« Macbeth/Traduction Guizot, 1864 » : différence entre les versions

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'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Tout à l’heure !
 
'''LES TROIS SORCIÈRES''', à la fois.
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'''DUNCAN'''
 
Quel est cet homme tout couvert de sang ? Il me semble, d’après son état, qu’il pourra nous dire où en est actuellement la révolte.
 
'''MALCOLM'''
 
C’est le sergent qui a combattu en brave et intrépide soldat pour me sauver de la captivité.—Salut, mon brave ami ; apprends au roi ce que tu sais de la mêlée : en quel état l’as-tu laissée ?
 
'''LE SERGENT'''
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'''DUNCAN'''
 
O mon brave cousin ! digne gentilhomme !
 
'''LE SERGENT'''
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'''DUNCAN'''
 
Cela n’a-t-il pas effrayé nos généraux Macbeth et Banquo ?
 
'''LE SERGENT'''
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'''DUNCAN'''
 
Tes paroles te vont aussi bien que tes blessures : elles ont un parfum d’honneur.—Allez avec lui, amenez-lui les chirurgiens.—(Le sergent sort accompagné.) Qui s’avance vers nous ?
 
(Entre Rosse.)
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'''LENOX'''
 
Quel empressement peint dans ses regards ! A le voir, il aurait l’air de nous annoncer d’étranges choses.
 
'''ROSSE'''
 
Dieu sauve le roi !
 
'''DUNCAN'''
 
D’où viens-tu, digne thane ?
 
'''ROSSE'''
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'''DUNCAN'''
 
Quel bonheur !
 
'''ROSSE'''
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'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Où as-tu été, ma sœur ?
 
'''DEUXIÈME SORCIÈRE'''
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'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Et toi, ma sœur ?
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
La femme d’un matelot avait des châtaignes dans son tablier ; elle mâchonnait, mâchonnait, mâchonnait.—Donne-m’en, lui ai-je dit.—Arrière, sorcière ! m’a répondu cette maigrichonne nourrie de croupions.—Son mari est parti pour Alep, comme patron du Tigre ; mais je m’embarquerai avec lui dans un tamis, et sous la forme d’un rat sans queue, je ferai, je ferai, je ferai.
 
'''DEUXIÈME SORCIÈRE'''
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'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Le tambour ! le tambour ! Macbeth arrive.
 
'''TOUTES TROIS ENSEMBLE'''
 
Les sœurs du Destin se tenant par la main, parcourant les terres et les mers, ainsi tournent, tournent, trois fois pour le tien, trois fois pour le mien, et trois fois encore pour faire neuf. Paix ! le charme est accompli.
 
(Macbeth et Banquo paraissent, traversant cette plaine de bruyères ; ils sont suivis d’officiers et de soldats.)
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'''BANQUO'''
 
Combien dit-on qu’il y a d’ici à Fores ? —Quelles sont ces créatures si décharnées et vêtues d’une manière si bizarre ? Elles ne ressemblent point aux habitants de la terre, et pourtant elles y sont.—Êtes-vous des êtres que l’homme puisse questionner ? Vous semblez me comprendre, puisque vous placez toutes trois à la fois votre doigt décharné sur vos lèvres de parchemin. Je vous prendrais pour des femmes si votre barbe ne me défendait de le supposer.
 
'''MACBETH'''
 
Parlez, si vous pouvez ; qui êtes-vous ?
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Salut, Macbeth ! salut à toi, thane de Glamis !
 
'''DEUXIÈME SORCIÈRE'''
 
Salut, Macbeth ! salut à toi, thane de Cawdor !
 
'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Salut, Macbeth, qui seras roi un jour !
 
'''BANQUO'''
 
Mon bon seigneur, pourquoi tressaillez-vous, et semblez-vous craindre des choses dont le son vous doit être si doux ? —Au nom de la vérité, êtes-vous des fantômes, ou êtes-vous en effet ce que vous paraissez être ? Vous saluez mon noble compagnon d’un titre nouveau, de la haute prédiction d’une illustre fortune et de royales espérances, tellement qu’il en est comme hors de lui-même ; et moi, vous ne me parlez pas : si vos regards peuvent pénétrer dans les germes du temps, et démêler les semences qui doivent pousser et celles qui avorteront, parlez-moi donc à moi qui ne sollicite ni ne redoute vos faveurs ou votre haine.
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Salut !
 
'''DEUXIÈME SORCIÈRE'''
 
Salut !
 
'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Salut !
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
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'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Tu engendreras des rois, quoique tu ne le sois pas. Ainsi salut, Macbeth et Banquo !
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Banquo et Macbeth, salut !
 
'''MACBETH'''
 
Demeurez ; vous dont les discours demeurent imparfaits, dites-m’en davantage. Par la mort de Sinel, je sais que je suis thane de Glamis ; mais comment le serais-je de Cawdor ? Le thane de Cawdor est vivant, est un seigneur prospère ; et devenir roi n’entre pas dans la perspective de ma croyance, pas plus que d’être thane de Cawdor. Parlez, d’où tenez-vous ces étranges nouvelles, et pourquoi arrêtez-vous nos pas sur ces bruyères desséchées par vos prophétiques saluts ? —Je vous somme de parler.
 
(Les sorcières disparaissent.)
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'''BANQUO'''
 
De la terre comme de l’eau s’élèvent des bulles d’air ; c’est là ce que nous avons vu.—Où se sont-elles évanouies ?
 
'''MACBETH'''
 
Dans l’air ; et ce qui paraissait un corps s’est dissipé comme l’haleine dans les vents.—Plût à Dieu qu’elles eussent demeuré plus longtemps !
 
'''BANQUO'''
 
Étaient-elles réellement ici ces choses dont nous parlons, ou bien aurions-nous mangé de cette racine de folie11 qui rend la raison captive ?
 
'''MACBETH'''
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'''MACBETH'''
 
Et thane de Cawdor aussi : cela ne s’est-il pas dit ainsi ?
 
'''BANQUO'''
 
Air et paroles.—Mais qui vient à nous ?
 
(Entrent Rosse et Angus.)
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'''BANQUO'''
 
Quoi ! le diable peut-il dire vrai ?
 
'''MACBETH'''
 
Le thane de Cawdor est vivant. Pourquoi venez-vous me revêtir de vêtements empruntés ?
 
'''ANGUS'''
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'''MACBETH'''
 
Thane de Glamis et thane de Cawdor ! le plus grand est encore à venir.—Merci de votre peine.—N’espérez-vous pas à présent que vos enfants seront rois, puisque celles qui m’ont salué thane de Cawdor ne leur ont rien moins promis ?
 
'''BANQUO'''
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'''MACBETH'''
 
Deux vérités m’ont été dites13, favorables prologues de la grande scène de ce royal sujet.—Je vous remercie, messieurs.—Cette instigation surnaturelle ne peut être mauvaise, ne peut être bonne. Si elle est mauvaise, pourquoi me donnerait-elle un gage de succès, en commençant ainsi par une vérité ? Je suis thane de Cawdor. Si elle est bonne, pourquoi est-ce que je cède à cette suggestion, dont l’horrible image agite mes cheveux et fait que mon cœur, retenu à sa place, va frapper mes côtes par un mouvement contraire aux lois de la nature ? Les craintes présentes sont moins terribles que d’horribles pensées. Mon esprit, où le meurtre n’est encore qu’un fantôme, ébranle tellement mon individu que toutes les fonctions en sont absorbées par les conjectures ; et rien n’y existe que ce qui n’est pas.
 
'''BANQUO'''
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'''MACBETH'''
 
Si le hasard veut me faire roi, eh bien ! le hasard peut me couronner sans que je m’en mêlé.
 
'''BANQUO'''
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'''MACBETH'''
 
Jusque-là c’est assez.—Allons, mes amis...amis….
 
(Ils sortent.)
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'''DUNCAN'''
 
Mon digne Cawdor !
 
MACBETH, à part.—Le prince de Cumberland ! Voilà un obstacle sur lequel je dois trébucher si je ne saute pardessus, car il se trouve dans mon chemin.—Étoiles, cachez vos feux ; que la lumière ne puisse voir mes profonds et sombres désirs ; l’oeill’œil se ferme devant la main. Mais il faut que cela se fasse, ce que mon oeilœil craindra de voir lorsque ce sera fait.
 
(Il sort.)
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« Elles sont venues à moi au jour du succès, et j’ai appris par le plus incontestable témoignage qu’en elles résidait une intelligence plus qu’humaine. Lorsque je brûlais de leur faire d’autres questions, elles se sont confondues dans l’air et y ont disparu. J’étais encore éperdu de surprise lorsque des envoyés du roi sont venus me saluer thane de Cawdor. C’était sous ce titre que les sœurs du Destin m’avaient salué en me renvoyant ensuite à l’avenir par ces paroles : Salut, toi qui seras roi. J’ai cru que cela était bon à te faire connaître, chère compagne de ma grandeur : afin que tu ne perdisses pas la part de joie qui t’est due, par ignorance de la grandeur qui t’est promise. Place ceci dans ton cœur. Adieu. »
 
Tu es thane de Glamis et de Cawdor, et tu seras aussi ce qu’on t’a prédit.—Cependant je crains ta nature, elle est trop pleine du lait des tendresses humaines pour te conduire par le chemin le plus court. Tu voudrais être grand, tu n’es pas sans ambition ; mais tu ne la voudrais pas accompagnée du crime : ce que tu veux de grand, tu le voudrais saintement ; tu ne voudrais pas jouer malhonnêtement, et cependant tu voudrais gagner déloyalement. Noble Glamis, tu voudrais obtenir ce qui te crie : « Voilà ce qu’il te faut faire si tu prétends obtenir ; ce que tu crains de faire plutôt que tu ne désires que cela ne soit pas fait. » Hâte-toi d’arriver, que je verse dans tes oreilles l’esprit qui m’anime, et dompte par l’énergie de ma langue tout ce qui pourrait arrêter ta route vers ce cercle d’or dont les destins et cette assistance surnaturelle semblent vouloir te couronner.—(Entre un serviteur.) Quelles nouvelles apportes-tu ?
 
'''LE SERVITEUR'''
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'''LADY MACBETH'''
 
Quelle jolie chose dis-tu là ? Ton maître n’est-il pas avec lui ? Si ce que tu dis était vrai, il m’aurait avertie de faire mes préparatifs.
 
