« La Princesse de Clèves (édition originale)/Quatrième partie » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
rematch
Phe-bot (discussion | contributions)
m Shaihulud: match
Ligne 572 :
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/174]]==
plaire. Je vous croirais toujours amoureux & aimé, & je ne me tromperais pas ſouvent. Dans cet état néanmoins, je n’aurais d’autre parti à prendre que celuy de la ſouffrance ; je ne ſais meſme ſi j’oſerais me plaindre. On foit des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n’a à luy reprocher que de n’avoir plus d’amour ? Quand je pourrais m’accoutumer à cette ſorte de malheur,
 
==__MATCH__:[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/175]]==
pourrais-je m’accoutumer à celuy de croire voir toujours monſieur de Clèves vous accuſer de ſa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épouſé & me faire ſentir la différence de ſon attachement au voſtre ? Il eſt impoſſible, continua-t-elle, de paſſer par-deſſus des raiſons ſi fortes : il faut que je demeure dans l’état où je ſuis, & dans les réſolution que j’ai priſes de n’en ſortir jamais.
 
— Hé ! croyez-vous le pouvoir, Madame ? s’écria monſieur de Nemours. Penſez-
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/176]]==
vous que vos réſolutions tiennent contre un homme qui vous adore, & qui eſt aſſez heureux pour vous plaire ? Il eſt plus difficyle que vous ne penſez, Madame, de réſiſter à ce qui nous plaît & à ce qui nous aime. Vous l’avez foit par une vertu auſtère, qui n’a preſque point d’exemple ; mais cette vertu ne s’oppoſe plus à vos ſentiments, & j’eſpère que vous les ſuivrez malgré vous.
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/177]]==
les ſuivrez malgré vous.
 
— Je ſais bien qu’il n’y a rien de plus difficyle que ce que j’entreprends, répliqua madame de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raiſons. Ce que je crois devoir à la mémoire de monſieur de Clèves ſeroit faible, s’il n’étoit ſoutenu par l’intéreſt de mon repos ; & les raiſons de mon repos ont beſoin d’eſtre ſoutenues de celles
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/178]]==
de mon devoir. Mais quoyque je me défie de moi-meſme, je crois que je ne vaincrai jamais mes ſcrupules, & je n’eſpère pas auſſi de ſurmonter l’inclination que j’ai pour vous. Elle me rendra malheureuſe, & je me priverai de votre vue, quelque violence qu’il m’en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j’ai ſur vous, de ne chercher aucune occaſion de me voir. Je ſuis dans un état qui me foit
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/179]]==
des crimes de tout ce qui pourroit eſtre permis dans un autre temps, & la ſeule bienſéance interdit tout commerce entre nous.
 
Monſieur de Nemours ſe jeta à ſes pieds, & s’abandonna à tous les divers mouvemens dont il étoit agité. Il luy fit voir, & par ſes paroles & par ſes pleurs, la plus vive & la plus tendre paſſion dont un cœur ait jamais été touché. Celuy de madame de Clèves n’étoit pas inſenſible, et,
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/180]]==
regardant ce prince avec des yeux un peu groſſis par les larmes : — Pourquoy faut-il, s’écria-t-elle, que je vous puiſſe accuſer de la mort de monſieur de Clèves ? Que n’ai-je commencé à vous connaître depuis que je ſuis libre, ou pourquoy ne vous ai-je pas connu devant que d’eſtre engagée ? Pourquoy la deſtinée nous ſépare-t-elle par un obſtacle ſi invincible ?
 
— Il n’y a point d’obſtacle, Madame, reprit monſieur de Nemours. Vous ſeule vous oppoſez à mon bonheur ; vous ſeule vous impoſez
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/181]]==
une loi que la vertu & la raiſon ne vous ſauraient impoſer.
 
