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— Parce que vous ressemblez aux fusils de pacotille ; ils partent quelquefois, mais ils n’atteignent jamais le but.
 
CHAPITRE
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XXI
CHAPITRE XXI
 
L’ADMINISTRATION
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L’administration fut d’abord exercée par des agents commerciaux qui établirent leur siège à Surate en 1668. Le directeur Caron ne réussit point; il s’empara de Trinquemale, dans l’île de Ceylan ; mais, harcelé par les Hollandais, il repassa sur le continent et se fixa dans la ville hollandaise de Saint-Thomé qu’il fut bientôt contraint de restituer à ses premiers occupants.
 
Le successeur de Caron, François Martin, eut l’idée de réunir les débris de la colonie et vint s’installer avec une centaine de personnes sur le territoire de Pondichéry qu’
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ilqu’il acquit à beaux deniers comptants du souverain légitime. Grâce à son habile et sage direction, la ville prospéra jusqu’en 1693 où elle fut attaquée et prise par les Hollandais.
 
En vertu du traité signé à Ryswicq, le 20 septembre 1697, notre propriété nous fut restituée. JedisJe dis propriété, parce que le prix d’acquisition en avait été payé par des Français. De cette époque date sa classification dans l’empire colonial de la France. Le premier gouverneur général fut François Martin ; le gouvernement métropolitain fit preuve de justice et de haute intelligence en nommant l’ancien directeur à ce poste éminent.
 
Nos éternelles querelles avec l’Angleterre, en amenant des cessions et des rétrocessions réitérées, rendirent très-irrégulière l’administration qui atteignit à un haut degré de prospérité sous l’impulsion de deux hommes de génie : Martin, que je viens de citer, et l’un de ses successeurs, Dupleix.
 
Ce dernier était un esprit ardent fait d’initiative et d’audace. Il avait les qualités d’un soldat quoiqu’il n’eût étudié que le commerce. Il eut à’soutenirà soutenir de terribles guerres contre les Anglais aux ordres des généraux Clive et ^VarrenWarren Hastings alliés aux Marhattes et aux rois du Mysore et du Tanjaour.
 
Uupleix avait étendu notre domination sur les provinces de Monfanagar, d’Ellour, de Chicakal et de Kajacnandri, sur. l’île de.Seringam, sur le territoire de Karikal,
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Karikal, en un mot sur toute la côte d’Orix et la partie de l’Inde située au sud du Godavery. Le Grand Mogol l’avait fait nabab de Carnate ; les rajahs d’Arcate et du Dcccan avaient sollicité son protectorat.
 
Il était admirablement secondé. Son armée était commandée par un héros, le marquis de Bussy, qui mourut en 1785, gouverneur général de la colonie conquise par ses armes. Dupleix avait à côté de lui une femme admirable, la sienne, Jeanne de Castro, créole espagnole d’une beauté presque merveilleuse, douée d’un esprit prévoyant et éclairé, d’un jugement sûr, parlant et écrivant avec la même facilité tous les dialectes de l’Inde, et Dieu sait si le nombre en est grand.
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conquêtes.
 
Depuis la dernière reprise de possession de Pondi- chéryPondichéry, avec un territoire considérablement réduit, des quatre comptoirs et des loges que j’ai énumérés plus haut, l’administration, coniiéeconfiée à la marine, est devenue plus régulière. Parmi les gouverneurs qui se sont succédé de 1816 à 1876, trois surtout laisseront un souvenir durable. Ce sont : le vicomte Desbassyns de Riche- mont, commissaire général de la marine, qui présida aux destinées de la colonie, du mois de juin 1826 au mois d’août 1828 ; le général duc de Saint-Simon (alors marquis et maréchal de camp), du 3 mai 1835 au 27 avril 1840, et le contre-amiral de Verninac Saint-Maur, du 29 juillet 1852 au 1" avril 1857.
 
M. de Richement a fondé d’utiles établissements, protégé le commerce et développé l’industrie.
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En résumé, les rouages administratifs fonctionnent
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simplement. Comités de bienfaisance, hôpital militaire, léproserie, maison de santé po.urpour les natifs, mont-de- piété, imprimerie du gouvernement, journal officiel de la colonie, service de santé bien organisé, pharmacie de la marine qui livre au public ses manipulations au prix de revient ; police dirigée, à Pondichéry, par le maire ; dans les autres comptoirs, par des commissaires européens, ayant sous leurs ordres un certain nombre d’agents indigènes ; rien de ce qui est utile ne manque à nos établissements.
 
simplement. Comités de bienfaisance, hôpital militaire, léproserie, maison de santé po.ur les natifs, mont-de- piété, imprimerie du gouvernement, journal officiel de la colonie, service de santé bien organisé, pharmacie de la marine qui livre au public ses manipulations au prix de revient ; police dirigée, à Pondichéry, par le maire ; dans les autres comptoirs, par des commissaires européens, ayant sous leurs ordres un certain nombre d’agents indigènes ; rien de ce qui est utile ne manque à nos établissements.
 
Nos administrés s’estiment très-heureux de vivre sous un régime d’une douceur à laquelle ne les avaient point habitués leurs anciens maîtres. En un mot, notre administration a tenu à faire aimer son autorité plutôt qu’à la faire craindre.
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L’administration de l’honorable Compagnie des Indes a été marquée par de grands scandales. Lord Clive et Warren Hastings ont donné lieu à des enquêtes parlementaires et ont été flétris par ces enquêtes qui les ont convaincus de concussions, de cruautés et d’exécutions de toute sorte. 11 convient d’ajouter à la louange de l’Angleterre qu’elle essaie de réparer dans les Indes, depuis l’insurrection de 1857, les crimes et les fautes du passé.
 
