« Les Possédés/Deuxième Partie/10 » : différence entre les versions

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Ilitch et partit en tout hâte pour Skvorechniki, sachant qu’une
demi-heure auparavant Von Lembke s’était mis en route dans cette
direction…
direction...
 
Mais un point, je l’avoue, reste encore obscur pour moi : comment
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d’accumuler depuis quelques jours bévues sur bévues, prenait
ombrage des capacités administratives de sa femme ? Avait-elle sur
le coeurcœur les reproches qu’il lui avait adressés au sujet de sa
conduite avec les jeunes gens et avec toute notre société, sans
comprendre les hautes et subtiles considérations politiques dont
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l’expression ! vociféra-t-il en surprenant un sourire sur les
lèvres de sa femme, — le mot n’y fait rien, la vérité est qu’on
me mène par le nez !...Non…Non, madame, le moment est venu ; sachez qu’à
présent il ne s’agit plus de rire et que les manèges de la
coquetterie féminine ne sont plus de saison. Nous ne sommes pas
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dans l’incohérence de ses images.) « C’est vous, vous, madame, qui
m’avez fait quitter mon ancien poste : je n’ai accepté cette place
que pour vous, pour satisfaire votre ambition...ambition… Vous souriez
ironiquement ? Ne vous hâtez pas de triompher. Sachez, madame,
sachez que je pourrais, que je saurais me montrer à la hauteur de
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pouvoir, madame, mais je ne permets pas cela, je ne le permets
pas ! Dans le service comme dans le ménage l’autorité doit être
une, elle ne peut se scinder...scinder… Comment m’avez-vous récompensé ?
s’écria-t-il ensuite, — quelle a été notre vie conjugale ? Sans
cesse, à tout heure, vous me démontriez que j’étais un être nul,
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qu’antireligieux ; croire en Dieu est une obligation pour un
gouverneur, et par conséquent aussi pour sa femme ; je ne
souffrirai plus de jeunes gens autour de vous...vous… Par dignité
personnelle, vous auriez dû, madame, vous intéresser à votre mari
et ne pas laisser mettre en doute son intelligence, lors même
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tout mon cas) ; or vous êtes cause, au contraire, que tout le monde
ici me méprise ; c’est vous qui avez ainsi disposé l’esprit
public...public… Je supprimerai la question des femmes, poursuivit-il
avec véhémence, — je purifierai l’atmosphère de ce miasme ;
demain, je vais interdire la sotte fête au profit des
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distribuent exprès des proclamations, exprès ? Savez-vous que je
connais les noms de quatre de ces vauriens, et que je perds la
tête ; je la perds définitivement, définitivement ! ! !... »
 
