief,
mutilé au commencement et à la fin, représentant Rhamsès le Grand
célébrant la panégyrie du grand dieu de Thèbes, le double Hôrus, ou Amon
générateur. Comme j’aurai l’occasion de décrire une fête semblable
existant dans tout son entier au palais de Médinet-Habou, je me
contenterai de dire que c’est ici qu’existe une série de statuettes de
rois rangées par ordre de règne ; ce sont : 1° Mènes (le premier roi
terrestre) ; 2° un prénom inconnu, antérieur à la dix-septième dynastie ;
3° Amosis ; 4° Aménothph Ier ; 5° Thouthmosis Ier ; 6° Thouthmosis III ; 7°
Aménothph II ; 8° Thouthmosis IV ;
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/297]]==
9° Aménothph III ; 10° Hôrus ; 11°
Rhamsès Ier ; 12° Ousereï ; 13° Rhamsès le Grand lui-même. Cette série ne
donne que la ligne directe des ancêtres du conquérant ; ainsi Thouthmosis
II est omis, parce que Thouthmosis III (Moeris) était fils d’une fille
de Thouthmosis Ier.
 
De nombreux bas-reliefs représentant des actes d’adoration du roi
Rhamsès aux grandes divinités de Thèbes couvrent trois faces des piliers
formant la galerie devant le pylône ; sur la quatrième face de chacun
d’eux on voit, sculptée de plein relief, une image colossale du roi
d’environ trente pieds de hauteur. Voici les légendes les mieux
conservées des quatre qui subsistent encore :
 
« Le dieu gracieux a fait ces grandes constructions ; il les a élevées par
son bras, lui, le roi soleil, gardien de justice, approuvé par Phré, le
fils du soleil, l’ami d’Ammon, Rhamsès, le bien-aimé d’Amon-Ra.
 
« Le dieu gracieux dominant dans sa patrie l’a comblé de ses bienfaits,
lui, le roi soleil, etc.
 
« Le bien-aimé d’Amon-Ra, le Dieu gracieux, chef plein de vigilance, le
plus grand des vainqueurs, a soumis toutes les contrées à sa domination,
lui, le roi soleil, etc., le bien-aimé de la déesse Mouth. »
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/298]]==
 
Ainsi, ces inscriptions rappellent tout ce que l’antiquité s’est plu à
louer dans Sésostris : les grands ouvrages qu’il a fait exécuter, les
bonnes lois qu’il donna à sa patrie, et la vaste étendue de ses
conquêtes.
 
Les piliers ornés de colosses qui font face à ceux-ci et les colonnes
qui formaient la seconde cour du palais du côté droit se font aussi
remarquer par la richesse des tableaux religieux qui les décorent. Les
piliers et les colonnades qui formaient la partie gauche de la cour sont
entièrement détruits.
 
Je ne m’étendrai point sur les intéressants bas-reliefs qui couvrent la
partie gauche du mur du fond du péristyle ; je me hâte d’entrer dans la
salle hypostyle dont environ trente colonnes subsistent encore intactes,
et charmeraient par leur élégante majesté les yeux même les plus
prévenus contre tout ce qui n’est pas architecture grecque ou romaine.
 
Quant à la destination de cette belle salle, à la disposition des
colonnes et à la forme des chapiteaux qui les décorent, je laisserai
parler sur ces divers points la dédicace elle-même de la salle,
sculptée, au nom du fondateur, sur les architraves de gauche, en
très-beaux hiéroglyphes.
 
« L’Aroëris puissant, ami de la vérité, le seigneur
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de la région
supérieure, et de la région inférieure, le défenseur de l’Égypte, le
castigateur des contrées étrangères, l’Hôrus resplendissant possesseur
des palmes et le plus grand des vainqueurs, le roi seigneur du monde
(soleil gardien de justice approuvé par Phré), le fils du soleil, le
seigneur des diadèmes, le bien-aimé d’Ammon, RHAMSÈS, a fait exécuter
ces constructions en l’honneur de son père Amon-Ra, roi des dieux ; il a
fait construire la ''grande salle d’assemblée'' en bonne pierre blanche de
grès, soutenue par de ''grandes colonnes'' à chapiteaux imitant des fleurs
épanouies, flanquées de colonnes plus petites à chapiteaux imitant un
bouton de lotus tronqué ; salle qu’il voue au seigneur des dieux pour la
célébration de sa panégyrie gracieuse ; c’est ce qu’a fait le roi de son
vivant. »
 