CHAPITRE
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XXII
CHAPITRE XXII
 
LA. LÈPRE ET LA LÉPROSERIE
 
Parmi les établissements de noire colonie, il en estunest un que je ne saurais passer sous silence, bien que la visite que j’y ai faite ne m’ait laissé que do pénibles souvenirs. Je veux parler de la léproserie.
 
La lèpre est un des fléaux. qui déciment les populations de l’Inde. Elle était très-répandue en Europe et en Asie aux temps les plus reculés. Elle a complètement disparu de l’Europe ; mais elle est restée dans l’Inde. Manou en fait état.dans son livre comme constituant un vice rédhibitoire.
 
Il cite cette hideuse affection parmi les causes qui autorisent une seconde épouse. « L’Indien, dit le législa- « leurlégislateur, peut avoftavoir deux femmes quand la première est « stérile, acariâtre ou lépreuse. » Que d’époux auraient une raison plausible pour contracter une seconde alliance si notre loi leur permettait de s’appuyer sur la maussaderie de leurs femmes !
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On voit par que la monogamie, qu’on assure être la règle du mariage dans l’Inde, doit y subir plus d’une éclipse et que les prétextes ne manquent point aux époux mécontents pour augmenter le personnel de leur ménage. La prévision n’est pas indispensable d’ailleurs, puisque l’Indien a l’autorisation d’entretenir autant de concubines qu’il lui plaît dans le domicile conjugal.
 
Revenons à la lèpre. Est-elle ou non contagieuse? se communique-t-elle par le contact et par la cohabitation ? Telle est la question que j’examinais avec un ami qui m’accompagnait dans ma visite. Cet ami était anti-conta- gionistecontagioniste et il me citait, à l’appui de sa thèse, un fait décisif.
 
Il avait habité la Guadeloupe, où une loi draconienne s’il en fut, autorise l’administration à enlever tout lépreux, à quelque classe de la société qu’il appartienne, et à l’interner dans une petite île appelée la Désirade, distante d’environ deux lieues de la Guadeloupe et qu’une mer fort tourmentée isole complètement de la grande terre. La Désirade est la première terre qu’aperçut Colomb dans le golfe américain, celle dont l’aspect changea en adoration les sinistres projets de l’équipage à l’égard du grand navigateur.
 
Un vaste camp, pouvant conteniruncontenir millierdeun millier de lépreux, a été construit à grands frais au sein d’une nature aride et sauvage qui semble être en parfaite harmonie avec l’horreur de sa destination.
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Mon ami avait été membre d’uaed’une commission chargée d’apurer les comptes et de contrôler les actes du directeur de l’établissement. Introduit au milieu de la population lépreuse, il fut épouvanté des innombrables et hideuses formes qu’affecte la maladie, mais quel ne fut pas son étonnement lorsque, parmi ces débris humains qui exhalaient une odeur fétide, il vit circuler une belle négresse d’environ vingt-cinq ans daiisdans tout l’éclat de la jeunesse et de la santé !
 
C’était une femme admirable sous le rapport plastique. Elle était couverte de riches bijoux qu’elle étalait avec complaisance. Jamais mon ami n’avait vu de plus beau type ; on eût dit que cette abyssinienne au galbe pur, à l’a peau fine et satinée, était une Vénus taillée par un artiste de génie dans un bloc de marbre noir.
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Interrogé par mon ami, le directeur lui apprit que, depuis une dizaine d’années, c’est-à-dire dès l’âge de quinze ans, cette splendide créature habitait le camp et consolait les lépreux possesseurs d’une certaine fortune des rigueurs de leur internement.
 
La non-contagion est donc chose acquise. La lèpre ne se transmet pas absolument par le contact ni par la cohabitation. Mais ce qui n’est pas moins cerlaincertain c’est " qu’elle se transmet par l’hérédité. L’atavisme, pour parler comme les docteurs, cette loi fatale des affections humaines, est un fait démontré par la science. On comprend que, dans un pays bien administré, on cherche à
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soler les infortunées victimes d’un implacable fléau afin que les sources de la vie ne soient pas empoisonnées dans les populations.
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La léproserie a eu pour fondateur M. Desbassyns de Richement, ancien gouverneur de la colonie, père du sénateur actuel de ce nom. C’est à l’aide des libéralités de M. de Richement qu’elle a été construite et qu’elle est entretenue.
 
Elle est située à deux ou trois kilomètres de Pondi- chéryPondichéry, à une courte distance du camp des Makouals. Quand je la visitai, elle ne contenait qu’une douzaine de lépreux, et pourtant on en rencontre des troupes entières chaque jour.
 
L’Indien a horreur de la séquestration. Aux douceurs d’une existence assurée du boire et du manger,
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il préfère la vie hasardeuse et misérable mais libre. La mendicité ne déshonore pas dans l’Inde. La charité y est d’ailleurs dans les mœurs et de principe religieux. Souciassys et Fakirs circulent partout, élalantétalant des infirmités vraies ou simulées et recueillant d’abondantes aumônes.
 