— Il eſt vrai, répliqua-t-elle, que je ſacrifie beaucoup à un devoir qui ne ſubſiſte que dans mon imagination. Attendez ce que le temps pourra faire. Monſieur de Clèves ne foit encore que d’expirer, & cet objet funeſte eſt trop proche pour
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/182]]==
me laiſſer des vues claires & diſtinctes. Ayez cependant le plaiſir de vous eſtre foit aimer d’une perſonne qui n’auroit rien aimé, ſi elle ne vous avoit jamais vu ; croyez que les ſentiments que j’ai pour vous ſeront éternels, & qu’ils ſubſiſteront également, quoy que je faſſe. Adieu, luy dit-elle ; voicy une converſation qui me foit honte : rendez-en compte à monſieur le vidame ; j’y conſens, & je vous en prie.
 
Elle ſortit en diſant
Elle ſortit en diſant ces paroles, ſans que monſieur de Nemours pût la retenir. Elle trouva monſieur le vidame dans la chambre la plus proche. Il la vit ſi troublée qu’il n’oſa luy parler, & il la remit en ſon carroſſe ſans luy rien dire. Il revint trouver monſieur de Nemours, qui étoit ſi plein de joie, de triſteſſe, d’étonnement & d’admiration, enfin, de tous les ſentiments que peut donner une paſſion pleine de crainte & d’eſpérance, qu’il n’avoit pas l’uſage de la raiſon. Le vidame fut longtemps à obtenir qu’il luy rendit compte de ſa converſation. Il le fit enfin ; & monſieur de Chartres, ſans eſtre amoureux, n’eut pas moins d’admiration pour la vertu, l’eſprit & le mérite de madame de Clèves, que monſieur de Nemours en avoit luy-meſme. Ils examinèrent ce que ce prince devoit eſpérer de ſa deſtinée ; et, quelques craintes que ſon amour luy pût donner, il demeura d’accord avec monſieur le vidame qu’il étoit impoſſible que madame de Clèves demeurat dans les réſolutions où elle était. Ils convinrent néanmoins qu’il falloit ſuivre ſes ordres, de crainte que, ſi le public s’apercevoit de l’attachement qu’il avoit pour elle, elle ne fit des déclarations & ne prît engagements vers le monde, qu’elle ſoutiendroit dans la ſuite, par la peur qu’on ne crût qu’elle l’eût aimé du vivant de ſon mari.
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/183]]==
ces paroles, ſans que monſieur de Nemours pût la retenir. Elle trouva monſieur le vidame dans la chambre la plus proche. Il la vit ſi troublée qu’il n’oſa luy parler, & il la remit en ſon carroſſe ſans luy rien dire. Il revint trouver monſieur de Nemours, qui étoit ſi plein de joie, de triſteſſe, d’étonnement & d’admiration, enfin, de tous les ſentiments
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/184]]==
que peut donner une paſſion pleine de crainte & d’eſpérance, qu’il n’avoit pas l’uſage de la raiſon. Le vidame fut longtemps à obtenir qu’il luy rendit compte de ſa converſation. Il le fit enfin ; & monſieur de Chartres, ſans eſtre amoureux, n’eut pas moins d’admiration pour la vertu, l’eſprit & le mérite de madame de Clèves, que monſieur de Nemours en avoit luy-meſme. Ils
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/185]]==
examinèrent ce que ce prince devoit eſpérer de ſa deſtinée ; et, quelques craintes que ſon amour luy pût donner, il demeura d’accord avec monſieur le vidame qu’il étoit impoſſible que madame de Clèves demeurat dans les réſolutions où elle était. Ils convinrent néanmoins qu’il falloit ſuivre ſes ordres, de crainte que, ſi le public s’apercevoit de l’attachement qu’il avoit pour elle, elle ne fit des déclarations & ne prît engagements
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/186]]==
vers le monde, qu’elle ſoutiendroit dans la ſuite, par la peur qu’on ne crût qu’elle l’eût aimé du vivant de ſon mari.
 
Monſieur de Nemours ſe détermina à ſuivre le roi. C’étoit un voyage dont il ne pouvoit auſſi bien ſe diſpenſer, & il réſolut à s’en aller, ſans tenter meſme de revoir madame de Clèves du lieu où il l’avoit vue quelquefois. Il pria monſieur le vidame
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/187]]==
de luy parler. Que ne luy dit-il point pour luy dire ? Quel nombre infini de raiſons pour la perſuader de vaincre ſes ſcrupules ! Enfin, une partie de la nuit étoit paſſée devant que monſieur de Nemours ſongeat à le laiſſer en repos.
 
