« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Autel » : différence entre les versions

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[Illustration: Fig. 12 D.]
 
son art, que devant ces morceaux de bronze ou d'argent grossièrement
travaillés, dont la valeur consiste dans le poids, et qui excitent bien plutôt
la cupidité qu'ils n'émeuvent l'âme. Nous avons déjà parlé des autels de
l'église abbatiale de Saint-Denis, et nous avons cherché à donner une idée
de ce que pouvait être l'autel des reliques élevé dans son sanctuaire; mais
ce n'est là qu'une restauration dont chacun peut contester la valeur,
heureusement plusieurs des autels secondaires de cette église célèbre ont
été conservés jusqu'à nous en débris, ou nous sont donnés par de précieux
dessins exécutés en 1797 par feu Percier<span id="note39"></span>[[#footnote39|<sup>39</sup>]]. C'est surtout dans ces autels
que l'œuvre de l'artiste apparaît. Là point de retables ni de parements d'or
ou de vermeil. La pierre est la seule matière employée, mais elle est
travaillée avec un soin et un goût parfaits, recouverte de peintures, de
dorures, de gravures remplies de mastics colorés ou d'applications de
verre qui ajoutent encore à la beauté du travail, sans que jamais la valeur
de l'œuvre d'art puisse être dépassée par la richesse de la matière. Nous
donnerons d'abord l'autel de la chapelle de la Vierge située au chevet
dans l'axe de l'église, Cet autel, élevé sur un pavé en terre cuite d'une
grande finesse et qui dépend de l'église bâtie par Suger, est posé sur une
seule marche en pierre de liais gravée et incrustée de mastics. Les
gravures forment, au milieu d'une délicate bordure d'ornements noirs,
un semis de fleurs de lis et de tours de Castille sur champ bleu verdâtre
et rouge (voy. DALLAGE), Portée sur trois colonnettes et sur un dossier
richement peint, la table de l'autel est simple et surmontée d'un retable
en liais représentant, au centre, la sainte Vierge couronnée tenant l'enfant
Jésus; à droite, la naissance du Christ, l'adoration des Mages; à gauche,
le massacre des Innocents et la fuite en Égypte. Ces figures, d'un travail
remarquable, sont entièrement peintes sur fond bleu losangé et semé de
fleurs de lis d'or. Derrière le retable, entre l'autel et le fond de la chapelle,
est un petit édicule sous lequel on peut passer, et qui supporte au niveau
du dessus du retable un tabernacle en pierre d'une excessive délicatesse.
Deux colonnes à huit pans, terminées à leur sommet par des fleurons
feuillus, posées aux deux côtés du retable, reçoivent des crosses en fer
doré, auxquelles des lampes sont suspendues. Au-dessus du tabernacle,
sur un cul-de-lampe incrusté dans la colonne centrale du fond de la
chapelle, est posée une jolie statue de la sainte Vierge tenant l'enfant,
en marbre blanc, demi-nature; sur sa tête est un dais. Voici (13) un plan
de cet autel avec la chapelle dans laquelle il est posé, et (13 bis) une vue
de l'ensemble du petit monument. Dans le tabernacle, derrière l'autel,
était placée une châsse contenant les corps de saint Hilaire, évêque de
Poitiers, et de saint Patrocle, martyr, évêque de Grenoble. Cet autel,
comme la plupart des autels secondaires de l'église abbatiale de Saint-Denis,
avait été élevé par les soins de saint Louis lorsqu'il fit restaurer et rebâtir
en partie cette église.
 
[Illustration: Fig. 13.]
 
À l'entrée du rond-point de l'église abbatiale, du côté gauche (nord),
était autrefois la chapelle dédiée à saint Firmin, premier évêque d'Amiens,
martyr. Le pavé de cette chapelle et la marche de l'autel, qui est fort large,
 
[Illustration: Fig. 13 bis.]
 
