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{{titre|Traité du Libre Arbitre|Saint Augustin|In Œuvres complètes de Saint Augustin traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Poujoulat et de M. l’abbé Raulx, éd. Guérin, Bar-le-Duc, 1864<br>
Traité du Libre Arbitre
Les deux premiers livres sont traduits par M. l'abbé DEFOURNY.<br>
Le troisième livre est traduit par M. l'abbé RAULX.}}
 
[[Category:Philosophie]]
[[Saint Augustin]]
[[Category:Antiquité]]
In Œuvres complètes de Saint Augustin traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Poujoulat et de M. l’abbé Raulx, éd. Guérin, Bar-le-Duc, 1864
 
Les deux premiers livres sont traduits par M. l'abbé DEFOURNY.
 
Le troisième livre est traduit par M. l'abbé RAULX.
 
<div class=prose>
 
==LIVRE PREMIER.==
Argument : L'auteur pose d'abord la question de l'Origine du Mal; puis il explique en quoi consiste la Malice d'un acte coupable ; il montre ensuite que les actes mauvais procèdent du Libre Arbitre ou de la libre détermination de la volonté humaine , parce que la raison n'est contrainte par personne à se soumettre à la passion, qui domine dans tout acte mauvais.
 
===CHAPITRE PREMIER. DIEU EST-IL L'AUTEUR DE QUELQUE MAL ?===
 
DIEU EST-IL L'AUTEUR DE QUELQUE MAL ?
1. Evode. Dis-moi, je te prie, si Dieu n'est pas l'auteur du mal. — Augustin. Je te le dirai, dès que tu auras éclairci ta question. De quel mal entends-tu parler? car nous prenons ordinairement ce mot dans deux sens. Dans le premier nous disons: cet homme a mal agi, et dans le second : cet homme a souffert de grands maux. — E. J'entends ici ce mot dans l'un et l'autre sens. — A. Eh bien ! si tu crois ou comprends que Dieu est bon, et le contraire n'est pas permis, il ne peut mal agir; si nous admettons ensuite qu'il est juste, et le nier serait un blasphème, il s'ensuit qu'il distribue aux bons les récompenses, et aux méchants les supplices. Or les supplices sont des maux pour ceux qui les souffrent. Mais personne n'est
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CHAPITRE II.
 
===CHAPITRE II. AVANT DE RECHERCHER L'ORIGINE DU MAL, IL FAUT SAVOIR CE QUE NOUS DEVONS CROIRE SUR DIEU.===
4. E. Me voilà suffisamment forcé d'avouer que nous n'apprenons pas à faire le mal; fais-moi donc connaître l'origine du mal. — A. Tu soulèves une question qui m'a violemment agité dès ma première jeunesse; c'est elle qui, de guerre lasse, m'a poussé vers les hérétiques et m'a précipité dans l'hérésie. Cette chute me brisa, et je demeurai comme; écrasé sous le monceau de leurs fables et dé leurs vaines erreurs. Jamais je n'aurais pu me re-lever, si le désir de trouver la vérité rie m'avait obtenu le secours de Dieu ; je ne pourrais même plus respirer du côté de la première des libertés : celle de chercher. Comme ma délivrance s'est opérée de la manière la plus sérieuse, je parcourrai avec toi, dans l'examen de cette question, le chemin que j'ai moi-même suivi et qui m'a fait aboutir. Dieu interviendra pour nous faire comprendre ce que nous croyons, car nous avons ainsi la certitude de suivre la marche prescrite dans ce texte du Prophète : a Si vous ne croyez d'abord, vous « ne comprendrez pas (1). » Nous croyons donc que tout ce qui est a Dieu pour auteur, et que cependant Dieu n'est pas l'auteur des péchés (2): Mais voici ce qui trouble notre esprit : si les âmes que Dieu a faites sont les auteurs des péchés, si ces âmes ont Dieu pour auteur, comment ne pas voir une relation de cause assez étroite entre le péché et Dieu?
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===CHAPITRE III. LA PASSION EST LE PRINCIPE DU MAL.===
 
CHAPITRE III.
 
LA PASSION EST LE PRINCIPE DU MAL.
6. A. Avant de répondre à ta question sur l'origine du mal, il faut examiner ce que c'est que mal faire. Donne-moi d'abord tes idées sur ce point; et si tu ne peux tout exprimer-en peu de paroles, fais-moi une énumération détaillée des actes mauvais, en me disant ce que tu en penses. — E. Le temps et la mémoire me feraient défaut pour les énumérer tous. Je me bornerai à te désigner les adultères, les homicides et les sacrilèges, comme des actions de la malice desquelles personne ne doute. — A. Mais dis-moi d'abord pourquoi tu penses que l'adultère est une mauvaise action. Est-ce parce que les lois le défendent?— E. Evidemment ce n'est pas parce que la législation le défend, que l'adultère est un mal; au contraire, c'est parce qu'il est un mal qu'il est défendu par les lois. — A. Mais si quelqu'un nous pressait, et nous énumérant les voluptés de l'adultère, nous demandait pourquoi nous le jugeons un mal et un acte méritant condamnation, devrions-nous invoquer l'argument d'autorité et nous retrancher dans le texte de la loi, quand il s'agit non pas de croire, mais de comprendre? Certes, je vois avec toi, je crois inébranlablement, je crie à toutes les sociétés et à toutes les nations du monde, qu'elles doivent croire que l'adultère est un mal. Mais cette vérité que nous admettons par la foi, nous cherchons ici à la comprendre, et à en acquérir la plus haute certitude scientifique. Réfléchis donc sérieusement, et dis-moi sur quelle raison tu établis la malice de l'adultère. — E. Je me rends compte de la malice de l'adultère, en ce que je ne voudrais pas le souffrir dans mon épouse. Or celui-là commet le mal qui fait à autrui ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui fît à lui-même. — A. Et que dirais-tu d'un homme dont la passion serait telle, qu'il offrirait sa femme à un autre et la lui livrerait volontiers, lui-même, à charge de réciprocité? Penses-tu qu'il ne serait pas coupable? — E. Il serait très-coupable. — A. Cependant cet homme ne pèche pas contre la maxime citée tout à l'heure. Il ne fait pas à autrui ce qu'il ne veut pas qu'on lui fasse à lui-même. Ainsi cherche une autre raison pour rendre compte de la malice de l'adultère.
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===CHAPITRE IV. OBJECTION : HOMICIDE COMMIS PAR CRAINTE. — QUELLE SORTE DE CUPIDITÉ EST COUPABLE. ===
 
CHAPITRE IV.
 
OBJECTION :
 
HOMICIDE COMMIS PAR CRAINTE. — QUELLE SORTE DE CUPIDITÉ EST COUPABLE.
9. A. Sais-tu que la passion s'appelle encore d'un autre nom, et qu'on la nomme aussi cupidité? — E. Je le sais. — A. Eh bien ! penses-tu qu'il n'y ait pas de différence entre cette cupidité et la crainte?— E. Il me semble qu'il y a une grande différence entre les deux. — A. Et cette manière de voir vient sans doute de ce que la cupidité recherche son objet, au lieu que la crainte le fuit? — E. Précisément. — A. Mais quoi 1 si un homme, excité non par la cupidité, non par le désir d'acquérir quelque chose, mais par la crainte qu'il ne lui arrive du mal, tue un autre homme, ne sera-t-il point homicide?— E. Il l'est. Mais dans cet acte, je vois encore dominer la cupidité. Car celui qui tue un homme par crainte, est certainement mu par le désir de vivre sans crainte. — A. Et, à ton avis, est-ce un bien de peu d'importance que de vivre exempt de crainte. — E. C'est un grand bien, au contraire. Mais cet homicide ne peut nullement l'acquérir par son crime. — A. Je ne cherche pas ce qui lui adviendra, mais ce qu'il désire. Celui qui désire vivre sans crainte, désire certainement un bien; et ce désir en lui-même n'est pas coupable; autrement il faudrait déclarer coupables tous ceux qui comme nous désirent le bien.. Nous sommes donc forcés de reconnaître qu'il existe une espèce d'homicide dans lequel on ne voit pas dominer cette cupidité mauvaise dont nous avons parlé. Et alors de deux choses l'une: ou il est faux que la passion constitue la malice de tous les péchés, ou il existe une espèce d'homicide qui n'est pas un péché. — E. Si l'homicide consiste à tuer un homme, il peut quelquefois n'être pas un péché. Ainsi le soldat qui tue l'ennemi, le juge ou l'exécuteur qui met à mort le criminel, l'homme qui, involontairement et sans s'en apercevoir, laisse échapper un trait meurtrier, me paraissent exempts de péché. — A. Je suis de ton avis. Mais il n'est pas reçu qu'on les appelle des homicides. Réponds plutôt à cette question Ranges-tu aussi dans la catégorie de ceux qui en donnant la mort ne méritent pas le nom d'homicides, l'homme qui a tué son maître parla crainte de graves châtiments? — E. Je trouve une grande différence entre celui-ci et les autres. Les premiers en effet se conforment aux lois, ou du moins ne les violent pas; tandis que je ne connais aucune loi qui approuve le fait du second.
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===CHAPITRE V. AUTRE OBJECTION, TIRÉE DE L'HOMICIDE COMMIS SUR UN HOMME QUI NOUS FAIT VIOLENCE, ET PERMIS PAR LES LOIS HUMAINES.===
 
CHAPITRE V.
 
AUTRE OBJECTION, TIRÉE DE L'HOMICIDE COMMIS SUR UN HOMME QUI NOUS FAIT VIOLENCE, ET PERMIS PAR LES LOIS HUMAINES.
11. A. Cherchons donc maintenant, je te prie, si la passion domine aussi dans les sacrilèges, que la superstition produit en si grand nombre.— E. Prends garde que cette question ne soit prématurée; il faut auparavant examiner si la passion est complètement étrangère à l'homicide commis dans le but de défendre sa vie, sa liberté et sa pudeur contre un homme brutal qui fond sur nous avec violence, ou contre un sicaire qui nous attaque traîtreusement.— A. Comment être d'avis que la passion n'est pour rien dans cette sorte de meurtres, puisque ceux qui les commettent tirent l'épée pour des choses qu'ils peuvent perdre malgré eux? Car s'ils ne les peuvent perdre ainsi, comment en venir, pour cela, josqu'à tuer un homme?— E. Elles ne sont donc pas justes, les lois qui donnent la faculté au voyageur de tuer le brigand de peur d'être tué par lui; à l'homme et à la femme, menacés d'attentat à la pudeur, de tuer, s'ils le peuvent, l'agresseur avant la perpétration du crime? Les lois veulent encore que les soldats tuent les ennemis , et s'ils s'abstiennent de le faire, ils sont punis par leur chef. Oserons-nous dire que ces lois sont injustes, ou plutôt qu'elles ne sont pas des lois ? Car à mon avis, une loi injuste n'est pas une loi.
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===CHAPITRE VI. LA LOI ÉTERNELLE EST LA RÈGLE DES LOIS HUMAINES. NOTION DE LA LOI ÉTERNELLE.===
 
CHAPITRE VI.
 
