« Où nous en sommes » : différence entre les versions

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AVANT-PROPOS
 
Il n’y a pas beaucoup de gens qui savent où ils en sont...sont… Comment des poètes le sauraient-ils plus que les autres ? Et s’ils le savent, en quoi importe-t-il aux autres de le savoir ? et combien de ces autres s’en soucieront ? M. Harduin promulgue : « Tout le monde se f...f… de la poésie. Seulement il ne faut pas le dire. » — Cet hommage est notre excuse.
 
Mais les poètes n’ont besoin vis-à-vis de la foule d’aucune excuse. En dépit de toutes les apparences, même de M. Harduin, le nombre n’agit pas, il est agi.
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Exposer les œuvres ne suffit donc pas : la critique positive a le devoir de démasquer les naufrageurs, — ces pilleurs, ces fossoyeurs.
 
LA
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VICTOIRE DU SILENCE (« ).
LA VICTOIRE DU SILENCE (« ).
 
Ou concentre-toi ou meurs.
 
MICHELET.
MlCHELET.
 
I
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Liquidation.
 
Liquidons ! Liquidons !... — une fois pour toutes.
 
Nous nous devons d’abord de nous liquider nous-mêmes, de nous liquider de nos cadavres...cadavres… oui ! de nos cadavres ! car nous ne nous doutons pas, symbolistes, à quel point nous sommes morts !... Nous avons été enterrés à fond, enfouis avec le dernier siècle.
 
Sfvous n’étiez pas morts, vous parleriez ? et vous restez là, muets, comme étouffés sous les ordures...ordures… Rien plus que
 
i. Cette étude composée pour les tomes I et II de « Vers et Prose » (mars, juillet 1905), était précédée des lignes suivantes :
 
Avertissement. — Je ne m’attendais certes pas à reprendre de sitôt les armes pour la défense et illustration de la Poésie. Je m’abandonnais à l’action esthétique pratique, — la seule action sociale qui ne désaccorde pas un poète,— et je n’espérais point que tous ceux qui avaient tant contribué à la retrempe d’un « art lyrique », naguère, éprouvassent le besoin de sortir un peu de la « littérature » et, fraternellement, de se reconnaître...reconnaître…
 
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le fumier n’est lourd !… Ah !que c’est donc lourd que pas un de vos membres ne bouge 1 Pas un cri !… le silence… t
 
Et les cloches battent… le glas, le glas 1
le fumier n’est lourd !... Ah !que c’est donc lourd que pas un de vos membres ne bouge 1 Pas un cri !... le silence... t
 
Et les cloches battent... le glas, le glas 1
 
Jamais on n’aura ouï les cloches battre depuis si longtemps sur des morts ! Quatre ans qu’elles battent sans un répit !... Mais puisque depuis la première heure des quatre années ce sont des morts, ô sonneurs ! Penseriez-vous les réveiller ? ou plutôt vous prouver à vous-mêmes que vous n’êtes pas morts, ô sonneurs 1
 
1l y avait bien’eu auparavant quelques danses de scalps autour des moribonds, le temps de creuser la fosse. La fosse fut prête surtout à partir de 1900, et dès la fosse ouverte, nous fûmes morts : pelletées et glas tombèrent.
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Un des premiers fossoyeurs-sonneurs fut M. Camille Mauclair. Dans une étude qui sortit de la Nouvelle Revue pour reparaître avec L’Art en silence, il écrivait :
 
 
« II a manqué aux symbolistes, quant au fond même de leur esthétique, une relation logique entre la conception et l’expression,
« Il a manqué aux symbolistes, quant au fond même de leur esthétique, une relation logique entre la conception et l’expression,
 
On a bien voulu se souvenir de quelques efforts de conscience et de quelques éclats d’indépendance pour me demander des études d’analyse générale. Et il va sans dire que si, par cette généralisation, je suis amené à écrire nous, je neprétendrai point parler au nom d’une génération, d’elle qui, justement, n’a jamais voulu laisser réduire par T esprit personnel déformateur les multiples facettes de sa sensibilité.
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Je crois toutefois que sur un certain nombre de traits principaux, j’exprimerai asseç fidèlement une pensée commune ; mait pour le reste il est bien entendu que j’aventurerai des idées particulières, lorsque je ne me bornerai pas à dépouiller de nos œuvres le grain nourricier.
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et une direction d’ensemble. Le résultat littéraire de leurs idées n’a pas été tangible, il est avorté. L’allégorie (/) n’est pas un élément fondamental de création. »
 
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« Ils n’ont eu ni direction, ni parole centrale, et renonçant à compter dans leur époque, ils se sont renonces eux-mêmes » (p. 205).
 
« Il est probable que l’avenir ne sera pas juste pour eux parce qu’ils ne se donnèrent pas la peine de se syndiquer ostensiblement »... (p. 206).
 
Ce n’est pas tout ; dans la Plume du 1" septembre 1900, sous le titre : Les deux mystères en art, on pouvait lire :
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« C’est à cause de cela que le symbolisme est mort stérile, lui qui pouvait produire une grande œuvre. Il s’est retiré de la vie, laissant
 
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l’admirable création
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l’admirable création du vers libre, pour l’usage exalté et vivant des jeunes hommes qui le suivent.
 
« Il faut qu’à présent nous entendions courir aux échos de tous les rivages le cri nouveau : « Le mystère, le grand mystère est mort ! »
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« t Les jeunes poètes — pas les Jeunes professionnellement affublés du masque de la jeunesse — les poètes vraiment jeunes, ceux qui ont vingt ans, commencent à comprendre que la poésie ne se réduit pas à l’art d’enfiler des verroteries ou de ciseler des noix de coco. Je remarque, dans leurs essais juvéniles, un très sincère désir de renoncer aux artifices d’une verbosité enfantine, de revenir aux sources fraîches de la vérité et de la beauté, bref, de réconcilier l’humanité avec l’idéal et la littérature avec la vie. »
 
Mais l’année de la foire passa, et les morts gardèrent le silence...silence…
 
L’année 1901 fut marquée par des événements considérables. Il
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Il y eut d’abord le voyage en Amérique de M. Gaston Deschamps qu’illustrèrent des incidents de ce genre :
 
« Je trouve, dans la bibliothèque de Yale, une curieuse collection d’ouvrages français, notamment les Illuminations d’Arthur Rimbaud, le Pèlerin du Silence, beaucoup de cantilènes « mallarmistes », et enfin les chansons d’Aristide Bruant...Bruant… Pourquoi ces choix imprévus ?... La très illustre université de Yale se doit à elle-même d’étendre un peu plus loin ses curiosités dans le domaine des lettres françaises.
 
« J’observe, avec regret et non sans quelque surprise, la place vraiment exagérée que le « décadentisme » littéraire accapare dans les préoccupations du public américain. Toujours et partout la même question :
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Puis éclata, comme les « Tuba » du Dies irce, le Testament poétique de M. Sully-Prudhomme. Ce testament provoqua un nombre extraordinaire de codicilles par lesquels on indiquait que nos cadavres n’étaient pas même dignes d’un legs aux
 
hôpitaux.
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hôpitaux. Dans une ode somptueuse au poète, M. Albert Mérat chantait « après une lecture du Testament poetique » :
 
Tu dédaignes dans tes algèbres
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Et cela paraissait dans la Revue des Poètes !
 
Les héritiers de M. Sully-Prudhomme,’ comme tous les héritiers, furent très ingrats ; ils ne se contentèrent pas du maigre héritage d’un académicien, ils voulurent que tous les académiciens modifiassent le « Testament ». Etant avéré que nous étions bien morts, on pouvait donc parler de réformes, de réformes « raisonnables », dûment sanctionnées, estampillées par l’Académie, des réformes qui ne réforment rien, des réformes de tout repos...repos… Et la Revue de Paris enregistra La réforme de la Prosodie (l ’ Académie — compétente ! — devant l’exécuter) où il était mentionné que la « réforme proposée ne saurait avoir le rythme pour objet » !...
 
En attendant, M. Adolphe Boschot jetait aux égouts les œuvres des morts, de ces morts qui, lorsqu’ils étaient en vie, « brodaient avec des lainages mal séchés, dégouttants encore de la couleur mère et qui, eux-mêmes, au bout de quelques semaines, ne reconnaissaient plus leur ouvrage, où tout s’était brouillé (. ? ?) »
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Le grand événement de l’année fut le Congrès des Poètes, (ô souvenir bruyant du Congrès de la Jeunesse !) qui pour la première fois s’efforça d’appliquer le parlementarisme à la
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résolution des questions d’art. On avait bien essayé déjà, par un Collège d’esthétique moderne, de le soumettre au progrès des nouvelles méthodes pédagogiques, et M. Maurice Leblond y devait traiter ainsi les Origines de l’art contemporain :
 
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« VI. — Reprise de cette tradition. Saint-Georges de Bouhélier. La renaissance poétique et les écrivains nouveaux. L’influence de Zola. Les lettres françaises enrichies par l’apport des écrivains belges. La fin du Dilettantisme. L’Evolution d’Anatole France. Le Naturisme dans les Arts. La Religion de la Beauté et la Vie. »
 
Mais combien ce « Congrès » dépassait ce « Collège » par la nouveauté et la logique des moyens, « respectueux des volontés de la majorité...majorité… » On vota immédiatement la formation d’un syndicat des poètes. « Le vers français aux Français ! » cria quelqu’un. Un vote unanime de blâme, sous la présidence de M. Catulle Mendès, fut lancé contre M. Gustave Kahn
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pour n’avoir pas vivifié suffisamment de poèmes jeunes les matinées Sarah-Bernhardt. « Cinq cents vers à copier ! » finit par jeter un impatient. Et le congrès s’acheva dans le délire du devoir parlementaire accompli.
 
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L’année 1902 fut la grande année des fossoyeurs. Ce fut Tannée du Centenaire de Victor Hugo, puis la poussée des Renaissances et des Ecoles.
 
Le Centenaire fut une des plus lamentables mystifications dont l’art lyrique ait eu à souffrir. Aucune note discordante n’y fut épargnée. En ce temps-là, M. Saint-Georges de Bouhélier disait : « Mon maître, Paul Meurice...Meurice… » et il conviait à lui faire cortège jusqu’à nos cadavres, pour la plus grande gloire, évidemment, d’Hugo. Le Figaro notait donc ces affirmations :
 
« Aux environs de 1895, il eût pu paraître téméraire de demander aux jeunes poètes de fêter Victor Hugo. Ils avaient alors bien autre chose à faire. Ils s’intitulaient décadents et Stéphane Mallarmé obtenait leurs suffrages.
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Dernièrement « un groupe de dix-huit jeunes poètes rédigeait un manifeste pour annoncer le ferme propos d’ « exprimer la vie dans sa splendeur et dans sa force », et de « réintégrer la santé dans l’art ». Je sais bien qu’en fait de poésie les intentions ne suffisent pas. Mais les signataires de ce document blâment l’« incohérence » de leurs prédécesseurs, et constatent, avec regret, que « les préoccupations des groupements antérieurs se sont surtout portées vers les caractères d’exception, la singularité, l’anomalie, le conventionnel, le morbide ». Les dix-huit poètes de la Foi nouvelle se déclarent résolus à
 
réconcilier
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réconcilier la raison avec la rime et le public avec les rimeurs. Ils sont pleins d’allégresse et de bonne volonté. Enregistrons cet excellent symptôme. »
 
Il y eut la Renaissance classique (nous avions déjà la Renaissance latine), dont le protagoniste, un vague Louis Bertrand, disait : « Nous n’interrogerons le Mystère et l’Infini que dans la mesure où il convient à des hommes éphémères et bornés ( !) » Il y eut enfin l’Humanisme qui, au bord de notre fosse, provoqua entre les fossoyeurs d’étranges combats. L’équilibriste M. Fernand Gregh avait écrit :
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« L’œuvre du Symbolisme est et restera fort importante.
 
« Mais enfin la poésie des symbolistes — et les meilleurs d’entre eux l’avouent ( ?) — a exprimé des rêves abscons et froids, et non la vie. Ils ont créé tout un décor de glaives, d’urnes, de cyprès, de chimères et de licornes qui s’en va déjà rejoindre au magasin des accessoires surannés le décor romantique, les nacelles, les écharpes, les gondoles, les seins brunis et les saules, les cimeterres et les dagues qui en 1850 avaient déjà cessé de plaire. Ils ont abusé du bizarre, de l’abstrus, ils ont souvent parlé un jargon qui n’avait rien de français, ils ont épaissi des ténèbres factices sur des idées qui ne valaient pas toujours les honneurs du mystère. Ils avaient d’abord arboré le nom de décadents sous lequel on lésa trop facilement ridiculisés et qu’ils ont vite abandonné pour celui plus relevé de symbolistes ; mais on aurait dit parfois qu’ils voulaient donner un sens rétrospectif à leur première dénomination. Leur inspiration fut trop souvent byzantine. Ils se sont d’abord interdit comme trop vile ( ?) toute poésie à tendances philosophiques, ou religieuses, ou sociales. Ensuite, même ce qui est individuel chez les symbolistes s’exprime d’une façon si indirecte que l’obscurité en voile souvent l’émotion. Jamais, chez eux, un aveu personnel, un cri, un battement de cœur. Tout est secret,
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enveloppé, allégorique. Les symbolistes ont fait un rêve irréalisable, celui d’exprimer le pur mystère ( ?) et la beauté pure. Le mystère sans un peu de clarté, c’est le néant absolu, et la beauté sans la vie, c’est une forme inconsistante qui échappe à l’étreinte de l’artiste.
 
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« Cette époque n’est pas lointaine de nous, et pourtant comme elle nous paraît reculée, extravagante et fabuleuse ! C’était l’âge héroïque de l’art décadent et du symbolisme. Une mentalité inférieure
 
à
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à celle du moyen âge régnait parmi l’élite des esprits juvéniles. En plein xixe siècle, quand la société moderne faisait retentir son fracas, tout sonore des prodiges futurs et des possibilités inconnues, dans l’instant que vivaient Pasteur et Berthelot, on assista à cet extraordinaire spectacle de toute une génération s’adonnant subitement aux pires perversions intellectuelles, au mépris de la vie, au culte du mysticisme le plus étrange et le plus malsain.
 
« On put voir des jeunes hommes intelligents méconnaître Us notions les plus élémentaires de la science et de la philosophie contemporaines, tirer vanité d’une érudition illusoire, occupés uniquement à s’assimiler les fantaisies cérébrales, les anomalies de pensées, les démences superstitieuses, les bizarreries littéraires, tout ce que la folie humaine avait pu produire de scories et de monstres depuis trente siècles que nous nous exprimons ( ! ! !)
 
« Aux soirées de La Plume, tous les samedis, dans un caveau du Boul’Mich’ s’entassait une pittoresque cohue de bardes mystiques, de peintres de l’âme, de chansonniers et de fumistes aux allures ridicules —tout un petit monde gouailleur et babillard, qui tenait à la fois de l’hôtel de Rambouillet et de la Cour des miracles. Bibi-laPurée y coudoyait le comte de La Rochefoucauld. Ces jeunes gens paraissaient éprouver de vaniteuses voluptés à s’exiler du monde. Ils cultivaient un jargon singulier ; ils affectaient des mœurs cyniques et mystérieuses, et ils avaient leurs dieux à eux, — mythiques et sacrés. Ils mettaient toute leur ardeur à vénérer d’une passion exclusive les physionomies les plus obscures et les plus inquiétantes des Lettres modernes. » {L’Aurore, 26 décembre 1902).
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« Certes, nous fûmes bien ridicules et nous eussions mieux fait de
 
lécher
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lécher les bottes de MM. Zola, Gustave Charpentier et Rostand, ou même de tourner des compliments en vers au ministre de l’Instruction publique comme M. de Bouhélier. Oui, certes, nous sommes bien ridicules. Néanmoins, nous nous enorgueillissons d’avoir mis en lumière et porté sur les pavois de la gloire Villiers de l’Isle-Adam, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé et Léon Dierx. Nous n’attendons pas les gros tirages et les grosses recettes pour découvrir le génie. » La Plume, 15 janvier 1903).
 
Ce qui n’avait pas empêché la même revue d’avoir inscrit, le 15 juillet précédent, sous la signature de M. Paul Souchon :
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Mais, à part le geste du mort Stuart Merrill rappelé plus
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haut, rien n’émut nos cadavres, ni « Centenaire », ni batailles d’écoles, rien : les morts s’obstinaient dans leur silence.
 
Voici 1903 ! ne croyez pas que les glas faiblissent ; la corde de la cloche est plus énergiquement défendue que la hampe du drapeau dans la mêlée : on trouve toujours des bras pour sonner la cloche sur des morts...morts…
 
Dès janvier, La Revue des Poètes au beau nom imprimait :
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Celui-ci avait oublié qu’hélas ! nous étions privés définitivement de toute monture et même de nos jambes. Mais MM. Poinsot etNormandy, les organisateurs du « Congrès des Poètes », écrivaient pour mieux faire comprendre les Tendances de la Poésie nouvelle :
 
« Il
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serait puéril de nier qu’un esprit nouveau, depuis quelques années, anime notre poésie. Et M. Gustave Kahn aura beau échafauder d’ingénieux arguments pour prouver que le Symbolisme continue son évolution et que nous vivons sur son épanouissement, rien n’ira contre ce fait que le Symbolisme est bien mort et pompeusement enterré... Il est mort en tant que symbolisme et surtout que vers-librisme ; il est mort en tant qu’expression surannée d’états d’âmes rares généralement motivés par de curieuses maladies dont les moindres sont la jobardise et l’obsession des typographies mystérieuses et des métaphores incohérentes ; il est mort en tant que recherche vaine de rythmes extraordinaires, de musiques infiniment subtiles, de vocabulaires étranges et abscons ; il est mort en tant que poésie éperdument égotiste, en tant qu’individualisme excessif et rétif à toute discipline ; il est mort enfin en tant qu’inintelligible et illusoire beauté. Quelques obstinés s’évertueront sans doute encore à clamer du plus profond de ses ténèbres. Ils sont semblables au trompette de la légende allemande qui, mort, sonnait encore la charge pour entraîner des soldats-fantômes. »
« Il serait puéril de nier qu’un esprit nouveau, depuis quelques années, anime notre poésie. Et M. Gustave Kahn aura beau échafauder d’ingénieux arguments pour prouver que le Symbolisme continue son évolution et que nous vivons sur son épanouissement, rien n’ira contre ce fait que le Symbolisme est bien mort et pompeusement enterré… Il est mort en tant que symbolisme et surtout que vers-librisme ; il est mort en tant qu’expression surannée d’états d’âmes rares généralement motivés par de curieuses maladies dont les moindres sont la jobardise et l’obsession des typographies mystérieuses et des métaphores incohérentes ; il est mort en tant que recherche vaine de rythmes extraordinaires, de musiques infiniment subtiles, de vocabulaires étranges et abscons ; il est mort en tant que poésie éperdument égotiste, en tant qu’individualisme excessif et rétif à toute discipline ; il est mort enfin en tant qu’inintelligible et illusoire beauté. Quelques obstinés s’évertueront sans doute encore à clamer du plus profond de ses ténèbres. Ils sont semblables au trompette de la légende allemande qui, mort, sonnait encore la charge pour entraîner des soldats-fantômes. »
 
Et M. Léon Vannoz (Revue bleue, 23 mai), pour opposer Deux Poétiques, d’affirmer :
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Mais il faut s’arrêter un peu plus longtemps sur :
 
Le Rapport De
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M. Mendès. — Je ne suis pas encore revenu de la stupéfaction où vient de me plonger la lecture de ce rapport imprimé aux frais de l’Etat et intitulé : Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. Ah ! c’était bien la peine de se moquer des critiques et des normaliens pour en arriver à un produit aussi vide ou aussi poncif quand il n’est pas vénéneux ! Que de lourdes véhémences et d’enthousiasmes gonflés ! Quelle pauvreté d’érudition quand le rapporteur traite des origines qu’on ne lui demandait pas ! et quel luxe de parenthèses hypocrites et de concetti cruels quand il en vient à l’époque contemporaine qu’on lui réclame ! Que d’efforts pour ne pas comprendre ! et quand il feint d’avoir compris que de pirouettes pour ridiculiser ses révérences ! Explique-t-il congrûment — croit-il — le symbolisme ?il termine par ces mots :
Le Rapport De M. Mendès. — Je ne suis pas encore revenu de la stupéfaction où vient de me plonger la lecture de ce rapport imprimé aux frais de l’Etat et intitulé : Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. Ah ! c’était bien la peine de se moquer des critiques et des normaliens pour en arriver à un produit aussi vide ou aussi poncif quand il n’est pas vénéneux ! Que de lourdes véhémences et d’enthousiasmes gonflés ! Quelle pauvreté d’érudition quand le rapporteur traite des origines qu’on ne lui demandait pas ! et quel luxe de parenthèses hypocrites et de concetti cruels quand il en vient à l’époque contemporaine qu’on lui réclame ! Que d’efforts pour ne pas comprendre ! et quand il feint d’avoir compris que de pirouettes pour ridiculiser ses révérences ! Explique-t-il congrûment — croit-il — le symbolisme ?il termine par ces mots :
 
« Eh bien, je ne verrais à ce système aucun inconvénient ; je trouverais même admirable, jusqu’à un certain point, que les mots ne signifiant plus ce qu’ils signifient ou ne le signifiant qu’à peine, éveillassent non par le sens, mais par le son des syllabes, ou par la couleur des lettres, — il y a là-dessus, vous le savez, un sonnet d’Arthur Rimbaud — etc. »
 
Aborde-t-il la technique ? Il a soin d’insinuer — oh ! en disant que c’est pour rire mais que pourtant...pourtant… — que ses nouveautés proviendraient bien peut-être des imaginations péruviennes d’un M. Delia Rocca de Vergalo, un lieutenant d’artillerie, inventeur des« VersNicarins »... Quand, pendant deux ans, au rez-de-chaussée du Figaro, M. Catulle Mendès découpe d’avance son rapport, suivez un peu la suite de non-sens perfides qui composent ses citations préférées :
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« Pour M""{{Mlle}} Kikio Mussayoshi.
 
