« Chronique de la quinzaine - 14 novembre 1874 » : différence entre les versions

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Voici donc, avec les premiers frissons d’hiver, une nouvelle saison politique près de s’ouvrir. Les vacances vont expirer entre les élections législatives d’hier et les élections municipales de demain, au bruit monotone des polémiques tourbillonnant comme les feuilles qui tombent. Les quatre mois qu’on s’était promis de donner au repos, et qui n’auront été qu’une prorogation d’incertitude, sont déjà passés.
 
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De toute façon, et c’est là le sentiment universel, la préoccupation dominante, la session qui se prépare, qui va s’ouvrir dans quelques jours, est selon toute apparence destinée à devenir décisive. C’est comme un rendez-vous qu’on s’est donné et qu’on ne peut plus éluder. Que l’initiative vienne du gouvernement, de la commission des trente ou d’un
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des groupes de l’assemblée, la question d’organisation constitutionnelle naît invinciblement de la nécessité des choses. Il s’agit de savoir si l’intérêt du pays parlera assez haut pour s’imposer, pour rallier une majorité suffisante à des combinaisons équitables et pratiques, ou si l’esprit de parti, obstiné jusqu’au bout, égoïste et aveugle, se fera un jeu de tenir une nation tout entière dans l’attente, au risque de conduire l’assemblée elle-même à l’abdication par l’impuissance. M. le général Changarnier recommandait il y a quatre mois à ses collègues, représentans de la France comme lui, de se donner le temps d’aller méditer sous les « frais ombrages» et consulter le pays, pour revenir avec des lumières et des forces nouvelles. Eh bien ! on a pu méditer à l’aise et consulter le pays. Avec quelles lumières et quelles résolutions nouvelles va-t-on se retrouver à Versailles ?
 
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Le mal vient uniquement et exclusivement de l’esprit de faction et d’intrigue, de cette agitation des partis qui depuis quatre ans ne songent qu’à eux-mêmes, à leurs intérêts, à la réalisation de leurs espérances, sans tenir compte de ce qui est possible dans les conditions que les événemens ont créées à la France. Quand ce ne sont pas les légitimistes qui se démènent à la poursuite d’une ombre insaisissable, ce sont les bonapartistes qui cherchent à profiter du désarroi universel pour tenter de se
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relever des déchéances dont l’empire a été frappé. Quand ce ne sont ni les bonapartistes ni les légitimistes, ce sont les radicaux, qui ont la prétention de nous imposer leur république de droit divin. Ils s’offrent tous à sauver la France, à la condition, bien entendu, que cette bonne France commence par se livrer à eux, les reconnaissant pour maîtres et seigneurs, et, comme ni les uns ni les autres ne peuvent rien, comme ils ont tous échoué jusqu’ici dans leurs tentatives, leur dernière ressource est de faire de leur impuissance une politique, de prolonger systématiquement un provisoire où ils puissent du moins continuer leurs brigues et leurs agitations. L’idéal pour eux, c’est cette sédition en permanence de toutes les compétitions de partis en face d’un pays laissé sans institutions et d’un gouvernement livré au hasard des mouvemens de tous les jours, sans organisation précise, sans les moyens qui lui sont le plus nécessaires pour vivre.
 