LA LOI ÉTERNELLE EST LA RÈGLE DES LOIS HUMAINES. NOTION DE LA LOI ÉTERNELLE.
14. A. Allons plus au fond; et, si tu le veux, recherchons avec soin dans quelle mesure, la loi qui maintient les sociétés en cette vie doit punir les crimes, pour voir ensuite le rôle de la Providence divine dans sa répression invisible et plus inévitable encore. — E. Je le veux, si toutefois il est possible d'embrasser les dimensions d'un tel sujet, car il me paraît vaste comme l'infini. — A. Courage ! Continue à t'appuyer sur la piété, et pénètre hardiment dans les voies de la raison. Il n'est pas de chemin si âpre et si difficile, qui ne devienne tout uni et aisé avec l'aide de Dieu. Fixons sur lui nos regards en implorant son secours, et poursuivons notre entreprise.
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===CHAPITRE VII. COMMENT L'HOMME EST BIEN RÉGLÉ PAR LA LOI ÉTERNELLE. — IL EST MEILLEUR DE SAVOIR QUE DE VIVRE.===
 
CHAPITRE VII.
 
COMMENT L'HOMME EST BIEN RÉGLÉ PAR LA LOI ÉTERNELLE. — IL EST MEILLEUR DE SAVOIR QUE DE VIVRE.
16. A. Avançons ; et voyons comment l'homme lui-même est bien ordonné, car c'est d'hommes que se composent les nations, associées sous une même loi, que nous avons appelée la loi temporelle. Et d'abord , dis-moi si tu es certain que tu vis ? — E. Quoi de plus certain? — A. Maintenant, peux-tu faire une différence entre vivre et savoir qu'on vit? — E. Je sais bien que personne ne peut savoir qu'il vit, s'il n'est vivant; mais j'ignore si tout être vivant sait ou non qu'il vit. — A. Alors, tu crois, sans le savoir, que les bêtes n'ont pas la raison. Je le regrette beaucoup; car notre discussion ne serait pas arrêtée par cet incident. Mais comme tu me dis que tu ne sais pas, il nous faudra discourir longuement. En effet, cette question n'est pas telle qu'il nous soit permis de la laisser en arrière pour avancer plus rapidement vers le but, d'autant plus que nos raisonnements demandent, je le sens, l'enchaînement le plus rigoureux. C'est pourquoi, réponds à la question que je vais te poser Nous voyons souvent les bêtes domptées parles hommes; et ce n'est pas seulement le corps, mais bien aussi l'âme de la bête qui se plie au joug de l'homme, à tel point qu'elle obéit à sa volonté par une sorte d'instinct et d'habitude. Or, crois-tu que, parmi les nombreuses bêtes farouches, capables de tuer le corps de l'homme par la force ou par la ruse, il en existe quelqu'une assez puissante ou assez adroite, par son humeur sauvage, sa taille, ou son instinct, pour pouvoir imposer à l'homme un joug semblable? — E. Je suis d'avis que cela ne se peut en aucune manière. — A. Très-bien. Mais s'il est évident qu'un certain nombre de bêtes surpassent facilement l'homme en forces et en exercices corporels, par où donc à son tour excelle-t-il à ce point qu'aucune bête ne peut lui commander tandis qu'il commande à plusieurs ? Ne serait-ce point par ce qu'on appelle ordinairement la raison ou l'intelligence? — E. Je ne vois pas par quelle autre chose ce pourrait être , puisque c'est dans l'âme que se trouve ce qui fait notre supériorité sur les bêtes. Si les bêtes n'étaient pas des êtres animés, je dirais que nous l'emportons sur elles en ce que nous avons une âme; mais comme elles sont, elles aussi, des êtres animés, ce qui manque à leurs âmes et faute de quoi elles nous sont soumises, ne pouvant être rien ni peu de chose, comme tout le monde en conviendra, comment le mieux caractériser qu'en l'appelant la raison?
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===CHAPITRE VIII. LA RAISON QUI PLACE L'HOMME AU-DESSUS DES ANIMAUX DOIT DOMINER EN LUI-MÊME.===
CHAPITRE VIII.
 
LA RAISON QUI PLACE L'HOMME AU-DESSUS DES ANIMAUX DOIT DOMINER EN LUI-MÊME.
18. A. Voici ce que je veux dire : ce qui place l'homme au-dessus des animaux, de quelque nom qu'on l'appelle, pensée, esprit (nous trouvons l'un et l'autre dans les livres divins), doit dominer en lui et commander à tous les autres éléments constitutifs de sa nature; et c'est à cette condition que l'homme sera parfaitement ordonné. En effet, il y a en nous bien des choses qui nous sont communes, non-seulement avec les animaux, mais même avec le bois et les plantes. Ainsi, l'alimentation du corps, la croissance, la génération, le développement physique, appartiennent aux arbres même, dont la sphère vitale est des plus étroites. D'un autre côté, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût, le toucher, tous ces sens corporels existent chez les bêtes, et la plupart les possèdent à un plus haut degré que nous-mêmes; c'est un fait visible et que tout le inonde reconnaît. Ajoute à cela les forces, la vigueur et la solidité des membres, la promptitude et la souplesse des mouvements du corps, par lesquelles nous leur sommes tantôt supérieurs, tantôt égaux, tantôt même inférieurs. Nous faisons encore partie du genre animal, en compagnie des bêtes. Or, l'activité animale se concentre tout entière dans la recherche des voluptés et la fuite des souffrances corporelles.
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CHAPITRE IX.
 
===CHAPITRE IX. L'EMPIRE OU L'ASSERVISSEMENT DE LA RAISON CARACTÉRISENT LE SAGE ET L'INSENSÉ.===
19. A. Lorsqu'un homme est ainsi établi dans l'ordre, ne te paraît-il pas sage? — E. Si celui-là ne paraît pas digne de ce nom, je doute qu'on en puisse trouver un autre. — [329] A. Tu sais aussi, je crois, que la plupart des hommes sont insensés. — E. Cela est encore assez certain. — A. Mais si l'insensé est le contraire du sage, comme nous avons trouvé le sage, il est à croire que tu comprends ce que c'est qu'un insensé. — E. Qui ne verrait que l'insensé est celui en qui l'esprit n'a pas le souverain pouvoir? — A. Lorsqu'un homme en est là, que faut-il donc dire de lui? qu'il n'y a pas d'esprit en lui? ou qu'il y en a un, mais qu'il n'y domine pas? — E. C'est plutôt ce que tu viens de dire en dernier lieu. — A. Je voudrais bien t'entendre me dire comment tu t'expliques ce fait de l'esprit existant en l'homme, pour exercer son empire. — E. Que ne consens-tu à te charger toi-même de cette tâche, il ne me serait pas facile de l'accomplir. — A. Il t'est facile du moins de te rappeler ce que nous avons dit tout à l'heure; les bêtes, apprivoisées ou domptées par les hommes, leur sont soumises; elles imposeraient à leur tour le même joug aux hommes, si, comme le raisonnement l'a démontré, ceux-ci ne leur étaient pas supérieurs en quelque chose. Nous ne rencontrions pas le principe de cette supériorité dans le corps; comme il était manifestement dans l'âme, nous n'avons pas trouvé de nom plus convenable à lui donner que celui de raison; et nous nous sommes souvenus ensuite que la raison s'appelle encore pensée ou esprit. Si, néanmoins, la raison est une chose, et l'esprit une autre, il a été reconnu que l'esprit seul peut avoir l'usage de la raison. D'où il résulte que celui qui a l'usage de la raison, ne peut être sans esprit. — E. Je me le rappelle fort bien, et je comprends. — A. Eh bien ! crois-tu que les dompteurs d'animaux rie puissent être que des sages? Car j'appelle sages ceux que la vérité veut qu'on appelle ainsi, c'est-à-dire ceux qui, établissant en eux le règne de l'esprit, ont conquis la paix en soumettant toutes leurs passions.— E. Il est ridicule de prendre pour des sages ceux qui portent vulgairement le nom de dompteurs d'animaux, de bergers, de bouviers, de cochers, et que nous voyons gouverner les animaux domestiques, ou dompter les bêtes sauvages. — A. Eh bien ! tu tiens la preuve la plus certaine et la plus évidente de l'existence dans l'homme d'un esprit qui ne domine pas en lui. En effet, ces hommes ont un esprit, puisqu'ils font des choses impossibles à faire sans l'esprit; mais leur esprit ne règne pas en eux, puisqu'ils vivent en insensés, et qu'il est reconnu que l'empire de l'esprit fait seul les sages. — E. Je m'étonne, en vérité, de n'avoir pas trouvé la réponse; elle était renfermée dans ce qui avait été établi précédemment.
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===CHAPITRE X. RIEN NE FORCE L'ESPRIT A ETRE L'ESCLAVE DE LA PASSION.===
CHAPITRE X.
 
RIEN NE FORCE L'ESPRIT A ETRE L'ESCLAVE DE LA PASSION.
20. E. Mais passons à d'autres raisonnements. Il est acquis d'une part que le règne de l'esprit humain constitue la sagesse de l'homme, et d'autre part que ce règne de l'esprit peut n'être pas en lui. — A. Cet esprit auquel, comme nous le savons, la loi naturelle a accordé l'empire sur les passions, penses-tu que la passion soit plus puissante que lui ? Pour moi, je ne le pense pas. Car il ne serait pas dans l'ordre que ce qui est moins puissant commandât à ce qui est plus puissant. C'est pourquoi il me paraît de toute nécessité que l'esprit ait plus de pouvoir que la passion, par cela même qu'il la domine en toute raison et justice. — E. Je suis aussi de ce sentiment. — A. Et la préférence que nous n'hésitons pas de donner à chaque vertu sur chaque vice, ne consiste-t-elle pas aussi en ce que plus une vertu est sincère et élevée, plus elle est solide et invincible?— E. Qui ne l'admettrait? — A. Donc aucune âme vicieuse ne domine une âme armée de vertu?— E. C'est parfaitement vrai. — A. Maintenant, tu ne nieras pas, je pense, qu'une âme quelconque soit meilleure et plus puissante que quelque corps que ce soit. — E. Personne ne le niera; car il est facile de voir que la substance vivante doit être préférée à une substance sans vie, aussi bien que la substance qui donne la vie à celle qui la reçoit. — A. A plus forte raison donc un corps quel qu'il soit, ne l'emporte pas sur un esprit doué de vertu. — E. Cela est de la plus haute évidence. — A. Et une âme juste, un esprit gardant son droit et son empire peut-il précipiter de son trône un autre esprit possédant la même royauté de justice et de vertu, et la soumettre à la passion?— E. Cela ne se peut en aucune manière, et non seulement parce que la vertu est la même dans les deux, mais parce que celui qui voudrait corrompre l'autre, [330] deviendrait lui-même un esprit vicieux, et par là même plus faible que le premier.
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===CHAPITRE XI. L’AME QUI S'ABANDONNE A LA PASSION PAR SA LIBRE VOLONTÉ EST JUSTEMENT PUNIE.===
 
CHAPITRE XI.
 
L’AME QUI S'ABANDONNE A LA PASSION PAR SA LIBRE VOLONTÉ EST JUSTEMENT PUNIE.
Pour le moment nous savons assez que l'être supérieur à l'âme douée de vertu, quel qu'il soit, ne peut être aucunement injuste. Aussi lors même qu'il en aurait le pouvoir, cet être ne forcera pas non plus l'âme à se faire l'esclave de la passion. — E. Personne n'hésitera à admettre pleinement ce que tu dis. — A. Ainsi d'une part tout ce qui est égal ou supérieur à l'âme jouissant de sa royauté et en possession de la vertu, ne la rend pas esclave de la passion; parce que la justice s'y oppose; d'autre part toutes les choses qui lui sont inférieures ne le peuvent pas davantage, parce que leur infirmité les en empêche. Donc il demeure acquis que ce qui rend l'âme complice de la passion, c'est la propre volonté et le libre arbitre. — E. Cette conclusion est de la logique la plus rigoureuse.
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===CHAPITRE XII. LES ESCLAVES DE LA PASSION SUBISSENT JUSTEMENT LES PEINES DE LA VIE MORTELLE, QUAND MÊME ILS N'AURAIENT JAMAIS EU LA SAGESSE.===
CHAPITRE XII.
 