« Vous me demandez, mademoiselle, par qui fut inventé, en France, le « vers libre », dont on parle encore, quelquefois, un peu, au Japon ? « Inventé » c’est beaucoup dire. « Importé » serait plus exact ; et nous le devons surtout à l’Allemagne. »
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(Le Figaro, 26 avril 1903, et Rapport, page 191).
 
Et voilà ce qu’un universitaire respectable, M. Gustave Lanson, appelait « un effort fait avec un double souci de sincérité et d’impartialité » !...
 
Quelle détente de prendre le rapport de Théophile Gautier sur les Progrès de la Poésie française depuis 1830 jusqu’en i86y ! On est comme dulcifié par une bonhomie bienfaisante,
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« Telle qu’elle est devenue enfin, j’ai l’honneur de vous soumettre mon œuvre. J’y ai employé, à défaut de talent, toute ma capacité d’intelligence, de probité, d’effort, et très ambitieusement, j’en espère une double récompense ; il me serait moins précieux qu’eth fût agréée par le ministre de V Instruction publique et des Beaux-Arts, si elle n’était approuvée par l’auteur du Coffret Brisé et de la Lyre d’Airain. »
 
Et nous savons par M. de Bouhélier qu’il faut « apprécier les témoignages » de M. Maurras, même sans doute s’ils sont médiocrement favorables à son « charmant maître »...
 
... Ainsi passa encore l’année 1903 sans même un frémissement de nos cadavres ; malgré tous les glas et toutes les pelletées de M. Mendès, plus que jamais les morts gardaient un implacable silence.
 
Avec 1904, les glas retentissant toujours, s’espacent. Rien
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n’est plus communicatif que le silence… Il y a bien des interviews çà et là, mais impossible de découvrir des injures nouvelles, et nos échantillons me semblent très suffisants, la série bien que monotone est complète. Citons toutefois cette opinion catégorique du contremaître Ernest-Charles :
 
« Et maintenant… si ce concours Sully-Prudhomme signifie quelque chose sur les tendances de la poésie française, il signifie la mort du vers libre. Presque tous ces jeunes gens reviennent à la poésie traditionnelle, judicieusement libérée de ses contraintes trop rudes. Qu’ils en soient loués ! On se souviendra donc que, en l’an 1904, vers le mois de mars, la mort du vers libre a été constatée, proclamée, consacrée, sanctionnée par Jean Moréas, Henri de Régnier, Emile Verhaeren… ( ?) » (LeGil Blas, 21 mars 1904).
n’est plus communicatif que le silence... Il y a bien des interviews çà et là, mais impossible de découvrir des injures nouvelles, et nos échantillons me semblent très suffisants, la série bien que monotone est complète. Citons toutefois cette opinion catégorique du contremaître Ernest-Charles :
 
« Et maintenant... si ce concours Sully-Prudhomme signifie quelque chose sur les tendances de la poésie française, il signifie la mort du vers libre. Presque tous ces jeunes gens reviennent à la poésie traditionnelle, judicieusement libérée de ses contraintes trop rudes. Qu’ils en soient loués ! On se souviendra donc que, en l’an 1904, vers le mois de mars, la mort du vers libre a été constatée, proclamée, consacrée, sanctionnée par Jean Moréas, Henri de Régnier, Emile Verhaeren... ( ?) » (LeGil Blas, 21 mars 1904).
 
Mais il se produisit un fait curieux : la fondation d’une nouvelle école :l’Intégralisme.
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Après avoir constaté les rapports des choses entre elles, que dit en effet notre « intégraliste » :
 
« La poésie intervient au sein même de toutes correspondances mystérieuses...mystérieuses…
 
« ... La création poétique ne consiste qu’à déterminer jusqu’aux subtilités du frisson les limites extrêmes d’une somme d’infiniment
 
« … La création poétique ne consiste qu’à déterminer jusqu’aux subtilités du frisson les limites extrêmes d’une somme d’infiniment
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petits de nature fort complexe qui sont nos aperceptions de toutes sortes.
 
« ... C’est donc des limites mêmes de l’âme dans l’âme universelle qu’il s’agit ici. Tout poème qui se réalise ne tend qu’à résoudre une part du problème éternel de l’individualisation. »
 
Et dans le chapitre intitulé :
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M. Lacuzon écrit :
 
« Ce dernier principe est une conclusion. Sans doute convient-il de nous prononcer aussi sur le symbole. Nous n’irons pas chercher des définitions compliquées. Pour nous, le symbole est une généralisation de la pensée par l’image. Quant au rythme, il n’a avec la prosodie que des rapports de maître à serviteur. Il est le mouvement même de l’inspiration...l’inspiration… » (La Revue Bleue, 16 janvier 1904).
 
Eh bien ! en 1904 comme en 1903, comme en 1902, en 1901 ou en 1900, alors pourtant qu’après tousles piétinements et les sonneries fêlées le moment semblait venu du partage de leurs dépouilles, les morts ne bougèrent pas, inexorablement fidèles au silence.
 
Cependant, par un raffinement d’élégance, quelques-uns, comme pourbien prouver qu’ils étaient morts, publièrent leurs souvenirs. — « Vous voulez que nous soyons morts ? c’est convenu 1 —Du temps de notre vie...vie… » Ce qui permit à M. Adolphe Retté, auquel il sera beaucoup pardonné de ses soubresauts inutiles pour ces quelques pages, d’écrire son
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introduction et une conclusion à ses Anecdotes, d’où nous extrayons ces justes lignes :
 
« ... On ne saurait trop engager les naturistes, les humanistes et tous les jeunes gens qui éprouvent le besoin de publier des manifestes à corroborer leurs critiques de quelques poèmes dont le sentiment, le rythme et les images soient assez impressionnants pour émouvoir et les gens du métier et un public qu’on leur souhaite compréhensif.
 
« C’est ce que pas mal de symbolistes ont fait. Et c’était peut-être plus difficile que de fonder deux ou trois écoles.
 
« Il est vrai qu’on a reproché aux symbolistes de négliger de faire valoir leurs écrits par un usage bien entendu de la réclame. Comme ils ne s’incrustaient pas dans les bureaux de rédaction, comme ils ne sollicitaient ni les journalistes qui soufflent dans la trompette faussée de la Renommée, ni les critiques normaliens qui se donnent la mission de distribuer des certificats de bonne conduite littéraire, on les accusa presque d’être insociables...insociables… »
 
« ... Nous préférions réciter de beaux vers plutôt que de perdre notre temps à flagorner des « Influences ».
 
Enfin si les morts ne daignèrent point parler, d’autres parlèrent pour eux, M. André Beaunier, dont le livre sur la Poésie nouvelle est définitif, avait répondu en ces termes à M. Fernand Gregh, fossoyeur impatient :
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« Parmi les grands poètes symbolistes, je ne mentionnerai, pour abréger, que ceux-ci : Gustave Kahn, Emile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Maurice Maeterlinck, Henri de Régnier. Voilà cinq noms tels que, peut-être, nulle école contemporaine n’en trouverait
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cinq aussi beaux à citer. Gustave Kahn, inventeur étonnant, imagination fastueuse, apte à susciter les plus neuves visions, à créer les plus ensorcelantes musiques ; Emile Verhaeren, halluciné, hanté de fantasmagories redoutables et belles, terrifié du spectacle que son rêve lui suggère, évocateur des féeries qui dorment au fond des ténèbres de l’âme ; Vielé-Griffin, subtil, sage et mélodieux, métaphysicien délicat, penseur attentif, incertain quelquefois entre l’allégresse de la vie et la mélancolie du souvenir ; Maurice Maeterlinck qui trouva des phrases imprévues pour rendre évident et palpable le mystère essentiel du Destin, de la Mort, de l’Existence et de toute réalité ; Henri de Régnier, dont c’est le privilège merveilleux de n’apercevoir les idées que sous la forme plastique, et dont l’œuvre est toute en images, parfaites de grâce ou de majesté !…
 
« Ces cinq poètes sont, je crois, bien portants. Ils sont jeunes. Les derniers poèmes qu’ils aient publiés ne sont pas très anciens. Je ne sache pas qu’aucun d’entre eux ait annoncé l’intention de passer à l’Humanisme… En vérité, le Symbolisme n’est pas mort, et il y aurait de la précipitation désinvolte à vouloir célébrer tout de suite sa pompe funèbre. »
cinq aussi beaux à citer. Gustave Kahn, inventeur étonnant, imagination fastueuse, apte à susciter les plus neuves visions, à créer les plus ensorcelantes musiques ; Emile Verhaeren, halluciné, hanté de fantasmagories redoutables et belles, terrifié du spectacle que son rêve lui suggère, évocateur des féeries qui dorment au fond des ténèbres de l’âme ; Vielé-Griffin, subtil, sage et mélodieux, métaphysicien délicat, penseur attentif, incertain quelquefois entre l’allégresse de la vie et la mélancolie du souvenir ; Maurice Maeterlinck qui trouva des phrases imprévues pour rendre évident et palpable le mystère essentiel du Destin, de la Mort, de l’Existence et de toute réalité ; Henri de Régnier, dont c’est le privilège merveilleux de n’apercevoir les idées que sous la forme plastique, et dont l’œuvre est toute en images, parfaites de grâce ou de majesté !...
 
« Ces cinq poètes sont, je crois, bien portants. Ils sont jeunes. Les derniers poèmes qu’ils aient publiés ne sont pas très anciens. Je ne sache pas qu’aucun d’entre eux ait annoncé l’intention de passer à l’Humanisme... En vérité, le Symbolisme n’est pas mort, et il y aurait de la précipitation désinvolte à vouloir célébrer tout de suite sa pompe funèbre. »
 
Puis deux vaillantes revues soutinrent les idées générales et la dignité de l’œuvre d’art : le vieil et inébranlable Ermitage, le jeune et strict Occident. « L’Occident », en particulier, montra du doigt les équivoques insanes dont sonneurs et fossoyeurs vivaient à nos dépens :
 
« Equivoque sur« l’emprisonnement des techniques », alors que ce n’est que par le scrupule des techniques que l’art d’âge en âge se libère de la tyrannie des formules...formules… Equivoque sur « la séparation de l’artiste et de la foule », sur l’art « retiré de la vie », et rabâchages de réunions publiques sur la « tour d’ivoire », alors que la « tour d’ivoire » du poète comme du savant est ce laboratoire de la
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solitude où se concentre plus de vie, et de vie utile, qu’en toutes les agitations d’un altruisme désorbité… — Equivoque sur « la beauté de vivre » qui est si loin d’être « la vie en beauté ». — Equivoque sur l’hostilité de la poésie contre le peuple, alors que jamais plus intime fraternisation n’exista qu’entre la poésie populaire et le lyrisme sentimental d’une récente période. — Equivoque sur ce sens du mystère qui exalte les natures les plus différentes, depuis Maurice Denis jusqu’à Rodin, depuis Claude Debussy jusqu’à Verhaeren, et qui rendrait « stérile » parce qu’il n’y aurait « aucun mystère dans la nature, mais des évidences calmes… » (1).
 
solitude où se concentre plus de vie, et de vie utile, qu’en toutes les agitations d’un altruisme désorbité... — Equivoque sur « la beauté de vivre » qui est si loin d’être « la vie en beauté ». — Equivoque sur l’hostilité de la poésie contre le peuple, alors que jamais plus intime fraternisation n’exista qu’entre la poésie populaire et le lyrisme sentimental d’une récente période. — Equivoque sur ce sens du mystère qui exalte les natures les plus différentes, depuis Maurice Denis jusqu’à Rodin, depuis Claude Debussy jusqu’à Verhaeren, et qui rendrait « stérile » parce qu’il n’y aurait « aucun mystère dans la nature, mais des évidences calmes... » (1).
 
Ces quelques élucidations suffisaient.
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Question de simple dignité, d’abord : avant 1900 déjà, tout avait été dit et redit sur la plupart des points qui remuaient la bile des critiques journalistes et de nos confrères. On ne pouvait plus se commettre avec des gens qui, au lieu de poursuivre la création désintéressée de l’art, sans laquelle (nous le verrons) l’existence de l’art même est atteinte, ne pensaient qu’à se produire en acteurs qui cherchent leurs planches. Puis, il fallait laisser manœuvrer et s’épuiser les uns les autres tous ces petits « syndicats » de la courte échelle, si différents des groupements libres de notre génération. Nous étions bien tranquilles. Leur arrivisme portait en lui-même des germes morbides plus dangereux pour les œuvres que ceux dont ils nous reprochaient la culture. Néanmoins, puisqu’ils se prétendaient seuls « vivants », de très bonne foi nous attendions qu’ils prouvent leur vie. Vous le savez : là
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est le difficile ; vivre n’est rien, il s’agit de prouver sa vie pour réellement vivre…
 
est le difficile ; vivre n’est rien, il s’agit de prouver sa vie pour réellement vivre...
 
Notre parfait silence eut d’admirable et de concluant qu’il ne fut pas le résultat d’un accord, mais d’une compréhension tacite, — plus séparés individuellement que nous étions jamais par les circonstances ou les difficultés.
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Nous ne craignons paS de le dire tout net : il ne s’en est pas produit.
 
Ce qui se produisit fut un affaissement extraordinaire des moyens d’expression d’une part, sous couleur de simplicité ou d’humanité ; de l’autre, ce fut la reconfusion de l’art lyrique et de l’art oratoire comme aux temps des plus mauvaises tirades romantiques. Si des poèmes témoignaient de qualités précieuses, il se trouvait qu’en dépit sans doute des auteurs eux-mêmes, elles empruntaient à divers sens du symbolisme leur caractère. Quelques femmes symétriques (qui développédéveloppérent
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rent d’ailleurs l’art de la réclame à un point que l’intelligence ménagère des hommes ne connaîtra jamais) firent preuve d’une langue aiguë ou savoureuse, mais d’une musicalité pauvre. Partout, partout, plus les barbares hurlaient à la mort, plus on pouvait constater, dans toutes les branches de l’expression artistique, la vie intense du symbolisme et ses victoires pénétrantes sous les bannières les plus bigarrées.
 
C’est qu’en effet le symbolisme, qu’on s’est efforcé en vain de rétrécir, est tout autrement que ne le fut le romantisme même, infixable ; et ce qui est si particulier dans notre art lyrique, la précision émotive du détail et le sens du général, est, dans tous les autres arts, son œuvre.
 
Aussi est-on obligé de reconnaître que les poèmes symbolistes volontairement plus rares de ces quatre dernières années, après la magnifique abondance du lustre précédent, sont parmi les plus neufs et les plus parfaits dont une époque puisse s’enorgueillir. Il n’y eut pas un livre lyrique qui en 1900 ait égalé Les Quatre saisons de Stuart Merrill ; il n’y eut pas un livre, en 1901, qui ait atteint la beauté des Petites légendes d’Emile Verhaeren et des Stances de Jean Moréas (car il faut bien comprendre que le classicisme des Stances loin de contredire le symbolisme en découle) ; il n’y eut pas un livre, en 1902, qui ait surpassé Clartés d’Albert Mockel ; il n’y en eut pas un, en 1903, qui se soit affirmé au-dessus d’Amour sacré de Francis Vielé-Griffin ; il n’y en eut pas un, en 1904, qui ait approché la’ pureté de la Chanson d’Eve de Charles van Lerberghe. Et il va sans dire que sans Maeterlinck dans Le Figaro pour cette dernière, aucune de ces œuvres n’aurait provoqué un article sérieux dans les grands périodiques.
 
(
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Et en 1902, les soirées inoubliables de Pelléas et Mélisande !... Cette prodigieuse union des deux arts fraternels !... la surprise jamais lassée du public qui semblait dire : « Comme on nous a trompés ») !
(Et en 1902, les soirées inoubliables de Pelléas et Mélisande !… Cette prodigieuse union des deux arts fraternels !… la surprise jamais lassée du public qui semblait dire : « Comme on nous a trompés ») !
 
Ce qu’il y a de remarquable est qu’avec une égale entente du sens lyrique aucun de ces cinq livres de poèmes n’a quelque communauté de ton ou de couleur avec le voisin ; ils sont, chacun, aussi originaux que s’ils n’étaient pas alliés. Ouvrez les chefs-d’œuvre de nos pourfendeurs, des Gregh, Bouhélier, Magre, etc., vous serez frappés combien leur hybridité, malgré la différence des tempéraments, a des points de contact trop étroits.
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Pourquoi donc en sortir ? — Eh ! mon Dieu ! parce que nous ne sommes pas morts, mais en vie, surabondants de vie concentrée et mûre. Le silence peut être une nécessité de repliement ; qu’il se prolonge, c’est une abdication. La foi ne peut se taire.
 
Serait-ce que nous aurions tort d’accorder aux négations mal ordonnées des critiques officiels, aux timidités bourgeoises de certains ou aux cris de nos petits sauvages une importance qui ne leur viendrait que de notre attention ? Mais cette liquidation faite, nous ne leur en accorderons aucune. Seulement il n’est point vrai que les œuvres parlent toutes seules ; ce sont les idées mêmes qui se mangent comme des habits dans le silence, — ces bonnes laines réchauffantes des œuvres...œuvres…
 
Il importe du reste d’aller plus avant dans l’avenir, de découvrir
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Puis l’on ne s’imagine pas ce qu’il y a de jeunes esprits isolés qui s’ouvraient à la révélation d’art du symbolisme comme à une liberté nouvelle vraiment pure et qu’ont révoltés les pantalonnades dernières. Je viens, ces années passées, de parcourir la France dans tous les sens. Partout j’ai rencontré des fidèles étranges aussi passionnés de lyrisme et d’art que dégoûtés de la littérature. Ils ne nous comprenaient pas : notre mutisme les étonnait, un peu même les décourageait.
 
C’est que les œuvres ne peuvent pas être les seuls « faits » d’un art ; que ces faits soulèvent des actes extérieurs qui doivent provoquer une action. Négliger cette action est trahir l’œuvre même. Et toute négligence désoriente, alors que l’on attend pour assurer sa confiance l’affirmation des croyants. Ainsi les élastiques injures que nous venons de sentir sous nos pieds doivent nous être comme autant de petits tremplins qui ne permettent pas de rester sur place...place… Rebondissons. Il n’est rien de tel pour se reconnaître. On ne se dérobe pas à l’occasion d’un examen de conscience : d’une de ces actions pratiques qui sont comme les étais de la critique spéculative, qui lui donnent sa solidité. Toutes les manifestations de la vie, et les plus élevées, obéissent à la même loi : l’impossibilité de se soustraire, sans déchéance, à l’action correspondante des actes qui vous atteignent. Il n’est point de dignité plus fausse que d’ossifier notre patience, longtemps nécessaire pour plus de force, mais ainsi rendueimpuissante. Les œuvres existent autant par les idées dont on les enveloppe dont on les réchauffe que par elles-mêmes. Et l’action critique, pour les
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soutenir dans cette chaleur de la vie, ne doit croire indigne d’elle aucun des menus soins d’une vraie sollicitude.
 