Madame de Clèves n’étoit pas en état d’en trouver : ce luy étoit une choſe ſi nouvelle d’eſtre ſortie de cette contrainte qu’elle s’étoit impoſée, d’avoir ſouffert, pour la première fois de ſa vie, qu’on luy dît qu’on étoit amoureux d’elle, & d’avoir dit elle-meſme qu’elle aimait, qu’elle ne ſe connaiſſçait plus. Elle fut étonnée de ce qu’elle avoit foit ; elle
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/188]]==
s’en repentit ; elle en eut de la joie : tous ſes ſentiments étaient pleins de trouble & de paſſion. Elle examina encore les raiſons de ſon devoir qui s’oppoſaient à ſon bonheur ; elle ſentit de la douleur de les
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/189]]==
trouver ſi fortes, & elle ſe repentit de les avoir ſi bien montrées à monſieur de Nemours. Quoique la penſée de l’épouſer luy fût venue dans l’eſprit ſitoſt qu’elle l’avoit revu dans ce jardin, elle ne luy avoit pas foit la meſme impreſſion que venoit de faire la converſation qu’elle avoit eue avec luy ; & il y avoit des moments où elle avoit de la peine
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/190]]==
à comprendre qu’elle pût eſtre malheureuſe en l’épouſant. Elle eût bien voulu ſe pouvoir dire qu’elle étoit mal fondée, & dans ſes ſcrupules du paſſé, & dans ſes craintes de l’avenir. La raiſon & ſon devoir luy montraient, dans d’autres moments, des choſes tout oppoſées, qui l’emportaient rapidement à la réſolution de ne ſe point remarier & de ne voir jamais monſieur de Nemours. Mais
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/191]]==
c’étoit une réſolution bien violente à établir dans un cœur auſſi touché que le ſien, & auſſi nouvellement abandonné aux charmes de l’amour. Enfin, pour ſe donner quelque calme, elle penſa qu’il n’étoit point encore néceſſaire qu’elle ſe fît la violence de prendre des réſolutions ; la bienſéance luy donnoit un temps conſidérable à ſe déterminer ; mais elle réſolut de demeurer ferme à n’avoir aucun commerce avec monſieur de Nemours. Le vidame la vint voir, & ſervit ce prince avec tout l’eſprit & l’application imaginables. Il ne la put faire changer ſur ſa conduite, ni ſur celle qu’elle avoit impoſée à monſieur de Nemours. Elle luy dit que ſon deſſein étoit de demeurer dans l’état où elle ſe trouvoit ; qu’elle connaiſſçait que ce deſſein étoit difficyle à exécuter ; mais qu’elle eſpéroit d’en avoir la force. Elle luy fit ſi bien voir à quel point elle étoit touchée de l’opinion que monſieur de Nemours avoit cauſé la mort à ſon mari, & combien elle étoit perſuadée qu’elle feroit une action contre ſon devoir en l’épouſant, que le vidame craignit qu’il ne fût malaiſé de luy oſter cette impreſſion.
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/192]]==
à n’avoir aucun commerce avec monſieur de Nemours. Le vidame la vint voir, & ſervit ce prince avec tout l’eſprit & l’application imaginables. Il ne la put faire changer ſur ſa conduite, ni ſur celle qu’elle avoit impoſée à monſieur de Nemours. Elle luy dit que ſon deſſein étoit de demeurer dans l’état où elle ſe trouvoit ; qu’elle connaiſſçait que ce deſſein étoit difficyle à exécuter ; mais qu’elle eſpéroit
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/193]]==
d’en avoir la force. Elle luy fit ſi bien voir à quel point elle étoit touchée de l’opinion que monſieur de Nemours avoit cauſé la mort à ſon mari, & combien elle étoit perſuadée qu’elle feroit une action contre ſon devoir en l’épouſant, que le vidame craignit qu’il ne fût malaiſé de luy oſter cette impreſſion.
 
Il ne dit pas à ce prince ce qu’il penſçait, & en luy rendant compte de ſa converſation, il luy laiſſa toute l’eſpérance que la raiſon doit donner à un homme qui eſt aimé.
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/194]]==
doit donner à un homme qui eſt aimé.
 