'''LE SERVITEUR'''
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'''LADY MACBETH'''
 
Prends soin de lui ; il apporte de grandes nouvelles ! (Le serviteur sort.) La voix est près de manquer au corbeau lui-même, dont les croassements annoncent l’entrée fatale de Duncan entre mes remparts.—Venez, venez, esprits qui excitez les pensées homicides ; changez à l’instant mon sexe, et remplissez-moi jusqu’au bord, du sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds, de la plus atroce cruauté. Épaississez mon sang ; fermez tout accès, tout passage aux remords ; et que la nature, par aucun retour de componction, ne vienne ébranler mon cruel projet, ou faire trêve à son exécution15. Venez dans mes mamelles changer mon lait en fiel, ministres du meurtre, quelque part que vous soyez, substances invisibles, prêtes à nuire au genre humain.—Viens, épaisse nuit ; enveloppe-toi des plus noires fumées de l’enfer, afin que mon poignard acéré ne voie pas la blessure qu’il va faire, et que le ciel ne puisse, perçant d’un regard ta ténébreuse couverture, me crier : Arrête ! Arrête ! —(Entre Macbeth.) Illustre Glamis, digne Cawdor, plus grand encore par le salut qui les a suivis, ta lettre m’a transportée au delà de ce présent rempli d’ignorance, et je sens déjà l’avenir exister pour moi.
 
'''MACBETH'''
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'''LADY MACBETH'''
 
Et quand part-il d’ici ?
 
'''MACBETH'''
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'''LADY MACBETH'''
 
Oh ! jamais le soleil ne verra ce lendemain.—Votre visage, mon cher thane, est un livre où l’on pourrait lire d’étranges choses. Pour cacher vos desseins dans cette circonstance, prenez le maintien de la circonstance ; que vos yeux, vos gestes, votre langue parlent de bienvenue ; ayez l’air d’une fleur innocente, mais soyez le serpent caché dessous. Il faut pourvoir à la réception de celui qui va arriver ; c’est moi que vous chargerez de dépêcher le grand ouvrage de cette nuit, qui donnera désormais à nos nuits et à nos jours la puissance et l’autorité souveraine.
 
'''MACBETH'''
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'''DUNCAN'''
 
Où est le thane de Cawdor ? Nous courions sur ses talons, et voulions être son introducteur auprès de vous ; mais il est bon cavalier, et la force de son amour, aussi aiguë que son éperon, lui a fait atteindre sa maison avant nous. Belle et noble dame, nous serons votre hôte pour cette nuit.
 
'''LADY MACBETH'''
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'''MACBETH'''
 
Si lorsque ce sera fait c’était fini, le plus tôt fait serait le mieux. Si l’assassinat tranchait à la fois toutes les conséquences, et que sa fin nous donnât le succès, ce seul coup, qui peut être tout et la fin de tout, au moins ici-bas, sur ce rivage, sur ce rocher du temps, nous hasarderions la vie à venir.—Mais en pareil cas, nous subissons toujours cet arrêt, que les sanglantes leçons enseignées par nous tournent, une fois apprises, à la ruine de leur inventeur. La Justice, à la main toujours égale, offre à nos propres lèvres le calice empoisonné que nous avons composé nous-mêmes.—Il est ici sous la foi d’une double sauvegarde. D’abord je suis son parent et son sujet, deux puissants motifs contre cette action ; ensuite je suis son hôte, et devrais fermer la porte à son meurtrier, loin de saisir moi-même le couteau. D’ailleurs ce Duncan a porté si doucement ses honneurs, il a rempli si justement ses grands devoirs, que ses vertus, comme des anges à la voix de trompette s’élèveront contre le crime damnable de son meurtre, et la pitié, semblable à un enfant nouveau-né tout nu, montée sur le tourbillon, ou portée comme un chérubin du ciel sur les invisibles courriers de l’air, frappera si vivement tous les yeux de l’horreur de cette action, que les larmes feront tomber le vent. Je n’ai pour presser les flancs de mon projet d’autre éperon que cette ambition qui, s’élançant et se retournant sur elle-même, retombe sans cesse sur lui17.—(Entre lady Macbeth.) Eh bien ! quelles nouvelles ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Il a bientôt soupé : pourquoi avez-vous quitté la salle ?
 
'''MACBETH'''
 
M’a-t-il demandé ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Ne le savez-vous pas ?
 
'''MACBETH'''
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'''LADY MACBETH'''
 
Était-elle dans l’ivresse cette espérance dont vous vous étiez fait honneur ? a-t-elle dormi depuis ? et se réveille-t-elle maintenant pour paraître si pâle et si livide à l’aspect de ce qu’elle faisait de si bon cœur ? Dès ce moment je commence à juger par là de ton amour pour moi. Crains-tu de te montrer par tes actions et ton courage ce que tu es par tes désirs ? aspireras-tu à ce que tu regardes comme l’ornement de la vie, pour vivre en lâche à tes propres yeux, laissant, comme le pauvre chat du proverbe, le je n’ose pas se placer sans cesse auprès du je voudrais bien18 ?
 
'''MACBETH'''
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'''LADY MACBETH'''
 
A quelle bête apparteniez-vous donc lorsque vous vous êtes ouvert à moi de cette entreprise ? Quand vous avez osé la former, c’est alors que vous étiez un homme ; et en osant devenir plus grand que vous n’étiez, vous n’en seriez que plus homme. Ni l’occasion ni le lieu ne vous secondaient alors, et cependant vous vouliez les faire naître l’une et l’autre : elles se sont faites d’elles-mêmes ; et vous, par l’à-propos qu’elles vous offrent, vous voilà défait ! J’ai allaité, et je sais combien il est doux d’aimer le petit enfant qui me tette ; eh bien ! au moment où il me souriait, j’aurais arraché ma mamelle de ses molles gencives, et je lui aurais fait sauter la cervelle, si je l’avais juré comme vous avez juré ceci.
 
'''MACBETH'''
 
Si nous allions manquer notre coup ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Nous, manquer notre coup ! Vissez seulement votre courage au point d’arrêt, et nous ne manquerons pas notre coup. Lorsque Duncan sera endormi (et le fatigant voyage qu’il a fait aujourd’hui va l’entraîner dans un sommeil profond), j’aurai soin, à force de vin et de santés, de subjuguer si bien ses deux chambellans, que leur mémoire, cette gardienne du cerveau, ne sera plus qu’une fumée, et le réservoir de leur raison un alambic. Lorsqu’un sommeil brutal accablera comme la mort leurs corps saturés de liqueur, que ne pouvons-nous exécuter, vous et moi, sur Duncan sans défense ? Que ne pouvons-nous pas imputer à ses officiers pleins de vin, qui porteront le crime de notre grand meurtre ?
 
'''MACBETH'''
 
Ne mets au jour que des fils, car la trempe de ton âme inflexible ne peut convenir qu’à des hommes.—En effet, ne pourra-t-on pas croire, lorsque nous aurons teint de sang, dans leur sommeil, ces deux gardiens de sa chambre, après nous être servis de leurs poignards, que ce sont eux qui ont fait le coup ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Et qui osera croire autre chose, lorsque nous ferons tout retentir de nos douleurs et de nos cris à cause de sa mort ?
 
'''MACBETH'''
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'''BANQUO'''
 
Où en sommes-nous de la nuit, mon garçon ?
 
'''FLEANCE'''
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'''BANQUO'''
 
Tiens, prends mon épée.—Ils sont économes dans le ciel ; toutes leurs chandelles sont éteintes.—Prends encore cela ; le besoin du sommeil pèse sur moi comme du plomb, et cependant je ne voudrais pas dormir. Miséricorde du ciel, réprimez en moi ces détestables pensées où se laisse aller la nature pendant notre repos. (Entre Macbeth, avec un domestique portant un flambeau.) (A Fleance.) Donne-moi mon épée.—Qui est là ?
 
'''MACBETH'''
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'''BANQUO'''
 
Quoi, monsieur ! pas encore au lit ? Le roi est couché.—Il a joui d’un plaisir inaccoutumé : vos serviteurs ont reçu de sa part de grandes largesses ; il offre ce diamant à votre épouse, en la saluant du nom de la plus aimable hôtesse ; et il s’est retiré satisfait au delà de toute expression.
 
'''MACBETH'''
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'''BANQUO'''
 
Grand merci, monsieur ! je vous en souhaite autant.
 
(Banquo et Fleance sortent.)
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'''MACBETH'''
 
Va, dis à ta maîtresse de sonner un coup de clochette quand ma boisson sera prête. Va te mettre au lit. (Le domestique sort.)—Est-ce un poignard que je vois devant moi, la poignée tournée vers ma main ? Viens, que je te saisisse.—Je ne te tiens pas, et cependant je te vois toujours. Fatale vision, n’es-tu pas sensible au toucher comme à la vue ? ou n’es-tu qu’un poignard né de ma pensée, le produit mensonger d’une tête fatiguée du battement de mes artères ? Je te vois encore, et sous une forme aussi palpable que celui que je tire en ce moment. Tu me montres le chemin que j’allais suivre, et l’instrument dont j’allais me servir.—Ou mes yeux sont de mes sens les seuls abusés, ou bien ils valent seuls tous les autres.—Je te vois toujours, et sur ta lame, sur ta poignée, je vois des gouttes de sang qui n’y étaient pas tout à l’heure.—Il n’y a là rien de réel. C’est mon projet sanguinaire qui prend cette forme à mes yeux.—Maintenant dans la moitié du monde la nature semble morte, et des songes funestes abusent le sommeil enveloppé de rideaux. Maintenant les sorcières célèbrent leurs sacrifices à la pâle Hécate. Voici l’heure où le meurtre décharné, averti par sa sentinelle, le loup, dont les hurlements lui servent de garde, s’avance, comme un fantôme à pas furtifs, avec les enjambées de Tarquin le ravisseur, vers l’exécution de ses desseins.—O toi, terre solide et bien affermie, garde-toi d’entendre mes pas, quelque chemin qu’ils prennent, de peur que tes pierres n’aillent se dire entre elles où je suis, et ravir à ce moment l’horrible occasion qui lui convient si bien.—Tandis que je menace, il vit.—Les paroles portent un souffle trop froid sur la chaleur de l’action. (La cloche sonne.)—J’y vais. C’en est fait, la cloche m’avertit. Ne l’entends pas, Duncan ; c’est le glas qui t’appelle au ciel ou aux enfers.
 
(Il sort.)
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'''LADY MACBETH'''
 
Ce qui les a enivrés m’a enhardie, ce qui les a éteints m’a remplie de flamme.—Écoutons ; silence ! C’est le cri du hibou, fatal sonneur qui donne le plus funeste bonsoir.—Il est à l’œuvre ; les portes sont ouvertes, et les serviteurs, pleins de vin, se moquent, en ronflant, de leurs devoirs. J’ai préparé leur boisson du soir20, de telle sorte que la Nature et la Mort débattent entre elles s’ils vivent ou meurent.
 
MACBETH, derrière le théâtre.—Qui est là ? quoi ? holà !
 
'''LADY MACBETH'''
 
Hélas ! je tremble qu’ils ne se soient éveillés et que ce ne soit pas fait. La tentative sans l’action nous perd. Écoutons.—J’avais apprêté leurs poignards, il ne pouvait manquer de les voir.—S’il n’eût pas ressemblé à mon père endormi, je m’en serais chargée.—Mon mari !
 
'''MACBETH'''
 
J’ai frappé le coup.—N’as-tu pas entendu un bruit ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
J’ai entendu crier la chouette et chanter le grillon.—N’avez-vous pas parlé ?
 