Débarrassons-nous donc brièvement une dernière fois de tous les clichés : sur le néant du symbolisme, sur la préoccupation de la forme, sur notre dédain de la vie, sur l’action sociale de l’œuvre et de l’artiste, sur les nationalités, sur notre irrespect des maîtres, sur notre mépris de la science (l’acte d’un mauvais clerc nous y aidera), et tout ce vieux lest jeté, rebondissant, nous monterons plus haut.
 
II
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II
Un peu d’apologétique.
 
'''Un peu d’apologétique.'''
 
Le Symbolisme. —Jamais expression d’art ne fut plus claire.
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D’André Beaunier :
 
« Il
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y a deux manières essentiellement en art, dont l’une consiste dans l’expression directe et dont l’autre procède par symboles. Un symbole est une image que l’on peut employer pour la représentation d’une idée, grâce à de secrètes condescendances dont on ne saurait rendre compte analytiquement.
 
« Il y a deux manières essentiellement en art, dont l’une consiste dans l’expression directe et dont l’autre procède par symboles. Un symbole est une image que l’on peut employer pour la représentation d’une idée, grâce à de secrètes condescendances dont on ne saurait rendre compte analytiquement.
« La valeur expressive du symbole est dans une certaine mesure mystérieuse... L’art est réaliste ou symboliste.
 
« La valeur expressive du symbole est dans une certaine mesure mystérieuse… L’art est réaliste ou symboliste.
 
(La Poésie Nouvelle).
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« Comment caractériser la conception que le Symbolisme se forme de la poésie ? Telle qu’il l’entend, la poésie a pour objet, non pas de reproduire avec précision des formes déterminées, mais d’évoquer « l’âme des choses ». En face d’un paysage, le Parnassien rendra par des termes aussi justes, aussi nets que possible, tout ce que perçoit son œil ; le Symboliste, découvrant sous les apparences sensibles ce qu’elles recèlent de latent, traduira la « correspondance » de ce paysage avec son âme, car l’âme des choses, à vrai dire, c’est l’âme même du poète.
 
... « Pour être un poète symboliste, il n’est pas nécessaire de faire proprement ce qu’on appelle des symboles ; il suffit d’exprimer les secrètes affinités des choses avec notre âme. Mais une poésie qui a ces affinités pour objet sera le plus souvent symbolique ; car, dès que nous les suivons avec quelque teneur, elles revêtent la forme du symbole. Qu’est-ce donc que le symbole ? Distinguons-le de la comparaison et de l’allégorie. Tandis que la comparaison considère deux termes en les maintenant éloignés l’un de l’autre, le symbole associe ces deux termes intimement, ou, pour mieux dire, les confond. Quant à l’allégorie, elle se rapproche beaucoup moins du symbole que de la comparaison même. A une idée déjà conçue par l’esprit en
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dehors de toute forme sensible, elle superpose une image tirée du monde extérieur ; elle n’est guère qu’une comparaison qui se prolonge. Le symbole est tout autre chose. Le symbole a pour caractère essentiel d’éclore spontanément, sans réflexion, sans analyse, dans une âme simple qui ne distingue même pas entre les apparences matérielles et leur signification idéale. A vrai dire, les poètes n’ont guère plus, de nos jours, cette simplicité d’âme. Mais ils s’efforcent de revenir à la candeur primitive. Ils réagissent par là contre la poésie critique et analytique des Parnassiens, contre leur philosophie, plus ou moins consciente, qui est le positivisme. Enfin le symbole, beaucoup moins précis que l’allégorie, est aussi beaucoup plus complexe ; les similitudes qu’il exprime, étant peu rigoureuses, peuvent s’étendre à plus d’objets unis ensemble et fondre plus de significations diverses. (VEvolution de la poésie dans ce dernier quart de siècle. — Revue des Revues, 15 mars 1901).
 
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4° Le symbolisme et l’impressionnisme semblent, d’abord, être des
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doctrines contraires : le premier visant l’objectivité, le second s’avouant subjectif. Mais cette contrariété n’est qu’apparente, l’impression la plus aiguë, la plus sincère étant la plus générale et la plus vraie, (La Fronde, 26 mai 1901).
 
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Certes qu’on aurait le droit de s’en lasser ! Outre nos défenses au jourlejouren d’incessantes revues de batailles, il n’a pas paru moins de dix ouvrages de critique générale qui offraient toutes les réponses possibles. Après La Littérature de tout à l’heure de Charles Morice parue en 1889, l’année 1891 nous donne le Traité du Narcisse (Théorie du Symbole) d’André Gide ; 1893, L’Idéalisme de Remy de Gourmont ; 1894, les excellents Propos de littérature d’Albert Mockel ; 1895, La Poésie populaire et le lyrisme sentimental (dans la revue La Société nouvelle, paru en librairie en 1899) ; 1896, Le /" Livre des Masques de Remy de Gourmont ; 1897, La Poésie contemporaine, de Vigié-Lecocq ; 1898, Le IIe Livre des Masques ; 1901, Le Tourment de tunité, d’Adrien Mithouard ; 1902, La Poésie nouvelle, d’André Beaunier. Puis, seuls entre tous dans les revues de poids, sans les acidités de MM. Anatole France et Jules Lemaître, M. Brunetière, par ses études
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loyales à la Revue des Deux-Monde et M. Georges Pellissier, en divers recueils avaient éclairci le nécessaire.. Mais M. Brunetière, le 31 mai 1893, dans une leçon spéciale à la Sorbonne, sur le symbolisme, avait eu beau dire :
 
« ... Ne voyons-nous pas poindre la signification de ce mot de symbole » dont on se moquait si fort, avec moins d’esprit que d’envie d’en avoir, il y a huit ou dix ans, dans un certain monde et dans certains journaux ? Les journaux et le monde, je ne vous l’apprends point, sont admirables pour parler de ce qu’ils ignorent ; et l’ironie n’est trop souvent qu’une forme de l’inintelligence. » (L’Evolution de la poésie lyrique, t. II, p. 248).
 
On n’en vient pas moins de goûter contre le symbolisme, douze ans après ces paroles, toutes les « formes de l’inintelligence », et quelles formes !
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Reprenons donc les clichés les moins épais :
 
Cliché I. —Les symbolistes n’ont rien inventé ; ils n’ont inventé que...que… la poésie. N’est-ce pas beaucoup ? L’humanité a-t-elle attendu leurs prétentions pour la connaître ? Qu’ils affectionnent une certaine manière de présenter des images, on le leur concède. Encore est-elle de tous les temps I et M. Jules Lemaître, à propos d’un vers de Maynard, croyonsnous, l’a joliment déduit.
 
Réponse. — Le début d’une invention est presque toujours une réinveniion. Nous ne demandons pas mieux que de nous rattacher au passé avec lequel on a voulu, d’autre part, que nous rompions non sans brusquerie...brusquerie… (Ne faudrait-il choisir ?) Eh oui ! le symbolisme a des racines profondes dans tout ce que la poésie de tous les siècles a conçu de poésie vraie. Il se
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rattache très bien, par exemple, à cette strophe de Tristan l’Hermite dans Le Promenoir des deux amants :
 
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Réponse, — On sait de reste que cet en deçà des choses est
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l’opposé du par delà symboliste, et que pour éterniser la vie, ils l’arrêtent là où nous la prolongeons. Le document, fût-il métaphorique, n’est pas plus de la poésie que le discours. La question est, si en effet toutes les formes mêlent sur quelques points l’ « éloquence », la « philosophie » et l’ « anecdote », qu’aucune de ces expressions, chacune ou tour à tour, ne les régisse en mode dominateur. Il faut en somme que le poème soit construit autrement qu’une harangue, une dissertation ou un récit. Or, jusqu’aux symbolistes, Il Ne L’avait Jamais été. Quelques vers, quelques strophes échappaient seuls au prosaïsme de la composition sous le poétique de la conception ; — des détails, pas un ensemble. Les poètes n’avaient jamais obéi que momentanément et inconsciemment à leur mode : l’idée lyrique, c’est-à-dire à cette fusion parfaite de l’idée et de l’image, qui sans dissociation possible, sans développement extérieur à la synthèse de l’unité première, devrait être le seul élément générateur du poème, et qui commande un ordre spontané dont le caractère suffit pour que l’éloquence et autres expressions restent sous-jacentes. Les poètes entendaient peu cet ordre, parce que leur pensée même, absente ou trop nue, était insuffisamment lyrique de ce qu’elle n’avait pas été pénétrée de l’idéalisme symbolique, qui en donnant le « par delà » ne l’abstrait point des choses comme il ne restreint pas les choses de leur pouvoir spirituel.
 
Cliché III. — Vous ne vous êtes pas contentés de dégager le mode poétique, vous l’avez épuré par une idéalisation excessive ; les choses dont vous prétendez ne pas vous abstraire se sont évanouies par l’abus de signification que le symbolisme en tire. M. Maurice Barrés qui est, avec M. Paul Adam à l’autre bout du symbolisme, votre romancier, vous
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en avertit récemment dans son Voyage de Sparte. Il dit au « cheval ailé » sur l’Acro-Corinthe : « … Où veux-tu courir ? Hors de toutes limites ? C’est courir au délire. Tu cherches ton propre songe. Tu veux, dis-tu, toujours plus d’azur. Il n’y a pas d’azur, il n’y a que notre amitié. » Entendez bien : « Il n’y a que notre amitié… » Cependant vous la dédaignez, puisque votre art est un art de volonté mentale qui volatilise la vie qu’elle domine, la vie dont le sens quotidien nous tient le plus au cœur, source de la plus haute poésie et des plus prenantes émotions.
 
en avertit récemment dans son Voyage de Sparte. Il dit au « cheval ailé » sur l’Acro-Corinthe : « ... Où veux-tu courir ? Hors de toutes limites ? C’est courir au délire. Tu cherches ton propre songe. Tu veux, dis-tu, toujours plus d’azur. Il n’y a pas d’azur, il n’y a que notre amitié. » Entendez bien : « Il n’y a que notre amitié... » Cependant vous la dédaignez, puisque votre art est un art de volonté mentale qui volatilise la vie qu’elle domine, la vie dont le sens quotidien nous tient le plus au cœur, source de la plus haute poésie et des plus prenantes émotions.
 
Réponse. — Cela serait vrai si le symbolisme n’avait d’autre objet que d’ « incarner l’idée », que d’exprimer un idéalisme transcendant, que d’être, suivant le mot de M. Brunetière, « une métaphysique manifestée par des images ». Mais cet idéalisme volontaire est comme trempé chez nous par ce que j’appellerai le sensibilisme mystique, le sens de ce mystère quotidien qui compose la vie même et dont tant de nos vers sont émus.
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La volupté des soirs et les biens du mystère. Puis admettons vos négations ;— le symbolisme est formé
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de deux affluents : cet « idéalisme constructif » qui lui vient de Stéphane Mallarmé et la source instinctive de Paul Verlaine qui lui donna le réalisme sentimental. Ces eaux de nature adverse sont mêlées dans le même fleuve, elles ne peuvent se désunir, pas plus que les poètes ne les distinguaient jadis dans leurs bons jours. La même pièce de Tristan l’Hermite dont plus haut nous tirions une strophe, nous offre cette autre :
 
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Réponse. — Vous voulez dire que l’accent personnel doit se soumettre à la vérité, que les poètes ne se conçoivent plus que sincères, et que pour la profondeur même de leur émotion leur exaltation vers la beauté ne doit point déformer la nature, sentie, embrassée pour elle-même. Or un jeune écrivain vient de prouver dans un remarquable Essai sur le symbolisme que les symbolistes étaient les seuls poètes vrais, parce
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qu’ils savaient non seulement se soumettre aux choses, mais s y « incorporer ». S’appuyant sur une théorie de M.Bergson, M. Tancrède de Visan constate que des deux manières de connaître l’obj.et : l’une qui consiste « à tourner autour », l’autre « à entrer en lui », la première « analytique » n’atteint que le relatif, la seconde « intuitive » touche à t’absolu, parce que en effet « le monde, en plus de sa réalité propre, est le produit de nos sens et aussi de notre intelligence ». — Ainsi, dirons-nous, en traduisant esthétiquement, de même que notre idéalisme symbolique est vivifié par notre sensibilisme mystique, notre réalisme sentimental est enrichi par un sensibilisme naturien qui ne laisse perdre aucune des soumissions les plus abandonnées, mais avec cet immense progrès sur celles du passé et du présent négatif que « l’idéalisme symbolique » initial les situe — identifiant notre moi aux choses — dans la vraie vérité.
 
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Il ne faut pas oublier que Lamartine, qui se connaissait mal, écrivait : « La poésie est de la raison chantée » ; et hier encore M. Faguet n’attendait de nous qu’un grand poème platonicien, — à la fois trop et trop peu. Que voilà un rêve d’abstracteur ! Nous retrouvons cette marotte de la connaissance chez tous ceux en qui l’art n’a jamais réellement habité, qui ne veulent pas que le poète, comme tout artiste, soit celui qui pense par les sens. Rien ne peut être étranger au poète, si toutefois le magasin de sa raison reste, dans l’instant qui le
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soulève, attaché comme un banc de coquilles obscures au fond des eaux ingénues de son âme.
 
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Non seulement cette influence « fut heureuse », mais, nous l’avons indiqué dans la première partie de cette étude, elle fut, elle reste considérable. Il suffit pour s’en rendre compte d’ouvrir n’importe quel livre de vers paru depuis quinze ans et de feuilleter non moins au hasard un volume
 
 
de la période précédente ;
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de la période précédente ; chez le poète le plus vieillottement classique, romantique ou parnassien, on aperçoit vite que l’air a été renouvelé par quelques « pages » de Mallarmé, quelques plaintes de Verlaine, quelques « lignes inégales », de Laforgue, par la sensibilité pittoresque ou pénétrante de Gustave Kahn, de Verhaeren, de Maeterlinck, de Henri de Régnier et de Vielé-Griffin, — pour nommer les plus évidents.
 
Cette influence ne fut pas restreinte à l’art particulier de la poésie. Si elle imprégna profondément les autres arts, le théâtre et toute la littérature, c’est que les poètes, à coups de petites revues craintes et bafouées, opposèrent peu à peu victorieusement à la doctrine courte du naturalisme la doctrine autrement forte et autrement vaste de leur « idéoréalisme ». La lutte fut prodigieuse entre ces deux pôles : l’Académie française, patronne alors des résultats périmés, et la future Académie des Goncourt, par son fondateur (ne l’oublions pas) proscrite d’avance aux poètes.
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Le symbolisme conserve la gloire d’avoir repris et de soutenir la force ascendante de la poésie pure dans l’intimité des âmes.
 
Son expansion hors des frontières témoigne de toute l’étendue de son influence. Elle est si indéniable que nos critiques trouvèrent le moyen de découvrir et d’admirer chez des étrangers ce qu’ils se refusaient à voir ou dénigraient systématiquement chez nous, les inspirateurs, en même temps qu’au nom des saines traditions, les œuvres inspiratrices étaient condamnées comme antifrançaises !... Si de toute la poésie de ces vingt dernières années, les étrangers, en dépit des Mendès, Deschamps, Dorchain et consorts, retiennent de préférence les œuvres symbolistes, c’est qu’elles sont les plus significatives,
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les plus vivantes, au sens foncier du mot, non par des gestes extérieurs, mais par leur force de vie lyrique indépendante et fraîche.
 
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Cependant Victor Hugo écrivait quatre jours plus tard, le 11 mars, dans sa préface :
 
« ... Le public des livres est bien différent du public des spectacles, et l’on pouvait craindre de voir le second repousser ce que le premier avait accepté. Il n’en a rien été(IH). Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n’a pas été moins complètement adopté par cette immense foule ( !), avide des pures émotions d’art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. »
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La courageuse entreprise de l’Œuvre produisit, avec les drames de Maeterlinck, de très belles choses comme l’Image de Maurice Beaubourg et le Roi Candaule d’André Gide, qui en ce moment même est sur le point d’être joué dans toute l’Europe ; et nous devons à M. Lugné Poë la plus grande reconnaissance pour sa vaillance à défendre le drame symboliste.
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Mais ce n’est pas amoindrir notre gratitude que de déplorer la faiblesse de ses moyens d’action et de ne pouvoir comparer les rires de l’Œuvre avec les « rares vacarmes » officiels et répétés qui, à la Comédie-Française, travestirent Hernani en triomphe retentissant.
 
Toutefois nos contacts avec le « grand public », sous leurs diverses formes, furent beaucoup plus heureux qu’on ne se l’imagine d’habitude. Chaque fois que la presse ne s’interposa pas entre le public et nous, ils réussirent. Les poèmes les plus indépendants furent souvent les plus applaudis aux Samedis populaires de l’Odéon, et les chants alternés d’Henri de Régnier et de Francis Vielé-Griffin, pendant une année, en pleine feuille quotidienne, à l’Echo de Paris, eurent un autre succès que les rimes clownesques de Banville ou de M. Mendès qui les précédèrent.
 
Ces occasions ne furent pas fréquentes ; les journaux ni les revues n’abdiquaient leur hostilité, tandis que les romantiques n’eurent pas seulement tout de suite les théâtres, mais les grosses revues. Prenons celles d’aujourd’hui, la Revue des Deux-Mondes, Le Correspondant, la Revue de Paris, toutes les trois s’occupèrent des symbolistes et les traitèrent, dans leurs meilleurs jours, on sait comment. Jamais leurs lecteurs ne furent à même de juger un exemple des œuvres critiquées ! ils ne connurent jamais du symbolisme que des négations ! Ni par des articles théoriques, ni par des poèmes, il ne put se mettre librement sous leurs yeux. Rien ne fut accepté que les poésies dépouillées de tout caractère nouveau...nouveau…
 
De deux choses l’une : ou nos œuvres ne valaient point qu’on s’en occupât, et alors pourquoi les critiquer ? ou elles
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méritaient l’attention, et ces revues ne devaient séparer l’œuvre de sa critique. La Revue des Deux-Mondes elle-même l’avait observé dans la période du romantisme, quand Gustave Planche grillait à petit feu ses écrivains, tous collaborateurs de la revue. Il est vrai lorsqu’une œuvre est connue de tous, qu’il n’est pas nécessaire, pour l’examiner,de la produire ; étaitce le cas des symbolistes ? Les deux études plutôt sympathiques de M. Brunetière concluaient à l’attente des œuvres ; ces dernières parurent nombreuses, la troisième étude ne vint point…
 
méritaient l’attention, et ces revues ne devaient séparer l’œuvre de sa critique. La Revue des Deux-Mondes elle-même l’avait observé dans la période du romantisme, quand Gustave Planche grillait à petit feu ses écrivains, tous collaborateurs de la revue. Il est vrai lorsqu’une œuvre est connue de tous, qu’il n’est pas nécessaire, pour l’examiner,de la produire ; étaitce le cas des symbolistes ? Les deux études plutôt sympathiques de M. Brunetière concluaient à l’attente des œuvres ; ces dernières parurent nombreuses, la troisième étude ne vint point...
 
Ce n’est pas tout : romantiques et parnassiens étaient énergiquement soutenus par des éditeurs compréhensifs ; la trahison constante des nôtres par mollesse ou inintelligence est légendaire. Ils gâchèrent, enfouirent ou corrompirent d’admirables forces venues à eux en tout abandon. Leur cervelle de lunatiques bouquinistes confondait le poème avec la curiosité bibliographique ; ou leur suffisance d’honnêtes petits comptables se croyait très entendue de capter toute poésie pour n’en faire qu’une belle devanture à leur magasin. Frappés de pyrrhonisme commercial ou hypnotisés par le soidisant « grand public », ils niaient et ne savaient point servir ce public d’unités, ce mystérieux, mais intense public de l’œuvre d’art. Les symbolistes s’aperçoivent trop tard, s’ils s’en aperçoivent, qu’ils jouèrent le rôle des têtes de cire dans la montre des coiffeurs.
 