Ils partirent le lendemain, & allèrent joindre le roi. Monſieur le vidame écrivit à madame de Clèves, à la prière de monſieur de Nemours, pour luy parler de ce prince ; et, dans une ſeconde lettre qui ſuivit bientoſt la première, monſieur de Nemours y mit quelques lignes de ſa main. Mais madame de Clèves, qui ne vouloit pas ſortir des règles qu’elle
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/195]]==
s’étoit impoſées, & qui craignoit les accidents qui peuvent arriver par les lettres, manda au vidame qu’elle ne recevroit plus les ſiennes, s’il continuoit à luy parler de monſieur de Nemours ; & elle luy manda ſi fortement, que ce prince le pria meſme de ne le plus nommer.
 
La cour alla conduire la reine d’Eſpagne juſqu’
La cour alla conduire la reine d’Eſpagne juſqu’en Poitou. Pendant cette abſence, madame de Clèves demeura à elle-meſme, et, à meſure qu’elle étoit éloignée de monſieur de Nemours & de tout ce qui l’en pouvoit faire ſouvenir, elle rappeloit la mémoire de monſieur de Clèves, qu’elle ſe faiſçait un honneur de conſerver. Les raiſons qu’elle avoit de ne point épouſer monſieur de Nemours luy paraiſſaient fortes du coſté de ſon devoir, & inſurmontables du coſté de ſon repos. La fin de l’amour de ce prince, & les maux de la jalouſie qu’elle croyoit infaillibles dans un mariage, luy montraient un malheur certain où elle s’alloit jeter ; mais elle voyoit auſſi qu’elle entreprenoit une choſe impoſſible, que de réſiſter en préſence au plus aimable homme du monde, qu’elle aimoit & dont elle étoit aimée, & de luy réſiſter ſur une choſe qui ne choquoit ni la vertu, ni la bienſéance. Elle jugea que l’abſence ſeule & l’éloignement pouvaient luy donner quelque force ; elle trouva qu’elle en avoit beſoin, non ſeulement pour ſoutenir la réſolution de ne ſe pas engager, mais meſme pour ſe défendre de voir monſieur de Nemours ; & elle réſolut de faire un aſſez long voyage, pour paſſer tout le temps que la bienſéance l’obligeoit à vivre dans la retraite. De grandes terres qu’elle avoit vers les Pyrénées luy parurent le lieu le plus propre qu’elle pût choiſir. Elle partit peu de jours avant que la cour revînt ; et, en partant, elle écrivit à monſieur le vidame, pour le conjurer que l’on ne ſongeat point à avoir de ſes nouvelles, ni à luy écrire.
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/196]]==
en Poitou. Pendant cette abſence, madame de Clèves demeura à elle-meſme, et, à meſure qu’elle étoit éloignée de monſieur de Nemours & de tout ce qui l’en pouvoit faire ſouvenir, elle rappeloit la mémoire de monſieur de Clèves, qu’elle ſe faiſçait un honneur de conſerver. Les raiſons qu’elle avoit de ne point épouſer monſieur de Nemours luy paraiſſaient fortes du coſté de ſon devoir, & inſurmontables
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/197]]==
du coſté de ſon repos. La fin de l’amour de ce prince, & les maux de la jalouſie qu’elle croyoit infaillibles dans un mariage, luy montraient un malheur certain où elle s’alloit jeter ; mais elle voyoit auſſi qu’elle entreprenoit une choſe impoſſible, que de réſiſter en préſence au plus aimable homme du monde, qu’elle aimoit & dont elle étoit aimée, & de luy réſiſter ſur
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/198]]==
une choſe qui ne choquoit ni la vertu, ni la bienſéance. Elle jugea que l’abſence ſeule & l’éloignement pouvaient luy donner quelque force ; elle trouva qu’elle en avoit beſoin, non ſeulement pour ſoutenir la réſolution de ne ſe pas engager, mais meſme pour ſe défendre de voir monſieur de Nemours ; & elle réſolut de faire un aſſez long voyage, pour paſſer tout le temps que la bienſéance l’obligeoit
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/199]]==
à vivre dans la retraite. De grandes terres qu’elle avoit vers les Pyrénées luy parurent le lieu le plus propre qu’elle pût choiſir. Elle partit peu de jours avant que la cour revînt ; et, en partant, elle écrivit à monſieur le vidame, pour le conjurer que l’on ne ſongeat point à avoir de ſes nouvelles, ni à luy écrire.
 