Les soins médicaux ne manquent pas aux lépreux. Les officiers du service de santé, attachés à la colonie, ont mis en pratique toutes les ressources de la science pour enrayer la maladie ou la soulager. Mais la maladie est implacable; rien ne la détruit ou n’en suspend le cours. Auprès de ces damnés de la vie, les pieux efforts de l’apostolat ont plus fait que le dévouement des médecins, et la résignation règne du moins dans ce pandémonium des souffrances humaines.
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Pendant mon séjour à Pondichéry eut lieu l’une de
 
ces invasions, très-fréquentes autrefois mais qu’une é
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nergiqueénergique répression a rendues très-rares sur notre territoire.
 
LesDacoïtsLes Dacoïts ont succédé aux Thugs dans l’Inde anglaise, mais ils ne forment point comme les étrangleurs une secte religieuse poussée au meurtre par le fanatisme et par l’horreur de l’étranger. Leur association n’a d’autre objectif que le brigandage. Très-savamment organisés, ces voleurs enveloppent l’Inde entière d’un réseau continu.
 
Ils ont des intelligences avec les agents indigènes des deux territoires qui leur font connaître le fort et le faible de chaque localité, les ressources que possède chaque aldéeaidée, les richesses qui s’y trouvent accumulées ainsi que les moyens de résistance qu’elle peut présenter. Ainsi tenus au courant, les chefs préparent une invasion, et, pendant une belle nuit, se ruent sur notre territoire et envahissent la maison d’un opulent Babou, signalée par leurs correspondants.
 
Cette maison, ils la dévalisent de fond en comble, lia- n’ont recours à l’assassinat qu’à la dernière extrémité; mais, le plus souvent, ils emploient la torture comme le faisaient les Chauffeurs de sinistre mémoire.
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Parmi les souvenirs d’un lointain passé, on cite particulièrement une attaque de nuit accomplie à trois cents mètres du palais du gouvernement. Douze palanquins, bruyamment menés et escortés de Mastalgis ou porteurs de torches, s’arrêtèrent devant la maison d’un des plus riches habitants de la ville noire. Le maître du logis avait reçu, quelques jours avant, une somme considérable.
 
En un clin d’œil l’envahissement.se fit. Toute communication avec le dehors fut interceptée. Le bataillon de cipayes n’était pas encore caserné à cette époque. Chaque soldat se retirait, la nuit, dans sa paillotlepaillotte. Les assaillants n’avaient donc rien à redouter du côté de la force armée.
 
Lorsque, au bruit de l’invasion et aux cris des victimes, le poste du gouvernement accourut à l’aide, les envahisseurs avaient déjà fui ; les palanquins emportaient les dépouilles. La poursuite dut s’arrêter à la frontière. Quelques coups de fusil, tirés au hasard, n’atteignirent personne.
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contraignirent à révéler les cachettes en leur appliquant
 
la question.
 
Les pieds et les mains de ces malheureuses, enveloppés de linge, furent imbibés d’huile de coco, et l’on y mit le feu. Cet horrible supplice délia toutes les langues. Aucun des Indiens de l’aldée ne songea à résister. Ils étaient aflolésaffolés de terreur du reste et n’avaient pas d’armes pour se défendre.
 
Cette fois néanmoins, l’impunité ne fut point acquise aux coupables. Nos agents se mirent activement en campagne et suivirent à la piste les hardis brigands. La royale compagnie leur prêta, dans cette occasion, une énergique assistance. Sept membres de la horde furent pris et parmi eux le chef. On les livra à la justice.
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Le procès révéla la puissance d’organisation de ces malfaiteurs. Ils avaient pour complices des Indiens juges et chefs de districts sur le territoire anglais. Pour échapper au châtiment, le principal accusé essaya de la corruption sur nos agents indigènes. On leur offrit de sa part des sommes importantes qu’ils repoussèrent avec mépris.
 
La femme du chef de la bande, jeune et belle Indienne, convertcconverte de bijoux, allait assiéger la porte de nos magistrats. Démarches inutiles : justice fut rendue à chacun. Condamné aux travaux forcés ainsi que ses
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complices, le chef fut transféré au bagne de Toulon où il mourut quelques années plus tard.
 
Depuis cette razzia, les DacoïlsDacoïts ne se sont plus risqués sur le territoire français ; mais ils ont continué à exploiter le territoire anglais.
 
CHAPITRE
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XXIV
CHAPITRE XXIV
 
LA VIE DANS L’INDE
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Par les soins de M. Hostein, titulaire de cet emploi les serviteurs rangeaient en cercle deux ou trois douzaines de fauteuils en rotin, et les privilégiés, presque toujours les mêmes, venaient se reposer ’de leurs travaux, en ne perdant pas une bouffée de la brise.
 
’ .Comme
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Comme il n’existe à Pondichéry, ni café,. ni théâtre, ni lieu de réunion publique, on se rencontrait régulièrement à ce cercle improvisé, et l’on s’y racontait les rares nouvelles du jour. Aller à la Pointe-aux-Blagueurs était l’une des distractions inscrites sur. notre. pro-i gramme, qui ne brillait guère par la variété. . Quelquefois nous étions assaillis par des acrobates indigènes. d’une agilité et d’une adresse incomparables, par des escamoteurs ou par des charmeurs de serpents. Ceux-ci.étalaient sur le sol un panier recouvert d’une toile grossière, se mettaient à souffler dans un chalu-. meauchalumeau, espèce d’instrument primitif, plongeant dans une calebasse creuse, et ils tiraient de là des sons d’une extrême douceur que je ne puis comparer qu’à ceux du hautbois ou de la musette.
 