Par quel phénomène, malgré une obstruction, unique, je
 
crois, dans l’histoire de notre littérature, des œuvres à petit
nombre d’exemplaires et la seule foi des poètes déterminèrent-elles donc tant d’influence ? L’examen de ce problème fort instructif pour le jeune
 
t nombre d’exemplaires et la seule foi des poètes déterminèrent-elles donc tant d’influence ? L’examen de ce problème fort instructif pour le jeune
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homme pressé déborderait cette simple liquidation. Mais c’est un fait : l’influence du romantisme fut celle d’une source de montagne suisse à grand apparat de cascades et de torrents rocheux ; l’influence du symbolisme est celle d’une source de prairie, qui filtre sous l’herbe, à cet endroit touffue et plus brillante… On la distinguerait mal sans les petits miroirs d’eau que laisse dans le pré chacun de nos pas. Un peu plus de brume, le matin, signale sa nappe souterraine ; mais des fuites invisibles circulent ; plus loin un ruisselet sort on ne sait d’où, le fleuve qui enfle et gagne le monde…
 
homme pressé déborderait cette simple liquidation. Mais c’est un fait : l’influence du romantisme fut celle d’une source de montagne suisse à grand apparat de cascades et de torrents rocheux ; l’influence du symbolisme est celle d’une source de prairie, qui filtre sous l’herbe, à cet endroit touffue et plus brillante... On la distinguerait mal sans les petits miroirs d’eau que laisse dans le pré chacun de nos pas. Un peu plus de brume, le matin, signale sa nappe souterraine ; mais des fuites invisibles circulent ; plus loin un ruisselet sort on ne sait d’où, le fleuve qui enfle et gagne le monde...
 
La Technique. — Notre préoccupation de la technique, la recherche de formes nouvelles, particulièrement dans le mouvement du rythme et de la langue, fut un des principaux tremplins de l’incompréhension ou de la mauvaise foi. Et il aut bien le dire, l’incompréhension trouva quelque appui en nombre de symbolistes paresseux.
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Article unique. — Il n’y a pas de vers libre.
 
Bien mieux : il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais...jamais…
 
L’appellation « vers libre » ne peut avoir aucune signification, dans le sens nouveau comme dans l’ancien. Dans l’ancien, on sait qu’elle désigne une suite de vers de différentes longueurs. Mais chacun des vers ne gagne pas pour cela quelque liberté, et l’alexandrin reste ce qu’il serait sans ses voisins plus courts ou plus longs. Dans le sens nouveau, ou le vers perd sa figure distinctive s’il devient réellement « libre » pour n’être qu’une partie, résolue plus loin, du développement rythmique, et alors ce n’est plus un « vers » ; ou il garde sa netteté classique, et il ne peut être qualifié de « libre ». Les deux termes sont contradictoires.
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Cliché I. — Le vers libre, quoi qu’il fasse, quelque perfection qu’il atteigne, est condamné à l’avortement, parce qu’il se manifeste en dehors de toutes les conditions historiques où se soient jamais produites des modifications dans l’art des vers. Il ne tient aucun compte de la physionomie originelle et indépendante du vers qui, en admettant qu’il évolue, a, dans toutes les littératures, toujours évolué sur lui-même, sans perdre les deux ou trois caractères essentiels de sa structure. La condition première d’une forme d’art, surtout lorsqu’elle est attachée comme notre poétique à la naissance d’une langue, a des racines qu’il n’est au pouvoir d’aucun génie de brutalement couper. Ces racines sont d’autant plus fortes, longues et profondes que l’arbre a grandi et qu’il épanouit un plus vaste feuillage.
 
Réponse. — Nous pourrions aisément répondre qu’il n’est pas de conditions historiques qui ne doivent céder à la nécessité vitale de conditions physiologiques et scientifiques nouvelles, que l’œuvre
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que l’œuvre du xrxexixe siècle a été dans tous les ordres de l’esprit, dans les arts comme dans les sciences, de les substituer à des bases historiques trompeuses, et que justement la prétention du vers libre est de redonner à notre expression rythmique toute la force physiologique qu’une routine mauvaise lui a fait perdre. Mais nous n’avons pas besoin de cet argument péremptoire ; nous acceptons le terrain historique le plus limité.
 
i° Le vers libre dans ses rapports avec l’élément premier, la langue, en utilise vraiment la matière vivante, dans toute sa valeur de parole, conformément aux origines populaires de notre métrique, valeur qu’une syllabation graphique, depuis le XVIIe siècle, outrancière, dénaturait chaque jour davantage.
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4° Le droit pour le vers libre de dépasser la mesure de l’alexandrin est rigoureusemnt traditionnel comme celui de ne pas s’inquiéter si l’accent détermine des mesures impaires. Les vers les plus anciens de la poésie lyrique sont des vers de 15 et de 11 syllabes ; il y en a fréquemment de 13 ; l’on en
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trouve de 17. Et ils existent bien dans leur longueur sans qu’on puisse les croire une réunion de deux petits vers.
 
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Cliché II. — Si l’alexandrin, même sous sa seule forme
 
 
é
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piqueépique, a pris une place prépondérante, c’est que l’on a reconnu combien sa souplesse rendait inutile une variété de vers ou de combinaisons moins heureuses ; or, vous ne tendez qu’à le déformer qtiand vous ne le détruisez pas. Et vous, vous ne pouvez détruire l’alexandrin, fruit de l’expérience séculaire, instrument admirable parce que la science se trouve d’accord avec la tradition (12 : le plus grand commun diviseur ; 12 : limite du temps respiratoire ; 12 : dernière unité perceptible à la série ; etc..) pour qu’il constitue notre mètre par excellence ; des chefs-d’œuvre l’ont consacré.
 
Réponse. — Le vers libre n’a jamais voulu détruire et ne détruit pas l’alexandrin. Dès l’origine symboliste, aux temps confus où l’on ne parlait que de liberté, on soutenait l’usage de cette complète résolution rythmique. Le vers libre lui permet seulement de profiter de toutes ses ressources et de prendre toute sa force à une place choisie. —L’alexandrin classique est un « accord parfait », on ne compose pas des suites harmoniques avec des successions ininterrompues d’accords parfaits. Trop de plénitude arrête l’action ; loin de renforcer l’expression, elle l’appauvrit. De là, l’hostilité sans cesse renouvelée contre le vers de grands ou notables prosateurs, et non pas seulement des écrivains analystes fermés à la beauté verbale, mais des plus expressifs. La perfection racinienne ne seraitelle pas une faiblesse devant les centuples trésors d’un Pascal ou d’un Bossuet ? •
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Cliché III. — Que le vers libre garde par places l’alexandrin et n’en rejette que des suites trop uniformes, on ne doit pas en effet le contester, car il semble à beaucoup que le meilleur des vers libres est dans les alexandrins qui s’y emmêlent,
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Cela prouve sans doute que la cadence de ces derniers reste la seule bonne.
 
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Mais il peut souffrir d’une virtualité apparente qui n’est pas celle de l’art, qui est celle du public dans sa période de déchiffrement.
 
Cliché VI. — Cette période, il nous semble, se prolonge beaucoup...beaucoup… Ne demandez-vous pas à notre ouïe plus qu’elle ne peut supporter à la fois ? L’oreille comme tous les organes de l’homme prend des habitudes dont elle ne triomphe que lentement. Vous avez sans doute cent fois raison, mais c’est trop
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de quatre-vingt-dix-neuf ; il ne faut avoir raison qu’une fois, c’est la bonne. Voilà pourquoi les anciens poètes en sachant subir des lois mauvaises triomphaient tout de même : ils n’avaient raison que de loin en loin… Au surplus, la beauté poétique comme les autres est moins faite d’invention qui surprend notre goût que d’imitation qui le flatte.
 
de quatre-vingt-dix-neuf ; il ne faut avoir raison qu’une fois, c’est la bonne. Voilà pourquoi les anciens poètes en sachant subir des lois mauvaises triomphaient tout de même : ils n’avaient raison que de loin en loin... Au surplus, la beauté poétique comme les autres est moins faite d’invention qui surprend notre goût que d’imitation qui le flatte.
 
Réponse. — Comment pouvez-vous manifester pareille inquiétude, alors que vous avez pu assister, dans l’espace d’une seule génération, à des transformations aussi prodigieuses que celles du wagnérisme en musique et celle de l’impressionnisme français ou du préraphaélisme anglais en peinture ? et comment la poésie serait-elle moins fortunée ? Comment notre oreille assez déliée et notre œil assez fin pour saisir au bout de peu d’années tant de combinaisons nouvelles seraient-ils subitement privés de la faculté de lire et d’entendre le vers libre ? La seule chose qu’on peut dire, c’estque, si nos expériences publiques ont plutôt réussi, elles n’ont pas été assez fréquentes ; mais aucun argument ne peut être tiré contre nous d’une nouveauté d’invention qui est la condition même de toute beauté, parce qu’avec la part d’imitation qui demeure dans le vers libre comme dans les moyens les plus originaux, l’art est avant tout une conquête ininterrompue de l’esthétique sur le non-esthétique.
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Cliché VIL—Il ne suffit pas d’indiquer des « jeux d’accents, d’agglutinations et de timbres » pour parler de lois analogues à celles de la perspective, par exemple, dans la représentation picturale, ou de la proportion dans la sculpture, lois qui ont une force de « généralisation » et de « direction évidente » auxquelles vos « jeux » n’atteignent guère. — En réalité, de tout ce que les poètes symbolistes ont écrit sur le vers libre,
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il n’a jamais pu être extrait deux ou trois « principes généraux » sur lesquels vous vous accordiez tous. Dès lors, nous revenons au même point, nous retombons dans la virtualité ; et si les bons poètes sont parvenus à développer les « lois intérieures traditionnelles » dans le moule ancien même, à quoi bon le vers libre ?
 
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3° Un vers ou mètre n’a plus que fortuitement d’existence isolée ; il existe dans ses rapports avec ce qui le précède et le
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suit. Composé lui-même de groupes rythmiques, il n’est qu’unemaille d’une chaîne où tout se tient.
 
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Réponse. — M. Remy de Gourmont a été certainement distrait le jour où il a établi cette distinction avec tant de rigoureuse symétrie. Elle pourrait convenir — et encore ! — aux
 
 
langues
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langues qui supportent des vers mesurés, dont les mots ont des syllabes de quantité qui leur restent propres en se combinant avec d’autres, quelle que soit leur position dans le groupement grammatical. Mais dans ces langues mêmes, ce n’est le cas que des versifications d’origine savante ; toute versification d’origine populaire n’est pas mesurée, elle est accentuée, la française plus que toute autre. Or, l’accent rythmique populaire a toujours été déterminé, en vers comme en prose, par le « sens »,puis par des accords du « son » et du « sens », et par un choix instinctif entre ces accords ; il n’y a pas plus d’« indépendance » pour l’un que pour l’autre. Le sens n’a cessé de gouverner les vers français non seulement selon les préceptes de Boileau (car l’on pourrait prétendre, d’après eux, que si le sens doit s’accorder avec le rythme, il en dépend, qu’en réalité le rythme gouverne au contraire, si l’on peut dire que le sens règne), mais selon l’affranchissement même de Victor Hugo. Cet affranchissement est le triomphe définitif de la « phrase grammaticale ». « Nous voudrions un vers, dit le poète dans la préface de Cromwell, plus ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui l’embrouille. » C’était donc remplacer un compromis syntaxique qui gardait intacte la figure du vers par une liberté qui la défait.
 
L’on va nous avancer tout de suite que cette conquête de la phrase grammaticale en allongeant le vers ne le défait pas, qu’elle nous donne justement une de « ces beautés particulières » qui résultent de ses conflits avec le rythme, — et c’est ce que cette même phrase grammaticale en prose ne pourrait nous offrir. Eh bien, l’on se tromperait aussi fortement sur ce point que sur le reste.
 
Nous étonnerons sans doute, car les phénomènes rythmiques de ce
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de ce qu’on appelle la prose n’ont presque pas été étudiés, mais le « rejet » existe en prose comme en vers. Ce qui détermine le rejet est en effet, — outre V « enjambement » d’un mot sur la césure, d’un vers sur l’autre, ou la chute du sens après le sursaut de la rime, le brusque arrêt d’un rythme très court d’accents forts fermant un membre de phrase à rythme discontinu, comme dans cet exemple admirable de Pascal : « Le silence de ces espaces infinis m’effraie. »
 
Il n’y a pas dans tout Hugo d’ « enjambement » plus beau que celui-là. — Cependant le vers libre ne se contente pas d’utiliser ainsi plus rationnellement tels genresde « beautés », il ne se prive pas des manières anciennes, parce qu’il ne faut pas cesser de le redire : il ne supprime rien, absolument rien. Il ajoute, il ajuste, il affine. Il se contente de ne pas faire d’un accident, comme du rejet par exemple, une base prosodique indéfendable, contraire à la nature de notre versification comme de toute versification librement accentuée.
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Réponse. — Rien ne peut être objecté de moins sérieux. On peut toujours faire ce qu’on veut avec n’importe quoi et, en particulier, de deux petits nombres un plus grand. Dans tous les arts du mouvement, danse, musique, poésie, il est facile de constituer une grande figure de plusieurs petites détachées, et vice versa : il suffit de changer la direction initiale. Tout ce qui agit dans le temps est susceptible d’être à volonté unifié ou redoublé, ramassé ou distendu sans modification dans les éléments mêmes, si l’on substitue une direction à une autre. L’on sait qu’avec peu d’efforts un adagio devient une polka. La fortune du nombre douze, comme après lui du nombre huit, a grandi justement de sa faculté prédominante sur celle des autres nombres d’agglomérer, d’attirer inconsciemment pour sa formation les groupes inférieurs les plus divers. Aussi, par un retour naturel pour les besoins de l’expression fraîche, les progrès des arts du mouvement
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témoignent-ils aujourd’hui d’une lutte constante contre leur dangereuse facilité.
 
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Réponse. — Il faudrait d’abord prouver, dans le cas d’indépendance, que le vers libre ne se sert des éléments ni de l’un ni de l’autre ; ou que les éléments métriques et rythmiques du langage peuvent être d’une nature en prose et d’une autre
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en vers, ce qui n’est point, puisque vous prenez au hasard dans une page de prose des éléments versifiés et dans une page de vers des éléments prosés.
 
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Tels sont les principaux clichés qu’il importait, sans entrer dans les développements, de réduire comme il convenait. M. Sully-Prudhomme s’est plaint que, si l’on n’acceptait pas son Testament poétique, on n’ait pas pris la peine de lui répondre avec précision. On ne le fit point uniquement par déférence. CarM. Sully-Prudhomme ne cesse de prendre pour des lois absolues, en dehors de généralités acceptées de
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tous, des habitudes livresques, ou des routines de métier. M. Sully-Prudhomme est notre Saint-Saëns.
 
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6° On peut faire entrer dans une strophe des vers de mesures diverses, pourvu que la cadence générale de la strophe n’en souffre pas.
 
Voilà qui est parfait. Eh bien, cela n’est rien du tout, — en étant excellent...excellent… (Je ne discute pas les timidités irraisonnées de plusieurs paragraphes). C’est excellent, parce que maintenant la route est grande ouverte à la véritable composition du vers libre que certains vers libérés feront d’ici peu mieux comprendre ; cela n’est rien, parce que cela ne présente que tes facilités, et que nos libéristes les pratiquent bien comme telles. Lorsque Gœthe disait à Eckermann en 1831 : « Si j’étais assez jeune et assez osé, je violerais à dessein toutes les lois de fantaisie ;
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j’userais des allitérations, des assonances, des fausses rimes et de tout ce qui me semblerait commode… » ; il ne veut pas dire plus « facile », mais « commode » pour une plus large étendue d’expression.
 
j’userais des allitérations, des assonances, des fausses rimes et de tout ce qui me semblerait commode... » ; il ne veut pas dire plus « facile », mais « commode » pour une plus large étendue d’expression.
 
Or, si les réformes suivies depuis vingt ans n’eussent dû aboutir qu’à des moyens non pas plus expressifs, mais plus abandonnés, c’eût été vraiment s’agiter dans le vide. Le poète, pas plus qu’aucun artiste, n’a besoin de « facilités » ; les anciens vers sont tyranniques non pour leurs règles étroites, mais pour leurs règles arbitraires. Jamais un vrai poète ne sera ou n’a été gêné par quoi que ce soit ; et s’il commet des chevilles, c’est qu’il ne peut pas ne pas en commettre, et que les moyens d’art les plus indépendants ont leurs chevilles. M. FrancNohain a très bien démontré les chevilles du vers libre.
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Mais le « libéré » (qui, en tant, que « facilité » fut inventé par M. Jean Aicard, Othello, préface), a surtout ceci d’illogique, comme celui de Verlaine, qu’il retient entre les vieilles mailles un « vers libre » déjà implicitement contenu dans les rejets de Victor Hugo. Aussi va-t-il mettre à nu, très vite, les raisons profondes d’entière composition rythmique qui est appelée « vers libre ».
 
On s’apercevra qu’avec le « libéré » on obéit toujours à une syllabation mécanique et aux artifices pédants, aux « lois de fantaisie », de ces abominables « rhétoriqueurs » du xv° siècle, reprises dans un autre sens par les poétiqueurs du xvi« , qui sont les vrais patrons de la versification française. Ces rhétoriqueurs démarquèrent simplement les traités languedociens du xive siècle. Les pauvres poètes français n’y furent pour rien et se sont laissé faire, parce qu’il faut des circonstances bien spéciales pour que les poètes ne se contentent pas de l’insl’instrument
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qu’on leur impose. La poésie lyrique francaise ne suivit donc pas le développement naturel de ses origines, tel que l’alliance du vers rythmique latin et des rythmes de nos danses populaires l’avait préparé. En réalité, elle subit les martellements et les rivets métriques de la langue d’oc. Nos défenseurs de la vieille prosodie soutiennent avec de simples pédantismes de grammairiens les empiétements d’une versification étrangère !…
 
trument qu’on leur impose. La poésie lyrique francaise ne suivit donc pas le développement naturel de ses origines, tel que l’alliance du vers rythmique latin et des rythmes de nos danses populaires l’avait préparé. En réalité, elle subit les martellements et les rivets métriques de la langue d’oc. Nos défenseurs de la vieille prosodie soutiennent avec de simples pédantismes de grammairiens les empiétements d’une versification étrangère !...
 
M. André Beaunier n’eut donc pas tort de nouer étroitement au véritable vers libre le symbolisme. C’était reconnaître une double tradition : —au pointde vue poétique, dans son sentiment de tout ce qui fut du lyrisme véritable ; — au point de vue technique, dans sa recherche de nos rythmes naturels sous la raideur des faux mètres renaissants. Puis un art n’existe point sans une forme qui le porte, une forme réelle, vivante, qui ne soit pas un compromis. Cette forme progresse. « On ne peut considérer l’évolution du vers libre comme terminée, dit justement Gustave Kahn, mais seulement comme à ses débuts. » Les incertitudes de beaucoup et leur amour des compromis, qui ne permettent pas de profiter de toutes les ressources de la langue, prouvent en effet que, sur ce point spécial de la technique, il n’y eut pas plus de trois ou quatre symbolistes entièrement conscients. Et à part deux d’entre eux, ceux-là connurent Terreur de compter sur d’autres pour dégager de leurs œuvres les lois fondamentales, dédaignant toute action critique rigoureusement déduite pour quelques énonciations trop sommaires, quelques revendications inutiles ou quelques allusions élégantes et insuffisantes. On sait comment ils furent récompensés de leur discrétion.
 
Quoi qu’il en soit, un des grands honneurs des symbolissymbolistes
 
tes
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fut le scrupule technique de leur art, ce qui est pour les artisans probes le souci de la matière, non dans la voie superficielle d’une tradition académique, mais dans le sens profond d’une tradition organique.
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On aurait pu croire, en effet, que fût épuisée la vertu du mot « décadents ».
 
