« Contes d’Andersen/Les Habits neufs du Grand-Duc » : différence entre les versions

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« C'est charmant,» répondit le ministre. (Page 23.)<BR><BR>
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Il y avait autrefois un grand-duc qui aimait
tant les habits neufs, qu'il dépensait tout son
argent à sa toilette. Lorsqu'il passait ses soldats
en revue, lorsqu'il allait au spectacle ou à la promenade, il n'avait d'autre but que de montrer ses
habits neufs. A chaque heure de la journée, il
changeait de vêtements, et comme on dit d'un
roi : « Il est au conseil, » on disait de lui : « Le
grand-duc est à sa garde-robe. » La capitale était
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une ville bien gaie, grâce à la quantité d'étrangers
qui passaient ; mais un jour il y vint aussi
deux fripons qui se donnèrent pour des tisserands
et déclarèrent savoir tisser la plus magnifique
étoffe du monde. Non-seulement les couleurs et
le dessin étaient extraordinairement beaux, mais
les vêtements confectionnés avec cette étoffe possédaient
une qualité merveilleuse : ils devenaient
invisibles pour toute personne qui ne savait pas
bien exercer son emploi ou qui avait l'esprit trop
borné.
 
« Ce sont des habits impayables, pensa le grand-duc ;
grâce à eux, je pourrai connaître les hommes
incapables de mon gouvernement : je saurai
distinguer les habiles des niais. Oui, cette étoffe
m'est indispensable. »
 
Puis il avança aux deux fripons une forte
somme afin qu'ils pussent commencer immédiatement
leur travail.
 
Ils dressèrent en effet deux métiers, et firent
semblant de travailler, quoiqu'il n'y eût absolument
rien sur les bobines. Sans cesse ils demandaient
de la soie fine et de l'or magnifique ; mais
ils mettaient tout cela dans leur sac, travaillant
jusqu'au milieu de la nuit. avec des métiers
vides.
 
« II faut cependant que je sache où ils en sont, »
se dit le grand-duc.
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Mais il se sentait le cœur serré en pensant que
les personnes niaises ou incapables de remplir
leurs fonctions ne pourraient voir l'étoffe. Ce n'était
pas qu'il doutât de lui-même ; toutefois il
jugea à propos d'envoyer quelqu'un pour examiner
le travail avant lui. Tous les habitants de la
ville connaissaient la qualité merveilleuse de l'étoffe,
et tous brûlaient d'impatience de savoir
combien leur voisin était borné ou incapable.
 
« Je vais envoyer aux tisserands mon bon vieux
ministre, pensa le grand-duc, c'est lui qui peut le
mieux juger l'étoffe ; il se distingue autant par
son esprit que par ses capacités. »
 
L'honnête vieux ministre entra dans la salle où
les deux imposteurs travaillaient avec les métiers
vides.
 
« Bon Dieu ! pensa-t-il en ouvrant de grands
yeux, je ne vois rien. » Mais il n'en dit mot.
 
Les deux tisserands l'invitèrent à s'approcher,
et lui demandèrent comment il trouvait le dessin
et les couleurs. En même temps ils montrèrent
leurs métiers, et le vieux ministre y fixa ses regards ;
mais il ne vit rien, par la raison bien
simple qu'il n'y avait rien.
 
« Bon Dieu ! pensa-t-il, serais-je vraiment borné ?
Il faut que personne ne s'en doute. Serais-je vraiment
incapable ? Je n'ose avouer que l'étoffe est
invisible pour moi.
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— Eh bien ! qu'en dites-vous ? dit l'un des tisserands.
 
— C'est charmant, c'est tout à fait charmant !
répondit le ministre en mettant ses lunettes. Ce
dessin et ces couleurs.... oui, je dirai au grand-duc
que j'en suis très-content.
 
— C'est heureux pour nous, » dirent les deux
tisserands ; et ils se mirent à lui montrer des
couleurs et des dessins imaginaires en leur donnant
des noms. Le vieux ministre prêta la plus
grande attention, pour répéter au grand-duc toutes
leurs explications.
 
Les fripons demandaient toujours de l'argent,
de la soie et de l'or ; il en fallait énormément
pour ce tissu. Bien entendu qu'ils empochèrent le
tout ; le métier restait vide et ils travaillaient
toujours.
 
Quelque temps après, le grand-duc envoya un
autre fonctionnaire honnête pour examiner l'étoffe
et voir si elle s'achevait. Il arriva à ce nouveau
député la même chose qu'au ministre ; il
regardait et regardait toujours, mais ne voyait
rien
 
« N'est-ce pas que le tissu est admirable? demandèrent
les deux imposteurs en montrant et
expliquant le superbe dessin et les belles couleurs
qui n'existaient pas.
 
— Cependant je ne suis pas niais ! pensait
l'homme.
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C'est donc que je ne suis pas capable de
remplir ma place ? C'est assez drôle, mais je prendrai
bien garde de la perdre. »
 
Puis il fit l'éloge de l'étoffe, et témoigna toute
son admiration pour le choix des couleurs et le
dessin.
 
« C'est d'une magnificence incomparable, » dit-il
au grand-duc, et toute la ville parla de cette étoffe
extraordinaire.
 