Ainsi donc, les salles hypostyles, qui donnent aux palais égyptiens un
caractère si particulier, furent véritablement destinées, comme on le
soupçonnait, à tenir de grandes assemblées, soit politiques, soit
religieuses, c’est-à-dire ce qu’on nommait des ''panégyries'' ou réunions
générales : c’est ce dont j’étais déjà convaincu avant d’avoir découvert
cette curieuse dédicace, parce que, observant la forme du caractère
hiéroglyphique exprimant l’idée ''panégyrie'' sur les
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/300]]==
obélisques de Rome,
où ce caractère est sculpté en grand, je m’étais aperçu qu’il
représentait, au propre, une salle hypostyle avec des sièges disposés au
pied des colonnes.
 
C’est à l’entrée de la salle hypostyle du Rhamesséion, à droite,
qu’existe un bas-relief dans lequel on a représenté la reine mère du
conquérant. Elle se nommait ''Taouaï'' ; une belle statue de cette
princesse existe aussi au Capitole. J’en avais copié les inscriptions,
mais des fractures pouvaient donner lieu à quelques incertitudes ; elles
sont levées par le bas-relief que j’ai sous les yeux.
 
On trouve du même côté un grand tableau historique, décrit ou dessiné
par tous les voyageurs qui ont visité l’Égypte ; le seul dessin exact que
l’on puisse citer est celui que M. Caillaud a publié dans son ''Voyage à
Méroé''. J’en ai fait prendre une copie plus en grand, et j’ai transcrit
moi-même les légendes, qui sont intéressantes, quoique incomplètes sur
plusieurs points. C’est encore ici un grand tableau de guerre, mais qui
se partage en deux parties principales. Dans une vaste plaine, le roi
Rhamsès vient de vaincre les Schéto, qu’il a mis en pleine déroute. Deux
princes sont a la poursuite de l’ennemi ; ces fils du roi se nomment
''Mandouhi Schopsch'' et ''Schat-kemkémé''. C’étaient le quatrième et le
cinquième des enfants
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/301]]==
de Rhamsès. Les vaincus sont encore des peuples de
Schéto (des Bactriens ?) ; ils se dirigent vers une ville placée à
l’extrémité droite du tableau, où s’ouvre une nouvelle scène. Quatre
autres fils du conquérant, les septième, huitième, neuvième et dixième
de ses enfants, appelés ''Méïamoun, Amenhemwa, Noubtei'' et ''Setpanré'',
sont établis sous les murs de la place ; les assiégés opposent une
vigoureuse résistance ; mais déjà les Égyptiens ont dressé les échelles,
et les murailles vont être escaladées. Une fracture a malheureusement
fait disparaître la première partie du nom de la ville assiégée ; il ne
reste plus que les syllabes.... ''apouro''.
 
Des tableaux religieux, exécutés avec beaucoup de soin, existent sous le
fût des grandes et des petites colonnes de la salle hypostyle ; on y voit
successivement toutes les divinités égyptiennes du premier ordre, et
principalement celles dont le culte appartenait d’une manière plus
spéciale au nome diospolitain, annoncer à Rhamsès les bienfaits dont
elles veulent le combler en échange des riches offrandes qu’il leur
présente. Ici, comme dans la sculpture des piliers et des colonnes de la
seconde cour, reparaissent en première ligne les divinités protectrices
du palais, auxquelles ce bel édifice était plus particulièrement
consacré : celles-ci prennent toujours un titre qui se traduit exactement
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/302]]==
par ''résidant'' ou ''qui résident dans le Rhamesséion de Thèbes'' ; à leur
tête paraît Amon-Ra sous la forme du roi des dieux, ou sous celle de
générateur ; viennent ensuite les dieux Phtha, Phré, Atmou, Meuï, Sev, et
les déesses Pascht et Hathôr. Chacune d’elles accorde au Pharaon une
grâce particulière. Voici quelques exemples de ces formules donatrices,
extraites des galeries et des colonnades du Rhamesséion :
 
« J’accorde que ton édifice soit aussi durable que le ciel (Amon-Ra).
 
