« Toine (recueil)/Édition Conard, 1910/L’Homme-fille » : différence entre les versions

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==__MATCH__:[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/57]]==
 
Combien de fois entendons-nous dire : « Il est charmant cet homme, mais c’est une fille, une vraie fille. »
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Mais le plus irritant des hommes-filles est assurément le Parisien et le boulevardier, dont les apparences d’intelligence sont plus marquées et qui assemble en lui, exagérés par son tempérament d’homme, toutes les séductions et tous les défauts des charmantes drôlesses.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/58]]==
Notre Chambre des députés est peuplée d’hommes-filles. Ils y forment le grand parti des opportunistes aimables qu’on pourrait appeler « les charmeurs » . Ce sont ceux qui gouvernent avec des paroles douces et des promesses trompeuses, qui savent serrer les mains de façon à s’attacher les cœurs, dire « mon cher ami » d’une certaine manière délicate aux gens qu’ils connaissent le moins, changer d’opinion sans même s’en douter, s’exalter pour toute idée nouvelle, être sincères dans leurs croyances de girouettes, se laisser tromper comme ils trompent eux-mêmes, ne plus se souvenir le lendemain de ce qu’ils affirmaient la veille.
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Certes, tout bon journaliste doit être un peu fille, c’est-à-dire aux ordres du public, souple à suivre inconsciemment les nuances de l’opinion courante, ondoyant et divers, sceptique et crédule, méchant et dévoué, blagueur et prudhomme, enthousiaste et ironique, et toujours convaincu sans croire à rien.
Les étrangers, nos anti-types comme disait
Les étrangers, nos anti-types comme disait Mme Abel, les Anglais tenaces et les lourds Allemands, nous considèrent et nous considéreront jusqu’à la fin des siècles, avec un certain étonnement mêlé de mépris. Ils nous traitent de légers. Ce n’est pas cela, nous sommes des filles. Et voilà pourquoi on nous aime malgré nos défauts, pourquoi on revient à nous malgré le mal qu’on dit de nous ; ce sont des querelles d’amour !…
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/59]]==
Les étrangers, nos anti-types comme disait Mme Abel, les Anglais tenaces et les lourds Allemands, nous considèrent et nous considéreront jusqu’à la fin des siècles, avec un certain étonnement mêlé de mépris. Ils nous traitent de légers. Ce n’est pas cela, nous sommes des filles. Et voilà pourquoi on nous aime malgré nos défauts, pourquoi on revient à nous malgré le mal qu’on dit de nous ; ce sont des querelles d’amour !…
L’homme-fille, tel qu’on le rencontre dans le monde, est si charmant qu’il vous capte en une causerie de cinq minutes. Son sourire semble fait pour vous ; on ne peut penser que sa voix n’ait point à votre intention des intonations particulièrement aimables. Quand il vous quitte, on croit le connaître depuis vingt ans. On est tout disposé à lui prêter de l’argent, s’il vous en demande. Il vous a séduit comme une femme.
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S’il a pour vous des procédés douteux, on ne peut lui garder rancune, tant il est gentil quand on le revoit ! S’excuse-t-il ? On a envie de lui demander pardon ! Ment-il ? On ne peut le croire ! Vous berne-t-il indéfiniment par des promesses toujours fausses ? On lui sait gré de ses promesses seules autant que s’il avait remué le monde pour vous rendre service.
Quand il admire quelque chose, il s’extasie
Quand il admire quelque chose, il s’extasie avec des expressions tellement senties qu’il vous jette à l’âme ses convictions. Il a adoré Victor Hugo qu’il traite aujourd’hui de bédole. Il se serait battu pour Zola qu’il abandonne pour Barbey d’Aurevilly. Et quand il admire, il n’admet point les restrictions ; et il vous souffletterait pour un mot ; mais quand il se met à mépriser, il ne connaît plus de bornes dans son dédain et n’accepte pas qu’on proteste.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/60]]==