 
étaient en mosaïques, et dataient du XII<sup>e</sup> siècle<span id="note40"></span>[[#footnote40|<sup>40</sup>]]. L'autel est du commencement
du XIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que son retable, qui existe encore en entier<span id="note41"></span>[[#footnote41|<sup>41</sup>]].
D. Doublet mentionne le pavage en mosaïque de cette chapelle, dont nous
avons dernièrement retrouvé des portions en place; il donne la légende de
la châsse de saint Firmin conquise par Dagobert, légende qui était peinte
sur le devant de l'autel entre l'arcature dont il était décoré<span id="note42"></span>[[#footnote42|<sup>42</sup>]]. Il parle de
la châsse en bois doré posée derrière l'autel, et d'une certaine «bande de
broderie au-dessus de l'autel, toute pourfilée de perles et enrichie de
pierreries, de la longueur d'yceluy, à laquelle sont suspendues soixante
branslans (glands) d'argent doré.» Voici (14) la face de l'autel avec son
retable en pierre sculptée et peinte, représentant le Christ au centre, avec
les quatre évangélistes; des deux côtés les douze apôtres avec leurs noms
au-dessous. En commençant par la droite de l'autel, on lit: Simon, Bartholomeus, Jacobus, Johannès, Andreas, Petrus; sous le Christ, Apostolus; puis
en suivant, Paulus, Jacobus, Thomas, Filipus, Matheus, Judas (Jude). Dans
le quatre-feuilles qui entoure le Christ, on lit cette inscription: <i>Hic Deus est
et homo quem presens signal imago ergo rogabit homo quem sculta figurat
imago</i>. Le corps de l'autel est composé d'une arcature feuillue soutenue
par des colonnettes engagées, cylindriques et prismatiques alternées; le
tout est couvert de peintures; les feuillages sont colorés en vert ainsi que
les chapiteaux; les colonnettes sont divisées par des compartiments très-fins
simulant des mosaïques, assez semblables à celles qui couvrent les
colonnettes des cloîtres de Saint-Jean de Latran et de Saint-Paul hors les
murs à Rome; les intervalles entre les colonnettes sont couverts de sujets
légendaires, ainsi qu'il vient d'être dit. La table de l'autel était bordée sur
ses rives d'une inscription, perdue, et couverte sur le plat d'une mosaïque
à compartiments. Nous donnons ici (15) le plan de cet autel, avec la châsse
de saint Firmin placée derrière le dossier, sous une table portée sur des
colonnes; et (16) le côté de l'autel qui fait comprendre la disposition de
cette châsse, des grilles dont elle était entourée et de la petite lampe qui
brillait sur le corps saint. On voit combien, malgré la richesse des détails,
 
[Illustration: Fig. 15.]
[Illustration: Fig. 14.]
 
la forme générale de ce petit monument est simple et digne. Comme dans
toutes les œuvres du moyen âge, surtout avant le XIV<sup>e</sup> siècle, on remarque
dans le petit nombre d'autels qui nous sont conservés par des dessins ou
des monuments et surtout dans leurs accessoires, tels que retables, tabernacles,
reliquaires, une grande variété; que serait-ce si tous ces objets
nous eussent été transmis intacts! Les deux derniers autels nous montrent
des reliquaires disposés d'une façon très-différente et parfaitement justifiée
par la situation. En effet, l'autel (fig. 13) de la chapelle de la Vierge de
Saint-Denis est adossé, et, pour faire voir la châsse, il fallait nécessairement
l'élever au-dessus du retable; au contraire, l'autel de Saint- Firmin est
placé de manière que l'on peut tourner facilement tout autour (fig. 15); la
châsse se trouvait alors au niveau du sol, protégée par un grillage. Au-dessus
d'elle, suspendue à la grande tablette qui la recouvrait, se voit
la petite lampe. Il existait encore à Saint-Denis un grand nombre d'autels
secondaires dont les dispositions accessoires différaient de celles que nous
venons de donner. Voici entre autres l'autel Saint-Eustache, qui se trouvait
adossé au fond de la première chapelle carrée au nord, au-dessus de la
chapelle de la Vierge Blanche (17). Ici le tabernacle recouvrant la châsse
du saint était complétement isolé du retable et porté sur deux colonnes et
des consoles à figures. Il paraît difficile de donner une signification à ces
monstres accroupis sur des hommes vêtus. Le sculpteur a-t-il voulu faire
 
[Illustration: Fig. 16.]
des syrènes, en se conformant aux textes des bestiaires si fort en vogue
 