« Je te donne une longue suite de jours pour gouverner l’Égypte (Isis).
 
« Je t’accorde la domination sur toutes les contrées (Amon-Ra).
 
« J’inscris à ton nom les attributions royales du soleil (Thôth).
 
« Je t’accorde de vaincre comme Mandou, et d’être vigilant comme le fils
de Netphé (Amon-Ra).
 
« Je te livre le Midi et le Nord, l’Orient et l’Occident (Amon-Ra).
 
« Je t’accorde une longue vie pour gouverner le monde par un règne joyeux
(Sev, Saturne).
 
« Je te donne l’Égypte supérieure et l’Égypte inférieure à diriger en roi
(Netphé, Rhéa).
 
« Je te livre les Barbares du Midi et ceux du
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Nord à fouler sous tes
sandales (Thméi, la justice).
 
« Je t’ouvrirai toutes les bonnes portes qui seront devant toi (le
Gardien des portes célestes).
 
« Je veux que ton palais subsiste à toujours (Meuï).
 
« Je t’accorde de grandes victoires dans toutes les parties du monde (la
déesse Pascht).
 
« Je t’accorde que ton nom s’imprime dans le coeur des Barbares (la
déesse Pascht). »
 
La portion des murailles de la salle hypostyle échappée aux ravages des
hommes présente des scènes plus riches et plus développées : sur le mur
du fond, à la droite et à la gauche de la porte centrale, existent
encore deux vastes tableaux, remarquables par la grande proportion des
figures et le fini de leur exécution. Dans le premier, la déesse Pascht
à tête de lion, ''l’épouse de Phtha, la dame du palais céleste'', lève sa
main droite vers la tête de Rhamsès couverte d’un casque, en lui disant :
« Je t’ai préparé le diadème du soleil, que ce casque demeure sur ta
corne (le front) où je l’ai placé. » Elle présente en même temps le roi
au dieu suprême, Amon-Ra, qui, assis sur son trône, tend vers la face du
roi les emblèmes d’une vie pure.
 
Le second tableau représente l’''institution royale''
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du héros égyptien,
les deux plus grandes divinités de l’Égypte l’investissant des pouvoirs
royaux. Amon-Ra, assisté de Mouth, la grande mère divine, remet au roi
Rhamsès la ''faux de bataille'', le type primitif de la ''harpé'' des mythes
grecs, arme terrible appelée ''schopsch'' par les Égyptiens, et lui rend
en même temps les emblèmes de la direction et de la modération, le fouet
et le ''pedum'', en prononçant la formule suivante :
 
« Voici ce que dit Amon-Ra qui réside dans le Rhamesséion : Reçois la faux
de bataille pour contenir les nations étrangères et trancher la tête des
impurs ; prends le fouet et le ''pedum'' pour diriger la terre de Kémé
(l’Égypte). »
 
Le soubassement de ces deux tableaux offre un intérêt d’un autre genre :
on y a représenté en pied, et dans un ordre rigoureux de primogéniture,
les enfants mâles de Rhamsès le Grand. Ces princes sont revêtus du
costume réservé à leur rang ; ils portent les insignes de leur dignité,
le ''pedum'' et un éventail formé d’une longue plume d’autruche fixée à
une élégante poignée, et sont au nombre de vingt-trois ; famille
nombreuse, il est vrai, mais qui ne doit point surprendre si l’on
considère d’abord que Rhamsès eut, à notre connaissance, au moins deux
femmes légitimes,
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/305]]==
les reines Nofré-Ari et Isénofré, et qu’il est de plus
très-probable que les enfants donnés au conquérant par des concubines ou
des maîtresses prenaient rang avec les enfants légitimes, usage dont
fait foi l’ancienne histoire orientale tout entière. Quoi qu’il en soit,
on a sculpté au-dessus de la tête de chacun des princes, d’abord le
titre qui leur est commun à tous, savoir : le fils du roi et de son
germe ; et pour quelques-uns (les trois premiers et les plus âgés par
conséquent), la désignation des hautes fonctions dont ils se trouvaient
revêtus à l’époque où ces bas-reliefs furent exécutés. Le premier se
trouve ainsi qualifié : porte-éventail à la gauche du roi, le jeune
secrétaire royal (basilicogrammate), commandant en chef des soldats
(l’armée), le premier-né et le préféré de son germe, Amenhischôpsch ; le
second, nommé Rhamsès comme son père, était porte-éventail à la gauche
du roi et secrétaire royal, commandant en chef les soldats du maître du
monde (les troupes composant la garde du roi) ; et le troisième,
porte-éventail à la gauche du roi, comme ses frères (titre donné en
général à tous les princes sur d’autres monuments), était de plus
secrétaire royal, commandant de la cavalerie, c’est-à-dire des chars de
guerre de l’armée égyptienne. Je me dispense de transcrire ici les noms
 