À ces mots, Julie Mikhaïlovna, sortant soudain de son mutisme,
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avec fureur, — sache que je vais faire arrêter à l’instant même
ton indigne amant ; je le chargerai de chaînes et je l’enverrai
dans un ravelin, à moins que...que… à moins que moi-même, sous tes
yeux, je ne me jette par la fenêtre ! » Julie Mikhaïlovna, blême de
colère, accueillit cette tirade par un rire sonore et prolongé,
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pâleur cadavérique couvrit son visage, il croisa ses bras sur sa
poitrine, et regardant sa femme d’un air sinistre : « Sais-tu, sais-
tu, Julie...Julie… proféra-t-il d’une voix étouffée et suppliante, —
sais-tu, que dans l’état où je suis, je puis tout entreprendre ? » À
cette menace, l’hilarité de la gouvernante redoubla, ce que
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habillé sur son lit. Pendant deux heures, le malheureux resta
couché à plat ventre, ne dormant pas, ne réfléchissant à rien,
hébété par l’écrasant désespoir qui pesait sur son coeurcœur comme une
pierre. De temps à autre, un tremblement fiévreux secouait tout
son corps. Des idées incohérentes, tout à fait étrangères à sa
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lignes de la page de droite). C’étaient les _Contes_ de Voltaire
qui se trouvaient sur la table. « Tout est pour le mieux dans le
meilleur des mondes possibles...possibles… » lut le gouverneur. Il lança un
jet de salive, et se hâta de monter en voiture. « À Skvorechniki ! »
Le cocher raconta que pendant toute la route le barine s’était
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la campagne, d’où l’on avait depuis longtemps enlevé les récoltes,
n’offrait plus que quelques petites fleurs jaunes dont le vent
agitait les tiges...tiges… Le gouverneur comparaît-il mentalement sa
destinée à celle de ces pauvres plantes flétries par le froid de
l’automne ? Je ne le crois pas. Les objets qu’il avait sous les
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au plus s’il avait pris une décision quelconque lorsqu’il arriva
sur la place située devant sa demeure. Mais tout son sang reflua
vers son coeurcœur dès qu’il eût vu le groupe résolu des « émeutiers »,
le cordon des sergents de ville, le désarroi (peut-être plus
apparent que réel) du maître de police, enfin l’attente qui se
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ou quatre hommes voulurent se mettre à genoux, mais tous les
autres firent trois pas en avant et soudain remplirent l’air de
leurs cris : « Votre Excellence...Excellence… on nous a engagés à raison de
quarante...quarante… l’intendant...l’intendant… tu ne peux pas dire...dire… » etc., etc. Il
était impossible de découvrir un sens à ces clameurs confuses.
 
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croyait voir aller et venir le « Boute-en-train » du désordre,
Pierre Stépanovitch dont la pensée ne l’avait pas quitté un seul
instant depuis la veille, — l’exécré Pierre Stépanovitch...Stépanovitch…
 
— Des verges ! cria-t-il brusquement.
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— Cher, dit-il d’une voix où vibrait une corde prête à se briser,
— si, ici, sur la place, devant nous, ils procèdent avec un tel
sans gêne, qu’attendre de _ce_..._ce_… dans le cas où il agirait sans
contrôle ?
 
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Verkhovensky, Excellence, répondit Stépan Trophimovitch en
s’inclinant avec dignité devant le gouverneur qui ne cessait de
fixer sur lui un oeilœil du reste complètement atone.
 
— De quoi ? fit avec un laconisme autoritaire André Antonovitch,
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— Aujourd’hui un employé agissant au nom de Votre Excellence est
venu faire une perquisition chez moi ; en conséquence je
désirerais…
désirerais...
 
À ces mots, la lumière parut se faire dans l’esprit de Von Lembke.
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ses noms et qualités.
 
— A-a-ah ! C’est...C’est… c’est ce propagateur...propagateur… Monsieur, vous vous
êtes signalé d’une façon qui...qui… Vous êtes professeur ? Professeur ?
 
— J’ai eu autrefois l’honneur de faire quelques leçons à la
jeunesse à l’université de...de…
 
— À la jeunesse ! répéta Von Lembke avec une sorte de frisson,
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subite. — Je n’admets pas la jeunesse. Ce sont toujours des
proclamations. C’est un assaut livré à la société, monsieur, c’est
du flibustiérisme...flibustiérisme… Qu’est-ce que vous sollicitez ?
 
— C’est, au contraire, votre épouse qui m’a sollicité de faire
une lecture demain à la fête organisée par elle. Moi, je ne
sollicite rien, je viens réclamer mes droits...droits…
 
— À la fête ? Il n’y aura pas de fête ! J’interdirai votre fête !
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— Je fais à la société un rempart de mon corps, et vous la battez
en brèche. Vous la ruinez !... Vous...Vous… Du reste, je n’ignore pas
qui vous êtes : c’est vous qui avez été gouverneur dans la maison
de la générale Stavroguine ?
 
— Oui, j’ai été...été… gouverneur...gouverneur… dans la maison de la générale
Stavroguine.
 