LES ESCLAVES DE LA PASSION SUBISSENT JUSTEMENT LES PEINES DE LA VIE MORTELLE, QUAND MÊME ILS N'AURAIENT JAMAIS EU LA SAGESSE.
24. Pourquoi souffrons-nous de si cruelles peines, nous qui sommes certainement insensés, et qui n'avons jamais été sages ? Et comment peut-on dire que nous sommes ainsi punis avec justice pour avoir quitté le palais de la vertu et choisi la servitude de la passion? Voilà ce qui m'émeut le plus, et je ne t'accorde point de trêve que tu n'aies, si cela est en ton pouvoir, éclairci ce point. — A. Tu [331] parles ici absolument comme s'il était évident que nous n'ayons jamais été sages ; car tu ne liens compte que du temps depuis lequel nous sommes dans cette vie. Mais comme la sagesse réside dans l'âme, notre âme n'a-t-elle point joui de quelque autre vie avant d'être unie à ce corps? C'est là une grande question, un grand mystère que nous scruterons en son heu. Toutefois, les données que nous avons actuellement ne sont pas telles, que nous ne puissions éclaircir le problème.
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===CHAPITRE XIII. LA VIE HEUREUSE COMME LA VIE MISÉRABLE DÉPEND DE NOTRE VOLONTÉ.===
 
CHAPITRE XIII.
 
LA VIE HEUREUSE COMME LA VIE MISÉRABLE DÉPEND DE NOTRE VOLONTÉ.
27. A. Réfléchis maintenant, et dis-moi si la prudence n'est pas la science des choses qu'il faut rechercher et de celles qu'il faut éviter? E. Cela me paraît ainsi. — A. Et la force, n'est-ce pas ce sentiment de l'âme qui nous fait mépriser toutes les incommodités, et la perte des choses qui ne sont point en notre pouvoir? — E. Je le crois. — A. Puis, qu'est-ce que la tempérance, sinon ce sentiment qui comprime et enchaîne le désir des choses qu'on ne peut désirer saris honte? Penses-tu autrement? — E. Ici encore je pense comme tu parles.— A. Enfin que dirons-nous de la justice, si ce n'est [332] qu'elle est cette vertu qui rend à chacun ce qui lui est dû ?— E. Je n'ai pas une autre notion de la justice. — A. Supposons donc un homme doué de cette bonne volonté dont l'excellence fait depuis longtemps le sujet de notre discours; un homme qui embrasse avec amour cette unique richesse, sachant qu'il n'a rien de meilleur; qui en fait ses délices, qui en jouit enfin et s'en réjouit, se plaît à la considérer, à juger combien elle est précieuse, et comment il est impossible de la lui ravir ou dérober malgré lui. Pourrons-nous douter que cet homme ne combatte tout ce qui est hostile à ce bien unique? — E. Il combattra nécessairement. — A. N'est-ce pas avouer alors qu'il est doué de prudence, puisqu'il voit qu'il faut rechercher ce bien , et éviter tout ce qui y est contraire? — E. A mon avis, personne ne peut en agir ainsi sans la prudence. — A. Très-bien; mais pourquoi ne lui. accorderons-nous pas aussi la force? Car il ne peut aimer ni beaucoup estimer toutes les choses qui rie sont point en notre pouvoir. Quand on les aime, c'est avec la mauvaise volonté, et il résiste nécessairement à celle-ci, puisqu'elle est l'ennemie de son bien le plus cher. D'ailleurs, comme il ne les aime pas, il n'a point de chagrins en les perdant, ainsi il les méprise pleinement, et c'est là l'oeuvre de la force, nous l'avons dit et nous en sommes d'accord. — E. Accordons-lui sans crainte cette vertu; aussi bien je ne vois pas qui je pourrais appeler avec plus de vérité un homme fort, sinon celui qui supporte d'un coeur calme et tranquille la privation de ces choses qu'il n'est pas en notre pouvoir de nous donner ou d'acquérir, et nous avons reconnu que l'homme dont nous parlons en agit nécessairement de cette sorte. — A. Vois maintenant si nous pouvons lui refuser la tempérance, cette vertu qui comprime les passions. La bonne volonté a-t-elle un plus grand ennemi que la passion? Cela suffit pour te faire comprendre que cet amant de la bonne volonté résiste de toutes ses forces à ses passions, les combat, et c'est avec raison qu'on l'appellera un homme tempérant. — E. Continue, je suis de ton avis. — A. Reste la justice, et je ne vois pas en vérité comment elle lui manquerait. En effet , celui qui possède et aime la bonne volonté, qui en outre résiste, comme nous l'avons dit, à tout ce qui est hostile, ne peut avoir de mauvais vouloir contre qui que ce soit. Il s'ensuit qu'il ne commet d'injustice contre personne, ce qui ne se peut que quand on rend à chacun ce qui lui est dû, et c'est en quoi consiste la justice; tu l'as reconnu, je crois, et tu t'en souviens. E. Je m'en souviens fort bien, et j'avoue que nous avons trouvé dans l'homme qui estime et aime grandement sa bonne volonté, chacune des quatre vertus que tu as définies tout à l'heure d'accord avec moi.
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CHAPITRE XIV.
 
=== CHAPITRE XIV. POURQUOI IL Y A PEU D'HOMMES HEUREUX QUAND TOUS VOUDRAIENT L'ÊTRE.===
30. A. C'est bien. Mais penses-tu que tous les hommes ne veulent pas et ne désirent pas de toute manière la vie heureuse ? — E. Qui doute que chaque homme n'ait cette volonté? — A. Pourquoi donc tous n'y arrivent-ils pas? Car nous l'avons dit, et nous en sommes tombés d'accord; c'est par la volonté que les hommes méritent cette vie; par la volonté aussi ils arrivent à la vie misérable, et ainsi ils n'ont que ce qu'ils méritent : mais voici maintenant je ne sais quelle contradiction qui tend à troubler les idées si bien éveillées tout à l'heure, et nos raisonnements si fortement appuyés. Comment se fait-il que quelqu'un souffre la. vie misérable par sa volonté; puisque personne au monde n'a la volonté de vivre misérablement; et encore, comment se fait-il qu'un homme acquiert la vie heureuse par sa volonté, quand il y en a
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===CHAPITRE XV. QUELLE EST LA VALEUR RESPECTIVE DE LA LOI ÉTERNELLE ET DE LA LOI TEMPORELLE, ET QUI SONT CEUX QUI LEUR SONT SOUMIS.===
 
CHAPITRE XV.
 
QUELLE EST LA VALEUR RESPECTIVE DE LA LOI ÉTERNELLE ET DE LA LOI TEMPORELLE, ET QUI SONT CEUX QUI LEUR SONT SOUMIS.
31. Voyons maintenant comment ces deux considérations se rattachent à la question des deux lois. — A. Volontiers, mais dis-moi auparavant : celui qui aime la vie droite et qui en fait ses délices au point que non-seulement pour lui elle est le bien, mais encore le plaisir et la joie, aime-t-il cette loi, et la chérit-il par-dessus tout, en voyant que la vie heureuse est accordée à la bonne volonté, tandis que la vie misérable est le prix de la mauvaise? — E. Sans doute il l'aime, et il
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===CHAPITRE XVI. EPILOGUE DU LIVRE PREMIER.===
 
CHAPITRE XVI.
 
EPILOGUE DU LIVRE PREMIER.
A. Très-bien. Ainsi, nous avons déjà commencé de voir quelle est la valeur de la loi éternelle ; nous avons trouvé de même les limites que peut atteindre la loi temporelle dans la répression; de plus, nous avons suffisamment et clairement distingué deux sortes de choses, les éternelles et les temporelles, et aussi deux sortes d'hommes, poursuivant et aimant, les uns les choses éternelles, les autres, les choses temporelles; enfin, il a été constaté que le choix en vertu duquel chacun se livre à la recherche et à l'affection des unes ou des
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==LIVRE DEUXIÈME.==
Argument : Objection tirée de ce que la liberté de pécher nous a été donnée par Dieu. - Trois questions : comment prouver l'existence de Dieu? - Tous les biens viennent-ils de Dieu? La volonté est-elle libre en faisant le bien?
 
===CHAPITRE PREMIER. POURQUOI DIEU NOUS A DONNÉ LA LIBERTÉ DE PÉCHER.===
 
POURQUOI DIEU NOUS A DONNÉ LA LIBERTÉ DE PÉCHER.
1. E. Explique-moi maintenant, si cela est possible, pourquoi Dieu a donné à l'homme le libre arbitre de la volonté, sans lequel il ne pourrait certainement pécher, s'il ne l'avait reçu. — A. Mais d'abord, as-tu la connaissance , et la certitude que Dieu ait donné à l'homme une chose que, d'après toi, il n'aurait pas dû lui donner ? — E. Autant que j'ai pu le comprendre dans le livre précédent, d'un côté nous avons le libre arbitre de la volonté, et de l'autre c'est par lui seul que nous commettons le péché. — A. Moi aussi, je me rappelle que ces conclusions nous sont acquises; mais voici ce que je te demande actuellement: Es-tu sûr que c'est Dieu qui nous adonné ce libre arbitre que nous avons indubitablement et par lequel il est évident que nous péchons? — E. Ce n'est personne autre , je pense; car c'est de lui que nous avons l'être; et soit que nous péchions, soit que nous agissions avec droiture, c'est de lui que nous méritons le châtiment ou la récompense. — A. Mais ce dernier point encore, le comprends-tu clairement ? ou bien est-ce l'argument d'autorité qui te touche et qui te le fait croire volontiers, même sans le comprendre? voilà ce que je voudrais savoir. — E. J'avoue que j'ai cru d'abord à l'autorité sur ce point. Mais quoi de plus vrai que tout ce qui est bien vient de Dieu, que tout ce qui est juste est bien, et qu'il est juste que les pécheurs soient punis et ceux qui agissent avec droiture, récompensés? D'où il résulte que c'est Dieu qui distribue aux pécheurs la misère et aux bons la béatitude.
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===CHAPITRE II. OBJECTION : SI LE LIBRE ARBITRE A ÉTÉ DONNÉ POUR LE BIEN, COMMENT SE FAIT-IL QU'IL PUISSE SE TOURNER VERS LE MAL?===
CHAPITRE II.
 
OBJECTION : SI LE LIBRE ARBITRE A ÉTÉ DONNÉ POUR LE BIEN, COMMENT SE FAIT-IL QU'IL PUISSE SE TOURNER VERS LE MAL?
4. E. Eh bien ! je t'accorde que Dieu l'a donnée. Mais ne te semble-t-il pas, dis-moi, qu'ayant été donnée pour bien faire, elle n'aurait pas dû pouvoir se tourner vers lepéché? Il en eût été comme de la justice elle-même qui a été donnée à l'homme pour bien vivre : est-il possible à quelqu'un de se servir de sa justice pour mal vivre? De même, si la volonté avait été donnée à l'homme pour bien agir, personne ne pourrait pécher par la volonté.
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===CHAPITRE III. QU'Y A-T-IL DE PLUS NOBLE DANS L'HOMME? — COMMENT ARRIVER A LA PREUVE MANIFESTE DE L'EXISTENCE DE DIEU?===
CHAPITRE III.
 