'''MACBETH'''
 
Quand ?
 
'''LADY MACBETH'''
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'''MACBETH'''
 
Comme je descendais ?
 
'''LADY MACBETH'''
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'''MACBETH'''
 
Écoute ! —Qui couche dans la seconde chambre ?
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 864 :
Donalbain.
 
MACBETH, regardant ses mains.—C’est là une triste vue !
 
'''LADY MACBETH'''
 
Quelle folie d’appeler cela une triste vue !
 
'''MACBETH'''
 
L’un des deux a ri dans son sommeil, et l’autre a crié, au meurtre ! Ils se sont éveillés l’un et l’autre : je me suis arrêté en les écoutant ; mais ils ont dit leurs prières et se sont remis à dormir.
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 880 :
'''MACBETH'''
 
L’un s’est écrié : Dieu nous bénisse ! et l’autre, amen, comme s’ils m’avaient vu, avec ces mains de bourreau, écoutant leurs terreurs ; je n’ai pu répondre amen lorsqu’ils ont dit Dieu nous bénisse !
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 888 :
'''MACBETH'''
 
Mais pourquoi n’ai-je pu prononcer amen ? J’avais grand besoin d’une bénédiction, et amen s’est arrêté dans mon gosier.
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 896 :
'''MACBETH'''
 
Il m’a semblé entendre une voix crier : « Ne dormez plus ! Macbeth assassine le sommeil, l’innocent sommeil, le sommeil qui débrouille l’écheveau confus de nos soucis ; le sommeil, mort de la vie de chaque jour, bain accordé à l’âpre travail, baume des âmes blessées, loi tutélaire de la nature, l’aliment principal du tutélaire festin de la vie. »
 
'''LADY MACBETH'''
 
Que voulez-vous dire ?
 
'''MACBETH'''
 
Elle criait encore à toute la maison : « Ne dormez plus. Glamis a assassiné le sommeil ; c’est pourquoi Cawdor ne dormira plus, Macbeth ne dormira plus ! »
 
'''LADY MACBETH'''
 
Qui donc criait ainsi ? —Quoi ! digne thane, vous laissez votre noble courage se relâcher jusqu’à ces rêveries d’un cerveau malade ? Allez, prenez de l’eau, et lavez de vos mains ce sombre témoin.—Pourquoi avez-vous emporté ces poignards ? Il faut qu’ils restent là-bas. Allez, reportez-les, et teignez de sang les deux serviteurs endormis.
 
'''MACBETH'''
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'''LADY MACBETH'''
 
Faible dans vos résolutions ! —Donnez-moi ces poignards. Ceux qui dorment, ceux qui sont morts, ne sont que des images ; c’est l’oeill’œil de l’enfance qui craint un diable en peinture. Si son sang coule, j’en rougirai la face des deux serviteurs, car il faut que le crime leur soit attribué21.
 
(Elle sort.)
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'''MACBETH'''
 
Pourquoi frappe-t-on ainsi ? —Que m’arrive-t-il, que le moindre bruit m’épouvante ? —Quelles mains j’ai là ! Elles me font sortir les yeux de la tête.—Est-ce que tout l’océan du grand Neptune pourra laver ce sang et nettoyer ma main ! Non, ma main ensanglanterait plutôt l’immensité des mers, et ferait de leur teinte verdâtre une seule teinte rouge.
 
(Rentre lady Macbeth.)
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'''MACBETH'''
 
Connaître ce que j’ai fait ! —Mieux vaudrait ne plus me connaître moi-même. (On frappe.)—Éveille Duncan à force de frapper. Plût au ciel vraiment que tu le pusses !
 
(Ils sortent.)
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(On frappe derrière le théâtre.)
 
On frappe ici, ma foi. Si un homme était le portier de l’enfer, il aurait assez l’habitude de tourner la clef. (On frappe.) Frappe, frappe, frappe. Qui est là, de par Belzébuth ! C’est un fermier qui s’est pendu en attendant une bonne année. Entrez sur-le-champ, et ayez soin d’apporter assez de mouchoirs, car on vous fera suer ici pour cela. (On frappe.) Frappe, frappe, frappe. Qui est là, au nom d’un autre diable ? Par ma foi, c’est un jésuite22 qui aurait juré pour et contre chacun des bassins d’une balance. Il a commis assez de trahisons pour l’amour de Dieu, et cependant le ciel n’a pas voulu entendre à ses jésuitismes. Entrez, monsieur le jésuite. (On frappe.) Frappe, frappe, frappe. Qui est là ? Ma foi, c’est un tailleur anglais qui vient ici pour avoir rogné sur un haut-de-chausses français23. Allons, entrez, tailleur, vous pourrez chauffer ici votre fer à repasser. (On frappe.) Frappe, frappe. Jamais un moment de repos. Qui êtes-vous ? Mais il fait trop froid ici pour l’enfer : je ne veux plus faire le portier du diable. J’avais eu l’idée de laisser entrer un homme de toutes les professions qui vont par le chemin fleuri au feu de joie éternel. (On frappe.) Tout à l’heure, tout à l’heure. (Il ouvre.) Je vous prie, n’oubliez pas le portier.
 
(Entrent Macduff et Lenox.)
Ligne 962 :
'''MACDUFF'''
 
Ami, tu t’es donc couché bien tard, pour dormir encore ?
 
'''LE PORTIER'''
Ligne 970 :
'''MACDUFF'''
 
Quelles sont les trois choses que provoque la boisson ?
 
'''LE PORTIER'''
Ligne 986 :
'''MACDUFF'''
 
Ton maître est-il levé ? —Nous l’aurons éveillé en frappant à la porte.—Le voici qui vient.
 
(Entre Macbeth.)
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'''MACDUFF'''
 
Le roi est-il levé, digne thane ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 030 :
'''LENOX'''
 
Le roi part-il aujourd’hui d’ici ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 052 :
'''MACDUFF'''
 
O horreur ! horreur ! horreur ! ni la langue ni le cœur ne peuvent te concevoir ou t’exprimer.
 
'''MACBETH ET LENOX'''
 
Qu’y a-t-il ?
 
'''MACDUFF'''
Ligne 1 064 :
'''MACBETH'''
 
Que dites-vous ? la vie ?
 
'''LENOX'''
 
Est-ce de Sa Majesté que vous parlez ?
 
'''MACDUFF'''
 
Venez, entrez dans sa chambre ; et que vos yeux s’éteignent à la vue d’une nouvelle Gorgone : ne me demandez pas de vous en dire davantage. Voyez, et parlez ensuite vous-mêmes.—Qu’on s’éveille, qu’on s’éveille ; qu’on sonne le tocsin (Macbeth et Lenox sortent.)—Meurtre ! trahison ! —Banquo, Donalbain, Malcolm, éveillez-vous ! secouez ce calme sommeil, simulacre de la mort et venez voir la mort elle-même.—Levez-vous, levez-vous, et voyez une image du grand jugement.—Malcolm, Banquo, levez-vous comme de vos tombeaux, et avancez comme des ombres, pour être en accord avec ces horreurs.
 
(La cloche sonne.)
Ligne 1 080 :
'''LADY MACBETH'''
 
Pour quelle affaire cette odieuse trompette appelle-t-elle à se rassembler tous ceux qui dorment dans la maison ? Parlez, parlez.
 
'''MACDUFF'''
 
O noble dame ! ce n’est pas à vous à entendre ce que je pourrais vous dire : ce récit tuerait une femme au moment où il arriverait à son oreille.—(Banquo arrive.) O Banquo ! Banquo ! notre royal maître est assassiné !
 
'''LADY MACBETH'''
 
Oh malheur ! quoi, dans notre maison !
 
'''BANQUO'''
 
Trop cruel malheur, n’importe en quel lieu ! Cher Duff25, je t’en prie, contredis-toi toi-même, et dis que ce n’est pas vrai.
 
(Rentrent Macbeth et Lenox.)
Ligne 1 104 :
'''DONALBAIN'''
 
Qu’est-il arrivé de malheureux ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 116 :
'''MALCOLM'''
 
Oh ! par qui ?
 
'''LENOX'''
Ligne 1 124 :
'''MACBETH'''
 
Oh ! cependant je me repens du mouvement de fureur qui me les a fait tuer !
 
'''MACDUFF'''
 
Pourquoi donc les avez-vous tués ?
 
'''MACBETH'''
 
Eh ! qui peut être dans le même moment sage et éperdu, modéré et furieux ? qui peut être fidèle et rester neutre ? Personne. La rapidité de ma violente affection a dépassé ma raison plus lente. Je voyais là Duncan étendu, l’argent de sa peau parsemé de son sang doré ; et ses blessures ouvertes semblaient autant de brèches aux lois de la nature, par où devaient s’introduire les ravages de la désolation...désolation…. Là étaient les meurtriers teints des couleurs de leur métier, et leurs poignards honteusement couverts de sang. Comment aurait pu se contenir celui qui a un cœur pour aimer, et dans ce cœur le courage de manifester son amour ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Aidez-moi à sortir d’ici. Oh !
 
'''MACDUFF'''
Ligne 1 144 :
'''MALCOLM'''
 
Pourquoi retenons-nous nos langues ? C’est à elles surtout qu’il appartient d’exprimer de pareils sentiments.
 
'''DONALBAIN'''
 
Eh ! pourquoi parlerions-nous ici, où notre destinée fatale, cachée dans le trou de l’ogre, peut s’élancer sur nous et nous saisir ? Fuyons ! nos larmes ne sont pas encore prêtes à couler.
 
'''MALCOLM'''
Ligne 1 178 :
'''MALCOLM'''
 
Que voulez-vous faire ? Ne nous associons point avec eux. Montrer une douleur qu’on ne sent pas est un rôle aisé pour l’homme faux.—Je me retire en Angleterre.
 
'''DONALBAIN'''
Ligne 1 220 :
'''ROSSE'''
 
Ah ! bon père, tu vois comme le ciel, troublé par une action de l’homme, en menace le sanglant théâtre. D’après l’horloge il devrait faire jour, et cependant une nuit sombre étouffe le flambeau voyageur. La nuit triomphe-t-elle ? ou bien est-ce le jour, honteux de se montrer, qui laisse les ténèbres ensevelir la face de la terre, lorsqu’une vivante lumière devrait la caresser ?
 
'''LE VIEILLARD'''
Ligne 1 236 :
'''ROSSE'''
 
Rien n’est plus vrai, au grand étonnement de mes yeux qui en ont été témoins. (Macduff paraît.) Voici l’honnête Macduff.—Eh bien ! monsieur, comment va le monde maintenant ?
 
'''MACDUFF'''
 
Quoi ! ne le voyez-vous pas ?
 
'''ROSSE'''
 
A-t-on découvert qui a commis cette action plus que sanguinaire ?
 
MACDUFF—Ceux que Macbeth a tués.
Ligne 1 250 :
'''ROSSE'''
 
Hélas ! mon Dieu, quel fruit en pouvaient-ils espérer ?
 