[Illustration: Fig. 17.]
 
pendant les XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles<span id="note43"></span>[[#footnote43|<sup>43</sup>]], et rappeler ainsi aux fidèles le danger des
séductions du siècle? Parmi les autels de Saint-Denis, il en est encore un
autre dont la place n'a pu être jusqu'à présent reconnue<span id="note44"></span>[[#footnote44|<sup>44</sup>]], mais qui présente
un grand intérêt: il se compose d'un massif en maçonnerie entièrement
revêtu sur le devant et les côtés d'applications de verres taillés en
losanges et à travers lesquels on aperçoit des tours de Castille sur fond
écarlate, des fleurs de lis sur fond bleu, des rosaces et des aiglettes sur
fond pourpre. Sur le dossier est un retable également incrusté de verre bleu
taillé en polygones avec un crucifiement, saint Jean et la Vierge, l'Église et
la Synagogue, en bas-relief. La marche de cet autel est en liais avec bordure
de fleurs de lis et tours de Castille très-fines se détachant sur un fond de
mastic bleu et rouge; le milieu présente des dessins d'une grande délicatesse,
noirs, bleus et rouges, également en mastic. Le pavé de la chapelle
était en mosaïque de terre cuite et de petites pierres de couleur avec
carreaux menus de marbre blanc (voy. PAVAGES). Nous donnons ci-contre
(18) une élévation perspective de cet autel.
 
Dans quelques-uns des exemples donnés ci-dessus, on ne voit pas que l'Eucharistie
ait été placée autrement que dans un ciboire suspendu, et nous
n'avons pas trouvé de tabernacles ou custodes posés sur les autels pour
contenir les hosties consacrées et non consacrées, ainsi que le dit Guillaume
Durand dans son <i>Rational</i>. L'usage de réserver l'Eucharistie dans des réduits
tenant aux retables des principaux autels ne remonte pas à plus de deux
cents ans, et encore, à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, conservait-on l'Eucharistie
dans des boîtes en forme de pavillons ou de tours, ou dans des colombes
d'argent, suspendues au-dessus des autels majeurs des grandes cathédrales
et des églises monastiques. Souvent aussi apportait-on les hosties sur la
communion dans des ciboires que l'on posait sur la table de l'autel au
moment de dire la messe. Dans ce cas, le ciboire, la boîte de vermeil
contenant l'Eucharistie, était habituellement déposée dans un sacraire ou
petite sacristie voisine de l'autel. Thiers parle, dans ses <i>Dissertations sur
les principaux autels des églises</i>, de <i>tours</i> destinées à contenir l'Eucharistie;
il dit en avoir vu une de cuivre, assez ancienne, dans le chœur de
l'église paroissiale de Saint-Michel de Dijon. Cet usage était fort ancien en
effet, car saint Remi, archevêque de Reims, ordonna, par son testament,
que son successeur ferait faire un tabernacle ou ciboire en forme de tour,
d'un vase d'or pesant dix marcs, qui lui avait été donné par le roi Clovis.
Fortunat, évêque de Poitiers, loue saint Félix, archevêque de Bourges, qui
assista au quatrième concile de Paris en 573, de ce qu'il avait fait faire une
tour d'or très-précieuse pour mettre le corps de Jésus-Christ. Les
exemples abondent, aussi bien pour les tours transportables que pour les
colombes suspendues au-dessus des autels et contenant l'Eucharistie.
Peut-être Guillaume Durand, en parlant des tabernacles posés sur les
autels, entend-il désigner ces tours ou custodes mobiles qui ne contenaient
pas seulement les hosties consacrées, mais encore les non consacrées et
 