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/306]]==
propres des vingt autres princes ; je dirai seulement que les noms de
quelques-uns d’entre eux font certainement allusion soit aux victoires
du roi au moment de leur naissance, tels que Nében-Schari (le maître du
pays de Schari), Nébenthonib (le maître du monde entier),
Sanaschténamoun (le vainqueur par Ammon), soit à des titres nouveaux
adoptés dans le protocole de Rhamsès le Grand, comme par exemple
Patavéamoun (Ammon est mon père), et Septenri (approuvé par le soleil),
titre qui se retrouve dans le prénom du roi.
 
J’observe en même temps dans cette série de princes un fait
très-notable : on y a, postérieurement à la mort de Rhamsès le Grand,
caractérisé d’une manière particulière celui de ses vingt-trois enfants
qui monta sur le trône après lui ; ce fut son treizième fils, nommé
Ménephtha, qui lui succéda. Il est visible qu’on a en conséquence
modifié, après coup, le costume de ce prince, en ornant son front de
l’''uraeus'' et en changeant sa courte ''sabou'' en longue tunique royale ;
de plus, à côté de sa légende première, où se lit le nom de Ménephtha,
qu’il conserva en montant sur le trône, on a sculpté le premier
cartouche de sa légende royale, son cartouche prénom (soleil esprit aimé
des dieux), que l’on
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/307]]==
retrouve en effet sur tous les monuments de son
règne.
 
En sortant de la salle hypostyle par la porte centrale, on entre dans
une salle qui a conservé une partie de ses colonnes, et où la décoration
prend un caractère tout particulier. Dans la portion de palais que nous
venons de parcourir, des hommages généraux sont adressés aux principales
divinités de l’Égypte, comme il convenait dans des cours ou des
péristyles ouverts à toute la population, et dans la salle hypostyle où
se tenaient les grandes assemblées. Mais ici commencent véritablement la
partie privée du palais et les salles qui servaient d’habitation au roi,
le lieu qu’était censé habiter aussi plus particulièrement le roi des
dieux auquel ce grand édifice était consacré. C’est ce que prouvent les
bas-reliefs sculptés sur les parois à la droite et à la gauche de la
porte : ces tableaux représentent quatre grandes barques ou ''bari''
sacrées, portant un petit naos sur lequel un voile semble jeté comme
pour dérober à tous les regards le personnage qu’il renferme. Ces
''bari'' sont portées sur les épaules par vingt-quatre ou dix-huit
prêtres, selon l’importance du maître de la ''bari''. Les insignes qui
décorent la proue et la poupe des deux premières barques sont les têtes
symboliques de
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/308]]==
la déesse Mouth et du dieu Chons, l’épouse et le fils
d’Amon-Ra ; enfin, la troisième et la quatrième portent les têtes du roi
et de la reine, coiffés des marques de leur dignité. Ces tableaux, comme
nous l’apprennent les légendes hiéroglyphiques, représentent les deux
divinités et le couple royal venant rendre hommage au père des dieux,
Amon-Ra, qui établit sa demeure dans le palais de Rhamsès le Grand. Les
paroles que prononce chacun des visiteurs ne laissent, d’ailleurs, aucun
doute à cet égard : « Je viens, dit la déesse Mouth, rendre hommage au roi
des dieux, Amon-Ra, modérateur de l’Égypte, afin qu’il accorde de
longues années à son fils qui le chérit, le roi Rhamsès. »
 
« Nous venons vers toi, dit le dieu Chons, pour servir ta majesté, ô
Amon-Ra, roi des dieux ! Accorde une vie stable et pure à ton fils, qui
t’aime, le seigneur du monde. »
 
