« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Château » : différence entre les versions

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n'est pas de lui, il n'y a mis que son nom, et cela nous importe peu<span id="note139"></span>[[#footnote139|<sup>139</sup>]].
 
Le plan de Chambord est le plan d'un château français; au centre est
l'habitation seigneuriale, le donjon, flanqué de quatre tours aux angles.
De trois côtés, ce donjon est entouré d'une cour fermée par des bâtiments,
munis également de tours d'angles. Conformément à la tradition du château
féodal, le donjon donne d'un côté directement sur les dehors et ne se
réunit aux dépendances que par deux portiques ou galeries. La grand'salle,
figurant une croix, forme la partie principale du donjon. Au centre
est un grand escalier à double vis permettant à deux personnes de
descendre et monter en même temps sans se rencontrer, et qui communique
du vestibule inférieur à la grand'salle, puis à une plate-forme
supérieure. Cet escalier se termine par un couronnement à jour et une
lanterne qui sert de guette. Dans les quatre tours et les angles compris
entre les bras de la salle, en forme de croix, sont des appartements ayant
chacun leur chambre de parade, leur chambre, leurs retraits,
garde-robes,
privés et escalier particulier. La tour A contient, au premier étage, la
chapelle. Les bâtiments des dépendances, simples en épaisseur suivant
l'usage, sont distribués en logements; des fossés entourent l'ensemble des
constructions. Du donjon on descendait dans un jardin terrassé et environné
de fossés, situé en B. Les écuries et la basse-cour occupaient les
dehors du côté de l'arrivée par la route de Blois. Comme ensemble, c'est
là un château féodal, si ce n'est que tout est sacrifié à l'habitation, rien à
la défense; et cependant ces couloirs, ces escaliers particuliers à chaque
tour, cet isolement du donjon rappellent encore les dispositions défensives
du château fortifié, indiquent encore cette habitude de l'imprévu, des
issues secrètes et des surprises. Ce n'était plus, à Chambord, pour dérouter
un ennemi armé que toutes ces précautions de détail étaient prises, mais
pour faciliter les intrigues secrètes de cette cour jeune et toute occupée
de galanteries. C'était encore une guerre.
 
Chambord est au château féodal des XIII<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> siècles ce que l'abbaye
de Thélème est aux abbayes du XII<sup>e</sup> siècle; c'est une parodie. Plus riche
que Rabelais, François I^er réalisait son rêve; mais ils arrivaient tous deux
au même résultat: la parodie écrite de Rabelais sapait les institutions
monastiques vieillies, comme la parodie de pierre de François I<sup>er</sup> donnait
le dernier coup aux châteaux fermés des grands vassaux. Nous le répétons,
il n'y a rien d'italien en tout ceci, ni comme pensée ni comme forme.
 
À l'extérieur, quel est l'aspect de cette splendide demeure? C'est une
multitude de combles coniques et terminés par des lanternes s'élevant sur
les tours, des clochetons, d'immenses tuyaux de cheminée richement
sculptés et incrustés d'ardoises, une forêt de pointes, de lucarnes de
pierre; rien enfin qui ressemble à la demeure seigneuriale italienne,
mais, au contraire, une intention évidente de rappeler le château français
muni de ses tours couvertes par des toits aigus, possédant son donjon, sa
plate-forme, sa guette, ses escaliers à vis, ses couloirs secrets, ses souterrains
et fossés.
 
[Illustration: Fig. 39.]
 