C’est avec cette situation équivoque, ruineuse, qu’il faut en finir. C’est la question qui va s’élever dès les premiers jours de la session à Versailles. Elle est du reste plus qu’à demi engagée par une série d’actes parlementaires communs aux deux gouvernemens qui se sont succédé depuis deux ans, par ce qu’on pourrait appeler la procédure préliminaire de l’organisation des pouvoirs publics. C’est la tactique des partis hostiles d’obscurcir sans cesse tout ce qui a été fait, de prétendre arrêter en chemin même des résolutions souveraines. En réalité, la question est née ou a été formulée pratiquement dès la fin de 1872. C’est la première commission des trente qui commençait ce travail, et c’est l’assemblée elle-même qui, par un acte du mois de mars 1873, décidait la présentation d’un ensemble, de lois constitutionnelles sur la création d’une seconde chambre, sur la transmission du pouvoir exécutif aussi bien que du pouvoir législatif. Les projets constitutionnels que M. Dufaure proposait quelques jours avant la chute de M. Thiers n’étaient que l’exécution fidèle de cette décision souveraine, dont le 24 mai a pu surprendre momentanément l’effet sans l’abroger, sans anéantir même les projets de M. Dufaure. Lorsque la prorogation septennale a été votée en faveur de M. le maréchal de Mac-Mahon, la loi du 20 novembre 1873 a rappelé plus que jamais la nécessité de l’organisation constitutionnelle réclamée par M. le président de la république lui-même. La nouvelle commission des trente nommée pour faire honneur à cet engagement s’est trouvée ainsi être l’héritière de la première; elle avait à poursuivre la même œuvre, elle l’a continuée avec une lenteur qui a eu parfois besoin d’être stimulée. Tout se lie en définitive dans ce travail souvent interrompu, toujours repris, et la proposition de M. Casimir Perier, qui avait l’air d’une grande nouveauté, cette proposition elle-même ne faisait que rassembler et rappeler tous ces actes, en pressant la solution, en précisant aussi un peu plus, si l’on veut, le caractère de cette solution. Jusqu’ici, tout bien compté, au moment où la session va
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se rouvrir, il y a des projets pour toutes des idées et pour tous les goûts, les premiers projets de M. Dufaure, la proposition déposée par M. le duc de Broglie à la veille de sa sortie du ministère, le rapport présenté au nom de la commission des trente par M. de Ventavon quelques jours avant les vacances. Il y a des projets pour la seconde chambre, pour la loi électorale. Que résulte-t-il de tout cela? C’est qu’il y a réellement un principe admis, consacré par une série de votes dont on ne peut décliner d’autorité ; il y a une nécessité d’organisation constitutionnelle qui est comme un des élémens du contrat entre l’assemblée et M. le maréchal de Mac-Mahon, qui a été affirmée, reconnue, traduite en actes parlementaires, et devant laquelle la chambre ne peut plus reculer sans se désavouer elle-même, sans biffer d’un trait ses propres votes, les travaux de ses commissions, les déclarations et les messages de M. le président de la république. L’assemblée a fait trop de chemin pour rétrograder, ou bien elle ne peut rétrograder que pour se trouver en face d’une dissolution devenue inévitable. Voilà la vérité.
 
Oui sans doute, chercher le dernier mot de cette longue élaboration constitutionnelle, donner au pays les institutions dont il a besoin, éviter d’aller à la dissolution par impuissance, c’est là le problème à résoudre, on n’en disconvient pas; mais où est la majorité avec laquelle on peut arriver à cette organisation nécessaire? sur quel terrain se reconstituera-t-elle, cette majorité qu’on cherche partout et qu’on ne trouve nulle part? Évidemment c’est là ce dont on devrait s’occuper avant la réunion de l’assemblée, si on veut éviter de se laisser surprendre par les premières bourrasques parlementaires. Le gouvernement n’est point obligé de préparer des propositions nouvelles, puisqu’il y a déjà toute sorte de projets qu’on peut arriver à combiner et à fondre dans une œuvre définitive, si on le veut; mais, s’il n’est pas obligé de prendre une initiative inutile, il est du moins tenu d’avoir une politique, et il ne peut avoir une politique qu’en se recomposant, en se fortifiant, en s’arrangeant de façon à ne pas offrir au mois de décembre le spectacle qu’il a offert au mois de juillet le jour où M. le vice-président du conseil s’est cru forcé d’abandonner aux ressentimens de la droite un message de M. le président de la république. Les chefs des fractions modérées de l’assemblée ont eux-mêmes à se demander plus que jamais ce qu’ils veulent et ce qu’ils doivent faire. En réalité de quoi s’agit-il? Est-il donc impossible de s’entendre pour arriver à une action commune entre le centre droit et le centre gauche? La république existe, et on ne peut pas rétablir la monarchie, cela n’est douteux pour personne, pas plus pour île centre droit que pour le centre gauche. Ce premier point une fois admis, est-il si difficile de se mettre d’accord sur la constitution d’une seconde chambre, sur les conditions de la loi électorale, sur les garanties dont la transmission du pouvoir exécutif doit être entourée, sur le droit réservé au pays de disposer de ses destinées par la révision
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régulière des institutions qu’on ferait aujourd’hui ? Est-ce qu’il n’est pas de l’intérêt de tout le monde de mettre dans cette organisation une force conservatrice suffisante, plus nécessaire que jamais au milieu des circonstances extérieures où la France est condamnée à vivre pendant bien des années?
 
