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contribué à faire prévaloir autour d’elle. » Cette mission traditionnelle qu’on accorde à la France, si elle pouvait s’accomplir jusqu’au bout, ne ferait d’elle rien moins que la législatrice des nations modernes, sans cesse en quête d’une meilleure expression de la justice. Toujours est-il que ce rôle d’initiation au droit a fait jusqu’à présent l’originalité de notre histoire. Il a fait aussi celle de notre philosophie depuis cent ans. Si les grands systèmes métaphysiques sur l’univers, auxquels s’étaient déjà élevés en France les Diderot, les d’Alembert, les d’Holbach, ont été surtout développés en notre siècle par l’Allemagne et tout récemment par l’Angleterre, en revanche les grandes conceptions sociales, — plus propres encore selon nous à faire comprendre le vrai sens de l’univers lui-même, — ont pris naissance dans notre pays avec une exubérante fécondité. Quelle efflorescence d’idées et de théories en France, depuis un siècle, sur le fondement du droit et sur toutes ses applications : rénovation sociale, politique et religieuse, droit de propriété, droit des époux dans la famille, droit des citoyens dans l’état! Théories tantôt profondes, tantôt étranges et parfois monstrueuses, car l’esprit humain, comme la nature, ne peut être vraiment fécond sans enfanter aussi des monstres. Dans l’art, le romantisme aurait-il tout renouvelé, si sa hardiesse n’avait mêlé à la vérité quelque extravagance, et faut-il s’étonner que la science sociale ait eu aussi dans notre pays son romantisme? Sans doute, de même que la France eut pour elle dans cet ordre de recherches le principal honneur, elle a eu aussi le principal danger, celui de voir les théories originales dégénérer en utopies, les utopies en violences ; mais il faut se désintéresser d’inconvéniens pratiques qui font encore souffrir la génération présente, en considérant les services spéculatifs rendus par notre pays à l’humanité entière : il est des souffrances généreuses et fécondes qui valent mieux que le repos égoïste où s’endorment certaines nations. Pour les peuples encore plus que pour les individus, penser et chercher, c’est souffrir : Quœsivit lucem, ingemuitque.

Dans deux précédentes études, nous avons examiné comment l’Allemagne et l’Angleterre conçoivent le fondement du droit, comment elles font reposer l’ordre social, l’une sur une savante organisation des forces, l’autre sur une habile fusion des intérêts ; nous avons essayé à ce propos d’esquisser la physionomie propre à ces deux nations, afin de faire comprendre comment l’instinct populaire s’accorde avec les spéculations des philosophes [1]. Nous nous proposons de faire pour la France une série de recherches

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juin 1874, le Droit, la force et le génie d’après les écoles allemandes contemporaines, et, dans la Revue du 15 avril 1875, le Droit et l’intérêt d’après l’école anglaise contemporaine.