'''MACDUFF'''
Ligne 1 258 :
'''ROSSE'''
 
Encore contre nature ! —Ambition désordonnée, qui détruis tes propres moyens d’existence ! —Alors il est probable que la souveraineté va écheoir à Macbeth.
 
'''MACDUFF'''
Ligne 1 266 :
'''ROSSE'''
 
Où est le corps de Duncan ?
 
'''MACDUFF'''
Ligne 1 274 :
'''ROSSE'''
 
Irez-vous à Scone ?
 
'''MACDUFF'''
Ligne 1 286 :
'''MACDUFF'''
 
Allez : puissiez-vous y voir les choses se bien passer ! —Adieu.—Pourvu que nous ne trouvions pas que nos vieux habits étaient plus commodes que les neufs !
 
ROSSE, au vieillard.—Adieu, bon père.
Ligne 1 292 :
'''LE VIEILLARD'''
 
La bénédiction de Dieu soit avec vous, et avec ceux qui voudraient changer le mal en bien, et les ennemis en amis !
 
(Ils sortent.)
Ligne 1 312 :
'''BANQUO'''
 
Tu possèdes maintenant, roi, thane de Cawdor, thane de Glamis, tout ce que t’avaient promis les sœurs du Destin, et j’ai peur que tu n’aies joué pour cela un bien vilain jeu. Mais elles ont dit aussi que tout cela ne passerait pas à ta postérité, et que ce serait moi qui serais la tige et le père d’une race de rois. Si la vérité est sortie de leur bouche (comme on le voit paraître avec éclat dans leurs discours à ton égard, Macbeth), pourquoi ces vérités, justifiées pour toi, ne deviendraient-elles pas pour moi des oracles, et n’élèveraient-elles pas mes espérances ? Mais, silence ! taisons-nous.
 
(Air de trompette.—Entrent Macbeth, roi ; lady Macbeth, reine ; Lenox, Rosse, seigneurs, dames, suite.)
Ligne 1 334 :
'''MACBETH'''
 
Montez-vous à cheval cet après-midi ?
 
'''BANQUO'''
Ligne 1 342 :
'''MACBETH'''
 
Autrement nous aurions désiré vos avis que nous avons toujours trouvés sages et utiles, dans le conseil que nous tiendrons aujourd’hui ; mais nous les prendrons demain. Allez-vous loin ?
 
'''BANQUO'''
Ligne 1 358 :
'''MACBETH'''
 
Nous venons d’apprendre que nos sanguinaires cousins se sont rendus l’un en Angleterre, l’autre en Irlande ; que, loin d’avouer leur affreux parricide, ils débitent à ceux qui les écoutent d’étranges impostures : mais nous en causerons demain ; nous aurons aussi à discuter une affaire d’État qui exige notre présence à tous. Dépêchez-vous de monter à cheval. Adieu jusqu’à ce soir. Fleance va-t-il avec vous ?
 
'''BANQUO'''
Ligne 1 366 :
'''MACBETH'''
 
Je vous souhaite des chevaux légers et sûrs, et je vous recommande à leur dos26. Adieu. (Banquo sort.) (Aux courtisans.) Que chacun dispose à son gré de son temps jusqu’à sept heures du soir. Pour trouver nous-même plus de plaisir à la société, nous resterons seul jusqu’au souper : d’ici là, que Dieu soit avec vous.—(Sortent lady Macbeth, les seigneurs, les dames, etc.) Holà, un mot : ces hommes attendent-ils nos ordres ?
 
'''UN DOMESTIQUE'''
Ligne 1 374 :
'''MACBETH'''
 
Amenez-les devant nous.—Être où je suis n’est rien si l’on n’y est en sûreté.—Nos craintes sur Banquo sont profondes, et dans ce naturel empreint de souveraineté domine ce qu’il y a de plus à craindre. Il ose beaucoup, et à cette disposition d’esprit intrépide il joint une sagesse qui enseigne à sa valeur la route la plus sûre. Il n’y a que lui dont l’existence m’inspire de la crainte : il intimide mon génie, comme César, dit-on, celui de Marc-Antoine. Je l’ai vu gourmander les sœurs lorsqu’elles me donnèrent d’abord le nom de roi ; il leur commanda de lui parler ; et alors, d’une bouche prophétique, elles le proclamèrent père d’une race de rois.—Elles ont placé sur ma tête une couronne sans fruit et ont placé dans mes mains un sceptre stérile que m’arrachera un bras étranger, sans qu’aucun fils sorti de moi me succède. S’il en est ainsi, c’est pour la race de Banquo que j’ai souillé mon âme ; c’est pour ses enfants que j’ai assassiné l’excellent Duncan ; pour eux seuls j’ai versé les remords dans la coupe de mon repos, et livré à l’ennemi du genre humain mon éternel trésor pour les faire rois ! Les enfants de Banquo rois ! Plutôt qu’il en soit ainsi, je t’attends dans l’arène, destin ; viens m’y combattre à outrance.—Qui va là ? (Rentre le domestique avec deux assassins.) Retourne à la porte et restes-y jusqu’à ce que nous t’appelons. (Le domestique sort.)—N’est-ce pas hier que nous avons causé ensemble ?
 
'''PREMIER ASSASSIN'''
Ligne 1 382 :
'''MACBETH'''
 
Eh bien ! avez-vous réfléchi sur ce que je vous ai dit ? Soyez sûrs que c’est lui qui autrefois vous a tenus dans l’abaissement, ce que vous m’avez attribué, à moi qui en étais innocent. Je vous en ai convaincus dans notre dernière entrevue ; je vous ai fait voir jusqu’à l’évidence comment vous aviez été amusés, traversés, quels avaient été les instruments, qui les avait employés, et tant d’autres choses qui diraient à la moitié d’une âme et à une intelligence altérée : « Voilà ce qu’a fait Banquo. »
 
'''PREMIER ASSASSIN'''
Ligne 1 390 :
'''MACBETH'''
 
Je l’ai fait et j’ai été plus loin, ce qui est l’objet de notre seconde entrevue.—Sentez-vous la patience tellement dominante en votre nature que vous laissiez passer tout ceci ? Êtes-vous si pénétrés de l’Evangile que vous puissiez prier pour ce brave homme et ses enfants, lui dont la main vous a courbés vers la tombe et a réduit pour toujours les vôtres à la misère ?
 
'''PREMIER ASSASSIN'''
Ligne 1 410 :
'''MACBETH'''
 
Vous savez tous deux que Banquo était votre ennemi ?
 
'''SECOND ASSASSIN'''
Ligne 1 418 :
'''MACBETH'''
 
Il est aussi le mien ; et notre inimitié est si sanglante, que chaque minute de son existence me frappe dans ce qui tient de plus près à la vie. Je pourrais, en faisant ouvertement usage de mon pouvoir, le balayer de ma vue sans en donner d’autre raison que ma volonté ; mais je ne dois pas le faire, à cause de quelques-uns de mes amis qui sont aussi les siens, dont je ne puis pas perdre l’affection, et avec qui il me faudra déplorer la chute de l’homme que j’aurai renversé moi-même. Voilà ce qui me fait rechercher votre assistance, en cachant cette action à l’oeill’œil du public, pour beaucoup de raisons importantes.
 
'''SECOND ASSASSIN'''
Ligne 1 426 :
'''PREMIER ASSASSIN'''
 
Oui, quand notre vie...vie…
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 454 :
'''LADY MACBETH'''
 
Banquo est-il sorti du palais ?
 
'''LE DOMESTIQUE'''
Ligne 1 474 :
On n’a rien gagné, et tout dépensé, quand on a obtenu son désir sans être plus heureux : il vaut mieux être celui que nous détruisons, que de vivre par sa destruction dans une joie troublée. (Macbeth entre.)
 
—Qu’avez-vous, mon seigneur ? pourquoi restez-vous seul, ne cherchant pour compagnie que les images les plus funestes, toujours appliqué à des pensées qui, en vérité, devraient être mortes avec ceux dont elles vous occupent ? On ne devrait pas penser aux choses sans remède, ce qui est fait est fait.
 
'''MACBETH'''
 
Nous avons blessé le serpent, mais nous ne l’avons pas tué ; il réunira ses tronçons et redeviendra ce qu’il était, tandis que notre impuissante malice restera exposée aux dents dont elle aura retrouvé la force. Mais que la structure de l’univers se disjoigne, que les deux mondes périssent avant que nous consentions à prendre nos repas dans la crainte, à dormir dans l’affliction de ces terribles songes qui viennent nous ébranler toutes les nuits ! Il vaudrait mieux être avec le mort que, pour arriver où nous sommes, nous avons envoyé dans la paix, que de demeurer ainsi, l’âme sur la roue, dans une angoisse sans relâche.—Duncan est dans son tombeau : après les accès de fièvre de la vie, il dort bien ; la trahison a fait tout ce qu’elle pouvait faire : ni l’acier, ni le poison, ni les conspirations domestiques, ni les armées ennemies, rien ne peut plus l’atteindre.
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 1 494 :
'''MACBETH'''
 
O chère épouse, mon esprit est rempli de scorpions. Tu sais que Banquo et son fils Fleance respirent ?
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 1 506 :
'''LADY MACBETH'''
 
Que doit-on faire ?
 
'''MACBETH'''
 
Demeure innocente de la connaissance du projet, ma chère poule, jusqu’à ce que tu applaudisses à l’action.—Viens, ô nuit, apportant ton bandeau : couvre l’oeill’œil insensible du jour compatissant, et de ta main invisible et sanglante déchire et mets en pièces le lien puissant qui me rend pâle ! —La lumière s’obscurcit, et déjà le corbeau dirige son vol vers la forêt qu’il habite. Les honnêtes habitués du jour commencent à languir et à s’assoupir, tandis que les noirs agents de la nuit se lèvent pour saisir leur proie.—Tu es étonnée de mes discours ; mais sois tranquille : les choses que le mal a commencées se consolident par le mal. Ainsi, je te prie, viens avec moi.
 
(Ils sortent.)
Ligne 1 523 :
'''PREMIER ASSASSIN'''
 
Mais qui t’a dit de venir te joindre à nous ?
 
'''TROISIÈME ASSASSIN'''
Ligne 1 541 :
Écoutez ; j’entends des chevaux.
 
BANQUO, derrière le théâtre.—Donnez-nous de la lumière, holà !
 
'''SECOND ASSASSIN'''
Ligne 1 559 :
'''SECOND ASSASSIN'''
 
Un flambeau ! un flambeau !
 
'''TROISIÈME ASSASSIN'''
Ligne 1 575 :
'''PREMIER ASSASSIN'''
 
Qu’elle tombe !
 
(Il attaque Banquo.)
Ligne 1 581 :
'''BANQUO'''
 
O trahison ! —Fuis, cher Fleance, fuis, fuis, fuis ; tu pourras me venger.—O scélérat !
 
(Il meurt. Fleance et le domestique se sauvent.)
Ligne 1 587 :
'''TROISIÈME ASSASSIN'''
 
Qui a donc éteint le flambeau ?
 