[Illustration: Fig. 18.]
même des reliques de saints; ces custodes, complétement indépendantes du
retable, se posaient devant lui, sur l'autel même, au moment de la communion
des fidèles. Mais il faut reconnaître que le texte de l'évêque de
Mende est assez vague, et l'opinion de Thiers sur les custodes ou tours
mobiles nous paraît appuyée sur des faits dont on ne peut contester
l'authenticité. Thiers regarde les tours comme des coffres destinés non
point à contenir l'Eucharistie, mais les ustensiles nécessaires pour l'oblation,
la consécration et la communion, et il incline à croire que l'Eucharistie
était <i>toujours</i> réservée dans une boîte suspendue au-dessus de l'autel,
que cette boîte fût faite en forme de tour, de coupe ou de colombe. Saint
Udalric parle d'une colombe d'or continuellement suspendue sur l'autel
de la grande église de Cluny, dans laquelle on réservait la sainte Eucharistie.
Mais ces <i>suspensions</i> affectaient diverses formes, sans parler de celle
représentée dans la figure 8; il existe encore dans le trésor de la cathédrale
de Sens un ciboire en forme de coupe recouverte, destiné à être suspendu
au-dessus de l'autel; ce ciboire date du XIII<sup>e</sup> siècle. Quant aux ustensiles
nécessaires pour l'oblation, la consécration et la communion, tels que le
calice, la patène, la fistule, les burettes, le voile, etc., ils étaient conservés
ou dans ces coffres mobiles que l'on transportait près de l'autel au moment
de l'oblation, ou dans ces petites armoires qui sont généralement pratiquées
dans les murs des chapelles à la droite de l'autel en face de la piscine,
ou dans de petits réduits pratiqués à cet effet dans les autels mêmes. Nous
retrouvons un assez grand nombre d'autels figurés dans des peintures et
des bas-reliefs où ces réduits sont indiqués. Voici entre autres (19) un
autel provenant d'un bas-relief en albâtre conservé dans le musée de la
cathédrale de Séez, sur la paroi duquel est ouverte une petite niche contenant
les burettes.
 
Quant aux retables, ils prirent une plus grande importance à mesure que
le goût du luxe pénétrait dans la décoration intérieure des églises (voy. RETABLE).
Déjà très-riches au XIII<sup>e</sup> siècle, mais renfermés dans des lignes
simples et sévères, ils ne tardèrent pas à s'élever et à dominer les autels en
présentant un échafaudage d'ornementation et de figures souvent d'une
assez grande dimension, ou une succession de sujets couvrant un vaste
champ. Les cathédrales seules conservèrent longtemps les anciennes traditions,
et ne laissèrent pas étouffer leurs maîtres autels sous ces décorations
parasites. Il faut rendre justice à l'Église française, cependant: elle fut la
dernière à se laisser entraîner dans cette voie fâcheuse pour la dignité du
culte. L'Italie, l'Espagne, l'Allemagne nous devancèrent et couvrirent dès
le XIV<sup>e</sup> siècle leurs retables d'un fouillis incroyable de bas-reliefs, de niches,
de clochetons, qui s'élevèrent bientôt jusqu'aux voûtes des églises. Les
retables des autels des églises espagnoles notamment sont surmontés de
retables, dont quelques-uns appartiennent au XIV<sup>e</sup> siècle, et un plus grand
nombre aux XV<sup>e</sup>et XVI<sup>e</sup> siècles, qui dépassent tout ce que l'imagination peut
supposer de plus riche et de plus chargé de sujets et de sculptures d'ornement.
Sans tomber dans cette exagération, les autels de France perdent à
la fin du XIV<sup>e</sup> siècle l'aspect sévère qu'ils avaient su conserver encore
pendant le XIII<sup>e</sup>. Les retables prennent assez d'importance (excepté, comme
nous l'avons dit, dans quelques églises cathédrales) pour faire disparaître
la belle disposition des autels de Saint-Denis. On n'établit plus cette
distinction entre l'autel et le reliquaire s'élevant derrière lui; tout se mêle
et devient confus; l'autel, le retable et le reliquaire ne forment plus qu'un
seul édicule, contrairement à cette loi de la primitive Église, que rien ne
doit être placé directement au-dessus de l'autel, si ce n'est le ciboire. Il ne
nous appartient pas de décider si ces changements ont été favorables ou
non à la dignité des choses saintes, mais il est certain qu'au point de vue
de l'art, les autels ont perdu cette simplicité grave qui est la marque du
bon goût, depuis qu'on a surchargé leurs dossiers d'ornements parasites,
depuis qu'on a remplacé les suspensions du saint ciboire par des tabernacles
qui s'ouvrent au milieu du retable, depuis que les retables eux-mêmes,
convertis en gradins, ont été couverts d'une quantité innombrable de
flambeaux, de vases de fleurs artificielles; depuis que des tableaux avec
encadrements présentent des scènes réelles aux yeux, et viennent distraire
plutôt qu'édifier les fidèles. Notre opinion sur un sujet aussi délicat pour-*
 
[Illustration: Fig. 19.]
 