Enfin, le grand-duc lui-même voulut la voir
pendant qu'elle était encore sur le métier. Accompagné
d'une foule d'hommes choisis, parmi
lesquels se trouvaient les deux honnêtes fonctionnaires,
il se rendit auprès des adroits filous
qui tissaient toujours, mais sans fil de soie ni
d'or, ni aucune espèce de fil.
 
« N'est-ce pas que c'est magnifique ! dirent les
deux honnêtes fonctionnaires. Le dessin et les
couleurs sont dignes de Votre Altesse. »
 
Et ils montrèrent du doigt le métier vide, comme
si les autres avaient pu y voir quelque chose.
 
« Qu'est-ce donc? pensa le grand-duc, je ne
vois rien. C'est terrible. Est-ce que je ne serais
qu'un niais ? Est-ce que je serais incapable de
gouverner ? Jamais rien ne pouvait m'arriver de
plus malheureux. » Puis tout à coup il s'écria :
C'est magnifique ! J'en témoigne ici toute ma satisfaction. »
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Il hocha la tête d'un air content, et regarda le
métier sans oser dire la vérité. Tous les gens de
sa suite regardèrent de même, les uns après les
autres, mais sans rien voir, et ils répétaient
comme le grand-duc : « C'est magnifique ! » Ils
lui conseillèrent même de revêtir cette nouvelle
étoffe à la première grande procession. « C'est
magnifique ! c'est charmant ! c'est admirable ! »
exclamaient toutes les bouches, et la satisfaction
était générale.
 
Les deux imposteurs furent décorés, et reçurent
le titre de gentilshommes tisserands.
 
Toute la nuit qui précéda le jour de la procession,
ils veillèrent et travaillèrent à la clarté de
seize bougies. La peine qu'ils se donnaient était
visible à tout le monde. Enfin, ils firent semblant
d'ôter l'étoffe du métier, coupèrent dans l'air avec
de grands ciseaux, cousirent avec une aiguille
sans fil, après quoi ils déclarèrent que le vêtement
était achevé.
 
Le grand-duc, suivi de ses aides de camp, alla
l'examiner, et les filous, levant un bras en l'air
comme s'ils tenaient quelque chose, dirent :
 
« Voici le pantalon, voici l'habit, voici le manteau.
C'est léger comme de la toile d'araignée. Il
n'y a pas de danger que cela vous pèse sur le
corps, et voilà surtout en quoi consiste la vertu
de cette étoffe.
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— Certainement, répondirent les aides de camp ;
mais ils ne voyaient rien, puisqu'il n'y avait
rien.
 
— Si Votre Altesse daigne se déshabiller, dirent
 
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les fripons, nous lui essayerons les habits devant
la grande glace. »
 
Le grand-duc se déshabilla, et les fripons firent
semblant de lui présenter une pièce après l'autre.
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Ils lui prirent le corps comme pour lui attacher
quelque chose. Il se tourna et se retourna devant
la glace.
 
« Grand Dieu ! que cela va bien! quelle coupe
élégante ! s'écrièrent tous les courtisans. Quel dessin !
quelles couleurs ! quel précieux costume ! »
 
Le grand maître des cérémonies entra.
 
« Le dais sous lequel Votre Altesse doit assister
à la procession est à la porte, dit-il.
 
— Bien ! je suis prêt, répondit le grand-duc. Je
crois que je ne suis pas mal ainsi. »
 
Et il se tourna encore une fois devant la glace
pour bien regarder l'effet de sa splendeur.
 
Les chambellans qui devaient porter la queue
firent semblant de ramasser quelque chose par
terre ; puis ils élevèrent les mains, ne voulant pas
convenir qu'ils ne voyaient rien du tout.
 
Tandis que le grand-duc cheminait fièrement à
la procession sous son dais magnifique, tous les
hommes, dans la rue et aux fenêtres, s'écriaient :
« Quel superbe costume ! Comme la queue en est
gracieuse? Comme la coupe en est parfaite ! » Nul
ne voulait laisser voir qu'il ne voyait rien ; il aurait
été déclaré niais ou incapable de remplir un
emploi. Jamais les habits du grand-duc n'avaient
excité une telle admiration.
 
« Mais il me semble qu'il n'a pas du tout d'habit,
observa un petit enfant.
==[[Page:Andersen - Contes d'Andersen, traduit par Soldi, Librairie Hachette et Cie, 1876.djvu/40]]==
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— Seigneur Dieu, entendez la voix de l'innocence ! »
dit le père.
 
Et bientôt on chuchota dans la foule en répétant
les paroles de l'enfant.
 
« Il y a un petit enfant qui dit que le grand-duc
n'a pas d'habit du tout !
 
— Il n'a pas du tout d'habit ! » s'écria enfin tout
le peuple.
 
Le grand-duc en fut extrêmement mortifié, car
il lui semblait qu'ils avaient raison. Cependant il
se raisonna et prit sa résolution :
 
« Quoi qu'il en soit, il faut que je reste jusqu'à
la fin ! »
 
Puis, il se redressa plus fièrement encore, et les
chambellans continuèrent à porter avec respect la
queue qui n'existait pas.
 
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