Monſieur de Nemours fut affligé de ce voyage, comme un autre l’auroit été de la mort de ſa maîtreſſe. La penſée d’eſtre privé
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/200]]==
pour longtemps de la vue de madame de Clèves luy étoit une douleur ſenſible, & ſurtout dans un temps où il avoit ſenti le plaiſir de la voir, & de la voir touchée de ſa paſſion. Cependant il ne pouvoit faire autre choſe que s’affliger, mais ſon affliction augmenta conſidérablement. Madame de Clèves,
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/201]]==
dont l’eſprit avoit été ſi agité, tomba dans une maladie violente ſitoſt qu’elle fut arrivée chez elle ; cette nouvelle vint à la cour. Monſieur de Nemours étoit inconſolable ; ſa douleur alloit au déſeſpoir & à l’extravagance. Le vidame eut beaucoup de peine à l’empeſcher de faire voir ſa paſſion au public ; il en eut beaucoup auſſi à le retenir, & à luy oſter le deſſein d’aller luy-meſme
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/202]]==
apprendre de ſes nouvelles. La parenté & l’amitié de monſieur le vidame fut un prétexte à y envoyer pluſieurs courriers ; on ſut enfin qu’elle étoit hors de cet extreſme péril où elle avoit été ; mais elle demeura dans une maladie de langueur, qui ne laiſſçait guère d’eſpérance de ſa vie.
 
Cette vue ſi longue & ſi prochaine de la mort fit paraître à madame de Clèves les choſes de
Cette vue ſi longue & ſi prochaine de la mort fit paraître à madame de Clèves les choſes de cette vie de cet oeil ſi différent dont on les voit dans la ſanté. La néceſſité de mourir, dont elle ſe voyoit ſi proche, l’accoutuma à ſe détacher de toutes choſes, & la longueur de ſa maladie luy en fit une habitude. Lorſqu’elle revint de cet état, elle trouva néanmoins que monſieur de Nemours n’étoit pas effacé de ſon cœur, mais elle appela à ſon ſecours, pour ſe défendre contre luy, toutes les raiſons qu’elle croyoit avoir pour ne l’épouſer jamais. Il ſe paſſa un aſſez grand combat en elle-meſme. Enfin, elle ſurmonta les reſtes de cette paſſion qui étoit affaiblie par les ſentiments que ſa maladie luy avoit donnez. Les penſées de la mort luy avaient reproché la mémoire de monſieur de Clèves. Ce ſouvenir, qui s’accordoit à ſon devoir, s’imprima fortement dans ſon cœur. Les paſſions & les engagements du monde luy parurent tels qu’ils paraiſſent aux perſonnes qui ont des vues plus grandes & plus éloignées. Sa ſanté, qui demeura conſidérablement affaiblie, luy aida à conſerver ſes ſentiments ; mais comme elle connaiſſçait ce que peuvent les occaſions ſur les réſolutions les plus ſages, elle ne voulut pas s’expoſer à détruire les ſiennes, ni revenir dans les lieux où étoit ce qu’elle avoit aimé. Elle ſe retira, ſur le prétexte de changer d’air, dans une maiſon religieuſe, ſans faire paraître un deſſein arreſté de renoncer à la cour.
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/203]]==
cette vie de cet oeil ſi différent dont on les voit dans la ſanté. La néceſſité de mourir, dont elle ſe voyoit ſi proche, l’accoutuma à ſe détacher de toutes choſes, & la longueur de ſa maladie luy en fit une habitude. Lorſqu’elle revint de cet état, elle trouva néanmoins que monſieur de Nemours n’étoit pas effacé de ſon cœur, mais elle appela à ſon ſecours, pour ſe défendre contre luy, toutes les raiſons qu’elle
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/204]]==
croyoit avoir pour ne l’épouſer jamais. Il ſe paſſa un aſſez grand combat en elle-meſme. Enfin, elle ſurmonta les reſtes de cette paſſion qui étoit affaiblie par les ſentiments que ſa maladie luy avoit donnez. Les penſées de la mort luy avaient reproché la mémoire de monſieur de Clèves. Ce ſouvenir, qui s’accordoit à ſon devoir, s’imprima fortement dans ſon cœur. Les paſſions & les engagements du
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/205]]==
monde luy parurent tels qu’ils paraiſſent aux perſonnes qui ont des vues plus grandes & plus éloignées. Sa ſanté, qui demeura conſidérablement affaiblie, luy aida à conſerver ſes ſentiments ; mais comme elle connaiſſçait ce que peuvent les occaſions ſur les réſolutions les plus ſages, elle ne voulut pas s’expoſer à détruire les ſiennes, ni revenir dans les lieux
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/206]]==
où étoit ce qu’elle avoit aimé. Elle ſe retira, ſur le prétexte de changer d’air, dans une maiſon religieuſe, ſans faire paraître un deſſein arreſté de renoncer à la cour.
 