'''PREMIER ASSASSIN'''
 
N’était-ce pas le parti le plus sûr ?
 
'''TROISIÈME ASSASSIN'''
Ligne 1 642 :
'''MACBETH'''
 
Il vaut mieux qu’il soit sur ton visage que lui ici. Est-il expédié ?
 
L’ASSASSIN.—Seigneur, il a la gorge coupée ; c’est moi qui lui ai rendu ce service.
Ligne 1 654 :
'''MACBETH'''
 
Voilà mon accès qui me reprend. Sans cela tout était parfait : j’étais entier comme le marbre, établi comme le roc, au large et libre de me répandre comme l’air qui m’environne ; mais maintenant je suis comprimé, resserré, emprisonné, et asservi à l’insolence de mes inquiétudes et de mes terreurs.—Mais Banquo est en sûreté ?
 
L’ASSASSIN.—Oui, mon bon seigneur, il est en sûreté dans un fossé, avec vingt larges ouvertures à la tête, dont la moindre est la mort d’un homme.
Ligne 1 660 :
'''MACBETH'''
 
Je t’en remercie...remercie…. Ainsi, voilà le gros serpent écrasé. Le jeune reptile qui s’est sauvé est d’une nature qui dans son temps engendrera aussi du venin, mais à présent il n’a pas de dents.—Va-t’en, et demain nous t’entendrons de nouveau.
 
(L’assassin sort.)
Ligne 1 670 :
'''MACBETH'''
 
Ma chère mémoire ! —Qu’une bonne digestion accompagne votre appétit, et qu’une bonne santé s’en suive.
 
'''LENOX'''
 
Plaît-il à Votre Majesté de s’asseoir ?
 
(L’ombre de Banquo sort de terre, et s’assied à la place de Macbeth.)
Ligne 1 680 :
'''MACBETH'''
 
Nous verrions ici rassemblé sous notre toit l’honneur de notre pays, si notre cher Banquo nous avait gratifié de sa présence. Puissé-je avoir à le quereller d’un manque d’amitié, plutôt qu’à le plaindre d’un malheur !
 
'''ROSSE'''
 
Son absence, seigneur, compromet l’honneur de sa parole. Votre Altesse veut-elle bien nous honorer de son auguste compagnie ?
 
'''MACBETH'''
 
La table est remplie !
 
'''LENOX'''
Ligne 1 696 :
'''MACBETH'''
 
Où cela ?
 
'''LENOX'''
 
Ici, mon seigneur. Qui est-ce qui trouble Votre Altesse ?
 
'''MACBETH'''
 
Qui de vous a fait cela ?
 
'''LES SEIGNEURS'''
 
Quoi donc, mon bon seigneur ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 720 :
'''LADY MACBETH'''
 
Monsieur, mon digne ami, mon époux est souvent dans cet état, et il y est sujet depuis l’enfance. Je vous en prie, restez à vos places : c’est un accès passager ; le temps d’y penser, et il sera aussi bien qu’à l’ordinaire. Si vous faites trop attention à lui, vous le blesserez et vous augmenterez son mal : continuez à manger, et ne prenez pas garde à lui.—Êtes-vous un homme ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 728 :
'''LADY MACBETH'''
 
Quelles balivernes ! C’est une vision créée par votre peur, comme ce poignard dans l’air qui, disiez-vous, guidait vos pas vers Duncan. Oh ! ces tressaillements, ces soubresauts, simulacres d’une véritable peur, conviendraient à merveille au conte que fait une femme, en hiver, au coin du feu, d’après l’autorité de sa grand’mère.—C’est une vraie honte ! Pourquoi faites-vous tant de grimaces ? Après tout, vous ne regardez qu’une chaise !
 
'''MACBETH'''
 
Je te prie, regarde de ce côté ; vois là, vois. Que me dites-vous ? eh bien ! que m’importe ? —Puisque tu peux remuer la tête, tu peux aussi parler. Si les cimetières et les tombeaux doivent nous renvoyer ceux que nous ensevelissons, nos monuments seront donc semblables au gésier des milans ?
 
(L’ombre disparaît.)
Ligne 1 738 :
'''LADY MACBETH'''
 
Quoi ! vous perdez tout à fait la tête ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 746 :
'''LADY MACBETH'''
 
Fi ! quelle honte !
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 754 :
'''LADY MACBETH'''
 
Mon digne seigneur, vos dignes amis vous attendent. MACBETH.—J’oubliais...—J’oubliais…. Ne prenez pas garde à moi, mes dignes amis. J’ai une étrange infirmité qui n’est rien pour ceux qui me connaissent. Allons, amitié et santé à tous ! Je vais m’asseoir : donnez-moi du vin ; remplissez jusqu’au bord. Je bois au plaisir de toute la table, et à notre cher ami Banquo, qui nous manque ici. Que je voudrais qu’il y fût ! (L’ombre sort de terre.) Nous buvons avec empressement à vous tous, à lui. Tout à tous !
 
'''LES SEIGNEURS'''
Ligne 1 762 :
'''MACBETH'''
 
Loin de moi ! ôte-toi de mes yeux ! que la terre te cache ! Tes os sont desséchés, ton sang est glacé ; rien ne se reflète dans ces yeux que tu fixes sur moi !
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 1 770 :
'''MACBETH'''
 
Ce qu’un homme peut oser, je l’ose. Viens sous la forme de l’ours féroce de la Russie, du rhinocéros armé, ou du tigre d’Hyrcanie, prends la forme que tu voudras, excepté celle-ci, et la fermeté de mes nerfs ne sera pas un instant ébranlée ; ou bien reviens à la vie, défie-moi au désert avec ton épée : si alors je demeure tremblant, déclare-moi une petite fille.—Loin d’ici, fantôme horrible, insultant mensonge ! loin d’ici ! (L’ombre disparaît.) A la bonne heure.—Il est parti, je redeviens un homme. De grâce, restez à vos places.
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 1 778 :
'''MACBETH'''
 
De telles choses peuvent-elles arriver et nous surprendre, sans exciter en nous plus d’étonnement que ne le ferait un nuage d’été ? —Vous me mettez de nouveau hors de moi-même, lorsque je songe maintenant que vous pouvez contempler de pareils spectacles et conserver le même incarnat sur vos joues, tandis que les miennes sont blanches de frayeur.
 
'''ROSSE'''
 
Quels spectacles, seigneur ?
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 1 800 :
'''MACBETH'''
 
Il aura du sang : on dit que le sang veut du sang. On a vu les pierres se mouvoir et les arbres parler. Les devins, et ceux qui ont l’intelligence de certains rapports, ont souvent mis en lumière par le moyen des pies, des hiboux, des corbeaux, l’homme de sang le mieux caché.—Quelle heure est-il de la nuit ?
 
'''LADY MACBETH'''
Ligne 1 808 :
'''MACBETH'''
 
Que dites-vous de Macduff, qui refuse de se rendre en personne à nos ordres souverains ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Avez-vous envoyé vers lui, seigneur ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 1 835 :
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Quoi ! qu’y a-t-il donc, Hécate ? Vous paraissez en colère.
 
'''HÉCATE'''
 
N’en ai-je pas sujet, sorcières que vous êtes, insolentes, effrontées ? Comment avez-vous osé entrer avec Macbeth en traité et en commerce d’énigmes et d’annonces de mort, sans que moi, souveraine de vos enchantements, habile maîtresse de tout mal, j’aie jamais été appelée à y prendre part et à signaler la gloire de notre art ? Et, ce qui est pis encore, c’est que tout ce que vous avez fait, vous l’avez fait pour un fils capricieux, chagrin, colère, qui, comme les autres, ne vous recherche que pour ses propres intérêts et nullement pour vous-mêmes. Réparez votre faute ; partez, et demain matin, venez me trouver à la caverne de l’Achéron27. Il y viendra pour apprendre sa destinée : préparez vos vases, vos paroles magiques, vos charmes et tout ce qui est nécessaire. Je vais me rendre dans les airs : j’emploierai cette nuit à l’accomplissement d’un projet fatal et terrible ; un grand ouvrage doit être terminé avant midi. A la pointe de la lune pend une épaisse goutte de vapeur ; je la saisirai avant qu’elle tombe sur la terre ; et, distillée par des artifices magiques, elle élèvera des visions fantastiques qui ; par la force des illusions, entraîneront Macbeth à sa ruine. Il bravera les destins, méprisera la mort, et portera ses espérances au delà de toute sagesse, de toute pudeur, de toute crainte ; et vous savez toutes que la sécurité est la plus grande ennemie des mortels.—(Chant derrière le théâtre.) « Viens, viens28,... » Écoutez ! on m’appelle. Vous voyez mon petit lutin assis dans ce gros nuage noir : il m’attend.
 
(Elle sort.)
Ligne 1 877 :
'''LENOX'''
 
Mes premiers discours n’ont fait que rencontrer vos pensées, qui peuvent aller plus loin. Seulement, je dis que les choses ont été prises d’une singulière manière. Le bon roi Duncan a été plaint de Macbeth ! vraiment je le crois bien, il était mort.—Le brave et vaillant Banquo s’est promené trop tard, et vous pouvez dire, si vous voulez, que c’est Fleance qui l’a assassiné, car Fleance s’est enfui. Il ne faut pas se promener trop tard.—Qui de nous peut ne pas voir combien il était horrible de la part de Malcolm et de Donalbain d’assassiner leur bon père ? Damnable crime ! combien Macbeth en a été affligé ! N’a-t-il pas aussitôt, dans une pieuse rage, mis en pièces les deux coupables qui étaient les esclaves de l’ivresse et les serfs du sommeil ? N’était-ce pas une noble action ? Oui, et pleine de prudence aussi, car toute âme sensible eût été irritée d’entendre ces hommes nier le crime. En sorte que j’en reviens à dire qu’il a très-bien pris toutes choses ; et je pense que s’il tenait les fils de Duncan sous sa clef (ce qui ne sera pas, s’il plaît au ciel), ils verraient ce que c’est que de tuer un père, et Fleance aussi. Mais, chut ! car j’apprends que pour quelques paroles trop libres, et parce qu’il a manqué de se rendre à la fête du tyran29, Macduff est tombé en disgrâce. Pouvez-vous, monsieur, m’apprendre où il s’est réfugié ?
 
'''LE SEIGNEUR'''
Ligne 1 885 :
'''LENOX'''
 
A-t-il envoyé vers Macduff ?
 
'''LE SEIGNEUR'''
 
Oui, et sur cette réponse décidée : « Moi, monsieur ! non, » le sombre messager lui a tourné le dos en murmurant, comme s’il eût dit : « Vous regretterez le moment où vous m’avez embarrassé de cette réponse. »
 
'''LENOX'''
 
Et c’est un bon avis pour lui de se tenir aussi éloigné que sa prudence pourra lui en fournir les moyens. Que quelque saint ange vole à la cour d’Angleterre annoncer son message, avant qu’il arrive, afin que le bonheur rentre bientôt dans notre patrie, opprimée sous une main maudite !
 