Quand il admire quelque chose, il s’extasie avec des expressions tellement senties qu’il vous jette à l’âme ses convictions. Il a adoré Victor Hugo qu’il traite aujourd’hui de bédole. Il se serait battu pour Zola qu’il abandonne pour Barbey d’Aurevilly. Et quand il admire, il n’admet point les restrictions ; et il vous souffletterait pour un mot ; mais quand il se met à mépriser, il ne connaît plus de bornes dans son dédain et n’accepte pas qu’on proteste.
En somme, il ne comprend rien.
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On n’entend pas le reste, on passe.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/61]]==
Mais comme on va le dimanche suivant à Saint-Germain, deux jeunes femmes montent dans le même wagon. On en reconnaît une tout de suite, l’ennemie de Julia. — L’autre ?… C’est Julia !
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Encore trois mois après, et ils logent ensemble ; mais un matin, on apprend qu’ils se sont battus en duel, puis embrassés, en pleurant, sur le terrain.
Ils sont, au demeurant, les meilleurs amis du monde, fâchés à mort la moitié de l’annéel’anné
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/62]]==
e, se calomniant et se chérissant tour à tour, à profusion, se serrant les mains à se briser les os et prêts à se crever le ventre pour un mot mal entendu.
Car les relations des hommes-filles sont incertaines, leur humeur est à secousses, leur exaltation à surprises, leur tendresse à volte-face, leur enthousiasme à éclipses. Un jour, ils vous chérissent, le lendemain ils vous regardent à peine, parce qu’ils ont, en somme, une nature de filles, un charme de filles, un tempérament de filles ; et que tous leurs sentiments ressemblent à l’amour des filles.
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C’est le petit toutou adoré qu’on embrasse éperdument, qu’on nourrit de sucre, qu’on couche sur l’oreiller du lit, mais qu’on jettera aussitôt par la fenêtre dans un mouvement d’impatience, qu’on fait tourner comme une fronde en le tenant par la queue, qu’on serre dans ses bras à l’étrangler et qu’on plonge, sans raison, dans un seau d’eau froide.
Aussi quel étrange spectacle que les tendresses d’une vraie fille et d’un homme-fille. Il la bat et elle le griffe, ils s’exècrent, ne peuvent se voir et ne peuvent se quitter, accrochés l’un à l’autre par on ne sait quels liens mystérieux du cœur. Elle le trompe et il le sait, sanglote et pardonne.
==[[Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XI.djvu/63]]==
sait, sanglote et pardonne.
Il accepte le lit que paye un autre et se croit, de bonne foi, irréprochable. Il la méprise et l’adore sans distinguer qu’elle aurait le droit de lui rendre son mépris. Ils souffrent tous deux atrocement l’un par l’autre sans pouvoir se désunir ; ils se jettent du matin au soir à la tête des hottées d’injures et de reproches, des accusations abominables, puis énervés à l’excès, vibrants de rage et de haine, ils tombent aux bras l’un de l’autre et s’étreignent éperdument, mêlant leurs bouches frémissantes et leurs âmes de drôlesses.
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L’homme-fille est brave et lâche en même temps ; il a, plus que tout autre, le sentiment exalté de l’honneur, mais le sens de la simple honnêteté lui manque, et, les circonstances aidant, il aura des défaillances et commettra des infamies dont il ne se rendra nul compte ; car il obéit, sans discernement, aux oscillations de sa pensée toujours entraînée.
Tromper un fournisseur lui semblera chose permise et presque ordonnée. Pour lui, ne point payer ses dettes est honorable, à moins qu’elles ne soient de jeu, c’est-à-dire un peu suspectes ; il fera des dupes en certaines conditions que la loi du monde admet ; s’il se trouve à court d’argent, il empruntera par tous moyens, ne se faisant nul scrupule de
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jouer quelque peu les prêteurs ; mais il tuerait d’un coup d’épée, avec une indignation sincère, l’homme qui le suspecterait seulement de manquer de délicatesse.
 
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