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Que peut le centre droit, malgré l’habileté de quelques-uns de ses chefs? Il se ferait évidemment une singulière illusion, s’il se flattait encore d’arriver à une certaine organisation du septennat avec ce qu’il appelle une majorité conservatrice, peut-être avec la majorité du 24 mai reconstituée. Il s’est mis dans cette position étrange d’avoir à poursuivre une politique avec des partis dont il hésite à se séparer et qui sont les plus ardens à combattre cette politique, qui ne veulent entendre parler d’aucune espèce d’organisation constitutionnelle. Quel accord d’idées y a-t-il entre M. le duc de Broglie ou M. le duc Decazes et M. le duc de Bisaccia, qui a été pourtant l’ambassadeur de ce gouvernement à qui il refuse aujourd’hui les plus simples moyens de vivre? Que peut-on faire avec les légitimistes et les bonapartistes, pour qui ce mot de septennat ne signifie rien de plus qu’un pouvoir tout personnel et de circonstance occupant momentanément une place vide, destinée au plus heureux entre deux prétendans? Le centre droit fût-il assez éloquent ou assez habile pour s’assurer un instant l’appui de tels alliés, il n’y réussirait qu’en leur donnant des gages aux dépens de sa cause. Pour maintenir une apparence de majorité équivoque, il serait obligé de sacrifier les conditions les plus sérieuses de l’organisation constitutionnelle, de faire du septennat lui-même un pouvoir dénué d’autorité et de garanties, une sorte d’otage de ses ennemis les plus dangereux. Le centre droit n’aurait servi utilement ni le pays ni M. le maréchal de
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Mac-Mahon, qui ne serait pas beaucoup plus avancé, et c’est là justement ce qu’il y a de faux ou de peu sûr dans sa situation, dans sa politique. Le centre gauche, de son côté, nous n’en disconvenons pas, n’est pas dans des conditions plus nettes, et il a, lui aussi, ses alliances compromettantes ou onéreuses. En se ralliant à la république, parce qu’il croit la république seule possible aujourd’hui, il n’abdique point assurément son caractère de parti conservateur. Il n’est pas moins vrai qu’il n’arrive parfois à balancer la majorité dans l’assemblée qu’avec un appoint suspect de radicaux, qui sont des partisans aussi douteux du septennat que de la république conservatrice de M. Casimir Perier. Le centre gauche tient la tête d’une armée où il compte d’étranges alliés, et, s’il lui arrivait de triompher avec eux, sûrement il ne pourrait pas gouverner avec eux, de sorte que, le jour même de sa victoire ou tout au plus le lendemain, la première obligation qui s’imposerait à lui serait de chercher du secours parmi des conservateurs plus éprouvés que M. Naquet. Il aurait à faire face à ceux qui le presseraient avec une république un peu moins rassurante, qui ont déjà bien de la peine à se contenir. Tout cela est clair : c’est une situation fausse pour tout le monde, et c’est précisément parce que la situation est fausse pour les uns et pour les autres que le centre droit et le centre gauche sont également intéressés à en sortir en se rapprochant, en confondant leurs efforts pour arriver à une organisation constitutionnelle protectrice et efficace.
 