Au bout de quelques minutes, on voyait surgir du panier les têtes hideuses de deux ou trois serpents ca- pelles qui, se dressant sur leurs queues et ouvrant leurs têtes sur lesquelles se dessinaient parfaitement les deux cercles qui les font désigner aussi sous le nom de serpents à lunettes, se balançaient en mesure en scandant par leurs mouvements chaque note du l’instrument.
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danse étrange et mélodiquement cadencée de ces terribles animaux.
 
Le serpent, en effet, est l’un des fléaux du sud de la péninsule, comme le tigre est celui des provinces du Nord. Ceylau est infestée de serpents et la côte de Coro- mandelCoromandel en contient d’innombrables quantités, parmi lesquelles brillent au premier rang le cobra ou serpent capelle, et ce petit reptile couleur de terre, d’autant plus dangereux qu’on ne le voit pas, et dont le surnom indique la rapidité avec laquelle son venin se répand dans le sang: on l’appelle serpent minute.
 
On assure que les Indiens ont trouvé un contrepoison pour combattre la morsure du serpent capelle ; mais jusqu’ici, dit-on, on ne connaît aucun remède assez actif pour arrêter l’effet immédiatement mortel de celle de son imperceptible confrère. Ce qui est hors de doute, c’est qu’il n’existe pas dans toute l’Inde de reptile inoffensif.
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Après le dîner, on trouvait des cercles tout formés chez les principaux commissionnaires du pays. Dans les cours ou sous les grandes vérandahs de leurs maisons, ils installaient des tables de jeu, et le premier venu, pourvu qu’il fût de race européenne, entrait, se présentait lui-même et s’installait sans autre cérémonie à une table de bouillotte. On joue beaucoup dans les colonies; cela tient à leur nature même et à l’impossibilité de s’y procurer d’autres plaisirs.
 
On y danse cependant et pour ainsi dire avec frénésie. Ainsi les bals du gouvernement étaient fort courus, et rarement un invité faisait défaut. Plusieurs notables et les officiers de la garnison anglaise de Gou- delourGoudelour, située à quelques lieues du chef-lieu de nos établissements, venaient s’y délasser de la vie contemplative. Après une heure de sauterie, tout ce monde ruisselait. On aurait dit un ballet de Tritons et de Néréides.
 
Les bals commençaient de bonne heure pour finir vers une heure du matin ; mais, si fatigué et si pressé qu’on fût de rentrer, aucun des invités ne serait parti avant minuit, heure solennelle où, remplaçant les rafraîchissements ordinaires, apparaissait la moulougou- thani. La traduction de ce mol tamoul, composé de deux mots, est : eau de poivre.
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Ce bouillon est vraiment délicieux, mais il emporte
 
la bouche, et la première impression qu’il procure ne
 
lui est pas favorable. Néanmoins, elle change bien vite
 
et le moulougouthani devient pour les gourmets
’attraitl’attrait de toute bonne fête en Asie.
 
Dans les premiers temps de notre séjour à Pondi- cliéryPondichéry, l’amiral et moi nous faisions régulièrement1, chaque soir, une longue promenade en voiture dans les environs. Il nous fut possible de nous rendre compte de la prodigieuse fécondité de ce territoire qui, exposé à l’action vivifiante du soleil, a pour auxiliaires de nombreux cours d’eau et des agencements hydrauliques d’une utilité permanente.
’attrait de toute bonne fête en Asie.
 
Dans les premiers temps de notre séjour à Pondi- cliéry, l’amiral et moi nous faisions régulièrement1, chaque soir, une longue promenade en voiture dans les environs. Il nous fut possible de nous rendre compte de la prodigieuse fécondité de ce territoire qui, exposé à l’action vivifiante du soleil, a pour auxiliaires de nombreux cours d’eau et des agencements hydrauliques d’une utilité permanente.
 
Ce sol, travaillé avec soin, du reste, par ceux qui n’en .ont été pendant trop longtemps que les usufruitiers, quoique peu étendu en superficie, est arrosé par huit fleuves ou rivières. On y a établi, en outre, neuf grands canaux d’irrigation, cinq barrages et cinquante- trois réservoirs. 11 ne contient pas moins de cinquante- neuf étangs, dont cinq couvrent une grande étendue, et deux cent deux sources. Ces auxiliaires de la production, répartis par la nature ou résultant de la prévoyance humaine, sont appliqués avec une rare sagacité aux besoins de l’agriculture.
 
— C’est au moyen de constantes irrigations qu’on a pu rendre fertile le terrain argileux, mêlé de sable, qui forme le sol. i,a qualité de l’eau est d’ailleurs excellente.
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Mais l’aya (femme de chambre) de Zara accourut tout éplorée sous la vérandah, et, par des gestes désespérés, nous fit comprendre qu’un grave événement était survenu.
 
P...
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P... lui demanda en persan en quoi consistait cet événement : l’aya, qui n’entendait pas cette langue et qui n’aurait pu répondre à son interlocuteur, prit le moyen le plus simple pour le mettre au courant ; elle l’entraîna vers la chambre de Zara. Nous entendîmes bientôt des lamentations et des sanglots. L’aya parut à la porte et nous appela. En entrant dans la pièce voisine, nous aperçûmes le général couché sur le corps de Zara, qu’il étreignait avec la force .que donne le désespoir. Le pauvre homme était presque fou ; il nous fit pitié. Sa douleur ne se calma un peu que lorsque les larmes jaillirent de ses yeux.
 