A la première nouvelle qu’en eut monſieur de Nemours, il ſentit le poids de cette retraite, & il en vit l’importance. Il crut, dans ce moment, qu’il n’avoit plus rien à eſpérer ; la perte de ſes eſpérances ne l’empeſcha
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/207]]==
pas de mettre tout en uſage pour faire revenir madame de Clèves. Il fit écrire la reine, il fit écrire le vidame, il l’y fit aller ; mais tout fut inutile. Le vidame la vit : elle ne luy dit point qu’elle eût pris de réſolution. Il jugea néanmoins qu’elle ne reviendroit jamais. Enfin monſieur de Nemours y alla luy-meſme, ſur le prétexte d’aller à des bains. Elle fut extreſmement troublée & ſurpriſe
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/208]]==
d’apprendre ſa venue. Elle luy fit dire par une perſonne de mérite qu’elle aimoit & qu’elle avoit alors auprès d’elle, qu’elle le prioit de ne pas trouver étrange ſi elle ne s’expoſçait point au péril de le voir, & de détruire par ſa préſence des ſentiments qu’elle devoit conſerver ; qu’elle vouloit bien qu’il sût, qu’ayant trouvé que ſon devoir & ſon repos s’oppoſaient au penchant qu’elle avoit d’eſtre à luy,
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/209]]==
les autres choſes du monde luy avaient paru ſi indifférentes qu’elle y avoit renoncé pour jamais ; qu’elle ne penſçait plus qu’à celles de l’autre vie, & qu’il ne luy reſtoit aucun ſentiment que le déſir de le voir dans les meſmes diſpoſitions où elle était.
 
Monſieur de Nemours penſa expirer de douleur en préſence de celle qui luy parlait. Il la pria vingt fois de retourner à madame de Clèves, afin de faire
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/210]]==
en ſorte qu’il la vît ; mais cette perſonne luy dit que madame de Clèves luy avoit non ſeulement défendu de luy aller redire aucune choſe de ſa part, mais meſme de luy rendre compte de leur converſation. Il fallut enfin que ce prince repartît, auſſi accablé de douleur que le pouvoit eſtre un homme qui perdoit toutes ſortes d’eſpérances de revoir jamais une perſonne qu’il aimoit d’une paſſion la plus violente, la plus naturelle &
==[[Page:La Fayette - La Princesse de Clèves - tome 4.djvu/211]]==
la mieux fondée qui ait jamais été. Néanmoins il ne ſe rebuta point encore, & ii fit tout ce qu’il put imaginer de capable de la faire changer de deſſein. Enfin, des années entières s’étant paſſées, le temps & l’abſence ralentirent ſa douleur & éteignirent ſa paſſion. Madame de Clèves vécut d’une ſorte qui ne laiſſa pas d’apparence qu’elle pût jamais revenir. Elle paſſçait
=== no match ===
une partie de l’année dans cette maiſon religieuſe, & l’autre chez elle ; mais dans une retraite & dans des occupations plus ſaintes que celles des couvents les plus auſtères ; & ſa vie, qui fut aſſez courte, laiſſa des exemples de vertu inimitables.