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Valognes, 15 7{{exp|bre}} 1875,
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{{caché|Valognes, 15 7{{exp|bre}} 1875,}} Mon cher Monsieur Bloy, — Je déteste écrire de longues lettres et vous m’y forcez, puisque vous tenez à avoir ''toute mon impression'' sur votre ''Méduse-Astruc''. Je prends donc mon courage à deux mains pour vous la donner, parce que je tiens à vous faire ''plaisir'' et, qui sait ? peut-être ''utilité''. Ce que j’ai à vous dire vous replantera peut être au travail d’où vous vous êtes beaucoup trop déraciné. Si mon impression était telle que vous la craignez, car il paraît que vous avez été mordu du chien enragé de l’inquiétude, — comme moi qui suis l’Actéon de ce chien aux mille gueules, — si mon opinion sur votre ''Méduse'' vous était défavorable, (que ceci vous rassure !) je n’approuverais pas le petit embarras que j’éprouve, car j’en éprouve un, pourquoi vous le cacher ?… Je serais juste et brutal au besoin, en toute sécurité. Mais votre Méduse-Astruc parle de moi en de tels termes, qu’en disant le bien que j’en pense, j’ai l’air un peu comme disait spirituellement mon père, '' de me prendre par la main pour me reconduire'' et de vous ayer en éloges ceux que vous avez faits de moi.
{{caché|Valognes, 15 7{{exp|bre}} 1875,}} Mon cher Monsieur Bloy, — Je déteste écrire de longues lettres et vous m’y forcez, puisque vous tenez à avoir ''toute mon impression'' sur votre ''Méduse-Astruc''. Je prends donc mon courage à deux mains pour vous la donner, parce que je tiens à vous faire ''plaisir'' et, qui sait ? peut-être ''utilité''. Ce que j’ai à vous dire vous replantera peut être au travail d’où vous vous êtes beaucoup trop déraciné. Si mon impression était telle que vous la craignez, car il paraît que vous avez été mordu du chien enragé de l’inquiétude, — comme moi qui suis l’Actéon de ce chien aux mille gueules, — si mon opinion sur votre ''Méduse'' vous était défavorable, (que ceci vous rassure !) je n’approuverais pas le petit embarras que j’éprouve, car j’en éprouve un, pourquoi vous le cacher ?… Je serais juste et brutal au besoin, en toute sécurité. Mais votre Méduse-Astruc parle de moi en de tels termes, qu’en disant le bien que j’en pense, j’ai l’air un peu comme disait spirituellement mon père, '' de me prendre par la main pour me reconduire'' et de vous payer en éloges ceux que vous avez faits de moi.


Je tâcherai pourtant de me mettre au dessus de cela. Votre ''interprétation'' du Buste d’Astruc est une poésie sur une autre poésie. À propos de ce ''buste'' vous avez fait une ''statue'' ou plutôt vous en avez fait ''deux'', la sienne et la mienne, — énormes toutes deux ! vous avez travaillé dans le colossal. Et voilà le ''hic'' ! C’est votre manière de voir, je le sais bien, que de voir énorme. C’est la nature même de votre esprit que de voir grand, quand ce ne serait pas que que vous regarderiez ou Astruc, à propos de moi. En bien, comme en mal, vos yeux grandissent et grossissent l’objet. C’est la qualité et le ''défaut'' aussi des poëtes, — le dos et la paume de leur puissante main. Vos amis qui ont senti ce qu’il y avait de beau dans votre ''Méduse'' y ont (me dites-vous) trouvé ''trop d’enthousiasme''. Il n’y a jamais trop d’enthousiame dans une œuvre et dans une œuvre comme la vôtre (qui est de la poésie en prose, un ''Rythme oublié''.) Mais en disant cela, il s avaient conscience, — conscience obscure, — du manque de proportion qu’il y a en votre manière de ''concevoir'' et de ''rendre'' les deux modèles que vous avez sculptés à votre tour et la réalité de ces deux modèles, qu’en mon âme et conscience vous avez faits trop grands.
Je tâcherai pourtant de me mettre au dessus de cela. Votre ''interprétation'' du Buste d’Astruc est une poésie sur une autre poésie. À propos de ce ''buste'' vous avez fait une ''statue'' ou plutôt vous en avez fait ''deux'', la sienne et la mienne, — énormes toutes deux ! vous avez travaillé dans le colossal. Et voilà le ''hic'' ! C’est votre manière de voir, je le sais bien, que de voir énorme. C’est la nature même de votre esprit que de voir grand, quand ce ne serait pas moi que que vous regarderiez ou Astruc, à propos de moi. En bien, comme en mal, vos yeux grandissent et grossissent l’objet. C’est la qualité et le ''défaut'' aussi des poëtes, — le dos et la paume de leur puissante main. Vos amis qui ont senti ce qu’il y avait de beau dans votre ''Méduse'' y ont (me dites-vous) trouvé ''trop d’enthousiasme''. Il n’y a jamais trop d’enthousiame dans une œuvre et dans une œuvre comme la vôtre (qui est de la poésie en prose, un ''Rythme oublié''.) Mais en disant cela, il s avaient conscience, — conscience obscure, — du manque de proportion qu’il y a en votre manière de ''concevoir'' et de ''rendre'' les deux modèles que vous avez sculptés à votre tour et la réalité de ces deux modèles, qu’en mon âme et conscience vous avez faits trop grands.


Et si grands, mon cher Monsieur Bloy, que si votre ''Méduse'', faite pour l’intimité l’avait été pour la publicité, je me serais opposé, pour ma part, à sa publication. À de pareilles ''colossalités'', il faut les perspectives que la mort creuse derrière les hommes qui ne sont plus. C’est trop monumental pour la vie. Il ne faut pas mettre dans le plain-pied de la vie les choses d’outre-tombe. C’est un anachronisme terrible. Le tombeau de Jules II par Michel-Ange, (vous le voyez, je ne rapetisse personne) était trop grand lorsque Jules II vivait. Il n’a trouvé sa proportion juste qu’après sa mort, et le buste d’Astruc ne la trouvera qu’après la mienne.
Et si grands, mon cher Monsieur Bloy, que si votre ''Méduse'', faite pour l’intimité l’avait été pour la publicité, je me serais opposé, pour ma part, à sa publication. À de pareilles ''colossalités'', il faut les perspectives que la mort creuse derrière les hommes qui ne sont plus. C’est trop monumental pour la vie. Il ne faut pas mettre dans le plain-pied de la vie les choses d’outre-tombe. C’est un anachronisme terrible. Le tombeau de Jules II par Michel-Ange, (vous le voyez, je ne rapetisse personne) était trop grand lorsque Jules II vivait. Il n’a trouvé sa proportion juste qu’après sa mort, et le buste d’Astruc ne la trouvera qu’après la mienne.