Mais Chambord nous donne l'occasion de signaler un fait curieux. Dans
beaucoup de châteaux reconstruits en partie au commencement du
XVI<sup>e</sup> siècle, on conserva les anciennes tours, autant à cause de leur extrême
solidité et de la difficulté de les démolir que parce qu'elles étaient la
marque de la demeure féodale. Mais pour rendre ces tours habitables, il
fallait les éclairer par de larges fenêtres.
Pratiquer des trous à chaque étage et
construire des baies en sous-œuvre eût été
un travail difficile, dispendieux et long.
On trouva plus simple, dans ce cas, pour
les tours avec planchers de bois (et c'était
le plus grand nombre), de pratiquer du
haut en bas une large tranchée verticale et
de remonter dans cette espèce de créneau
autant de fenêtres qu'il y avait d'étages, en
reprenant seulement ainsi les pieds-droits
les linteaux et alléges. Une figure est nécessaire
pour faire comprendre cette opération.
Soit (39) une tour fermée; on y pratiquait
une tranchée verticale, ainsi qu'il est indiqué
en A, tout en conservant les planchers
intérieurs. Puis (39 bis) on bâtissait
les fenêtres nouvelles, ainsi qu'il est indiqué
dans cette figure. Pour dissimuler
la reprise et éviter la difficulté de raccorder
les maçonneries neuves des pieds-droits
avec les vieux parements extérieurs
des tours, qui souvent étaient fort grossiers,
on monta, de chaque côté des baies,
des pilastres peu saillants se superposant à
chaque étage. Cette construction en raccordement,
donnée par la nécessité, devint un motif de décoration dans
les tours neuves que l'on éleva au commencement du XVI<sup>e</sup> siècle, ainsi
que nous le voyons dans les vues des châteaux de Bury et de Chambord.
Les machicoulis devinrent aussi l'occasion d'une décoration architectonique là où on n'en avait plus que faire pour la défense; à Chambord,
les tours et murs des bâtiments sont couronnés par une corniche qui
rappelle cette ancienne défense; elle se compose de coquilles posées sur
des corbeaux et formant ainsi un encorbellement dont la silhouette figure
des machicoulis. Rien d'italien dans ces traditions, qui sont à Chambord
la décoration principale de tous les extérieurs.
 
[Illustration: Fig. 39 bis.]
 
Au XVI<sup>e</sup> siècle, le sol français était couvert d'une multitude de châteaux
qui faisaient l'admiration des étrangers. Car, à côté des vieilles demeures
féodales que leur importance ou leur force avaient fait conserver, à la
place de presque tous les châteaux de second ordre, les seigneurs avaient
élevé des habitations élégantes et dans la construction desquelles on cherchait
à conserver l'ancien aspect pittoresque des demeures fortifiées. Les
guerres de religion, Richelieu et la Fronde en détruisirent un grand
nombre. Alors la noblesse dut s'apercevoir, un peu tard, qu'en rasant
elle-même ses forteresses pour les remplacer par des demeures ouvertes,
elle avait donné une force nouvelle aux envahissements de la royauté.
C'est surtout pendant les luttes de la fin du XVI<sup>e</sup> siècle et du commencement
du XVII<sup>e</sup> que les suprêmes efforts de la noblesse féodale se font
sentir. Agrippa d'Aubigné nous paraît être le dernier rejeton de cette race
puissante; c'est un héros du XII<sup>e</sup> siècle qui surgit, tout d'une pièce, dans
des temps déjà bien éloignés, par les mœurs, de cette grande époque. Le
dernier peut-être il osa se renfermer dans les forteresses de Maillezay et
du Dognon, les garder contre les armées du roi, auxquelles il ne les rendit
pas; en quittant la France il les vendit à M. de Rohan. Avec cet homme
d'un caractère inébranlable, mélange singulier de fidélité et d'indépendance,
plus partisan que français, s'éteint l'esprit de résistance de la
noblesse. Quand, de gré ou de force, sous la main de Richelieu et le
régime absolu de Louis XIV, la féodalité eut renoncé à lutter désormais
avec le pouvoir royal, ses demeures prirent une forme nouvelle qui ne
conservait plus rien de la forteresse seigneuriale du moyen âge.
 
Cependant le château français, jusqu'au XVIII<sup>e</sup> siècle, fournit des exemples
fort remarquables et très-supérieurs à tout ce que l'on trouve en ce genre
en Angleterre, en Italie et en Allemagne. Les châteaux de Tanlay, d'Ancy-le-Franc,
de Verneuil, de Vaux, de Maisons, l'ancien château de Versailles,
les châteaux détruits de Meudon, de Rueil, de Richelieu, de Brèves en
Nivernais, de Pont en Champagne, de Blérancourt en Picardie, de Coulommiers
en Brie, offrent de vastes sujets d'études pour l'architecte. On
y trouve la grandeur du commencement du XVII<sup>e</sup> siècle, grandeur solide,
sans faux ornements; des dispositions larges et bien entendues, une
richesse réelle. Dans ces demeures, il n'est plus trace de tours, de
créneaux, de passages détournés; ce sont de vastes palais ouverts,
entourés de magnifiques jardins, faciles d'accès. Le souverain peut seul
aujourd'hui remplir de pareilles demeures, aussi éloignées de nos habitudes
journalières et de nos fortunes de parvenus que le sont les châteaux
fortifiés du moyen âge.
 