Cependant, à l’heure présente, petits sauvages provinciaux ou universitaires, se servent encore à notre adresse de cette épithète, et l’on se rappelle que certains écrivirent : « Ils avaient d’abord arboré le nom de décadents...décadents… » alors qu’ils savaient pertinemment le contraire.
 
« Les Poètes décadents », il est bon de ne pas l’oublier, sont nés d’une chronique de M. Paul Bourde dans Le Temps du 6 août 1885. Quelques jours après, Jean Moréas protestait dans Le XIXe Siècle pour défendre la poésie « soi-disant décadente » qui, afin de satisfaire « la manie de l’étiquetage, pourrait être appelée plus justement symboliste ».
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Le langage des fleurs et des choses muettes,
 
 
et des Correspondances
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et des Correspondances avec les deux strophes célèbres :
 
La Nature est un temple où de vivants piliers
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Il est vrai qu’un groupe fonda Le Décadent, petite revue due au courage fumeux d’un instituteur, Anatole Baju, mais dans les conditions suivantes :
 
« ... Enfin tout le monde se résigna et il fut convenu que le journal s’appellerait Le Décadent. — Ce titre, qui est un véritable contresens, nous était imposé. Voici pourquoi nous l’avons pris. — Depuis quelques temps les chroniqueurs parisiens désignaient ironiquement les écrivains de la nouvelle école du sobriquet de décadents. — Pour éviter les mauvais propos que ce mot peu privilégié pouvait faire naître à notre égard, nous avons préféré, pour en finir, le prendre pour drapeau. » (L’Ecole décadente, par Anatole Baju. — Vanier, éd., 1887).
 
« Décadent, on nous l’avait jetée comme une insulte cette épithète, disait Verlaine, je l’ai ramassée comme cri de guerre, mais elle ne signifiait rien de spécial...spécial… Décadent, au fond, ne voulait rien dire du tout. »(Enquête Huret, p. 70).
 
Ce drapeau de Gribouille ne fut guère suivi que de l’éditeur Vanier qui cherchait moins des œuvres que des curiosités de « bibliopole », bien que sans s’inquiéter du titre certains collaborèrent à la revue.
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Si de fâcheux accès de personnalisme morbide ont pu induire nos jeunes agités à se servir contre nous, en dépit de toute vérité, du terme « décadents », cela présente un certain intérêt psychologique. Que M. Gaston Deschamps continue à user de ce terme péjoratif, qu’il le porte même à l’étranger pour déprécier des œuvres françaises, cela n’est pas d’une importance extrême. Mais ce qui est déplorable, c’est que des romanistes, des linguistes et des philologues du plus haut mérite comme M. Alf. Jeanroy dans ses Origines de la Poésie lyrique en France au Moyen Age ou M. Brunot, dans son Histoire de la Langue française ou tout récemment M. Maurice Grammont, dans son étude Le Vers français, etc., amenés par leur habitude des textes et leur connaissance des évolutions organiques à reconnaître l’intérêt d’une partie de nos efforts, emploient toujours ce terme de « décadents ». Ce qui est déplorable, c’est que leur investigation si scrupuleuse pour le passé perd
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toute méthode scientifique dès qu’elle atteint nos œuvres et l’histoire de leur formation.
 
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On doit moins que sur le vers libre s’étendre sur cette question ; elle est presque vierge, et son examen obligerait à entrer
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dans des détails dont les éléments même exigeraient une longue étude. Les simples littéraires n’y comprirent goutte ; certains scientifiques y virent plus clair, linguistes ou autres. Tandis que nos normaliens journalistes s’esclaffaient sur des vers de Jules Laforgue comme ceux-ci :
 
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Mais notre effort pour que la langue rende à fond, alliée aux véritables rythmes émotionnels, tout le synthétisme physiologique de l’émoi poétique contribua moins que notre préoccupation du mystère à estampiller les symbolistes de l’épithète « décadents ». Et au nom de quoi ?au nom de la science ! alors que les problèmes psychiques sont de ceux que la science
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scrute de nos jours, sans trop de bonheur, avec le plus d’acuité. Qui donc eussent dû être les plus émus du mystère de tant d’incompréhensibles transmissions mentales et de tant de « correspondances » d’âmes, plus subtiles que celles des « parfums, des couleurs et des sons », si ce n’est les poètes ? Qui, sinon les poètes, doivent transposer dans leur art l’immense inconnu qui se mêle à toutes nos communications du sentiment ?Par cette conscience qu’ils prirent de l’indéterminé où se baignent tant de nos actes, il se fait que justement les symbolistes sont les seuls artistes en accord avec la conscience scientifique de notre époque qui ne précise plus ses limites. Loin de trop accorder au mystère, ils ne « plongèrent » pas assez loin.
 
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Cette conscience féconde du mystère, si elle peut s’accorder à la plus stricte croyance religieuse, ne se lie pas nécessairement au vulgaire mysticisme. Elle n’écarte point la nature,
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puisqu’elle l’agrandit. On n’en fit pas moins des symbolistes de simples religiosâtres, négateurs des beautés et des joies quotidiennes dont toutes leurs œuvres sont débordantes. Au surplus, le symbolisme n’accepta la servitude d’aucune doctrine. Chaque poète choisit l’armature morale ou philosophique qui lui convenait, la poésie, redisons-le toujours, n’étant pas dans cette armature. On ne cessa de l’affirmer : peine perdue ! tout symboliste était un mystique plus ou moins rosecroix, occultiste et déliquescent. M. GustaveKahn raconte à ce sujet dans ses Origines du Symbolisme, trop peu impersonnelles, une anecdote piquante : malgré une épigraphe de La Mettrie, le matérialiste pur, à un de ses livres de poèmes, des interviewers « conclurent que plein de mysticisme religieux, M. Kahn le prouvait en parant sa couverture d’une phrase de La Mettrie, éminemment religieuse et occultiste » l
 
Enfin les symbolistes étaient décadents, surtout parce qu’ils n’adoptaient pas les admirations de leurs aînés ou que des enthousiasmes communs n’avaient pas les mêmes causes...causes…
 
Les Maîtres. — Ces aînés ne furent pas contents. De ce que nous élisions nos maîtres en dehors de l’étiquette, la légende s’établit de notre irrespect d’apaches. Jusque sous la coupole, les discours en retentirent avec clichés usuels sur la décadence.
 
La vérité est que, malgré notre haute admiration pour certains, parnassiens et naturalistes nous étouffèrent d’injures dès nos premiers livres, ou se tinrent dans une méconnaissance systématique de nos efforts. Ayant eu à lutter contre les injustices les plus grossières, on fut obligé d’armer de petits
 
brûlots,
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brûlots, et il en a cuit à quelques-uns qui n’étaient ni des vrais poètes, ni des artistes. Mais notre pitié pour les maîtres de notre élection n’en fut que plus émue, si notre religion indépendante se gardait de la servilité ostentatoire où se complaît envers Hugo le culte mortuaire de M. Catulle Mendès.
 
Cette indépendance, cette volonté d’être nous-mêmes n’enlevait rien à notre vénération. « Effacement de rien qui ait été beau dans le passé », recommandait Stéphane Mallarmé. Et non seulement nous n’avons rien effacé, mais nous avons ressuscité les victimes des romantiques. C’est autant aux symbolistes qu’à M.Jules Lemaître que le culte de Racine doit d’avoir revécu. Nous pouvions dire comme André Chénier :
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Et nous inscrivions sur nos livres ces paroles de Victor Hugo : « Admirons les grands maîtres, ne les imitons pas.
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Faisons autrement. Si nous réussissons, tant mieux ; si nous échouons, qu’importe ? », paroles que nous interprétions ainsi : « Tout poète se réclame des morts, sachant toutefois que si, d’abord, il n’est lui-même, il ne sera pas. » (Ancœus.— Francis Vielé-Griffin, janvier 1888).
 
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Et nous avons vu (note de la page 104) que Théophile Gautier en reproduisant le passage l’accentuait de ses remarques sur la structure « rocailleuse » de notre alexandrin. Enfin, si les conseils précis de Théodore de Banville ne s’accordaient guère avec ses aspirations générales, il est impossible de ne pas reconnaître que les symbolistes obéirent mot pour mot à ses aspirations :
 
« Quoi ! n’est-ce pas assez d’être monté du vers de Mustapha et Zèangir au vers de la Légende des Siècles ? Non, ce n’est pas assez ; le vers français ne se traîne plus dans la boue, mais j’aurais voulu qu’il pût s’élever assez haut dans l’air libre pour ne plus rencontrer ni barrières ni obstacles pour ses ailes. J’aurais voulu que le poète. délivré de toutes les conventions empiriques, n’eût d’autre maître que son oreille délicate, subtilisée par les plus douces caresses de la musique. En un mot, j’aurais voulu substituer la Science, l’Inspiration, la Vie toujours renouvelée et variée à une Loi mécanique et immobile...immobile… »
 
Les défenseurs de la « Loi mécanique » se gardent bien de citer jamais cette page ainsi que la conclusion : « Osons proclamer la liberté complète...complète… » et « on périt toujours non pour avoir été trop hardi mais pour n’avoir pas été assez hardi. » Et au point de vue de la poésie, ils se gardent surtout de rappeler ceci :
 
« La poésie a pour but de faire passer des impressions dans l’âme du lecteur et de susciter des images dans son esprit. —. mais Non Pas En Décrivant ces impressions et ces images. C’est par un ordre de moyens beaucoup plus compliqués et mystérieux ». (Petit traité de Poésie française, p. 234. Biblioth. de VEcbo de la Sorbonne).
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AinsH’on est obligé de conclure que non seulement notre
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respect des maîtres ne peut être mis en doute, mais qu’on ne vit jamais une génération plus fidèle exécutrice des souhaits de son aînée…
 
respect des maîtres ne peut être mis en doute, mais qu’on ne vit jamais une génération plus fidèle exécutrice des souhaits de son aînée...
 
D’où vint donc l’acrimonie des maîtres et que Banville après avoir écrit : « Lorsque Hugo eut affranchi le vers, on devait droire qu’instruits à son exemple les poètes venus après lui voudraient être libres et ne relever que d’eux-mêmes », Banville nous traita, comme les autres, en fils dégénérés ? C’est que malgré cette liberté réclamée, les maîtres n’admettaient guère qu’on en profitât vraiment. Hugo devait rester tabou.
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« Ce salon était-il tendu de rouge, de bleu, de rose ou de vert ? Avait-il deux ou trois fenêtres, une ou deux portes ? Son ameublement était-il Henri IV, Louis XVI ou Empire ?Je l’ignore, n’ayant pu détacher mes regards d’une table ronde où était posé le Tombeau de
 
Théophile
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Théophile Gautier. Ni cette table, ni ce volume, ne m’intéressaient particulièrement. Mais à mon esprit chaviré il fallait quelque détail précis où il pût se raccrocher. Ce fut grâce à cette table secourable que je ne tombai pas en syncope. Peu à peu, cependant, je me remis et mon attention fut attirée par un magnifique chat qui rôdait autour de nous. Je le désignai du doigt à Quillard qui paraissait aussi pâle et décomposé que moi. Cependant il eut l’audace inouïe de s’emparer du chat, et d’une voix rauque il me demanda : « Stuart, as-tu sur toi des ciseaux ? » Ne supposant pas qu’il désirât émasculer le noble animal, je lui soufflai :« Non, mais pourquoi veux-tu des ciseaux ? » « Pour couper une touffe de poils au chat de Victor Hugo et la garder en souvenir ! »
 
« Je vous assure que je ne songeai pas à rire, d’autant moins que la panique me reprenait. J’entendais dans l’escalier des pas lourds qui descendaient. C’était Victor Hugo, sans aucun doute. Les pas se rapprochaient. Quillard suait d’émotion, mon cœur battait la chamade. Les pieds mystérieux touchaient à la porte, une main en tour nait le bouton. Nous sentions sur nos tempes le souffle de la petite mort. La porte s’ouvrit lentement, très lentement...lentement… C’était la servante qui venait nous dire que monsieur Victor Hugo n’était pas chez lui. O mensonge béni I Nous dégringolâmes quatre à quatre l’escalier, sansattendre Guillaumet, et nous courûmes boire un vulnéraire chez le marchand de vin du coin. » (La Plume, 15 déc. 1903).
 
Maintenant, qu’on rapproche ce récit de la page suivante de Théophile Gautier au lendemain d’Hernani :
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« Deux fois nous montâmes l’escalier lentement, lentement, comme si nos bottes eussent eu des semelles de plomb. L’haleine nous manquait ; nous entendions notre cœurbattre dans notre gorge et des moiteurs glacées nous baignaient les tempes. Arrivés devant la porte, au moment de tirer le cordon de la sonnette, pris d’une
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terreur folle, nous tournâmes les talons et nous descendîmes les degrés quatre à quatre, poursuivis par nos acolytes qui riaient aux éclats.
 
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« Voyez-vous, les jeunes sont trop injustes...injustes… Ils éreintent tous ceux qui atteignent à la gloire ( ?), même si le nouveau glorieux est des leurs ; nous n’étions pas ainsi : nous avons mieux aimé Coppée après le Passant qu’avant, et nous nous en faisions honneur. Les jeunes d’aujourd’hui n’exaltent que ceux qu’ils ne peuvent pas craindre...craindre… Ils ont exalté Mallarmé, parce qu’ils savaient bien que Mallarmé ne donnerait jamais l’œuvre retentissante...retentissante… Ils ont surfait Verlaine, qui n’était qu’un bon poète de second ordre, Desbordes-Valmore en pantalon ; et, quand ils ont vu que Verlaine allait devenir célèbre, ils ont commencé à chercher une autre gloire dans la pénombre ( ? ?). Voyez le cas de Maeterlinck, ils l’ont applaudi après Pelléas et Mêlisande ; ils le débinent depuis Monna Vanna »( ! ?) (La Presse, 26 mai 1903).
 
On eut beau répondre à M. Mendès de ne pas plus douter de notre sincérité dans notre admiration pour son camarade Verlaine et pour son ami Stéphane Mallarmé que nous ne doutions de son goût pour les chefs-d’œuvre de M. Coppée, un an après, il répétait :
 
« Revenons aux classifications d’il y a quinze ans : vous prenez Mallarmé pour un chef d’école ! Mais ses fameuses soirées du mardi, c’était un rendez-vous de thuriféraires assurés d’être un jour plus illustres que leur hôte ; ils adoraient le génie inconnu et qui devait le demeurer. Ils étaient heureux d’être les seuls à apprécier un Christophe Colomb qui ne découvrirait jamais l’Amérique. Ab l ces groupements des disciples extasiés ne vont point sans quelque bassesse...bassesse… César Franck et Dierx ont subi de bien décevantes génuflexions...génuflexions… » (Le Matin, 19 août 1904).
 
Que la honte de ces lignes demeure 1 Elle dévoile que le brillant auteur de Cyrano cul-de-jatte n’a aucune conscience de l’idéal sans lequel il n’est pas aujourd’hui pour nous
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d’art ni d’artistes ; et elle nous affirmera dans le choix de nos maîtres…
 
iJn maître n’est pas toujours celui qui entasse une œuvre énorme et sur ce piédestal devient l’homme des foules. Il n’est pas toujours non plus l’ouvrier de l’œuvre parfaite, celui qui jusqu’au bout réalise. Un maître, et parmi les plus grands, peut ne laisser qu’un livre incertain ; même pas un livre : un poème ; même pas : quelques pages, quelques vers. Quelques vers ? pas même… Le maître est celui dont la parole, dont une parole germe. Une seule parole peut être cette semence qui est la révélation.
d’art ni d’artistes ; et elle nous affirmera dans le choix de nos maîtres...
 
iJn maître n’est pas toujours celui qui entasse une œuvre énorme et sur ce piédestal devient l’homme des foules. Il n’est pas toujours non plus l’ouvrier de l’œuvre parfaite, celui qui jusqu’au bout réalise. Un maître, et parmi les plus grands, peut ne laisser qu’un livre incertain ; même pas un livre : un poème ; même pas : quelques pages, quelques vers. Quelques vers ? pas même... Le maître est celui dont la parole, dont une parole germe. Une seule parole peut être cette semence qui est la révélation.
 
Le maître est celui qui pous enseigne quelque chose qui n’existe pas encore, et dont la force d’enseignement sera d’autant plus féconde qu’elle restera indicatrice. Il est celui qui n’épuise point sa matière.
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Ce n’est pas que notre génération fut différente des autres. Toutes se ressemblent, toutes renferment le même nombre
 
d’égoïstes
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d’égoïstes roublards, d’indécis fuyants, d’ignorants tapageurs, de vaniteux puérils, d’orgueilleux ridicules, de sceptiques calculés, d’indolents vagues, d’envieux sournois, de cervelles creuses, de cœurs lâches, de volontés faibles, de casseurs d’assiettes et de cabotins. Mais suivant l’idéal de telle ou telle génération, idéal qui compose son atmosphère, chacun de ces mauvais éléments reste plus ou moins en devenir ou se manifeste sous une enveloppe plus ou moins laide ou flatteuse.
 
Cet idéal fut l’entier sacrifice de soi à l’élaboration de l’œuvre. Vingt ans de travaux en fournissent les preuves irrécusables.
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Exceptions rares ! le poète était resté le jongleur des vieux âges. C’était le double d’un acteur et simplement parfois la doublure. Il s’attelait à quelque œuvre non tant pour créer que pour se produire. L’œuvre était moins un but qu’un moyen, et le moyen d’un comédien. Le déploiement de politique de Hugo, de politique littéraire pour se jucher à tout bout de bras, confine aux procédés électoraux les plus honteux. Les lettres de Sainte-Beuve, publiées il y a un an, ont achevé de nous
 
éclairer. L’œuvre
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éclairer. L’œuvre d’art se ressent toujours du raccolage et du battage que lui prépare son auteur. Hugo devint le véritable créateur et le grand poète, après que l’orgueilleuse volonté de son exil, le rendant dédaigneux lui-même de sa vanité, il écouta tout son génie.
 
Les symbolistes eurent le sentiment très vif de la déchéance de l’œuvre par la préoccupation du public et du succès personnel.
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Certains en ont convenu, pour assimiler aussitôt cette période à celle des lyriques « grotesques » qui envahirent les cabarets et les ruelles au temps de Louis XIII et dé la Fronde. Tout d’abord, nous savons que parmi ces soi-disant « grotesques » il y eut des tempéraments admirables, des poètes entre les plus exquis de tous les siècles, comme Théophile de Viau et Tristan l’Hermite, même Guillaume Colletet. Mais la portée de leurs œuvres est médiocre comme celle des disciples de Ronsard en exceptant du Bellay ; et l’on doit se demander à quel degré de parti pris ou d’inconscience est descendue la critique pour oser comparer les vers de hasard des Cadet Angoulevent, Lingendes ou Expilly, des Sigognes, Saint-Pavin, Courval-Sonnet ou du sieur Honorât Laugier de Porchères, « intendant des plaisirs nocturnes » de la maison de Condé, des Sarrazin, Gombaud,
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Boisrobert ou Scudéry avec les Maeterlinck, Regnier, Kahn, Verhaeren, Vielé-Griffin, Moréas, Merrill, Fort, Jammes, pour ne citer que les plus féconds ou les plus faits de nos poètes. Comme importance d’oeuvre, comme aspiration, comme invention, comme âme, comme métier, quels rapports possibles avec les plumes frisées ou cassées de ces bretteurs et de ces buveurs ! O beauté des rapprochements universitaires !…
 
Boisrobert ou Scudéry avec les Maeterlinck, Regnier, Kahn, Verhaeren, Vielé-Griffin, Moréas, Merrill, Fort, Jammes, pour ne citer que les plus féconds ou les plus faits de nos poètes. Comme importance d’oeuvre, comme aspiration, comme invention, comme âme, comme métier, quels rapports possibles avec les plumes frisées ou cassées de ces bretteurs et de ces buveurs ! O beauté des rapprochements universitaires !...
 