C’est une illusion et une utopie, dit-on. La réunion des deux centres ne suffirait pas, elle ne formerait qu’une minorité. Le centre droit en serait pour une rupture sans compensation avec ses alliés de l’ancienne majorité, et il n’y aurait qu’une dislocation de plus dans la confusion croissante des partis. Évidemment, si cette alliance apparaissait comme une de ces combinaisons équivoques et indécises qui, même en se réalisant, sont accompagnées de toute sorte d’arrière-pensées et de réticences calculées, elle n’aurait aucun effet, elle ne serait qu’un compromis banal et sans vertu. La première condition de succès serait une franche et patriotique entente, l’adoption d’un programme préparé en commun, soutenu en commun avec toutes les ressources du talent et de l’expérience. Est-il bien sûr que, réalisée ainsi hautement, résolument, avec l’autorité d’un grand acte public, cette alliance de toutes les fractions modérées de l’assemblée ne réussît pas, qu’elle n’eût pas pour conséquence d’exercer une sérieuse et décisive attraction sur les esprits honnêtes et hésitans, sur tous ceux qui n’attendent souvent qu’un signal pour se rendre aux transactions nécessaires? La preuve que ce ne serait pas aussi dénué d’efficacité qu’on se plaît quelquefois à le dire, c’est qu’au premier mot, dès qu’on semble revenir à cette idée, les partis extrêmes se mettent aussitôt à combattre, à railler cette pauvre « conjonction des centres. » Ils se hâtent de raviver les blessures
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anciennes, d’irriter les amours-propres, de reprendre l’éternelle histoire des divisions, des incompatibilités entre les hommes. Eh bien ! admettez que le succès ne fût pas immédiat, qu’il ne fût point enlevé d’un premier vote : cette alliance des fractions modérées patriotiquement maintenue pendant quelque temps aurait encore le mérite de créer dans l’assemblée une véritable force de gouvernement dont on ne pourrait se passer, une force conservatrice et libérale qui prendrait rapidement la direction du pays, qui ne rencontrerait devant elle que des coalitions d’aventure entre légitimistes, bonapartistes et radicaux, acharnés d’abord et bientôt impuissans. — Quoi donc! le centre droit aiderait ainsi à fonder la république? il désavouerait son idéal et ses espérances de monarchie constitutionnelle? Le centre droit n’aurait rien à désavouer, il mettrait au-dessus de ses préférences et de toutes les combinaisons de parti l’intérêt du pays. Il se montrerait prévoyant et pratique en faisant l’œuvre d’aujourd’hui sans enchaîner l’avenir par un de ces prétendus définitifs qui disparaissent à la première tempête. Le centre droit aiderait tout simplement à organiser un gouvernement dans les seules conditions où il soit possible à l’heure où nous sommes, et, si la république en profitait, ce serait dans tous les cas une république entourée d’institutions conservatrices, armée de garanties sérieuses, conciliée avec les traditions de la société française, aussi bien qu’avec toutes les nécessités de pouvoir, de direction, de vigilance, qui peuvent assurer un lendemain.
 
Ce que les légitimistes y perdraient, nous ne le voyons pas bien. Ils perdraient les chances qu’ils n’ont plus, qu’ils n’ont eues qu’un instant par une de ces fortunes qui ne se reproduisent pas deux fois. Ils ont laissé échapper l’occasion, aujourd’hui ils combattent par habitude, par une sorte de chevalerie, cette organisation constitutionnelle, qu’ils ont l’air de redouter comme si elle leur enlevait une espérance. La campagne qu’ils poursuivent, qu’ils se disposent, dit-on, à poursuivre, ne répond plus évidemment à rien, puisqu’il est parfaitement clair que, même en réussissant à tout empêcher, à détourner le vote des lois constitutionnelles, ils ne travailleraient pas pour eux. Ils parviendraient à obtenir la suppression du nom de la république qu’ils ne seraient pas beaucoup plus avancés, et ils ont beau vouloir laisser la porte du septennat ouverte, comme ils le disent, ils ne s’aperçoivent pas que M. le comte de Chambord ne serait peut-être pas le premier à passer par cette porte. Ils oublient que M. le comte de Chambord s’est trouvé à Versailles, même avant que la porte fût fermée, et qu’il n’a pas pu entrer. Les légitimistes s’exposent tout simplement à recommencer cette histoire d’une opposition chagrine, frondeuse, dangereuse peut-être quelquefois, mais inutile et aveugle, factieuse par mauvaise humeur, poussant aux catastrophes sans le savoir, aidant à tout, excepté au bien du pays. Les bonapartistes savent, eux, ce qu’ils font lorsqu’ils
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s’efforcent d’empêcher à tout prix l’établissement d’institutions sérieuses. Ils savent ce qu’ils ont gagné à cette confusion et à cette impuissance des partis; ils y ont gagné de pouvoir se relever comme s’ils n’étaient pas encore marqués de la condamnation qui les a frappés, qui a rejeté sur l’empire la responsabilité des désastres de la France. Il y a deux ans, ils se montraient à peine, ils n’avouaient ni leurs prétentions ni leurs espérances, ils avaient assez de se défendre. Aujourd’hui ils vont faire leur cour à Chislehurst, ils ont été au ministère, ils sont rentrés dans les mairies et à l’assemblée. Leurs candidats se multiplient, et même quand ils ne réussissent pas, ils ont 45,000 voix dans le département de Seine-et-Oise. Il y a trois mois, ils enlevaient l’élection dans le Calvados, hier ils faisaient nommer M. Delisse-Engrand dans le Pas-de-Calais, M. le duc de Mouchy dans l’Oise.
 
