« Histoire d’un ruisseau/XII » : différence entre les versions

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Déjà si charmant et si varié pour le Robinson étendu sur son îlot ou perché sur un tronc d’arbre, l’aspect du ruisseau est bien plus gracieux encore pour le promeneur qui suit le rivage de méandre en méandre, cheminant tantôt sur les rochers enguirlandés de ronces, tantôt dans l’herbe épaisse des prairies, ou bien sous l’ombre mobile des rameaux agités. Tous cependant ne savent pas jouir de cette beauté des eaux courantes. Le malheureux qui se promène par fainéantise et pour « tuer » ses heures qu’il n’a pas la force d’employer, voit partout des objets d’ennui, même dans la cascade et le remous, dans les tourbillons d’écume et les herbes serpentines du fond. Pour savourer tout ce qu’offre de délicieux une promenade le long du ruisseau, il faut que le droit à la flânerie ait été conquis par le travail, il faut que l’esprit fatigué ait besoin de reprendre son ressort à la vue de la nature. Le labeur est indispensable à qui veut jouir du repos, de même que le loisir journalier est nécessaire à chaque travailleur pour renouveler ses forces. La société ne cessera de souffrir, elle sera toujours dans un été d’équilibre instable, aussi longtemps que les hommes, voués en si grand nombre à la misère, n’auront pas tous, après la tâche quotidienne, une période de répit pour régénérer leur vigueur et se maintenir ainsi dans leur dignité d’êtres libres et pensants.
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Au milieu de ce monde des plantes frémit le monde sans fin des animaux. Des poissons, gris, bleuâtres, rouges ou blancs, glissent comme des éclairs dans l’eau pure, ou passent sous les sous les guirlandes des forêts aquatiques comme sous des arcades triomphales. La vie est partout, sur le fond où des formes bizarres et indistinctes s’agitent dans le sable et la vase, au milieu du fourré des plantes frissonnant toujours des secousses que leur imprime une population cachée, à la surface où tournoient les gyrins, où s’élancent les patineurs, parmi les joncs où brille l’aile diaprée des libellules, sous les arbustes de la rive où resplendit comme un saphir le plumage du martin-pêcheur. A qui donc est ce ruisseau dont nous nous disons les propriétaires, comme si nous étions seuls à en jouir ? N’appartient-il pas aussi bien, et mieux encore à tous les êtres qui le peuplent et qui en tirent leur substance et leur vie ? Il est aux poissons et aux nénufars, aux moucherons qui volent en tourbillons au-dessus des remous, aux grands arbres que l’eau et les alluvions du ruisseau gonflent de sève. Entre tous ces êtres, qui cherchent à se faire la plus large part, sévit une guerre implacable ; chacun, dans sa lutte pour l’existence, vit aux dépens de ses voisins. Quant à moi, je voudrais bien faire avec tous bon ménage, je tâche de respecter la fleur et l’insecte, et pourtant que de massacres je fais sans m’en apercevoir ! Je détruis des mondes d’infiniment petit lorsque j’entends sur l’herbe ma lourde masse ; je ravage des forêts, j’opère des cataclysmes dans l’histoire d’une peuplade imperceptible lorsque je grimpe sur un arbres pour balancer mes jambes au-dessus du ruisseau. Barbare, que d’atrocités j’ai commises, sans le vouloir, lorsque, dans mon jeune âge, je faisais l’école buissonnière, et m’installais dans le tronc caverneux des saules pour y lire à mon aise quelque roman ou pour y déclamer des vers d’une voix retentissante !
 
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