Cette période de 1885 à 1905 est exactement correspondante à la période romantique de 1820 à 1840. Qu’on daigne donc comparer avec bonne foi l’ensemble — je ne parle point de la valeur particulière à chaque œuvre pour laquelle le temps est intervenu à l’actif comme au passif des romantiques — l’ensemble de la production poétique des deux périodes : on sera tout surpris et frappé que la plus féconde des deux, par la diversité comme par le nombre, est fort loin d’être celle qu’on pense. Il s’agit d’oeuvres poétiques pures, puisque c’est par le gros spectacle enfantin de son théâtre, comme nous l’avons vu, que le romantisme imposa son tapage plus que ses œuvres, et que, renouvelé un peu de comédie italienne à paillettes et grelots, on veut nous imposer encore. Hernani et NotreDame-de-Paris établirent seuls la fortune moins populaire que bruyante du romantisme, et cette fortune ne fut soutenue populairement que par les mélodrames de Frederick Lemaître et les romans de cape et d’épée du vieux Dumas. Cela est si vrai qu’en 1835, quinze ans après son premier vol lyrique (ses plus belles œuvres étaient à peine ou n’étaient pas écrites) on proclamait déjà le romantisme mort. Auguste Vacquerie le racontait en propres termes à M. Jules Huret :
 
« Quand
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je suis arrivé à Paris — c’est déjà loin, ajouta le poète en souriant, je vous parle de 1835 — c’était déjà la même chose I Hugo était passé de mode ! Je venais de Rouen, j’avais le vif désir de finir mes études dans la capitale ; mon père avait bien voulu, et m’avait accompagné pour me faire entrer à l’Institution Favart près Charlemagne, la pension à la mode. Bref, mon père au moment de la présentation dit au directeur :
« Quand je suis arrivé à Paris — c’est déjà loin, ajouta le poète en souriant, je vous parle de 1835 — c’était déjà la même chose I Hugo était passé de mode ! Je venais de Rouen, j’avais le vif désir de finir mes études dans la capitale ; mon père avait bien voulu, et m’avait accompagné pour me faire entrer à l’Institution Favart près Charlemagne, la pension à la mode. Bref, mon père au moment de la présentation dit au directeur :
 
« — Oui I mon fils désirait beaucoup venir à Paris, et il rêve ardemment de faire la connaissance de M. Victor Hugo, dont il est l’admirateur enthousiaste ! (Remarquez que nous sommes en 1835 I).
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(Enquête sur l’Evolution littéraire, p. 352X
 
Concordance et consolation : c’est en 1900, quinze ans après leurs premiers efforts que les symbolistes commencèrent d’être enterrés...enterrés…
 
La grande différence entre ces deux périodes, c’est que les romantiques travaillèrent en dehors, pour des effets de gestes, pour paraître, tandis que les symbolistes’ travaillèrent en dedans, pour la création même, pour être.
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Désintéressement personnel et croyance dans leur art, tels furent bien les deux leviers moraux des symbolistes. Ceux qui continuent à les appeler « fumistes », ne se douteront jamais de l’héroïsme qu’on déploya, et tel qui n’avait pas acheté son morceau de pain du soir donnait ses derniers cent sous pour fonder une revue où un art indépendant pût être célébré.
 
Mais ces poètes poussèrent l’originalité un peu loin : ces intimités tragiques ajoutées à l’hostilité savamment entretenue contre eux ne les entraînèrent pas un instant à jouer les Chatterton. Ils eurent l’audace d’être gais ! Gardant pour leurs poèmes leurs douleurs secrètes, ils se défendirent avec des traits aigus et bariolés, joyeusement peints d’inscriptions fantaisistes. On évitait hors des ouvrages sérieux, dans les périodiques, toute allure trop grave ; l’on redressait ainsi par-dessus le lyrisme, contre les lourds pavés du naturalisme et contre les tremolos du romantisme, les meilleures traditions de l’esprit français. On ne maudit paS le bourgeois, on se contenta de lui ménager des traquenards. Les « petites revues » furent ainsi pleines de notes et notules de pince-sans-rire qui, pour n’avoir pas le ton administratif ou universitaire, permirent à M. Gaston Deschamps, — en 1901 ! dix ans après les articles de M. Brunetière — de traiter devant les Américains le symbolisme de « décadentisme » et de « plaisanterie ». Beaucoup, en effet, se firent à notre égard plus bourgeois que nature...nature…
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— La gloire est l’amante mauvaise qui favorise toutes les lâchetés.
 
— Ne pense à personne : pas plus au peuple, ce mythe, qu’à l’avenir, ce mot ; ne pense surtout pas à tes amis...amis…
 
— L’idée de création, seule, est une force.
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— Reste derrière ton œuvre : tu n’es plus que son ombre.
 
Les Cadets. — Fidèles à
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ces principes moraux et à l’étendue de leurs principes intellectuels, les symbolistes accueillirent généreusement les débuts de leurs insulteurs, les Bôuhélier, Gregh et autres Magre. ,
Les Cadets. — Fidèles à ces principes moraux et à l’étendue de leurs principes intellectuels, les symbolistes accueillirent généreusement les débuts de leurs insulteurs, les Bôuhélier, Gregh et autres Magre. ,
 
Cependant les cadets ne semblaient avoir rien compris aux richesses esthétiques accumulées par notre génération et qu’il lui sera impossible d’épuiser. Ils ne se trouvaient plus comme nous devant ces deux impasses :le naturalisme et le parnassisme. Le symbolisme, de l’aveu même de ses détracteurs de bonne foi, avait désobstrué l’impasse étroite et le cul-de-sac boueux. De véritables routes s’ouvraient larges et libres, et multiples, vers les domaines infinis si longtemps perdus de la beauté. Chose inouïe ! on avait déterminé dans les lettres une atmosphère d’art. Envers et contre tout et tous, la poésie pure renaissait. Chose unique ! si la nature des domaines était exactement reconnue, l’indépendance restait entière pour chaque nouveau passant de s’y tracer le chemin de ses rêves. Les symbolistes ne demandaient pas, comme les parnassiens, des suiveurs dociles ; ils étendaient simplement, pour tous, les grands horizons.
 
Que firent les cadets ? ils rebouchèrent les voies, ils redressèrent contre l’azur les moellons obtus, ils refirent les impasses !...
 
On a pu juger combien leurs moyens candides furent désarmants. — La presse nous avait provoqués à des manifestes qui s’avançaient moins contre des gens que pour des choses, au milieu de la solitude où la poésie se traînait. Messieurs les cadets, en plein repeuplement lyrique, lancèrent des
 
■ ... - . -. I i. . . 1 . I ■ M —
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machines-programmes à sonnettes et à trompes qui forçaient à la lecture des noms en grosses lettres sur de simples véhicules-réclames. — Nous avions écrit, un peu trop souvent peutêtre, Beauté avec un grand B ; ils s’empressèrent d’inscrire Vie avec un V gigantesque. —« La majesté (et aussi l’intimité, l’ironie même) des souffrances humaines » nous inspirait, comme les poètes de tous les siècles ; plus de larmes ! cela existe-t-il ? et « dressons à bras tendus lajoiE », suivant l’image de Verhaeren sur nos bateleurs. — Vous souffrez ? c’est que vous êtes des malades, seule la « santé » est digne de l’art. — Des parnassiens oubliés comme Léon Dierx étaient-ils encore nos maîtres pour ces poèmes lointains comme Les Filaos, La Nuit de Juin et Soir d’Octobre ? C’était un autre maître d’impasse qu’il fallait à la poésie, toujours le même borné batteur d’enclume, le forgeron pour tableaux vivants, Zola !— Le souffle légendaire des admirables transpositions wagnériennes avait remué en nous les profondes sources poétiques originelles : sus à l’étranger ! instaurons la poésie nationale !—L’idée que nous avions de gémir sur la bassesse ou sur la puérilité du théâtre n’était-elle pas folle ? et l’idée de nous jeter sur Ibsen pour nous consoler, grotesque ? Le prouvèrent les cadets en s’inclinant devant le mirifique dramaturge Edmond Rostand et ses spectacles. En vain le Journal des Débats, au lendemain de Cyrano, leur démontrait-il que ce succès de Gascon était du même ordre, à rebours, et avait la même portée que le triomphe de la Lucrèce de Ponsard, en 1842, ou que les pièces en vers de « l’Ecole du bon sens » ? Allons donc :n’était-ce pas le succès ! Nos cadets furent pour le « bon sens ».
 
Ainsi rien n’était plus curieux que de voir chacun de leurs gestes correspondre en purs réflexes à chacun de nos actes.
 
Hélas !
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oui, des réflexes, pas autre chose...
 
Hélas ! oui, des réflexes, pas autre chose…
Ce n’est point que les plus flatteuses dédicaces de ces messieurs, les plus louangeuses lettres particulières à l’adresse des symbolistes ne composeraient avec les écrits publics en regard un édifiant et piquant recueil ; tout sera clair pour les chartistes de l’avenir...
 
Ce n’est point que les plus flatteuses dédicaces de ces messieurs, les plus louangeuses lettres particulières à l’adresse des symbolistes ne composeraient avec les écrits publics en regard un édifiant et piquant recueil ; tout sera clair pour les chartistes de l’avenir…
 
En attendant, ceux qui s’étonnent de voir des cadets si mal profiter de tant de ressources vierges pour piétiner sur place en des contorsions d’arrivistes, peuvent découvrir la raison foncière de cette attitude comme de leurs injures : nous cherchons la vraie poésie, ce qui est insupportable, au fond, à la majorité des poètes eux-mêmes, et pour y atteindre, l’on sait que nous substituons à l’empirisme plus commode un idéal ardu, à l’idéal ancien de gloire personnelle dominant l’œuvre, l’idéal nouveau d’abdication personnelle devant l’œuvre.
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De là, une alliance inconsciente à travers notre génération entre nos petits sauvages et les critiques journalistes ou professeurs. Par nous, l’idéal intéressé était en péril, celui qui ne s’inquiète pas de créer, c’est-à-dire de forcer l’humanité à approfondir et à étendre par ses découvertes le domaine de son existence, mais celui qui ne pense qu’à « plaire » dans le sens conformiste qui sous-entend la flatterie parce qu’elle
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favorise des habitudes. Toutes les injustices, toutes les insultes, toutes les obstructions furent bonnes pour soutenir cet idéal-là, ou les nécessités de la « gloire », concomitantes aux besoins du commerce. Bref, de quelque manière qu’on le prit, le symbolisme n’était pas un étrier, c’est pourquoi il manquait à tous ses devoirs envers la Vie, avec un grand V. Le jeune homme pressé était déçu ; le professeur d’arrivisme voyait diminuer son prestige…
 
favorise des habitudes. Toutes les injustices, toutes les insultes, toutes les obstructions furent bonnes pour soutenir cet idéal-là, ou les nécessités de la « gloire », concomitantes aux besoins du commerce. Bref, de quelque manière qu’on le prit, le symbolisme n’était pas un étrier, c’est pourquoi il manquait à tous ses devoirs envers la Vie, avec un grand V. Le jeune homme pressé était déçu ; le professeur d’arrivisme voyait diminuer son prestige...
 
Telle est la raison foncière, la raison psychologique qui explique des ententes si bizarres pour une hostilité si continue, sans cela inexplicable. Haro sur Pégase, dirent nos gens, la dangereuse monture qui n’a pas une bonne selle pratique, qui a, pour moins de sûreté encore, — des ailes !
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Oui, plus les braillards s’agitent, plus une jeunesse constate qu’il a suffi aux symbolistes d’abattre quelques pans de murs pour que des horizons libres et infinis se découvrent. Elle constate que ceux qui ont compris avec enthousiasme
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leurs aînés immédiats comme les André Gide, Paul Fort, Francis Jammes, etc., ont fait œuvre profondément originale, tandis que les contempteurs Bouhélier, Gregh et autres Magre s’embourbent dans tous les recommencements, les ressassements, dans tous les fonds des vieilles impasses. Elle constate que pour avoir voulu réagir contre notre volonté d’art, que pour avoir voulu faire du lyrisme sans les bases primordiales, enfin entièrement dégagées par nous, de la poésie, on retombait dans tous les poncifs. — Ainsi des bouillants potages romantiques aux ressucées des fruits confits classiques, rien n’était changé au banquet des infortunés convives. — Elle en conclut que les larges principes symbolistes ont une force créatrice incomparable, que leur vitalité est le signe certain de leurs puissantes racines dans le passé comme de leur accord avec les besoins esthétiques du présent, et elle laisse à nos crieurs de la place publique, avec leurs faux gestes de « vie », de « joie », leurs hypocrites prospectus de soidisant « poésie nationale ».
 
Les Nationalités. — On se rappelle que le jeu des nationalités fut un des favoris de nos massacreurs. Les joueurs de boules qui, en littérature, se nomment « critiques » ne s’en privent jamais. Dès qu’ils aperçoivent la moindre petite ligne inégale ou qu’une image apporte quelque brume en leur esprit, ils tâchent de se distraire ; la partie commence, ils lancent le « cochonnet ». M. Auguste Dorchain, connu pour son amour des petites traditions qui sans doute lui vaudra bientôt le poste du regretté M. Pingard, s’est chargé plus particulièrement, depuis quelque temps, de cet office : il dénonce l’étranger. Cependant les poètes symbolistes n’ont pas eu encore
 
l’heureuse
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l’heureuse fortune de s’appeler Waddington pour représenter la France en Angleterre. Mais il s’est fait que le hasard a gratifié le nom de plusieurs d’entre eux de consonnances plus ou moins exotiques, bien qu’ils fussent ou de pure famille française ou de mère française et tous d’éducation entièrement, profondément française. II faut ajouter que le symbolisme étant, par certains côtés, un réveil de la vraie littérature française des provinces du Nord contre la déplorable mainmise méridionale, il a eu une grande influence sur tous les pays nordistes de langue française ou autres, d’où un certain nombre de noms flamands, et parmi les plus glorieux.
 
L’extraordinaire dans l’abaissement est que les parnassiens n’abandonnèrent pas aux universitaires des arguments contre nous aussi misérables. Jamais groupement ne présenta en effet plus d’exotiques, et il va sans dire que c’est M. Catulle Mendès, Bordelais d’origine juive portugaise, qui saisit tous les prétextes pour marquer du caractère étranger — l’on a vu avec quelle absurdité, quelle fausseté et quelle perfidie ! — nos réformes les plus légitimes.
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Puisque nos pseudo-traditionnels veulent nous mener sur ce terrain, qu’ils veulent bien nous suivre, que M. »Auguste Dorchain daigne suspendre le lancement de son petit « cochonnet » pour découvrir les meilleurs buts. Il y a de quoi être embarrassé : quel est le Français : Gregh, l’humaniste, benjamin de l’Académie, ou Kahn, symboliste, le réprouvé ? Mme de Noailles, pour avoir emprunté un nom de France, perdrait-elle les droits de sa naissance levantine ? Nous pourrions peut-être accuser ses origines étrangères de sa timidité à profiter de nos évolutions et de toutes les ressources de nos moyens. Constatons que nos récentes poétesses, tant louées pour leur talent si national, sont roumaines, courageusement, quand elles ne sont pas anglo-saxonnes sous un masque moyen-âgeux...âgeux…
 
Que M. Dorchain-Pingard en prenne son parti, et aussi le juif portugais Mendès, ces exotismes sont dans la tradition française. A chaque renouveau, notre poésie a repris force par la greffe d’une bouture exotique sur le plant populaire. Par leur naissance, leur origine ou leur culture, nos poètes auraient toujours été des étrangers, si la langue, qui est le premier ciment de l’âme nationale, n’avait fait de leurs œuvres les assises de la patrie. Dès le moyen âge, notre poésie doit aux Provençaux, alors plus qu’aujourd’hui des « métèques » un nouveau jaillissement lyrique. N’a-t-on pas assez rappelé que la floraison de la Pléiade épanouit toutes les semences de l’Italie et de la Grèce ? Quant à notre xvme siècle, il n’a commencé de naître à la poésie que par deux poètes de l’île Bourbon, le chevalier de Bertin et le chevalier de Parny (inspirateur de Lamartine) avant le demi-Grec André Chénier...Chénier… Songez, M. Mendès, que sans les petits Espagnols qui maltraitèrent Victor Hugo au collège de Madrid, votre orientalisme
 
méridional
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méridional n’eût jamais pu se draper dans toute la défroque du théâtr# romantique !
 
Chose curieuse : ce qui est vrai pour la poésie française l’est pour la poésie de toutes les littératures occidentales ; on ne l’a pas assez vu.
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Les contemporains en avaient conscience. Voltaire qui, pour cause, se plaignait de la « sécheresse de notre langue », écrivait :
 
« Oserai-je le dire ?... de toutes les nations polies la nôtre est la moins poétique. v (Essai sur le poème épique, chap. IX).
 
Théophile Gautier confirme :
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« Tout c« qui est poésie et lyrisme répugne naturellement au public français, le public le plus indolent et le moins attentif qui soit. La poésie ne se comprend pas au premier coup ; il faut être dans un état d’âme particulier pour en bien percevoir les beautés, et le Français veut comprendre au premier coup et même sans avoir écouté. Tout ce qui est sur un ton un peu élevé, tout ce qui palpite et bat des ailes lui est parcela même suspect ; ilest travaillé de la peur
 
 
d’être
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d’être ridicule en admirant une chose neuve ; il lui faut une clarté de verre, une limpidité d’eau filtrée, une exactitude géométrique, une grande sobriété d’ornements, car le moindre détail le distrait du fond. — Le Français n’est ni poétique, ni plastique...plastique… » {Les Grotesques, p. 261).
 
Afin de remédier, par périodes correspondantes, à ces déplorables états d’esprit, on ouvrit toutes grandes sur le monde les fenêtres des frontières ; l’air fut renouvelé et, avec la poésie, entra du large. Et la poésie nouvelle gardait du réalisme national ce qu’il en fallait. — Nos pauvres négatifs oublient simplement qu’aux grandes époques, surtout au xvne siècle (pour lequel la langue, plus que pour aucun autre, créait la patrie), notre littérature fut toujours européenne alors qu’elle était la plus nationale, et européenne autant par importation des matières premières que par exportation des produits nouveaux.
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Mais quand on compare cette influence chez les romantiques et chez les symbolistes, on remarque en faveur de ces derniers une nuance considérable : les romantiques s’inspiraient directement des œuvres anglaises et allemandes. Lamartine continuait Byron dans « le dernier chant » de ChildHarold, Musset transcrivait Don Juan dans Mardoche ou Namouna,Gautier dans Albertus ; Shakespeare et Goethe pastichés, découpés, pillés, traduits et retraduits, voyaient tous leurs héros, et dans leur extériorité de physique et de costume, devenir les héros mêmes des romantiques. Rien de semblable chez les symbolistes. Ceux-ci n’ont cherché qu’une
 
 
atmosphère
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atmosphère dans les influences de Wagner et des préraphaïlites, seules dominantes, et que plusieurs, la plupart même, subirent de fort loin. Cependant à travers ces légendes et ces mythes wagnériens, on retrouvait tous les fonds de la vieille imagination française.
 
Ainsi savourons les faits :
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Le mauvais clerc est celui qui, incapable de se trouver luimême, s’efforce à déclasser les autres. C’est un grand brouilleur de dossiers. Il passe sa vie dans les ratures.
 
Voici déjà plusieurs années que M. Camille Mauclair ne veut plus faire mentir son nom. On a vu qu’il fut un de nos premiers fossoyeurs, il y a plus de cinq ans déjà. Mais sa dernière pelletée est monstrueuse. Informe et lourde, on aurait tort d’attendre que les pluies de saison la délaient, de s’en aller en sifflotant. Nous avons trop usé du dédain, arme de fierté, mais aussi de paresse. Qu’on m’excuse : c’est de l’ingrate besogne, évidemment, fort inutile pour nous qui savons ; seuIementseulement,
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il importe que le public sache que leurs légendes finissent :j’ouvrirai la motte d’un coup de bêche.
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Cela s’appelait, le 15 janvier 1905, dans La Revue : La réaction nationaliste en Art et l’ignorance de l’homme de lettres. Dans une lettre postérieure (Les Essais, avril), M. Mauclair s’est défendu d’avoir « injurié » notre génération. Il y a plusieurs sortes d’injures, et les plus graves ne sont pas les moins vagues. Qu’on se reporte à mes citations premières : si une pareille violence de confusions à l’égard des symbolistes, si ces constatations d’ « avortement », de « stérilité », d’un « art imprécis, involontaire, amoral » ne sont pas dans l’ordre intellectuel injurieuses devant les œuvres qui n’ont cessé de paraître, que faudrait-il ? Cependant, l’édition nouvelle et augmentée de ces injures ne les atténua pas, au contraire elle n’a pu surprendre que les ignorants des anciennes, c’est une suite logique.
 