'''LE SEIGNEUR'''
Ligne 2 014 :
'''HÉCATE.'''
 
Oh ! à merveille ! j’applaudis à votre ouvrage,
 
Et chacune de vous aura part au profit,
Ligne 2 044 :
'''MACBETH'''
 
Eh bien ! sorcières du mystère, des ténèbres et du minuit, que faites-vous là ?
 
'''LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE'''
Ligne 2 068 :
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Dis, aimes-tu mieux recevoir la réponse de notre bouche ou de celle de nos maîtres ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 2 086 :
'''MACBETH'''
 
Dis-moi, puissance inconnue...inconnue….
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
Ligne 2 094 :
'''LE FANTÔME'''
 
Macbeth ! Macbeth ! Macbeth ! garde-toi de Macduff ; garde-toi du thane de Fife.—Laissez-moi partir.—C’est assez.
 
(Le fantôme s’enfonce sous la terre.)
Ligne 2 110 :
'''LE FANTÔME'''
 
Macbeth ! Macbeth ! Macbeth !
 
'''MACBETH'''
Ligne 2 124 :
'''MACBETH'''
 
Vis donc, Macduff ; qu’ai-je besoin de te redouter ? Cependant je veux rendre ma tranquillité doublement tranquille, et faire un bail avec le Destin. Tu ne vivras pas, afin que je puisse dire à la peur au pâle courage qu’elle en a menti, et dormir en dépit du tonnerre. (Tonnerre.—On voit s’élever le fantôme d’un enfant couronné, ayant un arbre dans la main.) Quel est celui-ci qui s’élève comme le fils d’un roi, et qui porte sur son front d’enfant la couronne fermée de la souveraineté ?
 
'''LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE'''
Ligne 2 138 :
'''MACBETH'''
 
Cela n’arrivera jamais. Qui peut presser la forêt, commander à l’arbre de détacher sa racine liée à la terre ? O douces prédictions ! ô bonheur ! Rébellion, ne lève point la tête jusqu’à ce que la forêt de Birnam se lève ; et Macbeth, au faîte de la grandeur, vivra tout le bail de la nature, et son dernier soupir sera le tribut payé à la vieillesse et à la loi mortelle.—Cependant mon cœur palpite encore du désir de savoir une chose : dites-moi (si votre art va jusqu’à me l’apprendre), la race de Banquo régnera-t-elle un jour dans ce royaume ?
 
'''TOUTES LES SORCIÈRES ENSEMBLE'''
Ligne 2 146 :
'''MACBETH'''
 
Je veux être satisfait. Si vous me le refusez, qu’une malédiction éternelle tombe sur vous ! —Faites-moi connaître ce qui en est.—Pourquoi cette chaudière disparaît-elle ? Quel est ce bruit ?
 
(Hautbois.)
Ligne 2 152 :
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Paraissez !
 
'''DEUXIÈME SORCIÈRE'''
 
Paraissez !
 
'''TROISIÈME SORCIÈRE'''
 
Paraissez !
 
'''LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE'''
Ligne 2 170 :
'''MACBETH'''
 
Tu ressembles trop à l’ombre de Banquo ; à bas ! ta couronne brûle mes yeux dans leur orbite.—Et toi, dont le front est également ceint d’un cercle d’or, tes cheveux sont pareils à ceux du premier.—Un troisième ressemble à celui qui le précède. Sorcières impures, pourquoi me montrez-vous ceci ? —Un quatrième ! Fuyez mes yeux.—Quoi ! cette ligne se prolongera-t-elle jusqu’au jour du jugement ? Encore un autre ! —Un septième ! Je n’en veux pas voir davantage.—Et cependant voilà le huitième qui paraît, portant un miroir où j’en découvre une foule d’autres : j’en vois quelques-uns qui portent deux globes et un triple sceptre. Effroyable vue ! Oui, je le vois maintenant, c’est vrai, car voilà Banquo, tout souillé du sang de ses plaies, qui me sourit et me les montre comme siens.—Quoi ! en est-il ainsi ?
 
'''PREMIÈRE SORCIÈRE'''
 
Oui, seigneur, il en est ainsi.—Mais pourquoi Macbeth reste-t-il ainsi saisi de stupeur ? Venez, mes sœurs, égayons ses esprits, et faisons-lui connaître nos plus doux plaisirs. Je vais charmer l’air pour qu’il rende des sons, tandis que vous exécuterez votre antique ronde ; il faut que ce grand roi puisse dire avec bonté que nous l’avons reçu avec les hommages qui lui sont dus.
 
(Musique.—Les sorcières dansent et disparaissent.)
Ligne 2 180 :
'''MACBETH'''
 
Où sont-elles ? parties ! —Que cette heure funeste soit maudite dans le calendrier ! —Venez, vous qui êtes là dehors.
 
(Entre Lenox.)
Ligne 2 186 :
'''LENOX'''
 
Que désire votre grâce ?
 
'''MACBETH'''
 
Avez-vous vu les sœurs du Destin ?
 
'''LENOX'''
Ligne 2 198 :
'''MACBETH'''
 
N’ont-elles pas passé près de vous ?
 
'''LENOX'''
Ligne 2 206 :
'''MACBETH'''
 
Que l’air qu’elles traversent soit infecté, et damnation sur tous ceux qui croiront en elles ! —J’ai entendu galoper des chevaux : qui donc est arrivé ?
 
'''LENOX'''
Ligne 2 214 :
'''MACBETH'''
 
Il s’est sauvé en Angleterre ?
 
'''LENOX'''
Ligne 2 222 :
'''MACBETH'''
 
O temps ! tu devances mes terribles exploits. On n’atteint jamais le dessein frivole si l’action ne marche pas avec lui. Désormais, les premiers mouvements de mon cœur seront aussi les premiers mouvements de ma main ; dès à présent, pour couronner mes pensées par les actes, il faut penser et agir aussitôt ; je vais surprendre le château de Macduff, m’emparer de Fife, passer au fil de l’épée sa femme et ses petits enfants, et tout ce qui a le malheur d’être de sa race. Inutile de se vanter comme un insensé ; je vais accomplir cette entreprise avant que le projet se refroidisse. Mais, plus de visions !
 
(À Lenox.) Où sont ces gentilshommes ? Viens, conduis-moi vers eux.
 
(Ils sortent.)
Ligne 2 246 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Qu’avait-il fait qui pût le forcer à fuir son pays ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 262 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Sagesse ! de laisser sa femme, laisser ses petits enfants, ses biens, ses titres dans un lieu d’où il s’enfuit ! Il ne nous aime point, il ne ressent point les mouvements de la nature. Le pauvre roitelet, le plus faible des oiseaux dispute dans son nid ses petits au hibou. Il n’y a que de la frayeur, aucune affection, et tout aussi peu de sagesse, dans une fuite précipitée ainsi contre toute raison.
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 278 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Mon garçon, votre père est mort : qu’allez-vous devenir ? Comment vivrez-vous ?
 
L’ENFANT.—Comme vivent les oiseaux, ma mère.
Ligne 2 284 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Quoi ! de vers et de mouches ?
 
L’ENFANT.—De ce que je pourrai trouver, je veux dire : c’est ainsi que vivent les oiseaux.
Ligne 2 290 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Pauvre petit oiseau ! ainsi tu ne craindrais pas le filet, la glu, le piège, le trébuchet ?
 
L’ENFANT.—Pourquoi les craindrais-je, ma mère ? Ils ne sont pas destinés aux petits oiseaux.—Mon père n’est pas mort, quoi que vous en disiez.
 
'''LADY MACDUFF'''
 
Oui, il est mort. Comment feras-tu pour avoir un père ?
 
L’ENFANT.—Comment ferez-vous pour avoir un mari ?
 
'''LADY MACDUFF'''
 
Moi ! j’en pourrais acheter vingt au premier marché.
 
L’ENFANT.—Vous les achèteriez donc pour les revendre ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 310 :
Tu dis tout ce que tu sais, et en vérité cela n’est pas mal pour ton âge.
 
L’ENFANT.—Mon père était-il un traître, ma mère ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 316 :
Oui, c’était un traître.
 
L’ENFANT.—Qu’est-ce que c’est qu’un traître ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 322 :
C’est un homme qui jure et qui ment.
 
L’ENFANT.—Et tous ceux qui font cela sont-ils des traîtres ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 328 :
Oui, tout homme qui fait cela est un traître, et mérite d’être pendu.
 
L’ENFANT.—Et doivent-ils être tous pendus, ceux, qui jurent et qui mentent ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 334 :
Oui, tous.
 
L’ENFANT.—Et qui est-ce qui doit les pendre ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 344 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Que Dieu te garde, pauvre petit singe ! Mais comment feras-tu pour avoir un père ?
 
L’ENFANT.—S’il était mort, vous le pleureriez, et si vous ne pleuriez pas, ce serait un bon signe que j’aurais bientôt un nouveau père.
Ligne 2 350 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Pauvre petit causeur, comme tu babilles !
 
(Arrive un messager.)
Ligne 2 356 :
'''LE MESSAGER'''
 
Dieu vous garde, belle dame ! je ne vous suis pas connu, quoique je sois parfaitement instruit du rang que vous tenez. Je crains que quelque danger ne soit prêt à fondre sur vous. Si vous voulez suivre l’avis d’un homme simple, qu’on ne vous trouve pas en ce lieu. Fuyez d’ici avec vos petits enfants. Je suis trop barbare, je le sens, de vous épouvanter ainsi : vous faire plus de mal encore serait une horrible cruauté qui est trop près de vous atteindre. Que le ciel vous protège ! Je n’ose m’arrêter plus longtemps.
 
(Il sort.)
Ligne 2 362 :
'''LADY MACDUFF'''
 
Où pourrai-je fuir ? Je n’ai point fait de mal : mais je me rappelle maintenant que je suis dans ce monde terrestre, où faire le mal est souvent regardé comme louable, et faire le bien passe quelquefois pour une dangereuse folie. Pourquoi donc, hélas ! présenterais-je cette défense de femme, et dirais-je : Je n’ai point fait de mal ? —(Entrent des assassins.) Quelles sont ces figures ?
 
'''UN ASSASSIN'''
 
Où est votre mari ?
 
'''LADY MACDUFF'''
Ligne 2 374 :
L’ASSASSIN.—C’est un traître.
 
L’ENFANT.—Tu en as menti, vilain, aux poils roux !
 
L’ASSASSIN, poignardant l’enfant.—Comment, toi qui n’es pas sorti de ta coquille, petit frai de traître !
 
L’ENFANT.—Il m’a tué, ma mère : sauvez-vous, je vous en prie.
Ligne 2 428 :
'''MALCOLM'''
 
Peut-être là même où j’ai trouvé des doutes. Pourquoi avez-vous si brusquement quitté, sans prendre congé d’eux, votre femme et vos enfants, ces précieux motifs de nos actions, ces puissants liens d’amour ? —Je vous prie, ne voyez pas dans mes soupçons des affronts pour vous, mais seulement des sûretés pour moi : vous pouvez être parfaitement honnête, quoique je puisse penser.
 