 
 
 
 
 
*rait au besoin s'appuyer sur celle d'un auteur ecclésiastique que nous avons
déjà cité bien des fois dans le cours de cet article. Thiers, en parlant de ces
movations qu'il regarde comme funestes, dit<span id="note45"></span>[[#footnote45|<sup>45</sup>]]: «Les petits esprits, les
esprits foibles, les dévots de mauvais goust, qui ont plus de zèle que de
lumières, et qui ne sont pas prévenus de respect pour les antiquités
ecclésiastiques, louent, approuvent ces nouvelles inventions, jusqu'à dire
qu'elles entretiennent, qu'elles excitent leur dévotion. Comme s'il n'y avoit
point eu de dévotion dans l'antiquité; comme si l'on ne pouvoit pas être
dévot sans cela; comme s'il n'y avoit pas de dévotion dans les églises
cathédrales, où les tabernacles sont extrêmement simples, aussi bien que
les autels, quoique les embellissemens leur conviennent incomparablement
mieux qu'aux églises des Réguliers entre autres.» Que dirait donc Thiers
aujourd'hui, que toutes les églises cathédrales elles-mêmes ont laissé
perdre la vénérable simplicité de leurs autels sous des décorations qui
n'ont même pas le mérite de la richesse de la matière, ou de la beauté de
la forme? Depuis l'époque où écrivait notre savant auteur, (1658), que de
tristes changements dans les chœurs de nos églises mères, quelle monstrueuse
ornementation est venue remplacer la grave et simple décoration
de ces anciens autels, témoins des faits les plus émouvants de notre histoire
nationale! Qu'eût dit Thiers en voyant le chapitre de la cathédrale de
Chartres démolir son jubé et son autel du XIII<sup>e</sup> siècle; le chapitre de
Notre-Dame de Paris présider à la destruction de son ancien autel, de ses
reliquaires, de ses tombes d'évêques; celui de la cathédrale d'Amiens
remplacer par du stuc, du plâtre et du bois doré le magnifique maître autel
dont nous donnons plus bas la description? Peut-on, après cet aveuglement
qui entraînait, pendant le cours du dernier siècle, le clergé français à jeter
au creuset ou aux gravats des monuments si vénérables et si précieux,
pour mettre à leur place des décorations théâtrales où toutes les traditions
étaient oubliées; peut-on, disons-nous, trouver le courage de blâmer les
démolisseurs de 1793, qui renversaient à leur tour ce qu'ils avaient vu
détruire quelques années auparavant par les chapitres et les évêques
eux-mêmes? Ces pertes sont malheureusement irréparables, car, admettant
qu'aujourd'hui, par un retour vers le passé, on tente de rétablir nos
anciens autels, jamais on ne leur donnera l'aspect vénérable que le temps
leur avait imprimé; on pourra faire des pastiches, on ne nous rendra pas
tant d'œuvres d'art accumulées par la piété des prélats et des fidèles sous
l'influence d'une même pensée; car jusqu'à la réformation, sauf quelques
légères modifications apportées par le goût de chaque siècle, les dispositions
des autels étaient à très-peu de choses près restées les mêmes. En voici
une preuve. Le maître autel de la cathédrale d'Amiens avait été érigé
pendant le XV<sup>e</sup> siècle et au commencement du XVI<sup>e</sup>, soit que l'ancien autel
n'eût été que provisoire, soit qu'il eût été ruiné pendant les guerres
désastreuses des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles. Ce nouvel autel rappelait les disposi-*
 
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<span id="footnote38">[[#note38|38]] : Ces peintures étaient à peine visibles.
 
