« Le Secret (Collins) » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Marc (discussion | contributions)
Marc (discussion | contributions)
Ligne 1 020 :
== LIVRE
==[[Page:Collins - Le Secret.djvu/88]]==
== LIVRE III. ==
=== CHAPITRE PREMIER. — Timon de Londres. ===
Timon d’Athènes, quittant un monde ingrat, s’était retiré dans une grotte au bord de la mer ; Timon de Londres, fuyant ses semblables, dans une maison isolée du côté de Bayswater. Timon d’Athènes épanchait sa misanthropie en vers magnifiques ; Timon de Londres manifestait ses sentiments en vile prose. En s’adressant à Timon d’Athènes, on lui disait humblement : « Monseigneur. » En parlant à Timon de Londres, on n’employait que la formule beaucoup plus simple de : « Monsieur Treverton. » À tant de contrastes on ne pouvait guère opposer qu’un seul point de ressemblance, et c’était celui-ci : la misanthropie des deux Timon était également sincère ; tous deux haïssaient leurs semblables d’une haine incorrigible.
 
Le caractère d’Andrew Treverton avait, dès l’enfance, offert ces reliefs et ces lacunes contradictoires, ce mélange incompréhensible de bien et de mal, que, dans son langage indifférent et sans précision, le monde qualifie dédaigneusement « d’excentricité. » On a défini l’homme « un animal imitatif, » et l’exactitude de cette définition se trouve surtout justifiée par la condamnation que ne manque jamais d’encourir tout membre de l’espèce assez hardi pour être lui-même et ne ressembler à personne autre. L’homme est partie intégrante d’un vaste troupeau : malheur à lui si sa laine n’est pas de la couleur ordinaire ! Il lui faut boire quand le reste boit ; partir quand le reste part. Ses semblables venant à s’effrayer devant un chien et à décamper du pied droit, il faut qu’il s’effraye aussi et décampe de même, du pied droit, non de l’autre. Si
 
==[[Page:Collins - Le Secret.djvu/89]]==
par hasard il n’a pas peur, ou si, prenant la fuite, il se permet une autre allure, il demeure démontré, dans l’opinion, qu’en lui quelque chose cloche et demande à être réformé. Qu’un homme, en plein midi, s’avise de parcourir Oxford-Street dans toute sa longueur, le plus tranquillement et le plus décemment du monde, sans le moindre égarement dans les yeux, la moindre irrégularité dans l’attitude et les gestes, mais sans son chapeau ; et allez-vous-en demander ce qu’ils pensent de cet homme aux milliers de passants que vous rencontrez, le chef couvert de feutre. Combien d’entre eux, séparément interrogés, hésiteront à déclarer sur l’heure que ce promeneur est fou ? et cela sans autre preuve, que le témoignage de sa tête nue. Il y a plus : que cet homme aborde poliment, un à un, chaque passant ; que, dans les termes les plus simples et les plus nets, il leur explique ce qui, dans sa conduite, les étonne ainsi : que son chapeau le gênait, qu’il se sent la tête plus libre quand il est décoiffé ; combien de ses semblables, si prompts à le déclarer fou de prime abord, consentiront à changer d’avis après l’avoir entendu déduire ses motifs ? Pour l’immense majorité, l’explication sérieusement donnée ne sera qu’un supplément de preuve, une excellente confirmation du verdict porté contre l’intelligence de l’homme sans chapeau.