QU'Y A-T-IL DE PLUS NOBLE DANS L'HOMME? — COMMENT ARRIVER A LA PREUVE MANIFESTE DE L'EXISTENCE DE DIEU?
7. Nous adopterons, si tu le veux bien, l'ordre suivant et nous rechercherons d'abord une preuve manifeste de l'existence de Dieu; puis nous examinerons si tout ce qui est bien, en tant que bien, vient de Dieu, et enfin, si, parmi les biens, il faut compter la volonté libre. Quand nous aurons trouvé les solutions , il apparaîtra clairement , je pense , si c'est à bon droit que cette volonté a été donnée à l'homme.
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===CHAPITRE IV. LE SENS INTÉRIEUR SENT LE SENTIMENT MÊME; SE DISCERNE-T-IL AUSSI LUI-MÊME?===
 
CHAPITRE IV.
 
LE SENS INTÉRIEUR SENT LE SENTIMENT MÊME; SE DISCERNE-T-IL AUSSI LUI-MÊME?
10. A. Je crois aussi, il est évident que ce sens intérieur a non-seulement le sentiment des objets qu'il reçoit des cinq sens corporels, mais encore le sentiment de ces sens eux-mêmes. Car la bête ne se meuvrait pas soit en recherchant, soit en fuyant un objet si elle ne sentait pas qu'elle sent, et cela non pour arriver à la science qui est le partage de la raison, mais seulement au mouvement; et certainement aucun des cinq sens ne lui donne ce sentiment. Si ce point était encore obscur, il s'éclaircira dés que tu remarqueras ce qui se passe par exemple dans un seul d'entre eux; prenons la vue. Ouvrir l'œil, et le diriger vers l'objet qu'elle veut voir, la bête ne le pourrait en aucune façon si elle ne sentait qu'elle ne voit pas en ayant l'oeil fermé ou sans le diriger ainsi. Or, si elle sent qu'elle ne voit pas lorsqu'elle ne voit pas en effet, il est nécessaire aussi qu'elle sente qu'elle voit lorsqu'en effet elle voit. Car lorsqu'elle voit, elle ne meut pas [342] l'œil avec le même désir que lorsqu'elle ne voit pas, et elle montre ainsi qu'elle sent l'un et l'autre. Quant à savoir si la vie se sent elle-même, elle qui sent qu'elle sent les choses corporelles, il n'est pas aussi facile de s'en rendre compte; cependant quiconque s'examine lui-même trouve que tout être vivant fuit la mort, et comme la mort est contraire à la vie, il est nécessaire que la vie se sente aussi elle-même pour fuir son contraire. Que si ce point n'est pas encore parfaitement éclairci, laissons-le, afin de ne tendre à notre but que par des preuves certaines et manifestes. Or voici ce qui est manifestement prouvé. le sens corporel sent les choses corporelles; mais il ne peut avoir le sentiment de lui-même; le sens intérieur , lui, a le sentiment des choses corporelles par le sens corporel, et le sentiment du sens corporel lui-même; quant à la raison, elle connaît toutes ces choses , elle se connaît elle-même , elle en fait l'objet de la science. Vois-tu autrement? — E. Non certes. — A. Eh bien ! maintenant parle à ton tour et reprends la question que nous désirions résoudre et dont nous avons cherché la solution en suivant cette route assez longue.
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===CHAPITRE V. LE SENS INTÉRIEUR L'EMPORTE SUR LES SENS EXTÉRIEURS DONT IL EST LE MODÉRATEUR ET LE JUGE.===
CHAPITRE V.
 
LE SENS INTÉRIEUR L'EMPORTE SUR LES SENS EXTÉRIEURS DONT IL EST LE MODÉRATEUR ET LE JUGE.
11. E. Si ma mémoire est fidèle, des trois questions que nous avons posées tout à l'heure avant de suivre l'ordre de cette discussion , nous traitons actuellement la première: comment peut-on prouver évidemment ce que nous croyons d'une foi ferme et inébranlable : l'existence de Dieu? — A. Ta mémoire est fidèle sur ce point. Mais rappelle-toi aussi, je te prie, que quand je t'ai demandé si tu savais que tu existes, la connaissance de ce fait n'est pas venue seule, mais bien accompagnée de deux autres. — E. Je me le rappelle aussi. — A. Vois donc maintenant auquel de ces trois faits se rapporte tout ce qui tombe sous les sens corporels, en d'autres termes, dans quelle catégorie penses-tu qu'il faille ranger tout ce qui tombe sous notre sens au moyen des yeux, ou de tout autre organe corporel? est-ce dans la' classe des choses qui ont seulement l'existence, ou de celles qui ont en outre la vie, ou enfin de
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===CHAPITRE VI. LA RAISON DANS L'HOMME L'EMPORTE SUR TOUT LE RESTE , ET CE QUI L'EMPORTE SUR LA RAISON EST DIEU.===
 
CHAPITRE VI.
 
LA RAISON DANS L'HOMME L'EMPORTE SUR TOUT LE RESTE , ET CE QUI L'EMPORTE SUR LA RAISON EST DIEU.
13. A. Examine maintenant si la raison à son tour juge le sens intérieur. Je ne te demande pas si tu la juges meilleure que lui, car je n'en doute pas, et même je pense qu'il n'est plus nécessaire de te demander si la raison juge ce sens intérieur. Car toutes ces questions concernant les choses qui sont au-dessous d'elle, les corps, les sens corporels, le sens intérieur, la prééminence des uns à l'égard des autres, et sa propre prééminence, n'est-ce pas elle-même qui les traite? Et pourrait-elle le faire si elle n'en jugeait pas ? — E. Evidemment non. — A. Ainsi cette nature qui a simplement l'existence sans être douée de vie ni d'intelligence, comme est un corps inanimé, est inférieure à cette autre nature qui a non-seulement l'existence, mais aussi la vie et l'intelligence, comme est dans l'homme l'âme raisonnable; or penses-tu qu'en nous, c'est-à-dire dans ces trois éléments qui constituent l'homme, on puisse trouver quelque chose de plus noble que celui que nous avons énuméré en troisième lieu ? Car évidemment nous avons d'abord un corps, puis une certaine vie qui anime et développe ce corps : deux choses que nous voyons aussi dans les bêtes; enfin nous en avons une troisième qui est pour notre âme comme sa tête, son oeil et tout ce que tu peux trouver de mieux pour exprimer la raison et l'intelligence, dont les bêtes sont dépourvues. Vois donc, je te prie, s'il t'est possible de trouver dans la nature humaine quelque chose de plus sublime que la raison. — E. Je n'y vois absolument rien de meilleur.
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===CHAPITRE VII. LES SENS SONT PARTICULIERS A CHACUN DE NOUS ET PERÇOIVENT DIFFÉREMMENT LES DIVERS OBJETS.===
 
CHAPITRE VII.
 
LES SENS SONT PARTICULIERS A CHACUN DE NOUS ET PERÇOIVENT DIFFÉREMMENT LES DIVERS OBJETS.
15. A. Je le ferai. Mais auparavant je me demande si mes sens corporels sont les mêmes que les tiens; ou si plutôt les miens sont à moi seul, et les tiens à toi seul; s'il n'en était ainsi, je ne pourrais voir de mes yeux une chose, sans que tu la visses toi-même. — E. J'accorde absolument que les sens, quoique de même genre , sont personnels à chacun de nous et que nous avons chacun la vue, l'ouïe et les autres sens. Car un homme peut non-seulement voir, mais encore entendre ce qu'un autre n'entendrait pas et percevoir par ses autres sens ce qu'un autre ne perçoit pas. Ainsi il est évident que tes sens sont à toi seul, comme les miens sont à moi seul. — A. En diras-tu autant du sens intime ou bien est-il différent? — E. II n'est pas autre. En effet, mon sens intime perçoit mes sensations et le tien perçoit les tiennes, et c'est pour cette raison que souvent quelqu'un me demandera si je vois un objet qu'il voit lui-même, car c'est moi qui sens si je vois ou non, et non pas celui qui m'interroge. — A. Et la raison? chacun de nous n'a-t-il pas aussi la sienne ? puisqu'il peut arriver que je comprenne une chose sans que tu la comprennes et que tu ne puisses savoir si je comprends, tandis que moi, je le sais. — E. Il est évident aussi que chacun de nous a son esprit raisonnable.
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===CHAPITRE VIII. LE RAPPORT DES NOMBRES N'EST PERÇU PAR AUCUN DES SENS CORPORELS. — IL EST UN ET IMMUABLE POUR TOUTES LES INTELLIGENCES QUI LE PERÇOIVENT.===
 
CHAPITRE VIII.
 
LE RAPPORT DES NOMBRES N'EST PERÇU PAR AUCUN DES SENS CORPORELS. — IL EST UN ET IMMUABLE POUR TOUTES LES INTELLIGENCES QUI LE PERÇOIVENT.
20. A. Avance maintenant, prête attention, et dis-moi s'il se trouve une chose que tous ceux qui raisonnent voient en commun, chacun avec son intelligence et sa pensée; une chose qui soit à la disposition de tous ceux qui la voient, sans que ceux qui l'ont à leur disposition puissent la changer en en faisant usage, comme il arrive pour le manger et le boire; une chose qui demeure inaltérée et entière, soit qu'ils la voient, soit qu'ils ne la voient pas, ou penses-tu qu'il n'y ait rien qui présente ces caractères ?— E. J'en vois beaucoup, au contraire. Il suffit d'en mentionner une seule : le rapport, la vérité des nombres. Elle est à la disposition de tous ceux qui raisonnent; chaque calculateur s'efforce de la saisir par sa raison et son intelligence; les uns le peuvent plus facilement, les autres plus difficilement, d'autres ne le peuvent pas du tout; cependant elle se montre également à tous ceux qui peuvent la comprendre; lorsque quelqu'un la perçoit, elle n'est ni changée ni transformée en lui, comme il en arrive pour les aliments; si quelqu'un se trompe à son sujet, elle ne subit elle-même aucune défaillance, mais tandis qu'elle demeure dans sa vérité et son intégrité, celui qui s'y trompe est d'autant plus dans l'erreur qu'il la voit moins bien.
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===CHAPITRE IX. EN QUOI CONSISTE LA SAGESSE, SANS LAQUELLE PERSONNE N'EST HEUREUX.— EST-ELLE LA MÊME DANS TOUS LES SAGES ?===
 
CHAPITRE IX.
 
EN QUOI CONSISTE LA SAGESSE, SANS LAQUELLE PERSONNE N'EST HEUREUX.— EST-ELLE LA MÊME DANS TOUS LES SAGES ?
25. Maintenant je te demande ce qu'il faut, selon toi, penser de la sagesse elle-même. Es-tu d'avis que chaque homme a sa sagesse à lui ? ou bien crois-tu qu'il n'y en a qu'une et qu'elle est en commun à la disposition de tous, telle enfin que plus on y participe, plus on est sage? — E. Je ne sais pas encore ce que tu appelleras sagesse. Je vois en effet les hommes apprécier diversement le nom et la chose. Les uns embrassent l'état militaire et croient agir sagement, les autres méprisant cet état pour consacrer tous leurs soins et leurs occupations à l'agriculture, louent de préférence ce parti qu'ils prennent et l’attribuent à la sagesse. Les hommes habiles à inventer des moyens de gagner de l'argent se croient sages, ceux qui négligent toutes ces choses ou qui les rejettent, aussi bien que toutes les affaires temporelles, pour reporter toute leur ardeur à la recherche de la vérité dans le but de connaître Dieu et de se connaître eux-mêmes, jugent que c'est en cela que consiste la grande fonction de la sagesse. D'autres ne veulent point se livrer à cette contemplation et recherche de la vérité, mais préfèrent les charges et les emplois les plus laborieux pour être utiles aux hommes, et s'occupent à diriger et gouverner les choses humaines; ceux-là aussi s'estiment sages. D'autres enfin prennent à la fois ces deux derniers, et partagent leur vie entre la contemplation de la vérité et les travaux qu'ils estiment profitables à la société humaine; ces derniers croient tenir dans leurs mains la palme de la sagesse. Je ne parle pas de ces innombrables sectes, dont pas une ne se fait faute de préférer ses partisans à tous les autres, et de prétendre qu'ils sont les seuls sages. Puis donc qu'il est convenu entre nous que nos réponses doivent rouler, non sur ce que nous croyons, mais sur ce que nous saisissons clairement par l'intelligence, je ne pourrai aucunement répondre à ta question avant de me rendre compte de ce que je crois, par l'examen et la lumière de la raison, avant de savoir en quoi consiste cette sagesse dont nous parlons.
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===CHAPITRE X. LA LUMIÈRE DE LA SAGESSE EST UNE ET COMMUNE A TOUS LES SAGES.===
 
CHAPITRE X.
 