<span id="footnote39">[[#note39|39]] : M. Percier, dont la prédilection pour les arts de l'antiquité ne saurait être contestée,
était avant tout un homme de goût, et mieux que cela encore, un homme de cœur et
de sens; en revenant d'Italie, il vit l'église de Saint-Denis pillée, dévastée; il ne put
regarder avec indifférence les restes épars de tant de monuments d'art amassés
pendant plusieurs siècles, alors mutilés par l'ignorance ou le fanatisme; il se mit à
l'œuvre, et fit dans l'ancienne abbatiale un grand nombre de croquis. Ces travaux
portèrent leur fruit, et bientôt, aidé de M. Lenoir, il sauva d'une destruction complète
un grand nombre de ces débris, qui furent déposés au musée des monuments
français. Nous eûmes quelquefois le bonheur d'entendre M. Percier parler de cette
époque de sa vie d'artiste; il était, sans le savoir peut-être, le premier qui avait voulu
voir et faire apprécier notre vieil art national; le souvenir des monuments mutilés de
Saint-Denis, mais qu'il avait vus encore en place, avait laissé dans son esprit une impression
ineffaçable. À sa mort, M. Vilain, son neveu, héritier de ses portefeuilles, eut
l'obligeance de nous laisser calquer toutes les notes et croquis recueillis dans l'église
Saint-Denis; grâce à ces renseignements si libéralement accordés, nous pûmes
rassembler et recomposer les débris sortis du musée des Petits-Augustins. Quelques-uns
des anciens autels de l'abbaye ont été ainsi facilement rétablis, beaucoup d'autres
pourraient l'être à coup sûr; car les nombreuses traces encore existantes dans les
chapelles et les fragments déposés en magasin, montrent combien les croquis de
M. Percier sont fidèles.
 
<span id="footnote40">[[#note40|40]] : Une partie de ce pavage existe encore: c'est une mosaïque composée de pierres
dures, porphyre, vert antique, serpentine, de pâtes colorées et dorées, et de petits
morceaux de terre cuite (voy. MOSAÏQUE).
 
<span id="footnote41">[[#note41|41]] : Le corps de l'autel a été coupé en morceaux lors des restaurations entreprises de
1830 à 1840; heureusement tous ces fragments existent encore, et peuvent être facilement
recomposés à l'aide d'un dessin très-complet et détaillé de M. Percier.
 
<span id="footnote42">[[#note42|42]] : On voit dans le dessin de M. Percier l'indication de cette peinture, l'armée de
Dagobert au siége de Picquigny, etc.
 
<span id="footnote43">[[#note43|43]] : Voy. les <i>Mélanges archéol.</i> des RR. PP. Martin et Cahier, t. II, p.173. «Physiologes
dist que la seraine port samblance de feme de si al nombril, et la partie
d'aval est oisel. La seraine a si doux chant qu'èle déchoit cels qui nagent en mer;
et est lor mélodie tant plaisant à oïr, que nus ne les ot, tant soit loing, qu'il ne li
conviegne venir. Et la seraine les fait si oblier quant èle les i a atrait, que il s'endorment;
et quant il sont endormi, èles les assaillent et ocient en traïson que il ne
s'en prennent garde. Ensi est de cels qui sont ès richoises de cest siècle, et ès
délis endormis, qui lor aversaire ocient: ce sont li diable. Les seraines senefient
les femes qui atraient les homes par lor blandissemens et par lor déchèvemens à
els, de lor paroles; que èles les mainent à poverté et à mort. Les èles de la seraine,
ce est l'amor de la feme qui tost va et vient.» (Manusc. Arsenal, n° 285.)
 
<span id="footnote44">[[#note44|44]] : Les fouilles faites sous le pavé actuel du chœur, en faisant retrouver les dallages
ou carrelages anciens, permettent de replacer à coup sûr les autels dessinés par
M. Percier avec leurs pavages. Malheureusement ces fouilles ne peuvent être entreprises
que successivement par suite de la faiblesse des allocations annuelles, et l'autel
dont nous parlons n'a pas encore retrouvé sa place, bien que son retable et une
grande partie de son devant existent encore, ainsi que la marche.
 
<span id="footnote45">[[#note45|45]] :<i>Dissert. sur les princip. autels des églises</i>, chap. XXIV, P. 209.