Nous ne ménageâmes pas les consolations à notre ami; mais, de temps à autre, lorsque nous le croyions devenu plus raisonnable, il se livrait à de nouveaux éclats et parlait même de suicide. Cependant, il finit par se jeter sur un lit de repos où nous le laissâmes assoupi.
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En lui parlant ainsi, nous ramenâmes peu à peu à ne plus porter atteinte à sa chevelure et à être triste sans manifester sa douleur par des éclats inutiles. La douleur elle-même ne devait pas être éternelle.
 
F... avait peut-être éléété sérieusement frappé de la mort subite de sa femme. On s’en aperçut à sa manière d’être pendant les quinze jours qui suivirent l’événement. Il ne parlait plus de ses prouesses dans l’Afghanistan, de son gouvernement d’flérat et de quelques autres phases de sa carrière militaire en Perse.
 
Ces quinze jours passés, un notable changement se fit en lui. Il redevint bavard, et manifesta cette innocente vanité que nous avions remarquée et que nous lui pardonnions d’autant plus volontiers qu’elle était in- offensive.
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— Ne soyez pas surpris, me dit-il, et surtout ne me jugez pas mal en me voyant dans ces dispositions. J’ai eu pour Zara une sincère aflection qui prenait sa source dans un sentiment autre que l’amour ; mais je suis de ceux qui ne peuvent vivre dans l’isolement, et l’isolement est impossible dans des pays comme celui-ci où la vie est tout intérieure.
 
— Je ne vous blâme point, répliquai-je, et, quoique garçon, je comprends les charmes de la vie conjugale. Quant à mon étonnement, il s’est manifesté involontairement à l’annonce que vous ave?avez bien voulu me faire.
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il s’est écoulé un mois à peine depuis la mort de celle qui vous a accompagné jusqu’ici, et un mois...
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Quinze jours plus tard, en effet, j’assistai au mariage du général avec mademoiselle C..., jeune blanche indigène, fort bien apparentée dans le pays et d’une figure agréable.
 
Un mois après, grâce à mon insistance auprès du gouverneur, F... était nommé maire de Pondichéry, fonctions qui enfraînaiententraînaient un traitement respectable et auxquelles s’ajoutaient celles de chef de la police.
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En très-peu de temps de ce régime gymnastique, la bête infortunée dut être remise à l’écurie, pour n’en plus sortir et un peu plus tard envoyée à l’abattoir, c’est ce qui semble résulter du couplet suivant d’une chanson faite sur le général :
 
<poem>
Beaupoil, qui vous portait naguère,
Maugréait contre le destin :
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A réclamé les invalides :
Beaupoil n’était pas amoureux.
</poem>
 
Les petits soins du général pour celle qui avait consenti à porter son nom, sa soumission à ses désirs, et même à ses caprices, devinrent bientôt le sujet de toutes
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les conversations. La chanson que je viens de citer explique et justifie cette attitude ; faisant allusion à ce qu’on nommait la déroute de F..., elle dit :
 
<poem>
Consolez-vous d’une défaite
Qui change en myrlemyrte le laurier
Et qui, dans une paix parfaite,
Achève le sort du guerrier.
Ligne 375 ⟶ 371 :
Le premier général du monde,
C’est le général Cupidon.
</poem>
 
F... ne s’émut point des petites médisances, des propos caustiques, du sobriquet de général Cupidon, qui lui resta. Il vécut, ou plutôt il vit encore avec sa femme, dans une union parfaite ; ils eurent beaucoup d’enfants et ils furent heureux. Mais il a probablement mis un frein aux concessions, car je l’ai rencontré, il y a deux ans, à Marseille, et ses moustaches avaient repoussé.
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La chanson est une arme commode dont le faible se sert parfois avec succès contre le fort. J’ai été chansonné comme d’autres, et j’ai répondu, à mon tour, par des couplets que je m’abstiens de reproduire.
 
Je me bornerai seulement à citer une dernière strophe adressée par un auteur anonyme à un gros traitant, enrichi de fraîche
==[[Page:Chauvet - L Inde française.djvu/158]]==
de fraîche date, qui, à mille prétentions, joignait
 
celle d’avoir fait la guerre avec gloire en Espagne et
parlait à chaque instant de la fameuse bataille de Sala-Salamanque
 
manque dans laquelle il s’était, disait-il, prodigieusement
parlait à chaque instant de la fameuse bataille de Sala-
 
manque dans laquelle il s’était, disait-il,prodigieusement
 
distingué.
 
Le chansonnier, ignorant sans doute la bataille de Salamanque, tançait ainsi le traitant :
 
<poem>
Ce mastodonte est du négoce
Le ventru le plus étoffé ,
Ligne 401 ⟶ 395 :
On dirait un dindon truffé.
Il coupa d’estoc et de taille,
ASalamanqueÀ Salamanque un beau laurier ;
II assistait à la bataille
En qualité de... bachelier.
</poem>
 
Ceci démontre que le ridicule appelle la satire, et la satire, il faut bien le dire, trouvait largement à s’exercer dans un milieu composé d’éléments hétérogènes, où la fortune, bien ou mal acquise, justifie toutes les excentricités, efface toutes les souillures et impose le plus profond respect. Dans nos colonies, on. est forcément moins difficile qu’en France sur les gens avec lesquels on vit, et le fameux proverbe : « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui lutu es » n’y a point d’application rigoureuse.
==[[Page:Chauvet - L Inde française.djvu/159]]==
 
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Pour bien faire comprendre l’éclatant service rendu par l’amiral de Verninac à l’Inde française et l’inappréciable bienfait dont sa haute intelligence et la constante sollicitude de son administration ont doté ce pays, il
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me faut enlrerentrer ici dans quelques développements sur l’organisation de la société indienne, telle que l’avaient trouvée les Français en prenant possession d’une partie du sol de la péninsule et .telle qu’elle s’est maintenue depuis sans altération.
 
