« Colomba et autres contes et nouvelles/La Vénus d’Ille » : différence entre les versions

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— Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense qu’il a servi à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que ce Myron donna à Vénus en offrande expiatoire. Myron était un amant malheureux. Vénus était irritée contre lui : il l’apaisa en lui consacrant un bracelet d’or. Remarquez que ''fecit'' se prend fort souvent pour ''consecravit''. Ce sont termes synonymes. Je vous en montrerais plus d’un exemple si j’avais sous la main Gruter ou bien Orelli. Il est naturel qu’un amoureux voie Vénus en rêve, qu’il s’imagine qu’elle lui commande de donner un bracelet d’or à sa statue. Myron lui consacra un bracelet… Puis les barbares ou bien quelque voleur sacrilège…
 
— Ah ! qu’on voit bien que vous avez fait des romans ! s’écria mon hôte en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c’est un ouvrage de l’école de Myron. Regardez seulement le travail, et vous en conviendrez. M’étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires entêtés, je baissai la tête d’un air convaincu en disant : “ C’est un admirable morceau.»
 
M’étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires entêtés, je baissai la tête d’un air convaincu en disant : « C’est un admirable morceau.
— Ah ! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de vandalisme ! On aura jeté une pierre à ma statue ! ” Il venait d’apercevoir une marque blanche un peu au dessus du sein de la Vénus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main droite, qui, je le supposai alors, avaient été touchés dans le trajet de la pierre, ou bien un fragment s’en était détaché par le choc et avait ricoché sur la main. Je contai à mon hôte l’insulte dont j’avais été témoin et la prompte punition qui s’en était suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l’apprenti à Diomède, il lui souhaita de voir, comme le héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux blancs.
 
— Ah ! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de vandalisme ! On aura jeté une pierre à ma statue ! »
La clenche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même que la veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des fermiers de M. de Peyrehorade ; et pendant qu’il leur donnait audience, son fils me mena voir une calèche qu’il avait achetée à Toulouse pour sa fiancée, et que j’admirai, cela va sans dire.
 
— Ah ! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de vandalisme ! On aura jeté une pierre à ma statue ! ” Il venait d’apercevoir une marque blanche un peu au dessus du sein de la Vénus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main droite, qui, je le supposai alors, avaient été touchés dans le trajet de la pierre, ou bien un fragment s’en était détaché par le choc et avait ricoché sur la main. Je contai à mon hôte l’insulte dont j’avais été témoin et la prompte punition qui s’en était suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l’apprenti à Diomède, il lui souhaita de voir, comme le héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux blancs.
Ensuite j’entrai avec lui dans l’écurie, où il me tint une demi-heure à me vanter ses chevaux, à me faire leur généalogie, à me conter les prix qu’ils avaient gagnés aux courses du département. Enfin il en vint à me parler de sa future, par la transition d’une jument grise qu’il lui destinait.
 
La clenchecloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même que la veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des fermiers de M. de Peyrehorade ; et pendant qu’il leur donnait audience, son fils me mena voir une calèche qu’il avait achetée à Toulouse pour sa fiancée, et que j’admirai, cela va sans dire. Ensuite j’entrai avec lui dans l’écurie, où il me tint une demi-heure à me vanter ses chevaux, à me faire leur généalogie, à me conter les prix qu’ils avaient gagnés aux courses du département. Enfin il en vint à me parler de sa future, par la transition d’une jument grise qu’il lui destinait.
« Nous la verrons aujourd’hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez jolie. Vous êtes difficiles, à Paris ; mais tout le monde, ici et à Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c’est qu’elle est fort riche. Sa tante de Prades lui a laissé son bien. Oh ! je vais être fort heureux. » Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché de la dot que des beaux yeux de sa future.
 
« Nous la verrons aujourd’hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez jolie. Vous êtes difficiles, à Paris ; mais tout le monde, ici et à Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c’est qu’elle est fort riche. Sa tante de Prades lui a laissé son bien. Oh ! je vais être fort heureux. » Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché de la dot que des beaux yeux de sa future.
« Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment trouvez-vous ceci ? Voici l’anneau que je lui donnerai demain. » En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt une grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains entrelacées; allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en était ancien, mais je jugeai qu’on l’avait retouchée pour enchâsser les diamants. Dans l’intérieur de la bague se lisaient ces mots en lettres gothiques : Sempr ab ti, c’est-à-dire, toujours avec toi.
 
Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché de la dot que des beaux yeux de sa future.
« C’est une jolie bague, lui dis-je ; mais ces diamants ajoutés lui ont fait perdre un peu de son caractère.
 
« Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment trouvez-vous ceci ? Voici l’anneau que je lui donnerai demain. »
— Oh ! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il y a là pour douze cents francs de diamants. C’est ma mère qui me l’a donnée. C’était une bague de famille, très ancienne… du temps de la chevalerie. Elle avait servi à ma grand-mère, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a été fait.
 
« Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment trouvez-vous ceci ? Voici l’anneau que je lui donnerai demain. » En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt une grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains entrelacées ; allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en était ancien, mais je jugeai qu’on l’avait retouchée pour enchâsser les diamants. Dans l’intérieur de la bague se lisaient ces mots en lettres gothiques : Sempr ab''Sempr’ab ti'', c’est-à-dire, ''toujours avec toi''.
— L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple, ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l’or et du platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort convenable.
 
« C’est une jolie bague, lui dis-je ; mais ces diamants ajoutés lui ont fait perdre un peu de son caractère.
Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, est si grosse, qu’on ne pourrait mettre un gant par-dessus.
 
— Oh ! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il y a là pour douze cents francs de diamants. C’est ma mère qui me l’a donnée. C’était une bague de famille, très ancienne… du temps de la chevalerie. Elle avait servi à ma grand-mère, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a été fait.
 
— L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple, ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l’or et du platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, est si grosse, qu’on ne pourrait mettre un gant par-dessus.
— Oh ! Mme Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle sera toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt, c’est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un air de satisfaction l’anneau tout uni qu’il portait à la main, celle-là, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée un jour de mardi gras. Ah ! comme je m’en suis donné quand j’étais à Paris il y a deux ans ! C’est là qu’on s’amuse !… » Et il soupira de regret.
 
— Oh ! Mmemadame Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle sera toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt, c’est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un air de satisfaction l’anneau tout uni qu’il portait à la main, celle-là, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée un jour de mardi gras. Ah ! comme je m’en suis donné quand j’étais à Paris il y a deux ans ! C’est là qu’on s’amuse !… » Et il soupira de regret.
Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la future ; nous montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château, éloigné d’Ille d’environ une lieue et demie. Je fus présenté et accueilli comme l’ami de la famille. Je ne parlerai pas du dîner ni de la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je pris peu de part. M. Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à l’oreille tous les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux, et, chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec modestie, mais lui répondait sans embarras.
 
Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la future ; nous montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château, éloigné d’Ille d’environ une lieue et demie. Je fus présenté et accueilli comme l’ami de la famille. Je ne parlerai pas du dîner ni de la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je pris peu de part. M. Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à l’oreille tous les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux, et, chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec modestie, mais lui répondait sans embarras.
Mlle de Puygarrig avait dix-huit ans ; sa taille souple et délicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé. Elle était non seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel parfait de toutes ses réponses ; et son air de bonté, qui pourtant n’était pas exempt d’une légère teinte de malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette comparaison que je fis en moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté qu’il fallait bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son expression de tigresse; car l’énergie, même dans les mauvaises passions, excite toujours en nous un étonnement et une espèce d’admiration involontaire.
 
MlleMademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans ; sa taille souple et délicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé. Elle était non seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel parfait de toutes ses réponses ; et son air de bonté, qui pourtant n’était pas exempt d’une légère teinte de malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette comparaison que je fis en moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté qu’il fallait bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son expression de tigresse ; car l’énergie, même dans les mauvaises passions, excite toujours en nous un étonnement et une espèce d’admiration involontaire.
« Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu’une si aimable personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un homme indigne d’elle ! » En revenant à llle, et ne sachant trop que dire à Mme de Peyrehorade, à qui je croyais convenable d’adresser quelquefois la parole :
 
« Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu’une si aimable personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un homme indigne d’elle ! » En revenant à llle, et ne sachant trop que dire à Mme de Peyrehorade, à qui je croyais convenable d’adresser quelquefois la parole :
« Vous êtes bien esprits forts en Roussillon ! m’écriai-je ; comment, madame, vous faites un mariage un vendredi ! A Paris nous aurions plus de superstition ; personne n’oserait prendre femme un tel jour.
 
En revenant à Ille, et ne sachant trop que dire à madame de Peyrehorade, à qui je croyais convenable d’adresser quelquefois la parole :
— Mon Dieu ! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu que de moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a voulu, et il a fallu lui céder.
 
« Vous êtes bien esprits forts en Roussillon ! m’écriai-je ; comment, madame, vous faites un mariage un vendredi ! AÀ Paris nous aurions plus de superstition ; personne n’oserait prendre femme un tel jour.
Cela me fait de la peine pourtant. S’il arrivait quelque malheur ? Il faut bien qu’il y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du vendredi ?
 
— Mon Dieu ! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu que de moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a voulu, et il a fallu lui céder. Cela me fait de la peine pourtant. S’il arrivait quelque malheur ? Il faut bien qu’il y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du vendredi ?
— Vendredi ! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus ! Bon jour pour un mariage ! Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus. D’honneur ! c’est à cause d’elle que j’ai choisi le vendredi.
 
— Vendredi ! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus ! Bon jour pour un mariage ! Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus. D’honneur ! c’est à cause d’elle que j’ai choisi le vendredi. Demain, si vous voulez, avant la noce, nous lui ferons un petit sacrifice ; nous sacrifierons deux palombes , et si je savais où trouver de l’encens…
 
— Fi donc, Peyrehorade ! interrompit sa femme scandalisée au dernier point. Encenser une idole ! Ce serait une abomination ! Que dirait-on de nous dans le pays ?