'''MACDUFF'''
 
Péris, péris, pauvre patrie ! Tyrannie puissante, affermis-toi sur tes fondements, car la vertu n’ose te réprimer ; et toi, subis tes injures, c’est maintenant à juste titre37. Adieu, prince : je ne voudrais pas être le misérable que tu soupçonnes pour tout l’espace qui est sous la main du tyran, avec le riche Orient par-dessus le marché.
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 440 :
'''MACDUFF'''
 
Et qui sera-ce donc ?
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 468 :
'''MALCOLM'''
 
Mais je n’en ai point : tout ce qui fait l’ornement des rois, justice, franchise, tempérance, fermeté, libéralité, persévérance, clémence, modestie, piété, patience, courage, bravoure, tout cela n’a pour moi aucun attrait ; mais j’abonde en vices de toutes sortes, chacun en particulier reproduit sous différentes formes. Oui ! si j’en avais le pouvoir, je ferais couler dans l’enfer le doux lait de la concorde, je bouleverserais la paix universelle, et je porterais le désordre dans tout ce qui est uni sur la terre.
 
'''MACDUFF'''
 
O Écosse ! Écosse !
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 480 :
'''MACDUFF'''
 
Fait pour gouverner ! non, pas même pour vivre ! O nation misérable ! sous le joug d’un tyran usurpateur, armé d’un sceptre ensanglanté, quand reverras-tu des jours prospères, puisque le rejeton légitime de ton trône demeure réprouvé par son propre arrêt et blasphème contre sa race ? Ton père était un saint roi ; la reine qui t’a porté, plus souvent à genoux que sur ses pieds, mourait chaque jour à elle-même. Adieu : ces vices dont tu t’accuses toi-même m’ont banni d’Écosse. O mon cœur, ta dernière espérance s’évanouit ici !
 
'''MALCOLM'''
 
Macduff, ce noble transport, fils de l’intégrité, a effacé de mon âme tous ses noirs soupçons, m’a convaincu de ton honneur et de ta bonne foi. Le diabolique Macbeth a déjà tenté, par plusieurs artifices semblables, de m’attirer sous sa puissance ; et une modeste prudence me défend contre une crédulité trop précipitée. Mais que le Dieu d’en haut traite seul entre toi et moi ! De ce moment je m’abandonne à tes conseils ; je rétracte les calomnies que j’ai proférées contre moi-même, et j’abjure ici tous les reproches, toutes les imputations dont je me suis chargé, comme étrangers à mon caractère. Je suis encore inconnu à une femme ; jamais je ne fus parjure ; à peine ai-je convoité la possession de mon propre bien ; jamais je n’ai violé ma foi ; je ne trahirais pas le diable à son compère ; et la vérité m’est aussi chère que la vie. Mon premier mensonge est celui que je viens de faire contre moi. Ce que je suis en en effet, c’est à toi et à ma pauvre patrie à en disposer, et déjà, avant ton arrivée en ce lieu, le vieux Siward, à la tête de dix mille vaillants guerriers réunis sur un même point, allait se mettre en marche pour l’Écosse. Maintenant nous irons ensemble ; et puisse le succès être aussi bon que la querelle que nous soutenons ! —Pourquoi gardes-tu le silence ?
 
'''MACDUFF'''
Ligne 2 494 :
'''MALCOLM''', à Macduff
 
Nous en reparlerons.—Je vous prie, le roi va-t-il paraître ?
 
'''LE MÉDECIN'''
Ligne 2 508 :
'''MACDUFF'''
 
Quelle est la maladie dont il veut parler ?
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 518 :
'''MACDUFF'''
 
Voyez : qui vient à nous ?
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 536 :
'''MACDUFF'''
 
L’Écosse est-elle toujours à sa place ?
 
'''ROSSE'''
 
Hélas ! pauvre pays qui n’ose presque plus se reconnaître ! On ne peut l’appeler notre mère, mais notre tombeau, cette patrie où l’on n’a jamais vu sourire que ce qui est privé d’intelligence ; où l’air est déchiré de soupirs, de gémissements, de cris douloureux qu’on ne remarque plus ; où la violence de la douleur est regardée comme une folie ordinaire40 ; où la cloche mortuaire sonne sans qu’à peine on demande pour qui ; où la vie des hommes de bien expire avant que soit séchée la fleur qu’ils portent à leur chapeau, ou même avant qu’elle commence à se flétrir.
 
'''MACDUFF'''
 
O récit trop exact, et cependant trop vrai !
 
'''MALCOLM'''
 
Quel est le malheur le plus nouveau ?
 
'''ROSSE'''
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'''MACDUFF'''
 
Comment se porte ma femme ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 564 :
'''MACDUFF'''
 
Et tous mes enfants ?
 
'''ROSSE'''
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'''MACDUFF'''
 
Et le tyran n’a pas attenté à leur paix ?
 
'''ROSSE'''
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'''MACDUFF'''
 
Ne soyez point avare de paroles : comment cela va-t-il ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 592 :
'''ROSSE'''
 
Plût au ciel que je pusse répondre à cette consolation en vous rendant la pareille ! mais j’ai à prononcer des paroles qu’il faudrait hurler dans l’air solitaire, là où l’ouïe ne pourrait les saisir.
 
'''MACDUFF'''
 
Qui intéressent-elles ? Est-ce la cause générale ? ou bien est-ce un patrimoine de douleur qu’un seul cœur puisse réclamer comme sien ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 612 :
'''MACDUFF'''
 
Ouf ! je devine !
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 620 :
'''MALCOLM'''
 
Dieu de miséricorde ! —Allons, homme, n’enfoncez point votre chapeau sur vos yeux ; donnez des expressions à la douleur : le chagrin qui ne parle pas murmure en secret au cœur surchargé et lui ordonne de se rompre,
 
'''MACDUFF'''
 
Mes enfants aussi ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 632 :
'''MACDUFF'''
 
Et fallait-il que je n’y fusse pas ! Ma femme tuée aussi !
 
'''ROSSE'''
Ligne 2 644 :
'''MACDUFF'''
 
Il n’a point d’enfants41 ! —Tous mes jolis enfants, avez-vous dit ? tous ? Oh ! milan d’enfer ! Tous ? quoi ! tous mes pauvres petits poulets et leur mère, tous enlevés d’un seul horrible coup ?
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 652 :
'''MACDUFF'''
 
Je le ferai ; mais il faut bien aussi que je le sente en homme ; il faut bien aussi que je me rappelle qu’il a existé dans le monde des êtres qui étaient pour moi ce qu’il y avait de plus précieux. Le ciel l’a vu et n’a pas pris leur défense ! Coupable Macduff ! ils ont tous été frappés pour toi ! Misérable que je suis ! ce n’est pas pour leurs fautes, mais pour les miennes, que le meurtre a fondu sur eux. Que le ciel maintenant leur donne la paix !
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 660 :
'''MACDUFF'''
 
Oh ! je pourrais jouer le rôle d’une femme et celui d’un fanfaron avec ma langue ; mais, ô ciel propice, abrège tout délai ; mets-nous face à face ce démon de l’Écosse et moi ; place-le à la longueur de mon épée, s’il m’échappe, que le ciel lui pardonne aussi !
 
'''MALCOLM'''
Ligne 2 690 :
Note 40 : Modern ecstasy.
 
Note 41 : He has no children ! On est demeuré dans l’incertitude sur le sens de cette exclamation : quelques personnes pensent qu’elle s’adresse à Malcolm, dont les impuissantes consolations ne peuvent venir que d’un homme qui n’a pu connaître une pareille douleur ; et il est certain qu’à l’appui de cette opinion vient ce qu’a dit lady Macbeth, dans le premier acte, du bonheur qu’elle a senti à allaiter son enfant ; de plus, les chroniques d’Écosse parlent d’un fils de Macbeth, nommé Lulah, qui fut, après la mort de son père, couronné roi par quelques-uns de ses partisans, et fut ensuite tué quatre mois environ après la bataille de Dunsinane. Mais, d’un autre côté, il est clair que Macduff répond à Malcolm, et qu’il repousse ses consolations par l’impossibilité où il est de se venger sur un homme qui n’a pas d’enfants. Il faut remarquer d’ailleurs que rien dans la pièce n’a indiqué que Macbeth eût des enfants vivants, et que le désespoir avec lequel Macbeth apprend que des enfants de Banquo régneront après lui, ne parait pas porter sur l’idée de voir privé de la couronne un enfant déjà existant. Il ne dit point : not my son, mais no son of mine succeeding ; enfin, ce sens exprime un sentiment beaucoup plus profond, et c’est une raison pour croire que c’est celui de Shakspeare.
 
 
Ligne 2 707 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Voilà deux nuits que je veille avec vous, et rien ne m’a confirmé la vérité de votre rapport. Quand lui est-il arrivé la dernière fois de se promener ainsi ?
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
Ligne 2 715 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Il faut qu’il existe un grand désordre dans les fonctions naturelles, pour qu’on puisse à la fois jouir des bienfaits du sommeil et agir comme si l’on était éveillé. Dites-moi, dans cette agitation endormie, outre sa promenade et les autres actions dont vous parlez, que lui avez-vous jamais entendu dire ?
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
Ligne 2 731 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Comment a-t-elle eu cette lumière ?
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
 
Ah ! elle était près d’elle : elle a toujours de la lumière près d’elle ; c’est son ordre.
 
'''LE MÉDECIN'''
Ligne 2 747 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Que fait-elle donc là ? Voyez comme elle se frotte les mains.
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
Ligne 2 763 :
'''LADY MACBETH'''
 
Va-t’en, maudite tache...tache… ; va-t’en, te dis-je.—Une, deux heures.—Allons, il est temps de le faire.—L’enfer est sombre ! —Fi ! mon seigneur, fi ! un soldat avoir peur ! Qu’avons-nous besoin de nous inquiéter, qui le saura, quand personne ne pourra demander de comptes à notre puissance ? —Mais qui aurait cru que ce vieillard eut encore tant de sang dans le corps ?
 
LE MÉDECIN. à la dame suivante.—Remarquez-vous cela ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Le thane de Fife avait une femme : où est-elle maintenant ? —Quoi ! ces mains ne seront-elles jamais propres ? —Plus de cela, mon seigneur, plus de cela : vous gâtez tout par ces tressaillements.
 
'''LE MÉDECIN'''
Ligne 2 777 :
'''LA DAME SUIVANTE'''
 
Elle a dit ce qu’elle ne devait pas dire, j’en suis sûre. Dieu sait tout ce qu’elle a su !
 
'''LADY MACBETH'''
 
Il y a toujours là une odeur de sang. Tous les parfums de l’Arabie ne peuvent purifier cette petite main ! —Oh ! oh ! oh !
 
'''LE MÉDECIN'''
 
Quel profond soupir ! Le cœur est cruellement chargé.
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
Ligne 2 809 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Et cela encore ?
 