Cette société, essentiellement aristocratique et théo- cratiquethéocratique, repose tout entière sur Je livre de Manou qui est pour les Indiens ce que le Koran est pour les populations musulmanes, c’est-à-dire un évangile réglant à la fois la vie sociale et la vie privée.
 
Manou, qui vivait huit ou neuf siècles avant l’ère chrétienne, avait donné pour pierre angulaire à son édifice le principe monarchique absolu. . Ce n’était pas seulement toute justice qui émanait du roi, c’était toute la vie humaine. C’était le droit de propriété et tout ce qui en découle. Manou organisait, en un mot, le despotisme sous sa forme la plus concrète.
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définitif, l’Indien n’était-il pas réduit à l’état d’ilote ? N’était-il pas condamné à ne pas progresser et à ne jamais connaître la force irrésistible d’expansion de l’initiative personnelle ?
 
Toutes ces pensées bourdonnaient dans la tête d’un homme qui joignait à une rare intelligence le cœur le plus généreux. Il fut aidé dans son œuvre si difficile par l’administration, qui lui avait opposé au début la force d’inerlied’inertie, et qu’il avait fini par convaincre et par galvaniser.
 
L’ordonnateur, le procureur général, esprit libéral et droit, moi-même, nous nous attachâmes tous à faciliter la réalisation d’un si noble projet. Le directeur des domaines, M. Gallois-Montbrun, jeune encore, désireux d’être utile, un peu trop zélé peut-être, mais actif et intelligent, apporta à la tâche commune un concours précieux, si bien qu’en quelques mois le plan de cette immense réforme conçu par l’amiral fut rempli avec succès.
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Quant à l’impôt lui-même, nous lui fîmes subir une réduction de 33 pour 100. Mais cette réduction, compensée par de prévoyantes mesures, ne porta aucune atteinte aux ressources du budget dont l’équilibre ne fut jamais mieux établi que sous le gouvernement de l’amiral de Verninac. Les produits de la terre augmentèrent rapidement; le classement des parcelles du sol, mieux étudié et mieux entendu, suffit pour combler le déficit que produisait forcément l’abaissement de l’impôt.
 
Cette grande et équitable mesure sera l’éternel honneur de l’administration française. Elle a laissé, parmi les populations locales, un souvenir de gratitude dont la toucbantetouchante expression se fit jour lorsque les populations curent à choisir un représentant en France. Plusieurs années s’étaient écoulées depuis la rentrée de l’amiral; on pouvait le croire oublié à son tour, mais les Indiens allèrent le chercher dans sa retraite. La santé^de M. de Verninac ne lui permit point d’accepter ce témoignage d’une reconnaissance qui vit encore dans le pays et qui y éternisera sa mémoire et son nom.
 
On peut le dire hautement, sans crainte de trouver un
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seul contradicteur, le projet, conçu et réalisé par le gouvernement de rindel’inde en 1852, constitue une œuvre de justice et d’humanité ; mais il a fallu, pour l’accomplir, toute la volonté d’un cœur bienveillant, jointe à une rare sagacité et à une hauteur de vues incomparables. Toucher a la tradition consacrée par des siècles, porter la main sur une législation affirmée par les traités, était une tentative très-audacieuse et très-aléatoire.
 
Ce que les rois indiens n’avaient aucun intérêt à faire, ce qu’aucun gouverneur, avant lui, n’avait osé essayer dejeurde peur de n’y pas réussir peut-être, l’amiral de Verni- nacVerninac l’a réalisé en apportant dans ses efforts la ténacité d’un homme qui n’hésite point à risquer sa réputation. pour laisser après lui un peu de bien.
 
Je viens de dire que les efforts avaient été tenaces, et ceci est bien vrai, puisque, au premier bruit qui se répandit d’un remaniement aussi radical, la plupart le déclarèrent impossible, insensé, et décernèrent à son auteur l’épithète de révolutionnaire, que j’eus l’honneur de partager avec lui, en ma qualité de publiciste.
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Ces sentiments changèrent bientôt, et je dois rendre cette justice à l’amiral, c’est qu’il n’imposa à personne sa conviction et qu’il employa les moyens de persuasion de préférence à tous autres. Étant donnés les pouvoirs presque absolus dont sont investis les gouverneurs, il pouvait dicter des ordres; tout le monde s’y serait soumis sans les discuter. Il agit sagement en faisant de
 
tous ses
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tous ses administrés les partisans de son système, les complices de sa bonne action.
 
Les membres du conseil d’administration, les premiers convertis, lui prêtèrent un concours utile ; leur exemple entraîna le reste. Aussi une belle part leur revient dans le succès obtenu, et aucun d’eux, probablement, ne regrette d’avoir participé à un acte aussi considérable.
 
Chose singulière, après avoir achevé son œuvre, l’amiral, jugeant qu’il n’avait plus rien à faire dans l’intérêt dupaysdu pays, revint à la paresse, si naturelle à certains grands esprits, et laissa l’administration locale suivre, la bride sur le cou, une route toute tracée.
 