LA LUMIÈRE DE LA SAGESSE EST UNE ET COMMUNE A TOUS LES SAGES.
28. Mais quoi? Ces maximes : il existe une sagesse, des sages; tous les hommes veulent être heureux, où les voyons-nous? Car tu les vois, et tu en vois la vérité; je ne me permettrai certainement pas d'en douter. Mais vois-tu ces vérités comme tu vois ta pensée, ta pensée que j'ignore absolument tant que tu ne me l'as pas énoncée ? ou bien les vois-tu, ces vérités, de telle sorte que tu comprends que je puisse les voir aussi, lors même que tu ne me les dirais pas ? — E. Assurément; et il y a plus; je sens que tu peux les voir même quand je ne le voudrais pas, sans aucun doute. — A. Eh bien ! une vérité unique, que nous voyons tous deux chacun avec notre propre esprit, n'est-elle pas commune à nous deux? — E. Cela est de toute évidence.
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===CHAPITRE XI. LA SAGESSE ET LE NOMBRE SONT-ILS UNE MÊME CHOSE, OU BIEN EXISTENT-ILS INDÉPENDAMMENT L'UN DE L'AUTRE, OU L'UN DES DEUX EST-IL RENFERMÉ DANS L'AUTRE?===
CHAPITRE XI.
 
LA SAGESSE ET LE NOMBRE SONT-ILS UNE MÊME CHOSE, OU BIEN EXISTENT-ILS INDÉPENDAMMENT L'UN DE L'AUTRE, OU L'UN DES DEUX EST-IL RENFERMÉ DANS L'AUTRE?
30. E. Je n'en puis douter. Mais je désirerais beaucoup savoir si ces deux choses, la sagesse et le nombre, sont contenues dans un seul et même genre, puisque, comme tu l'as rappelé, les saintes Ecritures elles-mêmes les réunissent [351] en les mentionnant ; ou bien l'une des deux existe-t-elle par l'autre, ou subsiste-t-elle dans l'autre? je veux dire: le nombre existe-t-il par la sagesse, ou subsiste t-il dans la sagesse? Car que la sagesse existe par le nombre ou subsiste dans le nombre , c'est ce que je n'oserais pas dire. Je ne sais pourquoi; mais j'ai tant connu de calculateurs, d'arithméticiens, ou n'importe comme on les nomme , sachant parfaitement et admirablement compter,, et d'autre part j'ai rencontré si peu de sages , et peut-être point , que- la sagesse m'apparaît beaucoup plus digne de respect que le nombre.
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===CHAPITRE XII. LA VÉRITÉ EST UNE ET INALTÉRABLE DANS TOUTES LES INTELLIGENCES, ET ELLE EST SUPÉRIEURE A NOTRE ESPRIT.===
CHAPITRE XII.
 
LA VÉRITÉ EST UNE ET INALTÉRABLE DANS TOUTES LES INTELLIGENCES, ET ELLE EST SUPÉRIEURE A NOTRE ESPRIT.
33. Tu ne songerais donc point à le nier; il est une vérité inaltérable, dans laquelle sont contenues toutes ces choses inaltérablement vraies; et tu ne peux dire d'elle qu'elle est à toi ou à moi, ni à aucun homme en particulier; mais par des modes merveilleux, comme une lumière à la fois secrète et publique, elle se présente et s'offre en commun à tous ceux qui voient les vérités inaltérables. Or, une chose quelconque qui se présente en commun à tous ceux qui usent de leur raison et de leur intelligence, peux-tu dire qu'elle appartient en propre à la nature de quelqu'un d'entre eux? Tu te souviens, je pense, de ce que nous avons dit en traitant des êtres corporels : les objets que nous percevons en commun par les sens de la vue et de l'ouïe, comme les sons et les couleurs, que nous voyons et entendons ensemble, toi et moi , n'appartiennent pas à la nature de nos yeux ni de nos oreilles; mais elles nous sont communes par rapport à la perception de nos sens. De même donc aussi, ces objets que nous voyons en commun, toi et moi, chacun avec notre esprit, ne peuvent, tu l'avoueras, appartenir à la nature de l'esprit de l'un de nous deux, car l'objet vu simultanément par les yeux de deux personnes, tu ne peux dire qu'il soit les yeux de l'un ou de l'autre, mais c'est une chose tierce vers laquelle convergent les regards de tous les deux. — E. Cela est très-clair et très-vrai.
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===CHAPITRE XIII. EXHORTATION A EMBRASSER LA VÉRITÉ, QUI SEULE DONNE LE BONHEUR.===
CHAPITRE XIII.
 
EXHORTATION A EMBRASSER LA VÉRITÉ, QUI SEULE DONNE LE BONHEUR.
35. Je t'avais promis, si tu t'en souviens, de te montrer quelque chose plus sublime que notre esprit et notre raison. Or, voici devant toi la vérité elle-même : embrasse-la, si tu le peux, et jouis d'elle; mets tes délices dans le Seigneur, et il t'accordera les demandes de ton coeur (1). Que demandes-tu, sinon d'être heureux 1 Et quel plus grand bonheur que de jouir de l'inébranlable, inaltérable et très-excellente vérité? Voilà que des hommes s'écrient qu'ils sont heureux, lorsqu'ils serrent dans leurs bras de beaux corps, désirés avec une grande ardeur, soit ceux de leurs épouses, soit même, ceux des filles perdues. Et nous, douterons-nous de notre bonheur dans les embrassements de la vérité? Des hommes s'écrient qu'ils sont heureux, lorsque , le gosier desséché par la chaleur, ils rencontrent une source aux eaux saines et abondantes, ou quand, pressés par la faim, ils trouvent le repas de midi ou du soir préparé et copieusement servi. Et nous ne dirions pas que nous sommes heureux lorsque nous nous abreuvons et que nous nous repaissons de la vérité? On en entend fréquemment se proclamer heureux d'être couchés sur les roses et les autres fleurs, ou encore de jouir des parfums les plus odorants. Et quoi de plus parfumé et de plus doux que le souffle de la vérité? Hésiterons-nous à nous dire heureux, lorsque nous le respirons? Un grand nombre mettent le bonheur de la vie à entendre la musique des voix humaines, des instruments à cordes et à vent; lorsqu'elle leur manque, ils se trouvent misérables; lorsqu'ils l'entendent, ils sont tout joyeux. Et nous, quand nous sentons le silence harmonieux et éloquent de la vérité, s'il m'est permis de parler ainsi, pénétrer sans bruit dans nos âmes, nous chercherions un autre bonheur dans la vie, au lieu de jouir de celui-ci, à la fois si certain et tout en notre pouvoir ! L'éclat de l'or et de l'argent, l’éclat des pierres précieuses et de tout ce que colore la lumière, l'éclat de cette lumière elle-même qui appartient à nos yeux, soit qu'elle jaillisse des feux de la terre, des étoiles, de la lune ou du soleil, réjouit les hommes par sa
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===CHAPITRE XIV. ON POSSÈDE LA VÉRITÉ AVEC SÉCURITÉ.===
 
ON POSSÈDE LA VÉRITÉ AVEC SÉCURITÉ.
Personne n'est en sécurité au milieu de ces biens qu'on peut perdre malgré soi. Mais personne ne perd malgré lui la vérité et la sagesse.
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===CHAPITRE XV. LES RAISONNEMENTS PRÉCÉDENTS PROUVENT L'EXISTENCE DE DIEU.===
CHAPITRE XV.
 
LES RAISONNEMENTS PRÉCÉDENTS PROUVENT L'EXISTENCE DE DIEU.
39. Tu m'avais concédé que tu reconnaîtrais l'existence de Dieu, si je te montrais une chose supérieure à nos esprits, pourvu qu'il n'y en eût pas d'autre qui fut supérieure à celle-là. J'avais accepté cette concession en disant qu'il suffisait que je fisse la démonstration promise. Car, disais-je, s'il est encore une chose supérieure à celle-là, elle sera Dieu; et s'il n'y en a pas, la Vérité même est Dieu. Qu'il y ait donc ou non rien de supérieur à la vérité, tu ne pourras nier que Dieu soit. Telle était la question que nous avions résolu de discuter et [355] de traiter. Maintenant, si tu te troublais de ce que l'enseignement sacré du Christ nous a fait admettre comme un point de foi que Dieu est le Père de la Sagesse, rappelle-toi que nous admettons aussi par la foi que la Sagesse engendrée du Père éternel est égale à lui. Ainsi il n'y a rien à discuter ici, mais c'est un article de foi inébranlable. Dieu est, et il est vraiment et souverainement. Et il me semble que ce n'est plus seulement la foi qui nous le fait tenir comme indubitable, mais que nous le comprenons aussi sûrement quoique bien faiblement. Or, cela suffit pour la question proposée, et nous pouvons développer le reste de notre thème, à moins que tu n'aies quelque objection à faire. — E. Je suis inondé d'une joie vraiment incroyable, en écoutant ce que tu me dis, et je ne pourrais l'exprimer en paroles; mais je proclame la certitude parfaite de tes raisonnements. Je la proclame au dedans de moi-même, et en poussant ce cri, que je désire être entendu de la Vérité elle-même, comme je désire m'attacher à elle. Et j'accorde qu'elle est, non-seulement un bien, mais le souverain bien, et celui qui donne le vrai bonheur.
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===CHAPITRE XVI. AUX AMES ZÉLÉES QUI LA CHERCHENT, LA SAGESSE SE MONTRE PARTOUT, AU MOYEN DES NOMBRES IMPRIMÉS SUR CHAQUE CHOSE.===
CHAPITRE XVI.
 