Le roi Rhamsès dit seulement : « Je viens à mon père Amon-Ra, à la suite
des dieux qu’il admet en sa présence à toujours. »
 
Mais la reine Nofré-Ari, surnommée ici Ahmosis (engendrée de la lune),
exprime ses voeux plus positivement ; l’inscription porte : « Voici ce que
dit la déesse épouse, la royale mère, la royale épouse, la puissante
dame du monde, Ahmosis-Nofré-Ari : Je viens pour rendre
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/309]]==
hommage à mon
père Amon, roi des dieux ; mon coeur est joyeux de tes affections
(c’est-à-dire de l’amour que tu me portes) ; je suis dans l’allégresse en
contemplant tes bienfaits ; ô toi, qui établis le siège de ta puissance
dans la demeure de ton fils, le seigneur du monde, Rhamsès, accorde-lui
une vie stable et pure ; que ses années se comptent par périodes de
panégyries ! »
 
Enfin, la paroi du fond de cette salle était ornée de plusieurs tableaux
représentant l’accomplissement de ces voeux et rappelant les grâces
qu’Amon-Ra accordait au héros égyptien : il n’en reste plus qu’un seul, à
la droite de la porte. Le roi est figuré assis sur un trône, au pied de
celui d’Amon-Ra-Atmou, et à l’ombre du vaste feuillage d’un persea,
l’arbre céleste de la vie : le grand dieu et la déesse Saf qui présidait
à l’écriture, à la science, traçant sur les fruits cordiformes de
l’arbre le cartouche prénom de Rhamsès le Grand ; tandis que d’un autre
côté le dieu Thôth y grave le cartouche nom propre du roi, auquel
Amon-Ra-Atmou adresse les paroles suivantes : « Viens, je sculpte ton nom
pour une longue suite de jours, afin qu’il subsiste sur l’arbre divin. »
 
La porte qui, de cette salle, conduisait à une seconde, également
décorée de colonnes, dont
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/310]]==
quatre subsistent encore, mérite une attention
particulière, soit sous le rapport de son exécution matérielle, soit
pour les sculptures qui la décorent.
 
Les bas-reliefs qui couvrent le bandeau et les jambages sont d’un relief
tellement bas qu’il est évident qu’on les a usés avec soin pour en
diminuer la saillie ; j’attribuais ce travail au temps et à la barbarie,
qui a certainement agi sur plusieurs points de ces surfaces, lorsque,
ayant fait déblayer le bas des montants de cette porte, j’ai lu une
inscription dédicatoire de Rhamsès le Grand, dans les formes ordinaires
pour les dédicaces des portes ; mais il y est dit, de plus, que cette
porte a été ''recouverte d’or pur''. J’ai étudié alors les surfaces avec
plus de soin. En examinant de plus près l’espèce de stuc blanc et fin
qui recouvrait encore quelques parties de la sculpture, je m’aperçus que
ce stuc ''avait été étendu sur une toile'' appliquée sur les tableaux,
qu’on avait rétabli sur le stuc même les contours et les parties
saillantes des figures avant d’y appliquer la dorure. Ce procédé m’ayant
paru curieux, j’ai cru utile de le noter ici.
 
Mais les deux tableaux qui ornent cette porte offrent un intérêt bien
plus piquant. Le bandeau et le haut des jambages sont couverts
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/311]]==
d’une
douzaine de petits bas-reliefs représentant le roi Rhamsès adorant les
membres de la triade thébaine : ces divinités tournent toutes le dos à
l’entrée de la porte en question, parce qu’elles sont seulement en
rapport avec la première salle et non avec la seconde, à laquelle cette
porte sert d’entrée. Mais au bas des jambages, et immédiatement
au-dessus de la dédicace, sont sculptées deux divinités, la face tournée
vers l’ouverture de la porte, et regardant la seconde salle, qui était
par conséquent sous leur juridiction. Ces deux divinités sont, à gauche,
le dieu des sciences et des arts, l’inventeur des lettres, Thôth à tête
d’Ibis, et à droite la déesse Saf, compagne de Thôth, portant le titre
remarquable de ''dame des lettres présidente de la bibliothèque'' (mot à
mot, ''la salle des livres''). De plus, le dieu est suivi d’un de ses
parèdres, qu’à sa légende et à un grand ''oeil'' qu’il porte sur la tête
on reconnaît pour ''le sens de la vue'' personnifié, tandis que le parèdre
de la déesse est ''le sens de l’ouïe'' caractérisé par une grande oreille
tracée également au-dessus de sa tête, et par le mot ''sôlem'' (l’ouïe)
sculpté dans sa légende ; il tient de plus en main tous les instruments
de l’écriture, comme pour écrire tout ce qu’il entend.
 