La grande distraction du gouverneur, après le -whist qu’il aimait avec passion, était de faire des réussites, et lorsque, par des combinaisons savantes, il arrivait à caser toutes les cartes d’une façon régulière, il éprouvait une joie d’enfant.
 
Chacun prend son plaisir où il le trouve, dit la sagesse des nations. L’homme qui crachait dans un puits pour faire des ronds voyait non-seulement dans cet eierciceexercice, le moyen facile de passer une heure ou deux, mais il devait y trouver une innocente distraction.
 
CHAPlTFxE
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XXIX
CHAPITRE XXIX
 
L’ÉCOLE BUISSONN1ÈRK
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C’est un point de villégiature très-recherché par les Européens. Constantine, Fantaisie, Sans-Gêne, etc., sont des propriétés bâties sur des terrains, autrefois incultes, aujourd’hui couverts d’arbres et de kiosques.
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On va s’y reposer, le dimanche, des préoccupations, sinon des fatigues de la semaine, et les propriétaires de ces oasis y amènent régulièrement les capitaines et les su- brécarguessubrécargues des navires qui leur sont consignés.
 
Il y a donc toujours nombreuse société sur ce point, auquel la verdure et l’eau procurent une fraîcheur relative. On s’y livre à des festins qui rappellent, par le nombre des mets et la qualité des vins, les noces de Cana. On joue, pendant les heures du milieu du jour, parce que les cartes sont de toutes les fêtes dans l’Inde ; puis, dès que le soleil est sur son déclin, tout le monde va faire une longue promenade sur l’eau.
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Si la rive du lac la plus proche de Pondichéry appartient, à peu près entièrement, à l’élément européen, les trois autres rives ont aussi leurs visiteurs assidus. Ce sont les Indiens qui viennent là dans le but de se distraire et qui s’amusent à leur manière.
 
A certaines époques de l’année, j’ai vu de grandes réunions d’indigènes et même des cérémonies religieuses qui ne manquaient ni de charme ni d’originalité. Par exemple, sur une grande barque pontée, desbrahmesdes brahmes se
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tiennent, avec leurs dieux en bois sculpté ou en cuivre, sous des berceaux de verdure et de fleurs, entourés des musiciens de leur pagode et de leur cortège de baya- dèresbayadères. Rien, je l’avoue, ne produit plus d’effet sur l’imagination que cette barque glissant lentement sur le lac.
 
C’est la nuit surtout que la mise en scène est séduisante. Les bayadères, couvertes de diamants, dansent au milieu d’un parterre improvisé, et l’éclat de leurs pierreries reflété par d’innombrables lumières est vraiment féerique. On ne rencontre que dans l’Inde ce mélange du sacré et du profane, cette combinaison perpétuelle de la danse et de la dévotion.
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Quelle chance, en sa double qualité de maire et de chef de la sûreté d’être partout et de se mêler à tout, et comme F... tirait parti de la situation !
 
Les dîners du Grand-Étang n’avaient pas de plus joyeux convive. Pour varier ses plaisirs F... allait de Sans-Gêne àConstantineà Constantine, de Constantine à Fantaisie, de Fantaisie ailleurs. Il tenait à ne rendre jaloux aucun de ses administrés et se partageait entre eux avec une équité digne de Salomon.
 
C’était en même temps un chasseur émérite, et pendant bien des années il s’est procuré le facile plaisir de massacrer un gibier que, sauf quelques amateurs, personne ne songe à tuer, et qui est d’une telle abondance qu’on ne sait à quelle volée donner la préférence de ses coups de fusil.
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Le commandant d’Agon de la Contrie attendait le passage du prochain paquebot anglais pour rentrer en France avec sa famille. Il s’entendit avec son ami F..., auquel il céda la maison qu’il avait encore plusieurs mois à occuper.
 
Mais, l’avant-veille du jour fixé pour le départ, le pauvre commandant mourut subitement : le départ de la famille fut retardé par cet événement, et F..., pressé de mettre sa lune de miel dans ses meubles, pria la veuve d’aller s’installer ailleurs, ce qu’elle fît en se lamentant de l’impatience de son ami. Mais l’ami, pour l’empire du Grand Mogol, n’aurait pas voulu condamncrcondamner
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sa jeune fiancée à passer la première nuit de ses noces à la belle étoile, ni retarder d’une heure son réengagement dans l’armée des maris.
 
Le mariage et l’organisation de la police, dont les pions ne lui présentaient pas des garanties suffisantes, lient les deux préoccupations du général, revenu à sa emièrepremière jeunesse. Il choisissait de nouveaux-pions et inculquait l’esprit militaire ; le reste du temps ap- enait à sa femme, qui lui imposa, dès les premiers
 
le respect de la discipline conjugale, pt au consul G..., le philhellène, nous apprîmes es de nombreuses promenades à travers des con- ptiques, il avait fini par atteindre l’île Maurice et pa^Éinstaller à .Port-Louis, au moment où le chan- cclierW consulat de France, désespérant de le voir ar- river,éBvait à Paris pour s’informer de ce qu’était devenu J| chef.
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Les coups actuels ne le regardaient point, en effet, et il devait s’applaudir de voir ses anciens maîtres se traiter ainsi de Turc à Maure. Cependant l’origine de la fête remontait à quelque défaite de ses aïeux; la célébration régulière de ce triomphe aurait donc pu troubler sa quiétude.
 