AUX AMES ZÉLÉES QUI LA CHERCHENT, LA SAGESSE SE MONTRE PARTOUT, AU MOYEN DES NOMBRES IMPRIMÉS SUR CHAQUE CHOSE.
41. A. Lorsque nous nous étudions à être sages, faisons-nous autre chose que de ramasser, pour ainsi parler, notre âme tout entière, avec tout l'empressement dont nous sommes capables, pour la transporter dans l'objet que notre esprit a saisi, et l'y fixer d'une manière durable? Nous l'empêchons ainsi de jouir de son moi qu'elle a embarrassé dans les choses passagères; et la voilà, dépouillée de toutes les afflictions du temps et de l'espace, qui s'attache à celui qui est un et toujours le même; car comme toute la vie du corps, c'est l'âme, ainsi la vie heureuse de l'âme, c'est Dieu. Occupés à ce travail, nous sommes dans la voie tant que nous ne l'avons pas achevé. Et quant à cette concession qui nous est faite de jouir des biens vrais et certains, dont l'éclat illumine ce chemin, tout ténébreux qu'il est, vois si ce n'est pas d'elle que parle l'Ecriture, en nous faisant connaître la conduite de la sagesse à l'égard de ceux qui l'aiment, lorsqu'ils viennent à elle et qu'ils la cherchent. Il est écrit en effet : « Elle se montrera à eux sur les chemins avec un visage riant, et elle ira à leur rencontre avec le cortége de sa Providence (1). » Et vraiment, de quelque côté que tu portes tes regards, elle te parle, comme au moyen de ces vestiges dont elle a laissé l'empreinte sur ses
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===CHAPITRE XVII. TOUT BIEN ET TOUTE PERFECTION VIENNENT DE DIEU.===
 
TOUT BIEN ET TOUTE PERFECTION VIENNENT DE DIEU.
45. En effet, tout ce qui est susceptible de changement est nécessairement susceptible de forme. Or, comme nous appelons muable ce qui peut être changé, laisse-moi appeler formable ce qui peut prendre une forme. Mais aucune chose ne peut se former elle-même; parce qu'aucune chose ne peut se donner ce qu'elle n'a pas, et que pour arriver à sa forme, une chose quelconque doit être formée. Si donc un objet donné a une forme, il n'a pas besoin de recevoir ce qu'il a; si au contraire il n'en a pas, il ne peut prendre en lui-même ce qu'il n'a pas. Il n'est donc rien qui puisse, comme nous le disions, se former soi-même. Car il est inutile de revenir sur la mutabilité du corps et de l'âme : nous en avons assez parlé plus haut. Ainsi, est-il nécessaire que le corps et l'âme reçoivent leur forme d'une autre forme immuable et permanente. C'est à celle-ci qu'il a été dit : « Tu les changeras, et ils oseront changés. Pour toi, tu es toujours le même, et tes années sont sans défaillance (1). » Par cette locution, années sans défaillance, le prophète exprime l'éternité. Il a été dit encore de cette forme que, « demeurant en elle-même a elle renouvelle toutes choses (2).»
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===CHAPITRE XVIII. QUOIQU'ON PUISSE ABUSER DE LA VOLONTÉ LIBRE, ELLE DOIT ÊTRE COMPTÉE PARMI LES BIENS.===
CHAPITRE XVIII.
 
QUOIQU'ON PUISSE ABUSER DE LA VOLONTÉ LIBRE, ELLE DOIT ÊTRE COMPTÉE PARMI LES BIENS.
47. E. C'en est assez, je l'avoue, pour être persuadé; l'évidence est faite, autant qu'elle peut l'être en cette vie et pour des esprits tels que nous sommes; je reconnais que Dieu est, et que tous les biens viennent de Dieu; car toutes les créatures, qu'elles aient à la fois l'intelligence, la vie et l'être, ou seulement l'être et la vie, ou seulement l'être, sont de Dieu. Maintenant abordons la troisième question et voyons si l'on peut la résoudre et compter la volonté libre parmi les biens. Quand ce point sera démontré, j'avouerai que c'est Dieu qui nous l'a donnée et qu'il a dû nous la donner.
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===CHAPITRE XIX. TROIS SORTES DE BIENS : LES GRANDS, LES PETITS, ET LES MOYENS; LA LIBERTÉ EST DU NOMBRE DE CES DERNIERS.===
 
CHAPITRE XIX
 
TROIS SORTES DE BIENS : LES GRANDS, LES PETITS, ET LES MOYENS; LA LIBERTÉ EST DU NOMBRE DE CES DERNIERS.
Ce sont là les grands biens. Mais, tu dois te le rappeler, non-seulement les grands biens , mais encore les petits ne peuvent venir que de l'auteur de tous les biens, c'est-à-dire- Dieu c'est un fait dont la récente discussion t'a persuadé; et combien de fois n'y as-tu pas adhéré joyeusement? Les vertus qui sont le fond de la vie honnête, sont donc les grands biens ; et toutes les formes du monde corporel, sans lesquelles on peut vivre dans la justice, sont les moindres biens: mais les puissances de l'âme, sans lesquelles on ne peut vivre avec droiture sont les biens moyens. Personne ne mésuse des vertus: pour les autres biens;savoir les moyens et les petits, chacun peut non-seulement en bien user, mais encore en mal user. On ne peut mésuser de la vertu, parle que l'oeuvre de la vertu consiste précisément dans le bon usage des biens, dont nous pouvons aussi ne pas bien user. Mais personne, en usant bien, ne mésuse. Ainsi la bonté de Dieu, dans son abondance et sa grandeur, nous a départi non-seulement les grands biens, irais encore les moyens et les petits. Nous devons louer cette bonté pour les grands biens, plus que pour les moyens, et plus pour les moyens que pour les moindres ; mais nous devons la louer pour tous ensemble, plus que si elle ne nous les avait pas tous donnés.
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===CHAPITRE XX. DIEU N'EST PAS L'AUTEUR DU MOUVEMENT PAR LEQUEL LA VOLONTÉ SE DÉTOURNE DU BIEN IMMUABLE.===
CHAPITRE XX.
 
DIEU N'EST PAS L'AUTEUR DU MOUVEMENT PAR LEQUEL LA VOLONTÉ SE DÉTOURNE DU BIEN IMMUABLE.
54. Tu vas probablement me poser une question et me dire : Lorsque la volonté s'éloigne du bien immuable pour se tourner vers le bien changeant, elle est mue; d'où lui vient donc ce mouvement? Il est assurément mauvais, bien que la volonté libre, sans laquelle on ne peut vivre avec droiture, doive être comptée parmi les biens. Or si ce mouvement, par lequel la volonté s'éloigne du Seigneur Dieu, est indubitablement le péché, pourrons-nous dire que Dieu soit l'auteur du péché? Ce mouvement n'a donc pas Dieu pour auteur. Encore une fois d'où vient-il?
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==LIVRE TROISIÈME==
 
LIVRE TROISIÈME
Argument : Etait-il convenable que Dieu nous donnât le libre arbitre, puisqu'il devait être la source de tous les péchés? — Saint Augustin démontre ici que malgré tous les maux qu'il devait produire, le libre arbitre est un bienfait divin et qu'il concourt à la beauté de l'univers.
 
===CHAPITRE PREMIER. D'OU VIENT LE MOUVEMENT QUI SÉPARE LA VOLONTÉ DU BIEN IMMUABLE?===
CHAPITRE PREMIER.
 
D'OU VIENT LE MOUVEMENT QUI SÉPARE LA VOLONTÉ DU BIEN IMMUABLE?
1. E. Je vois assez clairement que la liberté doit être comptée parmi les biens et parmi les biens qui ne sont pas les derniers; ce qui nous oblige de reconnaître qu'elle vient de Dieu et que Dieu a dû nous la donner. Maintenant donc, si tu le juges opportun, daigne me faire connaître d'où vient le mouvement qui sépare la volonté du bien général et immuable pour l'attacher aux biens privés, si indignes et si bas qu'ils soient, et à tout ce qui est muable. — A. Mais qu'est-il besoin de résoudre cette question ? — E. Parce que, si ce mouvement est naturel à la volonté telle qu'elle nous a éte donnée, il est nécessaire qu'elle s'attache à ces choses muables; et quelle faute lui reprocher quand elle obéit à la nature et à la nécessité?
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===CHAPITRE II. BEAUCOUP SONT TOURMENTÉS DE L'IDÉE QUE LA PRESCIENCE DIVINE DÉTRUIT LE LIBRE ARBITRE.===
CHAPITRE II.
 
BEAUCOUP SONT TOURMENTÉS DE L'IDÉE QUE LA PRESCIENCE DIVINE DÉTRUIT LE LIBRE ARBITRE.
4. Cela étant ainsi, je me demande avec une ineffable surprise comment il peut se faire, d'une part, que Dieu connaisse tout ce qui doit arriver, et d'autre part, que nous péchions sans y être contraints. Dire, en effet, que rien puisse arriver autrement que Dieu ne l'a prévu, c'est travailler à détruire la prescience divine avec autant de folie que d'impiété. Si donc
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===CHAPITRE III. LA PRESCIENCE DE DIEU NE NOUS OTE POINT LA LIBERTÉ DE PÉCHER.===
CHAPITRE III.
 
LA PRESCIENCE DE DIEU NE NOUS OTE POINT LA LIBERTÉ DE PÉCHER.
6. Ce qui te surprend, ce qui t'étonne, c'est qu'il n'y ait ni contradiction ni opposition à admettre, d'une part, que Dieu connaisse tout ce qui doit arriver; et d'autre part, que nous ne péchions pas nécessairement, mais volontairement. Si Dieu sait qu'un homme doit pécher, dis-tu, il est nécessaire qu'il pèche; mais s'il est nécessaire qu'il pèche, il n'est donc pas libre en péchant, il est sous l'empire d'une inévitable et immuable nécessité. Et ce que tu crains, c'est que ce raisonnement n'entraîne à nier la prescience divine, ce qui ne peut se faire sans impiété, ou bien s'il est impossible de la nier, à avouer que les péchés ne sont pas l'oeuvre de la volonté, mais de la nécessité, Y a-t-il autre chose qui t'embarrasse ? — E. Rien pour le moment.
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===CHAPITRE IV. LA PRESCIENCE DE DIEU NE FORCE PAS AU PÉCHÉ, ET CONSÉQUEMMENT C'EST AVEC JUSTICE QUE DIEU PUNIT LES PÉCHEURS.===
 
CHAPITRE IV.
 
LA PRESCIENCE DE DIEU NE FORCE PAS AU PÉCHÉ, ET CONSÉQUEMMENT C'EST AVEC JUSTICE QUE DIEU PUNIT LES PÉCHEURS.
9. A. Qu'y a-t-il donc encore qui t'embarrasse? Oublierais-tu ce qui a été démontré dans notre première discussion, et nierais-tu que sans être forcée par aucun être, soit supérieur, soit inférieur, soit égal, c'est la volonté qui pèche en nous? — E. Je n'ose rien nier de tout cela; je l'avouerai cependant , je ne vois pas encore comment il n'y a pas contradiction entre la prescience divine connaissant nos péchés, et notre libre arbitre les commettant. Nous devons reconnaître en même temps que Dieu est juste et qu'il sait l'avenir. Mais comment sa justice peut-elle punir des péchés qui doivent se commettre nécessairement ? Comment ce qu'il a prévu peut-il ne pas arriver? Comment enfin n'attribuer pas au Créateur tout ce qui doit se faire nécessairement dans sa créature ? Voilà ce que je voudrais savoir.
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===CHAPITRE V. ON DOIT MÊME LOUER DIEU D'AVOIR PRODUIT LES CRÉATURES EXPOSÉES AU PÉCHÉ ET A LA SOUFFRANCE.===
 
CHAPITRE V.
 
ON DOIT MÊME LOUER DIEU D'AVOIR PRODUIT LES CRÉATURES EXPOSÉES AU PÉCHÉ ET A LA SOUFFRANCE.
12. Tu as demandé en troisième lieu comment il est possible de n'attribuer pas au Créateur ce qui arrive inévitablement à ses créatures. Cette objection trouvera facilement une réponse dans cette règle de piété dont nous devons nous souvenir et qui nous oblige à rendre à notre Créateur des actions de grâces.
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===CHAPITRE VI. DIRE QU'ON PRÉFÈRE LE NÉANT A LA MISÈRE, C'EST N'ÊTRE PAS SINCÈRE.===
 
CHAPITRE VI.
 