Ce qui n’est pas logique est le rôle qu’au départ de son article M. Mauclair s’attribue. Il espérait sans doute qu’on aurait oublié ses travaux passés de fossoyeur, et il nous parle de ses services ! Certes, il n’a pas perdu une occasion de s’occuper des uns et des autres ; à propos de tout et de tous, il a grossoyé, grossoyé, grossoyé...grossoyé… pour aboutir aux conclusions de son Symbolisme en France et aux pages en pendant du Soleil des Morts ! M. Mauclair n’a rendu qu’un service à la poésie nouvelle : son Etude sur Jules Laforgue et son Edition de ses œuvres. Or l’édition est si mauvaise, tellement criblée de fautes qu’elle provoque jusqu’en Hollande des monographies étonnées ; et I’ « étude » a cette abondance égale où la légèreté du pauvre Ariel est devenue méconnaissable. J’oubliais Eleusis, Causeries sur la Cité intérieure, dans lesquelles notre clerc
 
 
développait,
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développait, avec force délayages métaphysiques, ce qu’il s’empressa de dénigrer plus tard.
 
Que nous veut-il donc ? et quelle assurance tant de flottements lui donnent-ils contre nous ?
 
M. Mauclair accuse notre génération : i° de renier ses premières amours (Wagner, Ibsen,etc.) ; 2° de désavouer ses hardiesses et toutes formes nouvelles ; 30 de se soumettreauxplus vieilles contraintes de réaction ;4°d’installerle « nationalisme politique » en art ; 50 de tourner le dos à la vie (la vie pratique, les questions économiques, etc.) ; 6°de dédaigner l’action sociale ; 7 » d’ignorer tout, notamment la technique des arts connexes ; ; 8° de mépriser la science ;— ces accusations, embrouillées d’un salmigondis fantastique d’affirmations gratuites et de contradictions tellement grosses qu’on se demande, à lire le factum, si l’on n’est pas le dormeur éveillé...éveillé…
 
Ce qu’il y a de plus incroyable est l’arbitraire des rapprochements : mais ce qu’il y a de plus prodigieux est l’erreur mauvaise, continue, absolue de ces vingt-cinq pages !
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2°, 30 et 40 Où sont donc nos désaveux et quand donc ont paru des œuvres plus altières et plus renouvelées que celles qui sortent des mains quotidiennes de Maeterlinck, de Verhaeren, de Gide, de Merrill, de Fort, de Griffin, de Jammes, de Mockel, de Bataille, de Ghéon, etc., etc. ? Si Régnier et Moréas usent pour le moment d’une forme plus statique que dynamique, s’ils donnent le pas au caractère sur l’action, ce qui est certes admissible, ils n’en restent pas moins poétiquement des nôtres, en sachant découvrir dans le symbolisme même un filon classique que le classicisme ne connut pas. M. Mauclair ne veut pas voir que le symbolisme, dès l’origine, fut, sous certains rapports, em même temps qu’une refloraison lyrique contre le naturalisme, une renaissance classique contre le romantisme. Mallarmé, par la contraction, Verlaine, par le dépouillement, furent d’abord des classiques. Schwob, Gide, van Lerberghe sont des classiques. Tout cela n’a rien de commun avec l’académisme, et c’est par trop abuser de la polygraphie que de faire d’une « renaissance » une « réaction ».
 
La réaction n’est pas dans un goût plus scrupuleux, une étude plus approfondie des vieux maîtres pour reconnaître ce que nos pères ont laissé perdre, pour découvrir contre l’académisme des richesses toujours neuves, pour boire aux sources organiques d’un art ; la réaction est dans les formes traditionnelles les plus lâches, mises au service de redondantes plaidoiries sociologiques. Les réactionnaires sont nos petits Toulousains gonflés par la capitale, nos petites poétesses aux fièvres habiles, nos petits humanistes, benjamins de l’Académie.
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Puis le « nationalisme politique », l’« esprit romain », le
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« masque latin », termes de gazette que M. Mauclair détourne pour les appliquer à contresens, comment toucheraient-ils le développement d’art d’une génération dont les représentants principaux comptent des Gustave Kahn, des Stuart Merrill et des Verhaeren ! Il est impossible d’abuser d’affirmations plus invraisemblables et de mêler plus confusément les questions. M. Mauclair est obligé lui-même de distinguer deux nationalismes. Aussi bien, qui pourrait nier, en dehors de toute politique, par une simple prise de conscience esthétique et morale, le besoin qu’éprouve aujourd’hui, par tout l’univers, chaque nation de se replier sur soi, d’accuser et de fortifier son centre, disjoint et déformé par la facilité des pénétrations de l’extérieur ! Cette concentration, base de notre existence même, fut rendue nécessaire par la dispersion immense du xix" siècle ; c’est pour ainsi dire physiologique, il n’est point d’internationalisme qui puisse l’éviter.
 
Mais cela nous tient très loin des partis où M. Mauclair veut nous compromettre ; le « nationalisme littéraire » s’évanouira quand le « socialisme politique et littéraire » aura cessé de l’inventer.
 
co et 6° « La génération symboliste a été très styliste, trèsérudite, très artiste : peinture, lettres étrangères, musique, hellénisme, latinité, philologie, folklore, occultisme, tout l’a passionnée. Seulement, elle s’est totalement limitée ( !) ; elle a tourné le dos à la vie. Par horreur du naturalisme qui cherchait confusément un « art social », elle s’est jurée de ne rien savoir de l’évolution sociale. Pour elle, c’est le règne de Homais. La science ne l’intéresse pas, et c’est la révolte, parce qu’elle ruine la métaphysique( ?). Et voilà unechose jugée. »
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Cette citation qui nous remet bien dans la manière bousculée de notre fossoyeur, nous la connaissions, n’est-ce pas ? Nous savions déjà que nous étions « morts », il y a cinq ans, parce que nous étions « retirés de la vie »... la vie pratique, la vie économique, la vie sociale, etc., etc.
 
Vraiment M. Mauclair joue de malheur ; il se trouve qu’au point de vue « pratique », jamais poètes, — à la différence des romantiques et des parnassiens qui pour la plupart vivaient en marge, — n’auront connu deplus près que les symbolistes la vie de leur temps. Il n’y en a pas plus de trois ou quatre qui se contentent d’habiter leurs rêves ou soient même professionnellement des « hommes de lettres ». Nuls plus qu’eux n’ont accepté la vie de tous, ne se sont mêlés à la vie pratique, aux métiers administratifs, industriels ou ruraux. L’un est un agronome actif, maire de sa commune ; l’autre est un bon constructeur d’automobiles ; celui-ci est un médecin de campagne qui fouille et soulage toutes les misères ; celui-là est un excellent agent consulaire d’Extrême-Orient, fort expert sur les problèmes de la main-d’œuvre asiatique ; tel qui écrit un peu partout et dont le titre est « littérateur » s’occupe de vingt affaires diverses, industrielles et commerciales ; tel autre enfin vit de la terre, éleveur et fermier. Et ce ne sont pas des vaincus de l’art ; tous produisent, tous mettent au-dessus de tout leur nom de poète, sachant jouer leur rôle social sans en faire parade, et S’inspirer De La Vie Sans Qu’elle Déforme L’œuvre. L’art est pour eux, en même temps que leur raison de vivre, non un excitateur artificiel ni un travail forcé de professionnel, mais ce qu’il devra être de plus en plus, un surcroît d’activité, une surabondance de nature.
 
Nous ne voulons pas dire que le poète ne doit s’abandonner à
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à son art que sa tâche d’homme et de citoyen accomplie. Nous pensons bien au contraire que son premier devoir de citoyen et d’homme est de s’affranchir de tout ce qui peut mettre obstacle à l’accomplissement de l’œuvre. Nous voulons dire que son élan doit être assez fort pour qu’il ne se dérobe pas, en révolte romantique, devant l’obstacle ; qu’il le vainque en le franchissant, s’il y a lieu, et que c’est ce que la plupart des symbolistes ont fait, soumis à leurs existences diverses en tenant leur art très haut à travers tout. De ce qu’ils ont su pratiquer la pensée du poète :
 
Ami, cache ta vie et répands ton esprit
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7° Quant à ce mépris de la science et des questions sociales dont M. Mauclair nous accable, la plaisanterie est par trop
 
 
lourde.
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lourde. Tout polygraphe qu’il soit, notre clerc n’est pas de ces journalistes du boulevard qui ne connaissent rien du symbolisme dont ils parlent et de ses origines. 11 ne peut pas ignorer les trois revues qui en ont pour ainsi dire constitué les premières bases : La Vogue, (1886-1887) ; la Revue indépendante, (1886-1888) ; Les Entretiens politiques et littéraires, (1890-1893). Or, dans La Vogue et dans la Revue indépendante la préoccupation scientifique était incessante ; et l’on sait la part que les Entretiens donnèrent aux questions sociales, et avec quelle hardiesse dégagée. Quelques citations suffiront, je pense :
 
« ... Us ignorent les principes les plus simples de la chimie, de la zoologie, et peut-être bien ce qu’un commis-voyageur sait de la géographie. Voyez des revues sur la table d’un romancier ; jamais vous ne trouverez coupées les pages d’articles de vulgarisation scientifique (II). En un mot, ils ne savent rien des lois synthétiques de la nature, et toute une source de pensée et de poésie leur échappe. Quant à s’en occuper, ils croiraient qu’on les convie à écrire du Jules Verne I Les questions sociales les rebutent. Ils les classent, avec dégoût, sous le nom de cette « politique » dont les gens de bonne compagnie n’ont point à se mêler, et on les étonnerait fort en leur disant que cette politique n’a rien de commun avec la lutte des classes. Une paresse invincible les étreint, sauf lorsqu’il s’agit de discuter épithètes et syntaxe. Même de l’histoire des autres arts que le leur, ils ne savent pas grand’chose. C’est depuis peu de temps que les gens de lettres entendent suffisamment les principes de la musique et de la peinture : encore en parlent-ils souvent à la légère. »
 
Voir plus haut : « La génération symboliste a été...été… très
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artiste ; peinture, musique, etc., tout l’a passionnée. » Comment notre clerc à tant de passion accorde-t-il si peu de connaissance ? C’est ce qui lui serait peut-être difficile d’expliquer. Il veut ignorer que la peinture de V. G… vaut sans doute la sienne, et que le même V. G… fit un an de Conservatoire, juste pour se rendre compte des principes musicaux. Il ne veut pas savoir non plus que A. M… est un violoniste dont la qualité de son et la ferveur sont incomparables, ni que P. L… et A. G… sont de délicats pianistes, excellents déchiffreurs. Il lui plaît de ne pas se souvenir qu’un autre A. M… clôt chacun de ses volumes de poèmes des courtes pages d’un hymne en musique, etc., etc. Venir dire à une génération poétique, dont l’art, écarté le plus possible de toute littérature, se filie étroitement aux arts fraternels, qu’elle ne pénètre pas « grand’chose » de leurs principes est un de ces précieux tours de gobelets dont ne saurait trop nous réjouir la critiqtie amusante !… Il se trouve d’ailleurs qu’il n’est pas de plus fausse nécessité ni de plus dangereuse que celle de cette pénétration mutuelle lorsqu’elle est voulue, et qu’un artiste ainsi averti est obligé d’ignorer doublement dans son art ce qu’il connaît de ses voisins… Aussi bien, son ignorance n’importerait d’aucune façon pour la maîtrise comme pour l’étendue même de son art ; et si une nécessité s’impose aujourd’hui avant tout autre, c’est, devant les innombrables gâchages des touche-à-tout, qu’on soit exclusivement l’homme de son métier Mais le bavardage des mauvais clercs ne s’arrête pas pour si peu.
 
Maintenant on s’explique mal comment notre agronome et notre éleveur pourraient être étrangers « aux principes les plus simples de la chimie et de la zoologie », ni comment
artiste ; peinture, musique, etc., tout l’a passionnée. » Comment notre clerc à tant de passion accorde-t-il si peu de connaissance ? C’est ce qui lui serait peut-être difficile d’expliquer. Il veut ignorer que la peinture de V. G... vaut sans doute la sienne, et que le même V. G... fit un an de Conservatoire, juste pour se rendre compte des principes musicaux. Il ne veut pas savoir non plus que A. M... est un violoniste dont la qualité de son et la ferveur sont incomparables, ni que P. L... et A. G... sont de délicats pianistes, excellents déchiffreurs. Il lui plaît de ne pas se souvenir qu’un autre A. M... clôt chacun de ses volumes de poèmes des courtes pages d’un hymne en musique, etc., etc. Venir dire à une génération poétique, dont l’art, écarté le plus possible de toute littérature, se filie étroitement aux arts fraternels, qu’elle ne pénètre pas « grand’chose » de leurs principes est un de ces précieux tours de gobelets dont ne saurait trop nous réjouir la critiqtie amusante !... Il se trouve d’ailleurs qu’il n’est pas de plus fausse nécessité ni de plus dangereuse que celle de cette pénétration mutuelle lorsqu’elle est voulue, et qu’un artiste ainsi averti est obligé d’ignorer doublement dans son art ce qu’il connaît de ses voisins... Aussi bien, son ignorance n’importerait d’aucune façon pour la maîtrise comme pour l’étendue même de son art ; et si une nécessité s’impose aujourd’hui avant tout autre, c’est, devant les innombrables gâchages des touche-à-tout, qu’on soit exclusivement l’homme de son métier Mais le bavardage des mauvais clercs ne s’arrête pas pour si peu.
 
Maintenant on s’explique mal comment notre agronome et notre éleveur pourraient être étrangers « aux principes les plus simples de la chimie et de la zoologie », ni cornment
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notre consul de la côte chinoise pourrait se fier aux éléments de géographie d’un commis-voyageur. En outre, comment se fait-il que X...X… est très versé dans les sciences mathématiques, chimiques et physiques, queZ...queZ… est un bon entomologiste, Y...Y… un botaniste sérieux ?Les études physiologiques de R...R… furent très complètes, et les thérapeutiques de notre médecin remarquables au dire de ses malades. Comment se fait-il qu’une des dernières revues scientifiques, vraiment technique et indépendante, La Revue des Idées, ait été fondée et soit dirigée par deux symbolistes notoires : M. Edouard Dujardin et M. Remy de Gourmont ?
 
Serait-ce que ces Messieurs savent vraiment ce que c’est que la Science et les sciences, tandis que M. Mauclair ne le saurait pas ? que l’idée, d’abord, d’une science omnipotente est une idée anti-scientifique ? que substituer le dogme fétichiste de la science à n’importe quel dogme, loin de constituer un progrès, est une régression scolastique ? Serait-ce que M. Mauclair confond par les procédés les plus rhétoriciens la sûreté de l’esprit et de la méthode scientifiques avec l’incertitude des vérités scientifiques, le plus souvent provisoires ? Serait-ce enfin que M. Mauclair aurait besoin de quelques bonnes leçons de M.Poincaré ? et que son habitude des généralisations hâtives le conduit aux pires accès de la littératurite ?...
 
Cela le conduit même beaucoup plus loin, à ceci :
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« Qjl’y a-t-il au fond de leur mépris pour la science ? Une énorme peur de voircette rivale accaparer tout l’intérêt intellectuel ( ! ! !), et d’être obligés de l’étudier pour en tirer des éléments lyriques ou psychologiques nouveaux.
 
« ... On attend de l’écrivain la formule d’un style et d’une beauté
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extraits des éléments nouveaux, de la science, du conflit social. »
 
Et nous voilà revenu à l’idéal poétique de Maxime du Camp ! Quoi ! vous avez oublié ce grand poète ? et sa préface des Chants modernes ?et les raisons irréfutables qu’il y donnait —avant 1868 !—de l’indifférencedu public en matière de poésie ? « Ignorance réelle ou volontaire de la vieactuelle.des sublimes inventions de la science et de l’industrie, retour opiniâtre au passé,aux vieux symboles et aux mythologies surannées,doctrine de l’art pour l’art, soin puéril de la forme, manque de sens humain...humain… », etc., pas un clichédeM. Mauclairqui ne s’y trouve !
 
Ecoutons le vieux poète allemand Lenau :
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« Laissez-moi : vos efforts me sont suspects, vous prétende^
 
« affranchir
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la vie et vous n’accorde^ pas à l’art sa liberté ! « Les fleurs n’ont jamais fait de mensonge ; bien plus sûrement « que vos visages bouleversés par la fureur, leurs fraîches cou« leurs m’annoncent que la profonde blessure va se guérir. Le « murmure prophétique des bois me dit que le monde sera libre, « leur murmure me le crie plus intelligemment que ne le font « vos feuilles avec tout leur fracas de mots d’où l’âme est « absente, avec toutes leurs fanfaronnades discréditées. Si cela « me plaît, je cueillerai ici des fleurs ; si cela me plaît, je voue« rai à la liberté un chant, mais jamais je ne me laisserai « enrôler par vous. » « Elle dit et tourna le dos à la troupe grossière. »
 
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Conclusion
« affranchir la vie et vous n’accorde^ pas à l’art sa liberté ! « Les fleurs n’ont jamais fait de mensonge ; bien plus sûrement « que vos visages bouleversés par la fureur, leurs fraîches cou« leurs m’annoncent que la profonde blessure va se guérir. Le « murmure prophétique des bois me dit que le monde sera libre, « leur murmure me le crie plus intelligemment que ne le font « vos feuilles avec tout leur fracas de mots d’où l’âme est « absente, avec toutes leurs fanfaronnades discréditées. Si cela « me plaît, je cueillerai ici des fleurs ; si cela me plaît, je voue« rai à la liberté un chant, mais jamais je ne me laisserai « enrôler par vous. » « Elle dit et tourna le dos à la troupe grossière. »
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'''Conclusion'''
 
Et maintenant d’ « où il en est », le symbolisme, ayant traversé depuis longtemps sa période impressionniste, peut poursuivre avec une magnifique conscience son évolution constructive. On verra aux œuvres futures qu’il n’a usé que de la plus minime partie de ses ressources. Encore fallait-il qu’une bonne fois liquidation fût faite des incroyables ordures dont on les couvrait. Certes ces ordures retomberont toujours ; on ne triomphe jamais définitivement de l’ignorance intéressée, et tout bon déblayage doit être périodique.
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Mais cette liquidation-ci était particulièrement nécessaire, non pas tant pour nous que pour la défense de la poésie outragée.
 
Les malheureux ! ils ne se sont pas aperçus que le symbolisme, dont la signification n’a grandi que des œuvres, n’était qu’un mot pour garder pure et complète la poésie même, pour la distinguer des mélanges, desquels il semble qu’elle ait toujours pris plaisir à corrompre son essence divine : l’extase apollonienne ou la fougue dyonisiaque. Aussi qu’arriverait-il si on les laissait faire ? le poète redeviendrait le bateleur, le professeur ou le faux tribun, le poème, le récit pittoresque, le plaidoyer moral ou l’exposé depalingénésie sociale qu’avec une langue faible et une métrique plate, toutes deux de pauvre imitation, ils s’essoufflent à produire sous les étiquettes de naturisme, d’humanisme, d’intégralisme, de néoromantisme, de classicismenéo-romantisme,
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de classicisme, sans qu’une seule soit originale et ne fausse grossièrement un des côtés du symbolisme même. Ni Verhaeren, ni Griffin n’avaient attendu M. Gregh pour créer de l’ « humanisme » qui soit de la poésie haute et neuve ; ni André Gide, Paul Fort, Jammes, Ghéon n’avaient attendu M. Saint-Georges de Bouhélier pour créer du « naturisme » qui ne soit pas de la rhétorique génevoise ; ni Paul Claudel, Stuart Merrill, Saint-Pol-Roux, Albert Mockel ou Adrien Mithouard n’avaient attendu M. Lacuzon pour créer de « l’intégralisme » qui ne perde pas l’expression lyrique ; ni Samain ou Guérin n’avaient attendu les uns ou les autres pour créer un « néo-romantisme » qui ne soit pas tout extérieur ; ni Marcel Schwob, Moréas, Ducoté, Pierre Louys, Van Lerberghe n’avaient attendu MM. Louis Bertrand et Joachim Gasquet pour créer, dans des sens divers, un « néo-classicisme » qui ne soit pas d’une ordonnance inexpressive, pompeuse ou stricte, uniforme.
 