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Quant aux radicaux, quel rôle jouent-ils ou se préparent-ils à jouer dans toutes ces confusions, dans ces préliminaires de la session décisive qui va s’ouvrir? Il n’est point douteux qu’ils peuvent avoir un rôle à leur manière. Selon ce qu’ils feront, ils peuvent aider sans le vouloir aux progrès d’une réaction, dont le bonapartisme est peut-être seul en mesure de profiter, ou bien ils peuvent jusqu’à un certain point faciliter l’établissement de ce régime dont l’organisation est le problème du moment. Les radicaux ne peuvent s’y méprendre, ils n’ont qu’à se montrer, à s’agiter, pour compromettre aussitôt la cause qu’ils prétendent servir, et, par une fortune qui n’a rien d’étrange, plus ils paraissent
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réussir, plus ils sont près des déceptions par les réactions qu’ils provoquent. Depuis quelque temps ils ont semblé sentir ou subir la nécessité d’une certaine modération relative. Ils avaient si bien réussi l’an dernier par l’élection de M. Barodet à Paris, cette brillante campagne avait des effets si décisifs, si foudroyans, qu’ils en étaient quelque peu ébranlés, et ils se sont soumis à une pénitence temporaire. Ils ont eu la prudence ou l’habileté de s’effacer à temps, de laisser les affaires de la république en d’autres mains. Ils ont un moment presque fait illusion à ceux qui étaient intéressés à les encourager dans ces bonnes dispositions.
 
Malheureusement les radicaux s’accoutument difficilement à la discipline, ils ont des passions, des ambitions, des procédés, qui ne tardent pas à reparaître. Ils s’abandonnent à leur naturel, et au moment où un peu de tact politique serait le plus nécessaire, ils recommencent en détail dans les départemens, ils sont peut-être tout près de recommencer à Paris, à propos du renouvellement du conseil municipal, l’élection de M. Barodet. Dans la Drôme, ils vont tirer de l’oubli un revenant de 1848, M. Madier de Montjau, qui, sous prétexte d’orthodoxie radicale, commence par enchaîner la souveraineté nationale à la république de ses rêves de vieux montagnard. Dans l’Oise, bien qu’il y eût déjà un candidat représentant la république modérée, ils ont mis en avant ou ils ont soutenu avec âpreté M. André Rousselle, qui a eu un rôle assez équivoque au 31 octobre pendant le siège de Paris, et qui dans tous les cas s’est donné pour le représentant de la démocratie extrême. Le résultat a été aussi clair que possible. Ni le candidat modéré de la république, ni le candidat radical n’ont été élus, et une majorité considérable est allée au candidat bonapartiste , à M. le duc de Mouchy, qui a, il est vrai, une grande position de fortune dans la contrée. Que ceux qui ont de l’esprit et un peu d’habitude de la politique dans le parti radical sentent parfois le danger de ces entraînemens, qu’ils comprennent les fautes auxquelles ils se laissent associer, rien n’est plus vraisemblable; mais c’est là justement le caractère du radicalisme. Les chefs ne sont pas écoutés, ils n’ont d’autorité qu’à la condition de se soumettre; ils reçoivent des mandats impératifs et des mots d’ordre. Ils craindraient de se brouiller avec la foule qui les élit; ils suivent le mouvement au lieu de le diriger. Que les chefs du parti radical se demandent cependant quelle eût été leur position, si l’an dernier ils eussent hardiment résisté aux meneurs obscurs qui préparaient l’élection de Paris, qui imposaient une candidature de hasard. Ils eussent peut-être échoué, c’est possible, ils n’auraient pas empêché cette extravagante aventure, soit, mais le lendemain leur autorité eût été certainement bien autre. Leurs résistances, leurs conseils, se seraient trouvés justifiés par l’événement même, et dans tous les cas ils auraient montré qu’ils entendaient être des guides, non les complaisans des passions
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de leurs partis, de cette armée tumultueuse dont ils ne sont pas plus maîtres dans la victoire que dans la défaite.
 