Je demande s’il est possible de mieux annoncer
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/312]]==
que par de tels
bas-reliefs l’entrée d’une bibliothèque ? Et à ce mot, la controverse qui
divise nos savants sur le fameux monument d’''Osimandyas'', si connu par
sa bibliothèque, et sur ses rapports avec le Rhamesséion. se présente
naturellement à ma pensée.
 
Dès les premiers jours, en lisant au milieu des ruines du Rhamesséion la
description que Diodore nous a conservée du monument d’Osimandyas, je
fus frappé de retrouver autour de moi et dans le même ordre les parties
analogues et presque les mêmes détails du grand édifice dont Diodore
emprunte à Hécatée une notice si complète.
 
D’abord, l’ancien voyageur grec place le monument d’Osimandyas à dix
stades des derniers tombeaux de ce qu’il nomme les [Greek : pallakidas
tou Diou], les concubines de Jupiter (Ammon).--Nous avons trouvé, en
effet, à une distance à peu près égale du Rhamesséion, une vallée
renfermant les tombeaux, encore ornés de peintures et d’inscriptions,
d’une douzaine de femmes, mais de reines égyptiennes, dont le premier
titre dans leur légende fut toujours celui d’''épouse d’Ammon''.
 
Le monument d’Osimandyas s’annonçait par un grand pylône ''de pierre
variée'' ([Greek : lithou poikilou]).--Le premier pylône du Rhamesséion,
 
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/313]]==
dont les massifs sont en grès rougeâtre et la porte en calcaire blanc, a
quelque analogie avec cette expression.
 
Ce pylône donnait entrée dans un péristyle dont les piliers étaient
ornés de figures colossales ; on passait de là à un second pylône bien
plus soigné que le premier, sous le rapport de la sculpture, et à
l’entrée duquel se trouvait ''le plus grand colosse de l’Égypte'', d’un
seul bloc de granit de Syène.--Tout cela se rapproche du Rhamesséion, à
quelques différences de mesures près ; mais l’exactitude des anciens
copistes, transcrivant les quantités de ces mesures, est-elle certaine ?
Là existent encore aujourd’hui les immenses débris ''du plus grand
colosse'' connu de l’Égypte ; il est en granit de Syène : ce sont là des
traits remarquables.
 
Dans le péristyle qui suivait le pylône, dit Hécatée, on avait
représenté le roi, qu’on appelle ''Osimandyas'', faisant la guerre aux
révoltés de Bactriane, assiégeant une ville entourée des eaux d’un
fleuve, etc.--C’est la description exacte des bas-reliefs encore
existants sous le deuxième péristyle du Rhamesséion ; et si l’on n’y voit
plus le lion combattant avec le roi contre les troupes ennemies, ni des
quatre princes commandant les divisions de l’armée, c’est que les murs
du fond du péristyle sont
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/314]]==
détruits et qu’il n’en subsiste pas la
huitième partie. Il est vrai qu’on voit ailleurs, sur les monuments
d’Égypte, des rois assiégeant des villes ''entourées par un fleuve'' : cela
existe réellement à Ibsamboul, à Derri, sur les pylônes de Loùqsor et au
Rhamesséïon ; mais tous ces monuments sont de Rhamsès le Grand, et
reproduisent les événements ''de la même campagne''.
 
Sur le second mur du péristyle, dit la description du monument
d’Osimandyas, sont représentés les captifs ramenés par le roi de son
expédition ; ils n’ont point de mains ni de parties sexuelles : et, sur le
mur de fond du péristyle du Rhamesséion, j’ai mis à découvert, par des
fouilles, les restes d’un tableau dans lequel on amène des prisonniers
au roi, aux pieds duquel sont des monceaux de mains coupées.
 