— Et durant vingt ans vous avez propagé les doctrines dont nous
voyons à présent...présent… les fruits...fruits… Je crois vous avoir aperçu tout
à l’heure sur la place. Craignez pourtant, monsieur, craignez ;
votre manière de penser est connue. Soyez sûr que j’ai l’oeill’œil sur
vous. Je ne puis pas, monsieur, tolérer vos leçons, je ne le puis
pas. Ce n’est pas à moi qu’il faut adresser de pareilles demandes.
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mon domicile. On m’a pris des livres, des papiers, des lettres
privées auxquelles je tiens ; le tout a été emporté dans une
brouette…
brouette...
 
Lembke tressaillit.
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s’opéra en lui.
 
— Excusez-moi...moi… balbutia-t-il confus et rougissant, — tout
cela...cela… il n’y a eu dans tout cela qu’un malentendu...malentendu… un simple
malentendu.
 
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contenta de dire d’un air vexé à sa victime exactement ce que je
viens d’entendre de la bouche de Votre Excellence : « Je me suis
trompé...trompé… pardonnez-moi, c’est un malentendu, un simple
malentendu. » Et comme, néanmoins, l’individu giflé continuait à
récriminer, le gifleur ajouta avec colère : « Voyons, puisque je
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encore ? »
 
C’est...C’est… c’est sans doute fort ridicule...ridicule… répondit Von Lembke
avec un sourire forcé, — mais...mais… mais est-il possible que vous en
voyiez pas combien je suis moi-même malheureux ?
 
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— Excellence, ne vous inquiétez plus de ma sotte plainte ; faites-
moi seulement rendre mes livres et mes lettres...lettres…
 
En ce moment un brouhaha se produisit dans la salle : Julie
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assuré qu’il n’y avait qu’à fustiger en masse tous les tapageurs
de la fabrique, et depuis quelque temps Pierre Stépanovitch était
devenu pour elle un véritable oracle. « Mais...Mais… n’importe, il me
payera cela », pensa-t-elle probablement à part soi : _il_, c’était
à coup sûr son mari. Soit dit en passant, Pierre Stépanovitch ne
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Le châtiment d’André Antonovitch ne se fit pas attendre. Dès le
premier coup d’oeild’œil qu’il jeta sur son excellente épouse, le
gouverneur sut à quoi s’en tenir. À peine entrée, Julie
Mikhaïlovna s’approcha avec un ravissant sourire de Stépan
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en bousculant même Julie Mikhaïlovna.
 
— Combien d’étés, combien d’hivers ! Enfin...Enfin… Excellent ami !
 
Il l’embrassa, c’est-à-dire qu’il lui présenta sa joue. Stépan
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le plus lâche, de lui qui m’embrassait pour m’humilier, ou de moi,
qui, tout en le méprisant, baisais sa joue alors que j’aurais pu
m’en dispenser...dispenser… pouah !
 
— Eh bien, racontez-donc, racontez tout, poursuivit de sa voix
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— Songez que nous nous sommes vus pour la dernière fois à Moscou,
au banquet donné en l’honneur de Granovsky, et que depuis lors
vingt-cinq ans se sont écoulés...écoulés… commença très sensément (et par
suite avec fort peu de chic) Stépan Trophimovitch.
 
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qui tremblait de colère au souvenir de son entretien avec
Karmazinoff, — déjà quand nous étions jeunes tous deux, nous
n’éprouvions que de l’antipathie l’un pour l’autre...l’autre…
 
Le salon de Julie Mikhaïlovna ne tarda pas à se remplir. Barbara
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traitait ce dernier visiteur avec une considération visible et
même paraissait inquiète de l’opinion qu’il pourrait avoir de son
salon…
salon...
 
— Cher monsieur Karmazinoff, dit Stépan Trophimovitch qui s’assit
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Karmazinoff, la vie d’un homme de notre génération, quand il
possède certains principes, doit, même pendant une durée de vingt-
cinq ans, présenter un aspect uniforme...uniforme…
 
Croyant sans doute avoir entendu quelque chose de fort drôle,
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l’examina nonchalamment avec son pince-nez.
 