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C’est, en même temps qu’une question d’intérêt municipal, une affaire de dignité et d’amour-propre pour Paris. Ces radicaux, sans être naïfs, ont cependant une certaine ingénuité d’un ordre particulier. On dirait que Paris leur appartient, et que le radicalisme supplée à tous les titres. Or imagine-t-on bien ce qu’il y a d’étrange, de prodigieux, tranchons le mot, de ridicule, dans ce simple fait d’une ville comme Paris, — qui est le rendez-vous de toutes les sommités de l’esprit, des affaires et de l’industrie, qui résume presque la force intellectuelle de la France, — ayant à sa tête un conseil municipal composé de M. Floquet, de M. Nadaud, de M. Raspail fils ou de personnages de cette haute compétence? Voilà donc la figure que pourrait prendre le Paris municipal devant le monde! Voilà quels seraient les gérans brevetés de la fortune d’une cité qui a une importance égale à celle de plus d’un petit état! Les Parisiens en vérité doivent se sentir quelque peu humiliés en y songeant; c’est à eux de prendre en main leurs affaires électorales et de choisir, sans distinction de radicaux, de
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conservateurs, de légitimistes, d’orléanistes, des hommes modestes, mais sérieux, faits pour représenter par leur position, par leurs lumières, par leur expérience, la grande et glorieuse ville.
 
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Les nations ont leur destin, et des manifestations qui ont une certaine analogie se produisent dans les divers pays sous des formes bien différentes. L’autre jour, à Londres, il y avait aussi une fête municipale, le banquet annuel du lord-maire, qui coïncidait avec l’anniversaire de la naissance du prince de Galles. Des radicaux et des conservateurs, des anciennes ou des nouvelles couches sociales, il n’en était pas précisément question au banquet de Guildhall. Là, tout s’est passé
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avec les solennités séculaires de l’étiquette; le représentant de la Cité de Londres, qui est, lui, un personnage municipal d’importance, donnait le dîner d’usage. Le duc de Cambridge était présent, et à côté de lui figuraient les ministres de la reine, les ministres étrangers à Londres. Jusque-là c’est le dîner traditionnel. Deux choses cependant rehaussent particulièrement et doivent rehausser aux yeux de la France cette fête du lord-maire. La première, c’est l’attention toute spéciale dont a été entouré notre ambassadeur, M. le comte de Jarnac. Il y a trente ans déjà, M. le comte de Jarnac assistait à la même fête comme secrétaire de l’ambassade de France à Londres, comme un des représentans intelligens et dévoués de la pacifique et prévoyante politique d’un roi sage. Il a pu rappeler ce temps, déjà lointain, où la France et l’Angleterre étaient en paix comme aujourd’hui, mais où notre pays n’avait pas été conduit à d’effroyables catastrophes par une politique moins prudente. Notre ambassadeur a eu l’avantage de pouvoir s’exprimer dans la plus pure langue anglaise en répondant au toast qui lui a été porté, en témoignant son attachement pour les hommes publics de l’Angleterre dont il était l’ami avant d’avoir à traiter avec eux les affaires des deux pays, en saluant d’un hommage intelligent et libéral les puissantes institutions britanniques. M. le comte de Jarnac n’a rencontré qu’une chaleureuse cordialité et des applaudissemens répétés. dans cet auditoire qui semblait mettre un empressement exceptionnel dans son accueil et dans la manifestation de ses sympathies. En s’adressant aux ministres étrangers, le lord-maire a tenu à faire intervenir particulièrement le nom de l’ambassadeur de France, et le lord-chancelier s’est joint au lord-maire en saisissant l’occasion de souhaiter une cordiale bienvenue à notre représentant. La France a été réellement de la fête de Guidhall, et c’est assurément le meilleur augure pour les relations des deux pays.
 