Mais on eût dit que chaque faiseur d’échantillons s’ingéniait à ces découpures dans la grande bannière où les symbolistes les mêlaient d’une seule trame anonyme, pour tâter la lâcheté publique, pour flatter le goût public d’intérêts plus bornés, pour défigurer mieux la vaste poésie, mal comprise et mal suivie de la foule dans son absolu déploiement...déploiement…
 
Il faut bien s’en rendre compte — et l’atteste crûment la qualité des armes éparses — le dévergondage de ces attaques protège le bas travail des boutiques contre le désintéressement et contre l’austérité de l’art.
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Et d’aller respirer au soleil des jardins.
 
C’est le temps des Mas...Mas… etc.
 
Qui veut aimer encor ? C’est le temps des lilas l
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Sinon la feuille d’or qui tombe au vent d’automne.
 
Et voilà qui doit être compté parmi les « minutes d’or » de l’humanisme ! On demande des secondes...secondes…
 
Symboliste ou non, à toutes les époques, chez tous les peuples, l’œuvre d’art vraie fut celle du sacrifice de soi dans l’exaltation de toutes les ressources qui la pouvaient créer.
 
Longue patience, long silence, longue souffrance, longue jouissance...jouissance…
 
Certains ne peuvent attendre. Ils n’avaient pas compris ! ils avaient compris : exaltation de soi dans le sacrifice des ressources...—ressources…— principe qui n’est celui d’aucun travail humain. Le moindre travail est faussé dès que le souci de paraître rend la conscience plus hâtive. Or rien ne pousse à paraître comme les cris de la rue ; immédiatement Maxime Du Camp se lève...lève…
 
Ne nous plaignons pas ! Flaubert est resté assis.
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On ne fait pas du bon travail en courant dès — ou plutôt sans — qu’on vous appelle, en abandonnant la moitié de ses ressources : ressources d’âmes, ressources de technique, ou en les jetant, brutes, par la fenêtre. Le public piétine, il ne ramasse rien, il y a trop de boue, — pour son plaisir.
 
Les artistes ont toujours su habiter une chambre vide, et le silence...silence… L’œuvre l’emplit ; bientôt le silence triomphe.
 
On peut penser ce qu’on voudra des symbolistes : ils ont été, ils sont ces artistes-là.
 
Tous les cris de la bonne foule contre les guillotinés parlants n’empêcheront leurs œuvres — ah ! quels crimes ! — d’être les seuls poèmes (plus ou moins parfaits, peu importe !) qui ne laissent perdre aucune ressource et ne se satisfont point d’utilités.
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=== no match ===
 
 
APPENDICE
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NOTES
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Envoi à M. F. V.-G. :
 
« Paris, le aa février 1906, « Cléricalisme et militarisme, tout y est, cher ami. Comment « détruire le passé dans la langue : a-dieu, le « règne » animal, etc...etc… ? « et quand laïciserons-nous nos métaphores ?... »
 
Bien vôtre
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— Page 10.
 
AU FOND DE TOUTE ÉVIDENCE LE SOT...SOT…
 
Nous n’avons pas voulu que fassent injure au lecteur des réfutations méticuleuses. Nous estimons que les citations suffisent. Des points d’exclamation, d’interrogation ou des italiques qui seront toujours de nous, sauf indications contraires, retiendront les yeux lorsqu’il le faudra. —N’oublions pas qu’aucun symboliste n’abusa du mot « mystère » comme notre polygraphe- Non seulement il écrivit : « Carrière ou la psychologie du mystère » mais il vient de publier un recueil de nouvelles sous le titre : « Le mystère des visages ». Après ce qu’on vient de lire, n’est-ce pas joli ?
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— Page 16.
 
Les Meilleurs D’entre Eux L’avouent...L’avouent…
 
Allusion sans doute à la conférence de M. Henri de Régnier parue dans Figures et caractères (« Mercure de France », i90i)oùl’on voulut voir peu de conviction d’art personnelle dans de la gentillesse pour des cadets. Soyez donc gentil ! et des messieurs Gregh ridiculiseront vos belles images décoratives, sans s’apercevoir qu’un des côtés les plus neufs du symbolisme fut la résurrection du « merveilleux » français de nos chansons de geste dont les romantiques ne retinrent que les prouesses d’épopée.
Ligne 1 498 ⟶ 1 418 :
— Page 21.
 
Le Symbolisme Est Bien Mort Et Pompeusement Enterré...Enterré… Nous avions cru devoir retrancher dans Vers et Prose la suite de la citation : enterré dans un cercueil fort bien construit : l’Anthologie
 
des Poètes d’aujourd’hui, de MM. Van Bever et Léautaud, afin d’éviter toute personnalité qui ne fut pas une personnalité d’idée, si je puis dire.
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— Page 22.
 
Les Mots Ne Signifiant Plus Ce Qu’ils Signifient...Signifient…
 
Malgré des lignes semblables, M. Adolphe Retté, qui ne nous habitua guère à tant d’indulgence, loue M. Mendès (La Revue, ier avril 1905) d’avoir bien parlé du Symbolisme dans son Rapport !... Et il transcrit ce passage :
 
c L’emploi du symbole, en poésie, c’est, me semble-t-il, l’art d’ailleurs instinctif ( ?) d’éveiller dans les âmes des sentiments, des souvenirs, des rêves
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On sait que les termes « problème de I’individuation » constituent une expression philosophique toute différente.
 
Nous avons à remercier particulièrement I’ « intégraliste » M. Léon Vannoz de constater, après avoir affirmé de nouveau la mort du symbolisme, que rien d’autre néanmoins n’existait encore que les symbolistes (L’Esthétique nouvelle et lapoétique, « La Revue », 15 octobre 1905). Il est vrai qu’il s’écrie : « En vain, les états-majors symbolistes essayèrent de se reconstituer ; en vain M. Robert de Souza dans son article intitulé : « Où nous en sommes » essaya de remonter le courant et de faire frontà ce flot de vie montante...montante… »Le flot de vie montante se perd dans un incroyable pathos métaphysique d’où surnagent seuls — mais en quel état ! — les débris de tout ce que nous avons voulu et répété depuis vingt ans.
 
Pièces en mains, Monsieur, pièces en mains !...
 
— Page 40.
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« La métrique parnassienne ne diffère pas essentiellement de la métrique romantique. Les parnassiens qui ne furent pas de prodigieux inventeurs, donnèrent seulement un caractère plus strict et plus rigoureux aux préceptes qu’ils avaient reçus de leurs devanciers. Ils firent subir à la métrique française un traitement analogue à celui qu’imposèrent les poètes latins à la métrique grecque. » (La Poésie Nouvelle, par André Beaunier, introduction, p. 24).
 
« ... La métrique française était devenue purement mécanique et, par suite, inexpressive autant qu’insincère. Il fallut débarrasser la versification de ce formalisme. 11 fallut que le vers se libérât des règles parnassienne parce que ces règles étaient mauvaises. Absurdes dans leur principe, — celui de la difficulté vaincue, — elles avaient encore le défaut d’être absolument incohérentes dans le détail de leurs prescriptions. » (Idem, p. 25).
 
— Page 55.
Ligne 1 586 ⟶ 1 506 :
Il est curieux de noter ce qu’écrit Théodore de Banville de l’ancien vers libre :
 
« ... Le vers libre est le suprême effort de l’art contenant amalgamés en lui, à l’état voilé, pour ainsi dire latent, tous les rythmes. On ne l’enseignera à personne puisqu’il suppose une science approfondie de la versification...versification… et l’oreille la plus délicate...délicate… » (Petit traité, p. 156).
 
— Page 58.
 
NOS STROPHES N’AURONT JAMAIS LA HARDIESSE...HARDIESSE…
 
Voici un exemple d’une strophe de balette citée par M. Jeanroy
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— Page 61. Vers Brisé
 
« ... Nous voudrions un vers...vers… sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d’alexandrin ; plus ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui l’embrouille ; fidèle à la rime, cette esclave reine, cette suprême grâce de notre poésie, ce générateur de notre mètre ; inépuisable dans la vérité de ses tours ; insaisissable dans ses secrets d’élégance et de facture. » (Préface de Cromwell).
 
On voit que, dès 1828, il ne s’agit pour le poète que de « déguiser une monotonie » et quinze ans plus tard, comme jusqu’à la fin de sa vie, qu’il n’apercevra pas toutes les conséquences de ses « enjambements ».
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Mockel dans le premier tome de Vers et Prose, et l’on se demandera vraiment pourquoi l’on ne s’entend pas. M. Albert Mockel écrit :
 
« L’exaltation, oui, l’exaltation de nous-même, l’exaltation de ces rythmes secrets mais incompressibles que tout homme porte en soi, et qui sont ses aspirations, nées de ses vérités vitales...vitales… »
 
« ... Les aspirations sont illimitées étant indéfinies, avec elles, sans le savoir, nous vivons dans l’avenir. Et le souvenir lui-même, lorsqu’il y a poésie, n’est que l’image inverse d’une aspiration vers la beauté encore inconnue qu’on espère. »
 
Nous avions dit nous-même dans la conclusion du Rythme poétique :
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« Ah ! je ne vois pas distinctement ce à quoi j’aspire, je ne sens que trop ce que c’est qu’aspirer.
 
« ... Sous le charme expressif des sons, notre mémoire s’éveille et notre imagination amorce à ces épaves qui flottent sur notre passé un rêve d’ineffable félicité. »
 
Et les mêmes expressions se retrouvent d’instinct sous la plume d’un savant dans l’analyse, il est vrai, d’un sens particulier :
 
Ce vers...vers… représente admirablement l’aspiration finale de l’âme, qui déjà s’abreuve en esprit et en désir à la paix et à la félicité éternelle. » (Des bases physiologiques de la parole rythmée, par G. Verriest, p. 34, Louvain, 1894).
 
D’ailleurs Baudelaire avait déjà dit :
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Excellentes pensées qui dérivaient elles-mêmes de ces paroles d’Edgar Poë.
 
« ... Le Beau est le seul domaine légitime de la poésie...poésie… (Les poètes) ont en vue cette violente et pure élévation de l’âme — non pas de l’intellect non plus que du cœur — qui est le résultat de la contemplation du Beau. »
 
Cequ’ily a de plus curieux, c’est que, même sur des principes généraux de technique, nous ne pouvons que souscrire à des définitions comme celle-ci :
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Il en résulta que ceux qui désarticulèrent les rythmes au point de supprimer totalement les mesures anciennes, obtinrent des mélodies diffuses où ne manquaient, certes, ni le talent, ni le métier, mais où la cadence propre au vers français n’existait plus du tout. Si bien qu’on se demandait pourquoi ces poètes, d’ailleurs plus coutumiers d’assonances que de rimes, allaient à la ligne après un nombre arbitraire de syllabes parfois, une seule, ou deux, ou trois, ou quinze. Leurs poèmes semblaient, lorsqu’ils étaient bons, des traductions des vers étrangers conçues avec le souci d’en reproduire la disposition ligne par ligne et page par page ou bien des proses découpées il peu près au hasard. Chez les mauvais poètes qui adoptèrent cette technique, si favorable à la paresse et à l’ignorance du métier, on avait seulement l’impression d’assister aux bonds maladroits d’une sauterelle estropiée.
 
Rien ne manque de tout ce qu’ont ressassé les critiques officiels : désarticulation, mélodie diffuse, cadence perdue, nombre arbitraire de syllabes, traductions de vers étrangers, proses découpées au hasard, ignorance du métier...métier…, tous les clichés y sont.
 
Pour mieux en juger, on peut apprécier les termes universitaires connus dont se sert M. Retté dans l’examen des œuvres confraternelles :
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M. Albert Mockel dans son étude sur Stéphane Mallarmé, « Un héros », a écrit :
 
« La logique du poème n’est donc pas tout à fait la vieille logique des scolastiques. Il en faut une plus souple à la fois et plus subtile où il entre de l’intuition...l’intuition… Et à cette logique correspond une syntaxe particulière, plus synthétique, où l’accord des périodes se fait selon le cours des idées plutôt que selon le cours des mots. » (p. 55).
 
Voilà ce que n’a pas compris M. Maurice Grammont dans son ouvrage Le Vers français où il fait subir de sèches analyses à des poèmes de Verlaine, de Régnier, etc., avec des mentions comme « faiblement pensé, mal écrit », qui pourraient convenir à des dissertations de rhétoriciens, mais qui sont absolument arbitraires touchant une qualité de langue dépouillée de toutes les articulations du mode explicatif.
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— Page pi.
 
Préoccupation Du Public Et Du Succès Personnel « Tout représentant de l’Idée tend à se préférer à l’idée qu’il manifeste, — se préférer — voilà la faute. L’artiste, le savant ne doit pas se préférer à la Vérité qu’il veut dire : voilà toute sa morale...morale… L’artiste et l’homme vraiment homme, qui vit pour quelque chose, doit avoir d’avance fait le sacrifice de lui-même. Toute sa vie n’est qu’un acheminement vers cela. » (André Gide, Le Traité de Narcisse, note, p. 84, nouv. éd. « Mercure de France »).
 
« Ce qu’ils nomment un être supérieur est un être qui s’est trompé. Pour s’étonner de lui, il faut le voir — et pour le voir il faut qu’il se montre. Et il me montre que la niaise manie de son nom le possède. Ainsi chaque grand homme est taché d’une erreur. Chaque esprit qu’on trouve puissant commence par la faute qui le fait connaître. En échange du pourboire public, il donne le temps qu’il faut pour se rendre perceptible, l’énergie dissipée à se transmettre et à préparer la satisfaction étrangère. Il va jusqu’à comparer les jeux informes de la gloire à la joie de se sentir unique, — grande volupté particulière. » (Paul Valéry, La Soirée avec Monsieur Teste).
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(Toute la Lyre). « Gloire à la « rime ! » (L’Art des Vers, p. 187 à 189).
 
M. Dorchain ne pouvait choisir meilleurs exemples...exemples… contre sa thèse. Victor Hugo tout entier est dans ces quelques vers avec sa grande allure, mais aussi son verbalisme, sa pensée décorative sans frémissement. Et que le rôle de la rime est ici fâcheux ! Comme il pousse à des remplissages d’autant plus pénibles qu’on ne s’attendait point ici à de simples arabesques funèbres. On surprend à nu la tyrannie de la vieille rime dans tout son dévoiement de la sensibilité. Si encore on peut admettre « du haut de Dieu tu vas voir Jébovab »( ? ? ?) mais avec plusieurs points d’interrogation, que dire du truisme « la dernière heure est le dernier degré » qui par-dessus le marché amène <\ tu vas voir des gouffres à ton gré >> ? Puis quelles banalités de rimes : « tombeau, beau ; sublime, cime ; éternel, ciel » ! Et quelle redondance uniforme dans le mouvement si peu ému !
 
Comparer à ces vers les trois strophes parfaites de Francis VieléGriffin est une gracieuseté dont M. Dorchain ne saurait être trop remercié. Une oreille délicate aura tout de suite senti la justesse de ton de ces rimes discrètes et dont pas un geste déplacé ne fausse l’émotion contenue. De simples sons d’âme vraiment, échos du cœur à la pensée ; des rythmes qui battent comme des pulsations, comme des paupières vibrantes qui retiennent leurs larmes...larmes… Où est donc A l’effacement de toute symétrie rythmique » ? Des « symétries rythmiques » correspondent tout le temps. — Inutile d’insister.
 
Par ce petit parrallèle, le lecteur touchera du doigt la manière critique qui sert depuis des années contre les symbolistes.
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Cela n’empêche pas M. Albert Sorel de s’exprimer ainsi (Le Temps, 11 novembre 1905) à propos de L’Art des Vers de M. Dorchain :
 
« ...La…La conception que M. Dorchain se fait du rythme et de la rime explique suffisamment son manque de goût pour la poésie décadente et le vers amorphe, le vers sans rythme et sans rime. Il parcourt, sans sérénité, ces alignements de vocables bizarrement rangés, dont on croirait volontiers, comme l’ironique Gobineau le prétendait des cunéiformes, qu’ils sont des figures magiques, talismans ou amulettes. M. Dorchain manque d’indifférence devant ces jeux du détraquement et du hasard. C’est qu’il est poète et très français, que cet exotisme l’alarme, que cette dislocation de la langue, cet énervement de la pensée le navrent. Il y découvre non une suite de l’évolution naturelle de l’ouïe française et du vers français, mais la dégradation du vers, la dégénérescence du génie poétique.
 
Peut-être y apporte-t-il plus de sérieux que n’en comporte l’affaire. La poésie française a traversé d’autres crises de neurasthénie. Ni le bel esprit n’a empêché l’’Ecole des femmes, ni le jargon n’a empêché Phèdre. Marivaudage de graphologues, flirtage d’occultistes ; musique pour les yeux, peinture pour les oreilles, poésie pour l’odorat ; mots en anagrammes, phrases inverties, métaphores en rébus, pensées en allitérations,évocations nocturnes de vieilles allégories : jeux innocents, veillées du château, et avec les progrès de la démocratie, demain, peut-être, veillées de la chaumière ! 11 faut bien que la jeunesse s’amuse et que la vieillesse se console de ne s’amuser plus. Ne nous effarons pas. Ce n’est pas une révolution qui passe, c’est une cavalcade « historique net narquoise ( ?) de précieuses et d’incroyables. »
Ligne 2 032 ⟶ 1 952 :
— Page 110.
 
La Science...Science… Ruine La Métaphysique.
 
Ainsi M. Mauclair en est encore à s’imaginer que « la science ruine la métaphysique » ? Dans un article sur « l’ignorance de l’homme de lettres » n’est-ce pas pittoresque ? et quel journaliste pris au pied levé de la copie s’aventurerait aussi grossièrement ?
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— Page 112.
 
Contre Le Naturalisme...Naturalisme… Contre La Science.
 
Les « naturistes » ont toujours eu de ces rapprochements délicieux par lesquels les autodidactes, d’ordinaire, s’illustrent. Il y a déjà quelques vieilles années que les prétentions du naturalisme à la « science », au « progrès », etc. (voir les affiches électorales) ont été par les esprits les plus contraires, dégonflées. Mais cela ne fait rien ; il ne s’agit que de répéter tout le temps la même chose, sans tenir aucun compte des réfutations acquises, comme en politique.
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Eléments Lyriques Nouveaux.
 
Et Verhaeren ? comme si les principaux éléments de son lyrisme n’étaient pas tirés de l’industrie même, de la modernité la plus brûlante !...
 
D’ailleurs, chaque génération a son poète scientifique. Les premiers romantiques eurent Népomucène Lemercier celui qui lançait : Avec impunité des Hugo font des vers.
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En dépit de tous les éclaircissements des techniciens, les confusions parmi les littérateurs sont telles que les plus avertis comme M. Remy de Gourmont en arrivent à écrire ce qui suit :
 
a ... La commune mesure étant le nombre réel, il faut qu’à des intervalles presque réguliers un vers plein surgisse, qui rassure l’oreille et guidé le rythme. 11 n’y a pas de poésie sans rythme, ni de rythme sans nombre* (Le Problème du style, p. 171).
 
Mais si ! il n’y a que des rythmes sans nombre ! et le même rythme peut se continuer indéfiniment à travers des « nombres » différents.
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Ces lignes seraient excellentes si malheureusement l’auteur n’écrivait plus loin (p. 158) :
 
« Inexorablement notre accent tonique porte sur la dernière voyelle sonore du mot...mot… »
 
avec des correctifs qui n’approchent pas davantage de la vérité, car voilà longtemps (1883) que Pierson dans sa Métrique naturelle du langage a prouvé que l’accent disparaissait de la dernière syllabe sonore pour se reporter sur une des autres, lorsque le sens psychologique le commandait. C’est de cette mobilité même que le français tient son émission légère, son admirable souplesse, malgré le cliché des grammairiens sur la fixité de son accent.
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à la prose trop rythmique.
 
Le vers libre est la parole même, émotionnelle...émotionnelle…. 71
 
M. Sully-Prudhomme et les routines de métier. — Le
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L’exotisme du Parnasse et de nos poétesses m
 
L’influence étrangère dans la tradition française...française… 103
 
Le sens poétiqueen France périodiquement détruit par