La révolution de 1792 anéantit à tout jamais le château, et ce que l'on
bâtit en ce genre aujourd'hui, en France, ne présente que de pâles copies,
d'un art perdu, parce qu'il n'est plus en rapport avec nos mœurs. Un pays
qui a supprimé l'aristocratie et tout ce qu'elle entraîne de priviléges avec
elle ne peut sérieusement bâtir des châteaux. Car qu'est-ce qu'un château
avec la division de la propriété, sinon un caprice d'un jour? Une demeure
dispendieuse qui périt avec son propriétaire et ne laissant aucun souvenir,
est destinée à servir de carrière pour quelques maisons de paysans ou des
usines.
 
Nos vieilles églises du moyen âge, toutes dépouillées qu'elles soient,
sont encore vivantes; le culte catholique, ne s'est pas modifié; et s'il est
survenu, depuis le XIII<sup>e</sup> siècle, quelques changements dans la liturgie, ces
changements n'ont pas une assez grande importance pour avoir éloigné de
nous les édifices sacrés. Mais les châteaux féodaux appartiennent à des
temps et à des mœurs si différents des nôtres, qu'il nous faut, pour les
comprendre, nous reporter par la pensée à cette époque héroïque de notre
histoire. Si leur étude n'a pour nous aujourd'hui aucun but pratique, elle
laisse dans l'esprit une trace profondément gravée. Cette étude n'est pas
sans fruits; sérieusement faite, elle efface de la mémoire les erreurs qu'on
s'est plu à propager sur la féodalité; elle met à nu des mœurs empreintes
d'une énergie sauvage, d'une indépendance absolue, auxquelles il est bon
parfois de revenir, ne fût-ce que pour connaître les origines des forces,
encore vivantes heureusement, de notre pays. La féodalité était un rude
berceau; mais la nation qui y passa son enfance et put résister à ce dur
apprentissage de la vie politique, sans périr, devait acquérir une vigueur
qui lui a permis de sortir des plus grands périls sans être épuisée. Respectons
ces ruines, si longtemps maudites, maintenant qu'elles sont silencieuses
et rongées par le temps et les révolutions; regardons-les, non
comme des restes de l'oppression et de la barbarie, mais bien comme
nous regardons la maison, désormais vide, où nous avons appris, sous un
recteur dur et fantasque, à connaître la vie et à devenir des hommes. La
féodalité est morte; elle est morte vieillie, détestée; oublions ses fautes,
pour ne nous souvenir que des services qu'elle a rendus à la nation
entière en l'habituant aux armes, en la plaçant dans cette alternative ou
de périr misérablement ou de se constituer, de se réunir autour du pouvoir
royal; en conservant au milieu d'elle et perpétuant certaines lois d'honneur
chevaleresque que nous sommes heureux de posséder encore
aujourd'hui et de retrouver dans les jours difficiles. Ne permettons pas
que des mains cupides s'acharnent à détruire les derniers vestiges de ses
demeures, maintenant qu'elles ont cessé d'être redoutables, car il ne
convient pas à une nation de méconnaître son passé, encore moins de le
maudire.
 
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C'est quelque maître des œuvres français, quelque Claude ou Blaise de Tours ou
de Blois, qui aura bâti Chambord; et si le Primatice y a mis quelque chose, il n'y
paraît guère. Mais avoir à la cour un artiste étranger, en faire une façon de surintendant
des bâtiments, le combler de pensions, cela avait meilleur air que d'employer
Claude ou Blaise, natif de Tours ou de Blois, bonhomme qui était sur son chantier
pendant que le peintre et architecte italien expliquait les plans du bonhomme aux
seigneurs de la cour émerveillés. Nos lecteurs voudront bien nous pardonner cette
sortie à propos du Primatice; mais nous ne voyons en cet homme qu'un artiste
médiocre qui, ne pouvant faire ses affaires en Italie, où se trouvaient alors cent
architectes et peintres supérieurs à lui, était venu en France pour emprunter une
gloire appartenant à des hommes modestes, de bons praticiens dont le seul tort était
d'être né dans notre pays et de s'appeler Jean ou Pierre.