Le second fait caractéristique du banquet du lord-maire a été le discours du premier ministre de la reine Victoria, de M. Disraeli lui-même qui, en touchant ou en effleurant bien des sujets extérieurs et intérieurs, a su donner une forme aussi brillante que vigoureuse au témoignage des sympathies anglaises pour notre pays. Quelle est au juste la politique extérieure de l’Angleterre? Sans nul doute, elle n’entend pas sortir de la neutralité; mais du moins elle avoue ses amitiés et ses préférences. Elle ne craint pas d’exprimer, par la bouche de son premier ministre, son étonnement et son admiration pour l’élasticité, le nerf et le ressort grâce auxquels la France a su se tirer de difficultés qui semblaient inextricables après des désastres sans précédens. » Non assurément, l’Angleterre ne veut pas rompre la neutralité, le premier ministre de la reine en dit assez cependant pour laisser comprendre que, si la paix était menacée, la politique anglaise ne resterait pas inactive. Elle ne laisserait probablement pas s’accomplir des
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événemens comme ceux dont elle peut aujourd’hui apprécier le danger. M. Disraeli a dit bien des choses dans son discours d’une éloquence spirituelle et humoristique, et il en a dit une notamment assez étrange, assez énigmatique en vérité. M. Disraeli a parlé des classes ouvrières anglaises aujourd’hui en possession de franchises, de droits, et de libertés « que les classes aristocratiques ne possèdent pas en d’autres pays. » A qui a-t-il bien pu faire allusion en ajoutant aussitôt que les ouvriers anglais eux-mêmes n’avaient à craindre « ni les arrestations arbitraires, ni les visites domiciliaires? » M. Disraeli a peut-être profité des franchises de Guildhall pour dire son opinion aux puissans du moment, qui en prendront ce qu’ils voudront.
 
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Il y a peu de noms auxquels se soit attachée une aussi détestable renommée que celle dont Machiavel continue d’être l’objet. Est-ce une juste Némésis qui poursuit la mémoire du secrétaire florentin, ou bien le procès peut-il encore être révisé? Rien qu’à réunir les différens plaidoyers écrits sur ce sujet, on formerait une bibliothèque. Pour les uns, l’auteur du '' Prince'' est un monstre dans l’esprit duquel ont germé tous les plus mauvais fermons de la renaissance ; matérialiste, athée, hypocrite, imposteur, lâche et corrompu, il a élevé à la hauteur d’une théorie infâme ce qu’une époque de tumulte et de passion sanglante a enfanté de maximes immorales et de préceptes éhontés. Pour les autres, Machiavel est un héros de patriotisme ou de dévoûment à la liberté, soit qu’il ait voulu rassembler à tout prix entre les mains du Médicis l’absolu pouvoir, seul capable de lui permettre de chasser les barbares d’Italie, soit qu’il ait eu la pensée de l’induire à s’arroger en effet, par les moyens les plus efficaces, la plus grande somme d’extrême despotisme, afin de le rendre détestable et odieux, de soulever Florence contre lui, et de réveiller chez ses concitoyens le sentiment de leur indépendance. Nouveau Brutus, Machiavel aurait feint la démence, ou la scélératesse, qui est à sa manière un genre de folie, pour affranchir sa république et sa patrie italienne. Il y aurait un dévoûment filial dans l’excès de sa perfidie; sous l’avilissement de son langage se cacherait une noble passion, de même que, dans notre théâtre contemporain, c’est le plus souvent à la courtisane ou à la femme déchue qu’il faut aller demander la passion pure, le vrai amour maternel, l’affection noble et désintéressée. Comme si ce n’était pas assez de paradoxe, il est tel maître en la science de la philosophie de l’histoire aux yeux de qui Machiavel est non plus un Iago ni un Richard III, ni seulement un Brutus, mais mieux que cela, un
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Triboulet. Il a observé les hommes, ce profond philosophe, il a sondé les mobiles de leurs actes, suivi leurs illusions, leurs espérances, leurs déceptions, il a étudié son pays et son siècle; lui-même s’est senti désabusé amèrement, et le résultat de son examen a été ce livre du ''Prince'', une ironie, « un immense éclat de rire. »