'''LADY MACBETH'''
 
Au lit, au lit : on frappe à la porte ; venez, venez, venez, donnez-moi votre main. Ce qui est fait ne peut se défaire. Au lit, au lit, au lit !
 
(Elle sort.)
Ligne 2 819 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Va-t-elle retourner à son lit ?
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
Ligne 2 827 :
'''LE MÉDECIN'''
 
Il a été murmuré d’horribles secrets.—Des actions contre nature produisent des désordres contre nature. Le sourd oreiller recevra les confidences des consciences souillées.—Elle a plus besoin d’un prêtre que d’un médecin. Dieu ! Dieu ! pardonne-nous à tous.—Suivez-la ; écartez d’elle tout ce qui pourrait la déranger, et ayez toujours les yeux sur elle ; je pense, mais je n’ose parler.
 
'''LA DAME SUIVANTE'''
Ligne 2 852 :
'''CAITHNESS'''
 
Qui sait si Donalbain est avec son frère ?
 
'''LENOX'''
Ligne 2 860 :
'''MENTEITH'''
 
Que fait le tyran ?
 
'''CAITHNESS'''
Ligne 2 872 :
'''MENTEITH'''
 
Qui pourra blâmer ses sens troublés de reculer et de tressaillir, quand tout ce qui est en lui se reproche sa propre existence ?
 
'''CAITHNESS'''
Ligne 2 889 :
Entrent MACBETH, LE MÉDECIN ; suite.
 
MACBETH, aux personnes de sa suite.—Ne m’apportez plus de rapports. Qu’ils s’envolent tous ; jusqu’à ce que la forêt de Birnam se mette en mouvement vers Dunsinane, la crainte ne pourra m’atteindre. Qu’est-ce que ce petit Malcolm ? n’est-il pas né d’une femme ? Les esprits, qui connaissent tout l’enchaînement des causes de mort, me l’ont ainsi déclaré : « Ne crains rien, Macbeth ; nul homme né d’une femme n’aura jamais de pouvoir sur toi. »—Fuyez donc, perfides thanes, et allez vous confondre avec ces épicuriens d’Anglais. L’esprit par lequel je gouverne et le cœur que je porte ne seront jamais accablés par l’inquiétude, ni ébranlés par la crainte—(Entre un domestique.) Que le diable te grille, vilain à face de crème ! où as-tu pris cet air d’oison ?
 
'''LE DOMESTIQUE'''
 
Seigneur, il y a dix mille...mille…
 
'''MACBETH'''
 
Oisons, misérable !
 
'''LE DOMESTIQUE'''
Ligne 2 905 :
'''MACBETH'''
 
Va-t’en te piquer la figure pour cacher ta frayeur sous un peu de rouge, drôle, au foie blanc de lis42. Quoi, soldats ! vous voilà de toutes les couleurs ! —Mort de mon âme ! Tes joues de linge apprennent la peur aux autres. Quoi, soldats ! des visages de petit-lait !
 
'''LE DOMESTIQUE'''
 
L’armée anglaise, sauf votre bon plaisir...plaisir…
 
'''MACBETH'''
 
Ôte-moi d’ici ta face.—Seyton ! —Le cœur me manque quand je vois...vois….—Seyton ! —De ce coup je vais être mis à l’aise pour toujours, ou jeté à bas.—J’ai vécu assez longtemps, la course de ma vie est arrivée à l’automne, les feuilles jaunissent, et tout ce qui devrait accompagner la vieillesse, comme l’honneur, l’amour, les troupes d’amis, je ne dois pas y prétendre : à leur place ce sont des malédictions prononcées tout bas, mais du fond de l’âme ; des hommages de bouche, vain souffle que le pauvre cœur voudrait refuser et n’ose.—Seyton !
 
(Entre Seyton.)
Ligne 2 919 :
'''SEYTON'''
 
Quel est votre bon plaisir ?
 
'''MACBETH'''
 
Quelles nouvelles y a-t-il encore ?
 
'''SEYTON'''
Ligne 2 939 :
'''MACBETH'''
 
Je veux la mettre. Envoie un plus grand nombre de cavaliers parcourir le pays, qu’on pende ceux qui parlent de peur. Donne-moi mon armure.—Comment va votre malade, docteur ?
 
'''LE MÉDECIN'''
Ligne 2 947 :
'''MACBETH'''
 
Guéris-la de cela. Ne peux-tu donc soigner un esprit malade, arracher de la mémoire un chagrin enraciné, effacer les soucis gravés dans le cerveau, et, par la vertu de quelque bienfaisant antidote d’oubli, nettoyer le sein encombré de cette matière pernicieuse qui pèse sur le cœur ?
 
'''LE MÉDECIN'''
Ligne 2 955 :
'''MACBETH'''
 
Jette donc la médecine aux chiens ; je n’en veux pas.—Allons, mets-moi mon armure ; donne-moi ma lance.—Seyton, envoie la cavalerie.—Docteur, les thanes m’abandonnent.—Allons, monsieur, dépêchez-vous.—Docteur, si tu pouvais, à l’inspection de l’eau de mon royaume43, reconnaître sa maladie, et lui rendre par tes remèdes sa bonne santé passée, je t’applaudirais à tous les échos capables de répéter mes applaudissements.—(A Seyton.) Ôte-la, te dis-je.—Quelle sorte de rhubarbe, de séné, ou de toute autre drogue purgative, pourrais-tu nous donner pour nous évacuer de ces Anglais ? En as-tu entendu parler ?
 
'''LE MÉDECIN'''
Ligne 2 999 :
'''SIWARD'''
 
Quelle est cette forêt que je vois devant nous ?
 
'''MENTEITH'''
Ligne 3 040 :
'''MACBETH'''
 
Plantez notre étendard sur le rempart extérieur. On crie toujours : Ils viennent ! Mais la force de notre château se moque d’un siége. Qu’ils restent là jusqu’à ce que la famine et les maladies les consument. S’ils n’étaient pas renforcés par ceux mêmes qui devraient combattre pour nous, nous aurions pu hardiment les aller rencontrer face à face, et les reconduire battant jusque chez eux.—Quel est ce bruit ?
 
(On entend derrière le théâtre des cris de femmes.)
Ligne 3 050 :
'''MACBETH'''
 
J’ai presque oublié l’impression de la crainte. Il fut un temps où mes sens se seraient glacés an bruit d’un cri nocturne ; où tous mes cheveux, à un récit funeste, se dressaient et s’agitaient comme s’ils eussent été doués de vie : mais je me suis rassasié d’horreurs. Ce qu’il y a de plus sinistre, devenu familier à mes pensées meurtrières, ne saurait me surprendre.—D’où venaient ces cris ?
 
'''SEYTON'''
Ligne 3 072 :
J’étais de garde sur la colline, et je regardais du côté de Birnam, quand tout à l’heure il m’a semblé que la forêt se mettait en mouvement.
 
MACBETH le frappant.—Menteur ! misérable !
 
'''LE MESSAGER'''
Ligne 3 080 :
'''MACBETH'''
 
Si ton rapport est faux, tu seras suspendu vivant au premier arbre, jusqu’à ce que la famine te dessèche. Si ton récit est véritable, peu m’importe que tu m’en fasses autant : je prends mon parti résolument, et commence à douter des équivoques du démon qui ment sous l’apparence de la vérité : Ne crains rien jusqu’à ce que la forêt de Birnam marche sur Dunsinane, et voilà maintenant une forêt qui s’avance vers Dunsinane.—Aux armes, aux armes, et sortons ! —S’il a vu en effet ce qu’il assure, il ne faut plus songer à s’échapper d’ici, ni à s’y renfermer plus longtemps.—Je commence à être las du soleil, et à souhaiter que toute la machine de l’univers périsse en ce moment.—Sonnez la cloche d’alarme.—Vents, soufflez ; viens, destruction ; du moins nous mourrons le harnais sur le dos.
 
(Ils sortent.)
Ligne 3 121 :
'''MACBETH'''
 
Ils m’ont attaché à un poteau ; je ne peux fuir, mais, comme l’ours, il faut que je me batte à tout venant. Où est celui qui n’est pas né de femme ? Voilà l’homme que je dois craindre, ou je n’en crains aucun.
 
(Entre le jeune Siward.)
Ligne 3 127 :
'''LE JEUNE SIWARD'''
 
Quel est ton nom ?
 
'''MACBETH'''
Ligne 3 165 :
'''MACDUFF'''
 
C’est de ce côté que le bruit s’est fait entendre. Tyran, montre-toi ! Si tu es tué sans avoir reçu un coup de ma main, les ombres de ma femme et de mes enfants ne cesseront de m’obséder. Je ne puis frapper sur de misérables Kernes, dont les bras sont loués pour porter leur lance. Ou toi, Macbeth, ou le tranchant de mon épée, demeuré inutile, rentrera dans le fourreau sans avoir frappé un seul coup. Tu dois être par là ; ce grand cliquetis que j’entends semble annoncer un guerrier du premier rang. Fais-le moi trouver, Fortune, et je ne te demande plus rien.
 
(Il sort.—Alarme.)
Ligne 3 189 :
'''MACBETH'''
 
Pourquoi ferais-je ici sottement le Romain, et mourrais-je sur ma propre épée ? Tant que je verrai devant moi des vies, les blessures y seront bien mieux placées.
 
(Rentre Macduff.)
Ligne 3 217 :
'''MACBETH'''
 
Maudite soit la langue qui a prononcé ces paroles, car elle a subjugué la meilleure partie de moi-même ! et que désormais on n’ajoute plus de foi à ces démons artificieux qui se jouent de nous par des paroles à double sens, qui tiennent leurs promesses à notre oreille en manquant à notre espoir.—Je ne veux point combattre avec toi.
 
'''MACDUFF'''
Ligne 3 247 :
'''SIWARD'''
 
Il est donc mort ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 3 255 :
'''SIWARD'''
 
A-t-il reçu ses blessures par devant ?
 
'''ROSSE'''
Ligne 3 263 :
'''SIWARD'''
 
Eh bien donc ! qu’il devienne le soldat de Dieu ! Eussé-je autant de fils que j’aide cheveux, je ne leur souhaiterais pas une plus belle mort : ainsi le glas est sonné pour lui.
 
'''MALCOLM'''
Ligne 3 271 :
'''SIWARD'''
 
Il a tout ce qu’il mérite : on dit qu’il est bien mort, et qu’il a payé ce qu’il devait. Ainsi, que Dieu soit avec lui ! —(Rentre Macduff, avec la tête de Macbeth à la main.) Voici de nouveaux sujets de joie.
 
'''MACDUFF'''
 
Salut, roi, car tu l’es. Vois, je porte la tête maudite de l’usurpateur. Notre pays est libre. Je te vois entouré des perles de ton royaume : tous répètent mon hommage dans le fond de leurs cœurs. Que leurs voix s’unissent tout haut à la mienne : « Salut, roi d’Écosse ! »
 
'''TOUS'''
 
Roi d’Écosse, salut !
 
(Fanfares.)