DIRE QU'ON PRÉFÈRE LE NÉANT A LA MISÈRE, C'EST N'ÊTRE PAS SINCÈRE.
18. Ceci établi , et quoique les prévisions divines doivent s'accomplir nécessairement, il est entièrement faux que l'on puisse attribuer au Créateur les fautes de la créature. Je ne vois point, as-tu dit, comment ne pas rejeter sur lui ce qui arrive nécessairement à son oeuvre : et moi au contraire je ne vois pas, je ne puis voir, et je certifie qu'il est impossible de voir comment on peut lui imputer tout ce qui se fait nécessairement dans sa créature, mais par la volonté de ceux qui pèchent. Si en effet un homme vient à me dire: J'aimerais mieux n'être pas que d'être malheureux: Tu mens, lui répondrai-je; n'es-tu pas malheureux maintenant? Néanmoins tu neveux pas mourir, et c'est uniquement pour avoir l'existence; ainsi tu la veux, quoique tu ne veuilles pas être malheureux. Rends donc grâces de ce que tu es volontiers , pour être délivré de ce que tu es malgré toi ; car c'est volontiers que tu existes et malgré toi que tu es malheureux. Mais si tu montres de l'ingratitude pour ce que tu es volontiers, tu seras justement condamné à être ce que tu ne veux pas. Aussi quand je considère que malgré ton ingratitude tu as ce que tu désires, je loue la bonté du Créateur; et quand je constate qu'en punition de cette même ingratitude tu souffres ce qui te déplaît, je bénis la justice du suprême Ordonnateur.
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===CHAPITRE VII. LES MALHEUREUX MÊMES CHÉRISSENT L'EXISTENCE, PARCE QU'ILS VIENNENT DE CELUI QUI EXISTE SOUVERAINEMENT.===
 
CHAPITRE VII.
 
LES MALHEUREUX MÊMES CHÉRISSENT L'EXISTENCE, PARCE QU'ILS VIENNENT DE CELUI QUI EXISTE SOUVERAINEMENT.
20. Si l'on objecte encore: Ce qui fait que je préfère être malheureux plutôt que de n'être pas du tout, c'est que j'existe ; ah 1 si j'avais pu être consulté avant d'exister, j'aurais choisi le néant plutôt qu'une existence malheureuse. Il est vrai, tout misérable que je suis maintenant, je crains de n'être plus; mais c'est le fait de ma misère elle-même, c'est elle qui me pousse à vouloir ce que je devrais ne vouloir pas, car je devrais plutôt vouloir n'être pas que d'être malheureux. Aujourd'hui sans doute je préfère la misère au néant, mais ce désir est d'autant moins raisonnable qu'il est plus déplorable, et je dois le déplorer d'autant plus que je vois avec plus d'évidence combien je devrais en être exempt.
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===CHAPITRE VIII. NUL NE CHOISIT LE NÉANT, PAS MÊME CEUX QUI SE DONNENT LA MORT.===
CHAPITRE VIII.
 
NUL NE CHOISIT LE NÉANT, PAS MÊME CEUX QUI SE DONNENT LA MORT.
22. Considère en effet combien il est absurde et incompréhensible de dire: j'aimerais mieux n'être pas que d'être malheureux. Dire: j'aimerais [371] mieux ceci que cela, c'est choisir quelque chose. Or le néant n'est pas quelque chose, il n'est rien. Comment donc choisir quand le choix ne peut tomber sur aucun objet? Quoique malheureux, dis-tu, je veux exister, mais ce vouloir n'est pas légitime. Qu'est-ce donc que tu devrais vouloir? Plutôt lé néant, réponds-tu. Si c'est là ton devoir, le néant est donc meilleur. Mais comment- appeler meilleur ce qui n'est pas? Non, tu ne dois pas vouloir le néant, et le sentiment qui te porte à n'en vouloir pas vaut mieux que la réflexion qui te porte à en regarder le désir comme obligatoire. Si d'ailleurs le désir est bon, on doit devenir meilleur en en possédant l'objet. Mais comment- être meilleur si l'on n'existe plus ? Il n'est donc pas bon de désirer le néant.
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===CHAPITRE IX. L'ÉTAT MISÉRABLE DES PÉCHEURS CONTRIBUE A LA BEAUTÉ DE L'UNIVERS.===
CHAPITRE IX.
 
L'ÉTAT MISÉRABLE DES PÉCHEURS CONTRIBUE A LA BEAUTÉ DE L'UNIVERS.
24. On dira encore : mais il n'était ni difficile ni pénible à la toute-puissance divine de disposer tellement ce qu'elle a fait qu'aucune de ses créatures ne tombât dans la misère. Dieu l'a pu, puisqu'il est tout-puissant; il a dû le vouloir puisqu'il est bon.
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===CHAPITRE X. DE QUEL LE DÉMON RÉGNAIT-IL SUR L'HOMME? — DE QUEL DROIT DIEU NOUS A-T-IL DÉLIVRÉS ? ===
CHAPITRE X.
 
DE QUEL LE DÉMON RÉGNAIT-IL SUR L'HOMME? — DE QUEL DROIT DIEU NOUS A-T-IL DÉLIVRÉS ?
29. En effet le péché a deux principes: la pensée propre et la persuasion- étrangère. C’est à cela sans doute que fait allusion le prophète quand il dit : «Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes secrètes et préservez votre serviteur des fautes étrangères (2). » Ces deux sortes de péchés sont volontaires ; car s'il y a nécessairement volonté dans les fautes produites par la propre pensée, on ne peut non plus consentir sans la volonté aux mauvais conseils d'autrui. Toutefois, lorsque non content de pécher par soi-même sans y être excité par personne, on porte les autres au péché par envie et par fourberie, on est plus coupable que de s'y laisser aller à la persuasion d'autrui. Aussi le Seigneur, a observé la justice en punissant le péché du démon et le péché de l'homme.
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===CHAPITRE XI. QU'ELLE DOIVE PERSÉVÉRER DANS LA JUSTICE OU PÉCHER, TOUTE CRÉATURE CONTRIBUE A LA BEAUTÉ DE L'UNIVERS.===
CHAPITRE XI.
 
QU'ELLE DOIVE PERSÉVÉRER DANS LA JUSTICE OU PÉCHER, TOUTE CRÉATURE CONTRIBUE A LA BEAUTÉ DE L'UNIVERS.
32. Dieu donc a fait toutes les natures, celles qui devaient demeurer dans la vertu et la justice, et celles qui devaient pécher; il a fait celles-ci, non pour qu'elles péchassent, mais pour que, consentant à pécher ou repoussant le péché, elles servissent à la beauté de l'univers. S'il n'y avait pas, pour être la clef de voûte de l'ordre universel, des âmes qui auraient tout ébranlé et troublé tout en consentant à l'iniquité, quelle privation pour le monde 1 il y manquerait ce dont l'absence mettrait en péril la paix et l'harmonie générales. Telles sont les grandes et saintes âmes, les hautes puissances des cieux et d'au-dessus des cieux, dont Dieu seul est le roi et dont tout l'univers est l'empire, cet univers qui ne pourrait exister sans l'action juste et efficace de ces puissances. Si, d'un autre côté, n'existaient pas ces autres âmes . dont le péché ni la justice ne peuvent rien sur l'ordre général, ce serait encore une grande privation. Car ces âmes aussi sont raisonnables : inégales aux premières sous le rapport des fonctions, elles ont une nature semblable; et sous elles combien encore de créatures différentes et admirables que Dieu a produites !
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===CHAPITRE XII. QUAND MÊME TOUS LES ANGES AURAIENT PÉCHÉ, ILS N'AURAIENT APPORTÉ AUCUN TROUBLE DANS LE GOUVERNEMENT DU MONDE.===
CHAPITRE XII.
 
QUAND MÊME TOUS LES ANGES AURAIENT PÉCHÉ, ILS N'AURAIENT APPORTÉ AUCUN TROUBLE DANS LE GOUVERNEMENT DU MONDE.
35. De là nous concluons quand même l'homme n'aurait pas péché, les dernières créatures, les créatures corporelles n'auraient pas manqué de l'embellissement qui leur convient. En effet, qui peut mener le tout peut aussi mener la partie, mais qui peut moins ne peut pas toujours davantage. Voici un excellent médecin pour guérir les maladies de peau; mais de ce qu'il guérisse celles-ci s'ensuit-il qu'il soit également capable de guérir toutes les autres? Sans doute, si une raison certaine, manifeste, me fait voir avec évidence que Dieu a dû créer des natures qui n'ont jamais péché, qui ne pécheront jamais, je vois aussi à la lumière de la raison que ces mêmes natures s'abstiennent du péché librement, spontanément et sans être violentées. Mais quand même elles pécheraient, et elles n'ont pas péché, ainsi que Dieu l'a prévu; quand même cependant elles pécheraient, l'ineffable puissance de la majesté divine suffirait pour gouverner le monde, et en rendant à chacun ce qui lui convient et ce qui lui est dû, il ne laisserait dans tout son empire rien de désordonné, rien de déplacé.
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===CHAPITRE XIII. LA CORRUPTION MÊME DE LA CRÉATURE ET LE BLAME JETÉ SUR SES VICES EN FONT ÉCLATER LA BONTÉ.===
CHAPITRE XIII.
 
LA CORRUPTION MÊME DE LA CRÉATURE ET LE BLAME JETÉ SUR SES VICES EN FONT ÉCLATER LA BONTÉ.
Toute nature est bonne quand elle peut le devenir moins et c'est en se corrompant qu'elle perd de sa bonté. Car la corruption l'atteint ou ne l'atteint pas: si elle ne l'atteint pas, cette nature ne se corrompt point; elle se corrompt au contraire si la corruption l'atteint. Or si elle l'atteint c'est en lui ôtant de sa bonté, c'est en la rendant moins bonne.
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===CHAPITRE XIV. TOUTE CORRUPTION N'EST PAS CONDAMNABLE.===
 
TOUTE CORRUPTION N'EST PAS CONDAMNABLE.
39. Examinons encore une chose, savoir si l'on peut dire avec vérité qu'une nature se corrompe par le vice d'une autre sans être viciée elle-même.
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===CHAPITRE XV. DÉFAUTS COUPABLES ET DÉFAUTS NON COUPABLES.===
 
CHAPITRE XV.
 
DÉFAUTS COUPABLES ET DÉFAUTS NON COUPABLES.
42. Si donc la condamnation des. vices est en quelque sorte la glorification des natures mêmes qu'ils affectent, combien plus doivent-ils exciter à louer Dieu, le Créateur de toutes les natures ! N'est-ce pas de lui qu'elles tiennent l'existence? Leurs défauts ne sont-ils pas en proportion de leur éloignement de. l'art divin sur lequel elles sont faites? Peut-on les blâmer sans voir cet art, puisqu'on ne blâme en elles que ce qui s'en écarte? Et si cet art, d'après lequel tout a été fait, c'est-à-dire la souveraine et immuable sagesse de Dieu, a une existence véritable et suprême, comme on n'en peut douter, considère la direction que prend tout ce qui s'en éloigne.
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===CHAPITRE XVI. ON NE PEUT FAIRE RETOMBER NOS PÉCHÉS SUR DIEU.===
CHAPITRE XVI.
 