...Doit…Doit présenter un aspect uniforme, répéta exprès Stépan
Trophimovitch en traînant négligemment la voix sur chaque mot. —
Telle a été ma vie durant tout ce quart de siècle, _et comme on
trouve partout plus de moines que de raison, _la conséquence a été
que durant ces vingt-cinq ans je...je…
 
— C’est charmant, les moines, murmura la gouvernante en se
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décidé l’établissement d’une nouvelle conduite d’eau, j’ai senti
que cette question des eaux de Karlsruhe me tenait plus fortement
au coeurcœur que toutes les questions de ma chère patrie...patrie… que toutes
les prétendues réformes d’ici.
 
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j’ai incarné dans le personnage de Pogojeff tous les défauts des
slavophiles, et dans celui de Nikodimoff tous les défauts des
zapadniki[26]...
 
— Oh ! il en a bien oublié quelques uns ! fit à demi-voix
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— Mais je ne m’occupe de cela qu’à mes moments perdus, à seule
fin de tuer le temps et...et… de donner satisfaction aux importunes
exigences de mes compatriotes.
 
— Vous savez probablement, Stépan Trophimovitch, reprit avec
enthousiasme Julie Mikhaïlovna, — que demain nous aurons la joie
d’entendre un morceau charmant...charmant… une des dernières et des plus
exquises productions de Sémen Égorovitch, — elle est intitulée
_Merci_. Il déclare dans cette pièce qu’il n’écrira plus, pour
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— Oui, je ferai mes adieux ; je dirai mon _Merci, _et puis j’irai
m’enterrer là-bas...bas… à Karlsruhe, reprit Karmazinoff dont la
fatuité s’épanouissait peu à peu. — Nous autres grands hommes,
quand nous avons accompli notre oeuvreœuvre, nous n’avons plus qu’à
disparaître, sans chercher de récompense. C’est ce que je ferai.
 
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plaisir d’entendre votre lecture à la matinée littéraire.
 
— Je ne sais pas, je...je… maintenant...maintenant…
 
— Je suis bien malheureuse, vraiment, Barbara Pétrovna...Pétrovna…
figurez-vous, je me faisais un tel bonheur d’entrer
personnellement en rapport avec un des esprits les plus
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n’aurais pas dû l’entendre, observa spirituellement Stépan
Trophimovitch, — mais je ne crois pas que ma pauvre personnalité
soit si nécessaire à votre fête. Du reste, je...je…
 
— Mais vous le gâtez ! cria Pierre Stépanovitch entrant comme une
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Stépan Trophimovitch effrayé, il la serra de toutes ses forces
dans la sienne. — Assez, les flibustiers de notre temps sont
connus. Pas un mot de plus. Les mesures sont prises...prises…
 
Ces mots prononcés d’une voix vibrante retentirent dans tout le
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immédiatement la séance. C’était une façon de congédier les
autres ; ils le comprirent et se retirèrent. Toutefois une dernière
péripétie devait clore cette journée déjà si mouvementée...mouvementée…
 
Au moment même où Nicolas Vsévolodovitch était entré, j’avais
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— Oui, j’ai le malheur d’être le parent de cet homme. Voilà
bientôt cinq ans que j’ai épousé sa soeursœur, née Lébiadkine. Soyez
sûre que je lui ferai part de vos exigences dans le plus bref
délai, et je vous réponds qu’à l’avenir il vous laissera
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tranquillement, sans rien dire à personne, sans regarder qui que
ce fût. Comme de juste, Maurice Nikolaïévitch s’empressa de lui
offrir son bras...bras…
 
De retour à sa maison de ville, Barbara Pétrovna fit défendre sa
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— Mon ami, c’est pour la grande idée, me dit-il en manière de
justification. — Mon ami, je sors de la retraite où je vivais
depuis vingt-cinq ans. Où vais-je ? je l’ignore, mais je pars...pars…
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