Sur un troisième côté du péristyle du monument d’Osimandyas étaient
représentés ''des sacrifices et le triomphe du roi au retour de cette
guerre''.--Au Rhamesséion, le registre supérieur de la paroi sur laquelle
est sculptée la bataille représente la fin d’une grande solennité
religieuse à laquelle assistent le roi et la reine, et ce tableau
commençait, sans aucun doute, sur le mur de fond du côté droit du
péristyle.
 
On entrait ensuite, dit l’historien grec, dans la salle hypostyle du
monument d’Osimandyas
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/315]]==
par trois portes ornées de deux colosses.--Tout
cela se trouve exactement au Rhamesséion, immédiatement aussi après le
second péristyle. Après la salle hypostyle de l’Osimandyéion venait un
espace désigné dans les traductions sous le nom de ''promenoir''.--Dans le
Rhamesséion, une salle décorée des barques symboliques des dieux succède
à la salle hypostyle.
 
''Ensuite'', a dit Diodore, ''venait la bibliothèque'' ; et c’est
effectivement sur la porte qui, du ''promenoir'' du Rhamesséion, conduit
''à la salle suivante'', que j’ai trouvé des bas-reliefs si convenables à
l’entrée d’une ''bibliothèque''.
 
La salle de la bibliothèque est presque entièrement rasée ; il n’en reste
que quatre colonnes, et une portion des parois de droite et de gauche de
la porte : sur ces murailles on a sculpté des tableaux représentant le
roi faisant successivement des offrandes aux plus grandes divinités de
l’Égypte--à Amon-Ra, Mouth, Chons, Phré, Phtha, Pascht, Nofré-Thmou,
Atmou, Mandou ; et, en outre, la plus grande partie de la surface de ces
parois est occupée par deux énormes tableaux divisés en de nombreuses
colonnes verticales dans lesquelles sont trois longues séries de noms de
divinités et leurs images de petite proportion ; c’est un panthéon
complet ; le roi, debout devant chacun de ces tableaux ''
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/316]]==
synoptiques'',
fait nommément des libations et des offrandes à tous les dieux ou
déesses grandes et petites ; et c’est encore ici un rapport avec le
''monument d’Osimandyas''. ''On voit dans la salle de la bibliothèque'', dit
en effet la description grecque, ''les images de tous, les dieux de
l’Égypte ; le roi leur présente de la même manière des offrandes
convenables à chacun d’eux''.
 
Cette comparaison des ruines du Rhamesséion avec la description du
monument d’Osimandyas conservée dans Diodore de Sicile, a été déjà
faite, et avec bien plus de détails encore, par MM. Jollois et
Devilliers dans leur ''Description générale de Thèbes'', travail important
auquel je me plais à donner de justes éloges parce que j’ai vu les
lieux, et que j’ai pu juger par moi-même de l’exactitude de leur
description ; mais j’ai dû reproduire rapidement ce parallèle dans cette
lettre, par le besoin de mettre à leur véritable place quelques faits
nouveaux que j’ai observés, et qui rendent si frappante l’analogie du
monument décrit par les Grecs avec le monument dont j’étudie les ruines.
Les deux savants voyageurs que je viens de citer ont mis en fait leur
''identité'', d’autres l’ont combattue : pour moi, voici ma profession de
foi toute simple :
 
De deux choses l’une : ou le monument décrit
==[[Page:Champollion - Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829.djvu/317]]==
par Hécatée sous le nom de
''monument d’Osimandyas'' est le même que le ''Rhamesséion occidental de
Thèbes'', ou bien le ''Rhamesséion'' n’est qu’une ''copie'', à la différence
des mesures près, si l’on peut s’exprimer ainsi, du ''monument
d’Osimandyas''.
 
Ici se terminent les débris du palais de Sésostris ; il ne reste plus de
traces de ces dernières constructions, qui devaient s’étendre encore du
côté de la montagne. Le Rhamesséion est le monument de Thèbes le plus
dégradé, mais c’est aussi, sans aucun doute, celui qui, par l’élégante
majesté de ses ruines, laisse dans l’esprit des voyageurs une impression
plus profonde et plus durable. J’aurais pu passer encore bien du temps
à son étude sans l’épuiser ; mais d’autres monuments de la rive opposée
du Nil, où est toujours Thèbes, m’arrachent à ces merveilles.... Et je
pense à la France.... Adieu.