ON NE PEUT FAIRE RETOMBER NOS PÉCHÉS SUR DIEU.
45. Dieu ne doit rien à personne, puisqu'il donne tout gratuitement; et si quelqu'un assure qu'il est dû quelque chose à ses mérites, il est une chose certaine, c'est que l'existence [380] ne lui était pas due. Que peut-on devoir à qui n'est pas? Et néanmoins quel mérite y a-t-il à s'attacher pour être meilleur à Celui de qui on a reçu l'être ? Quelle avance lui fais-tu pour la réclamer comme une dette? N'est-il pas vrai que si tu refusais de t'attacher à lui, rien ne lui manquerait? mais il te manquerait, à toi, Celui sans qui tu ne serais rien, Celui qui t'a fait une telle existence, que si tu ne t'attaches à lui pour lui rendre l'être qu'il t'a donné, à la vérité tu ne retomberas pas dans le néant, mais tu vivras dans le malheur. Toutes les choses lui doivent donc premièrement tout ce qu'elles sont, en tant que nature; ensuite tout ce qu'elles peuvent devenir de mieux en le voulant, quand le vouloir leur a été donné ; enfin tout ce qu'elles doivent être. De là il suit qu'on n'est point responsable de ce qu'on n'a pas reçu, et qu'au contraire on est justement coupable, lorsqu'on ne fait pas ce que l'on doit. Or on doit quand on a reçu une volonté libre et des moyens suffisants.
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===CHAPITRE XVII. LE PÉCHÉ A SA CAUSE PREMIÈRE DANS LA VOLONTÉ.===
CHAPITRE XVII
 
LE PÉCHÉ A SA CAUSE PREMIÈRE DANS LA VOLONTÉ.
47. S'il était possible, néanmoins, je voudrais savoir pour quel motif un être ne pèche pas lorsque Dieu a prévu qu'il ne pécherait point et pour quel motif un autre pèche quand Dieu a prévu son péché. Je ne crois plus que la prescience divine fasse pécher celui-ci et non celui-là. Si cependant il n'y avait aucun motif, nous ne verrions pas ces trois catégories dans les êtres raisonnables, dont les uns ne pèchent jamais, les autres pèchent toujours, les autres enfin, tenant comme le milieu entre les deux, tantôt pèchent et tantôt reviennent au bien. Pourquoi ces trois classes? Ne me réponds pas que là volonté même les établit c'est la cause de cette volonté que je cherche maintenant. Il y a certainement une causé qui fait que les uns ne veulent jamais pécher, que les autres le veulent toujours, que d'autres enfin tantôt le veulent et tantôt ne le veulent pas, quoique tous soient de même nature. Il me semble voir que cette triple catégorie [381] repose sur quelque raison; mais quelle est cette raison? Je l'ignore.
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===CHAPITRE XVIII. Y A-T-IL PÉCHÉ DANS UN ACTE QU'IL EST IMPOSSIBLE D'ÉVITER?===
CHAPITRE XVIII.
 
Y A-T-IL PÉCHÉ DANS UN ACTE QU'IL EST IMPOSSIBLE D'ÉVITER?
50. Peut-être agit-elle avec tant de violence qu'il est impossible d'y résister? Mais faudra-t-il toujours répéter les mêmes choses? Rappelle-toi tout ce que nous avons dit précédemment du péché et de la liberté, et s'il t'en coûte de conserver tout dans ton souvenir, retiens cette courte observation. Quelle que puisse être cette cause prétendue de la volonté, on peut ou on ne peut lui résister; si on ne le peut, il n'y a pas de péché à la suivre; si on le peut, que l'on résiste et l'on sera sans péché. — Peut-être surprend-elle à l'improviste? — Eh bien ! qu'on se tienne sur ses gardes pour n'être pas surpris. — Et si la surprise est telle qu'on ne puisse y échapper? - Dans ce cas encore il n'y a point de péché. Qui pèche en faisant ce qu'il ne peut absolument éviter (1) ?Mais il y a péché? — Il y avait donc aussi possibilité d'y échapper.
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===CHAPITRE XIX. VAINES EXCUSES DES PÉCHEURS QUAND ILS PRÉTEXTENT L'IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ PRODUITES PAR LE PÉCHÉ D'ADAM.===
CHAPITRE XIX
 
VAINES EXCUSES DES PÉCHÉURS QUAND ILS PRÉTEXTENT L'IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ PRODUITES PAR LE PÉCHÉ D'ADAM.
53. Voici maintenant cette- question que semblent ronger en murmurant les hommes disposés à tout faire en faveur de leurs péchés, plutôt que de s'en accuser. Ils disent donc: Si Adam et Eve ont péché, comment nous autres, infortunés; avons-nous mérité de naître dans l'aveuglement de l'ignorance et soumis aux tourments de la difficulté, d'ignorer d'abord ce que nous devons taire, puis, quand nous commençons à connaître les règles de la justice et à les vouloir suivre, d'en être empêchés par je ne sais quelles résistances opiniâtres de convoitise charnelle?
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===CHAPITRE XX. IL N'EST PAS INJUSTE QUE LES DÉFAUTS, SUITES PÉNALES DU PÉCHÉ, SOIENT TRANSMIS A LA POSTÉRITÉ L'ADAM , QUELLE QUE SOIT L'OPINION VRAIE SUR L'ORIGINE DES AXES.===
CHAPITRE XX.
 
IL N'EST PAS INJUSTE QUE LES DÉFAUTS, SUITES PÉNALES DU PÉCHÉ, SOIENT TRANSMIS A LA POSTÉRITÉ L'ADAM , QUELLE QUE SOIT L'OPINION VRAIE SUR L'ORIGINE DES AXES.
55. Il a plu très-justement à Dieu, suprême modérateur de toutes choses., que nous naissions de ce premier couple avec l'ignorance, la nécessité de la lutte et le germe de la mort, parce que tous deux, après avoir péché, ont été précipités dans l’erreur, la douleur et la mort. Ainsi devait se manifester la justice du Vengeur dans l'origine de l'homme, et dans. son développement la miséricorde du Libérateur. Par sa condamnation, le premier homme n'a pas été privé de la béatitude, de telle sorte qu'il fût en même temps privé de la fécondité. La raison en est que sa race, quoique charnelle et mortelle, pouvait encore contribuer en quelque chose à embellir et à orner le monde terrestre. Mais il n'eût pas été conforme à l'équité qu'il engendrât des enfants meilleurs que lui. Ce qui convenait, au contraire, c'est que chacun d'eux, par son retour à Dieu, pût triompher du châtiment de son origine mérité par la désertion primitive, et qu'in trouvât, pour y parvenir, non-seulement un Dieu qui ne s'y opposât pas, mais qui voulût lui-même
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===CHAPITRE XXI. QUELLE SORTE D'ERREUR EST PERNICIEUSE.===
 
QUELLE SORTE D'ERREUR EST PERNICIEUSE.
59. Mais auquel de ces quatre sentiments faut-il s'arrêter sur l'origine des âmes? Sont-elles transmises par la génération, ou se forment-elles seulement à la naissance de chacun? préexistent-elles quelque part et sont-elles envoyées par Dieu dans les corps de ceux qui naissent, ou bien y descendent-elles spontanément? Nous ne devons donner la préférence à aucune de ces quatre opinions. Car, ou bien les commentateurs catholiques des Livres divins n'ont pas encore développé et éclairci cette question comme le comportent son obscurité et sa difficulté, ou s'ils l'ont fait, leurs écrits ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Contentons-nous d'avoir une foi ferme sur la substance du Créateur, n'admettant aucune opinion fausse et indigne de lui. Car c'est vers lui que tendent nos pieux efforts; et si nous avions de lui des idées différentes de ce qu'il est, nos efforts mêmes nous dirigeraient forcément vers la vanité et non vers la Béatitude. Quant à la créature, lors même que nous aurions sur elle des opinions qui ne seraient pas conformes à la réalité, pourvu que nous ne les adoptions pas comme certaines et évidentes, il n'y a aucun danger pour nous. En effet, ce n'est pas vers la créature, mais bien vers le Créateur lui-même qu'il nous est ordonné de tendre pour devenir heureux; et si nous avions sur lui des convictions qu'il ne faut pas avoir et contraires à la réalité, nous serions dans l'illusion de l'erreur la plus pernicieuse. Car personne ne peut arriver à la vie bienheureuse, en poursuivant ce qui n'est pas, ou ce qui ne peut donner le bonheur.
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===CHAPITRE XXII. L'IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ FUSSENT-ELLES NATURELLES A L'HOMME, IL Y A ENCORE SUJET DE LOUER LE CRÉATEUR.===
CHAPITRE XXII.
 
L'IGNORANCE ET LA DIFFICULTÉ FUSSENT-ELLES NATURELLES A L'HOMME, IL Y A ENCORE SUJET DE LOUER LE CRÉATEUR.
63. Quelle que soit la solution de cette question, qu'il faille la laisser complètement de côté ou en ajourner l'examen, rien ne nous empêche de voir maintenant que la nature du Créateur demeure dans une complète intégrité et une justice parfaite, dans son inviolable et immuable majesté lorsque les âmes endurent les châtiments mérités par leurs péchés. Ces péchés, en effet, comme nous l'avons démontré il y a déjà longtemps, doivent être attribués à leur volonté propre, il ne faut pas leur chercher d'autre origine.
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===CHAPITRE XXIII. MORT DES ENFANTS.— PLAINTES INJUSTES DES IGNORANTS AU SUJET DES SOUFFRANCES QU'ILS ENDURENT.— QU'EST-CE QUE LA DOULEUR?===
CHAPITRE XXIII.
 
MORT DES ENFANTS.— PLAINTES INJUSTES DES IGNORANTS AU SUJET DES SOUFFRANCES QU'ILS ENDURENT.— QU'EST-CE QUE LA DOULEUR?
66. Ici les ignorants élèvent contre nous une objection calomnieuse; ils la tirent de la mort des enfants et des douleurs corporelles que nous leur voyons souvent endurer. Quel besoin cet enfant avait-il de naître, disent-ils, puisqu'il a quitté la vie avant d'avoir pu y rien [388] mériter? Quelle contenance fera-t-il au jugement dernier, car il ne compte point parmi les justes, puisqu'il n'a fait aucun bien, ni parmi les méchants, puisqu'il n'a fait aucun mal ?
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===CHAPITRE XXIV. LE PREMIER HOMME N'A PAS ÉTÉ INSENSÉ, MAIS CAPABLE DE DEVENIR SAGE. — QU'EST-CE QUE LA FOLIE?===
CHAPITRE XXIV.
 
LE PREMIER HOMME N'A PAS ÉTÉ INSENSÉ, MAIS CAPABLE DE DEVENIR SAGE. — QU'EST-CE QUE LA FOLIE?
71. Il est donc mieux d'examiner en quel état le premier homme a été créé que de chercher comment sa postérité s'est propagée. On se croit fort habile quand on présente la question de la manière suivante : si le premier homme a été créé sage, pourquoi s'est-il laissé séduire? et s'il a été créé insensé, comment Dieu n'est-il pas l'auteur des vices puisque la folie est le plus grand de tous?
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CHAPITRE XXV.
 
===CHAPITRE XXV. QUELLES IDÉES FRAPPENT LA NATURE RAISONNABLE LORSQU'ELLE SE TOURNE AU MAL.===
74. Mais la volonté ne se porte à rien faire sans y être attirée par quelque idée, et si elle est libre de l'adopter ou de la repousser, elle ne l'est point d'en être ou de n'en être pas frappée. Or il vient à l'esprit deux sortes d'idées, des idées d'en-haut et des idées d'en-bas, afin que la volonté puisse choisir ce qui lui plaît et mériter par là le bonheur ou le; malheur. Ainsi, au paradis terrestre, le commandement divin était l'idée d'en-haut, et la suggestion du serpent l'idée d'en-bas. De l'homme en effet ne dépendait ni ce commandement ni cette suggestion. Mais une fois acquise la vigueur que donne la sagesse, combien il est possible, combien il est facile de ne point céder aux idées qui entraînent en bas !On peut le comprendre en considérant que les insensés mêmes [391] en triomphent pour s'élever aux régions de la sagesse, malgré la peine de renoncer aux douceurs empoisonnées de leurs pernicieuses habitudes.