Mais rien ne détourne de leur placidité ces populations qui, ayant vécu successivement sous des dominalionsdominations
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diverses, toutes moins commodes que celle des Européens et par cela même à jamais maudites, se félicitent surtout de voir leurs vainqueurs d’autrefois, vaincus à leur tour, n’avoir plus de privilèges, plus de faveurs, plus d’influence et, en somme, être moins riches qu’eux.
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Ils assistent, en conséquence, sans sourciller, aux rodomontades carnavalesques des musulmans ; ils ne s’offensent point de certaines manifestations des Yamsays, visant la puissance musulmane et l’abaissement de leur race.
 
Mais, à l’occasion, ils manifcslentmanifestent à leur manière l’antipathie qui les sépare.
 
Ainsi, lorsqu’éclata la révolte dirigée rarpar Nana-Saïb, cette révolte, provoquée par les musulmans de l’Inde, se trouva réduite aux seules forces musulmanes. Elle ne fut comprimée qu’avec peine, après une lutte assez longue. Qu’on juge du résultat qui aurait été fatalement obtenu si les forces brahmaniques y avaient pris part, si les sectateurs de la Trimourty .indienne s’étaient IcvôS’cn masse pour reconquérir leur indépendance!
 
Dans cette hypothèse, la lutte eût pris les proportions d’une guerre sainte. A.À l’appel de leurs prêtres, une formidable armée, comptant ses soldats par millions, au lieu de les compter par millieramilliers, eût étreint l’armée de lula Compagnie, et pas un Anglais peut-être
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ne serait resté vivant dans cet immense empire.
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La haine des Hindous contre la morgue musulmane a sauvé la conquête britannique. Pas un brahme n’a fait un geste pour déchaîner le torrent, car servage pour servage, la population autocthone a préféré la domination civilisée venue d’Europe à l’arbitraire cruel et barbare venu d’Asie.
 
Cependant, si réelle que soit l’antipathie, elle n’empêche pas les Indiens de prendre part aux plaisirs qu’entrainent les fêtes des Yamsays. Celui pour lequel ils affectent une préférence marquée est sans contredit le spectacle qui se tient, pendant les huit jours consaT crésconsacrés, sur la place du Gouvernement, à Pondichéry.
 
Les proportions grandioses de cette place se prêtent admirablement à l’édification d’une colossale baraque sur laquelle, à trois ou quatre mètres de hauteur, s’étale une scène d’une largeur démesurée.
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Les assistants serrés forment, devant ce spectacle aussi varié que peu compréhensible, une barrière infranchissable. La population arrive sur la place avec un matériel de campement et des vivres. Hommes,
 
femmes
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femmes et enfants s’étendent sur l’herbe et n’abandonnent leurs places que lorsque la toile tombe pour la dernière fois.
 
Toute cette foule mange, applaudit, pousse des éclats de rire et sanglote tour à tour. Quand l’action a l’air de se ralentir, qu’une péripétie empoignante se fait trop attendre, quelques-uns se couchent sur l’herbe et font un somme, non sans avoir prié un voisin complaisant de les réveiller au bon moment.
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Eq assistant, à diverses reprises, à ces représentations sans limites, en voyant cette foule de spectateurs qu’on peut évaluer hardiment à dix ou quinze mille personnes, j’ai souvent regretté que quelques-uns de nos théâtres n’eussent pas à leur porte, chaque soir, une queue pareille ; ils pourraient se la partager entre eux, et certainement cela leur rendrait service.
 
CHAPITRE
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XXXI
CHAPITRE XXXIIIXXXI
 
LES BAYADÈRES
 
Un spectacle Ires-couru est aussi la danse des baya- dèresbayadères. Pour notre part, nous jouissions deux fois par an de ce divertissement qui avait le mérite de nous être personnellement offert à l’hôtel du Gouvernement.
 
Les pagodes ont des privilèges auxquels tiennent beaucoup et non sans raison les brahmes qui les desservent. Ces prêtres ne laissent donc échapper aucune occasion de faire leur cour au gouverneur, et, chaque année, le premier de l’an et le jour de la fête nationale, une délégation se transporte au palais, portant à la femme du gouverneur des corbeilles de fleurs et de fruits, et accompagnée des musiciens de la grande pagode et des bayaderes dans leurs plus riches atours.
 
On offre les (leursfleurs et les fruits ; puis le gouverneur, la gouvernante et leurs invités prennent place
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sur des fauteuils à un bout de la grande galerie, et la fêle commence.
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Les Indiens raffolent du pigeon, en mousseline bien entendu, de la musique de la pagode que les Européens
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trouvent peu harmonieuse, et surtout de leurs baya- dèresbayadères, dont la danse mécanique est loin de présenter les charmes chorégraphiques du plus médiocre ballet de notre Opéra, exécuté par des élèves inexpérimentées.
 
On sait, d’ailleurs, ce que sont et ce que valent ces bayadères dont la réputation surfaite a longtemps régné sans conteste. Ce sont de toutes jeunes filles, fort belles et surtout admirablement faites, recrutées par les brahmes dans les familles croyantes et spécialement destinées au service du culte.
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De sorte que les gens doués de raison les préfèrent aux bayadères. Mais de même que nous voyons, à Paris, les gommeux et les gandins se ruiner bêtement pour des femmes plâtrées, peintes, n’ayant pas plus d’esprit que d’attraits, les ramollis de l’Inde se -laissent plumer par les bayadères qui sont les cocottes de la grande péninsule.
 
Les danseuses des pagodes ont en eux une clientèle qui leur reste fidèle par la raison qu’elles ne reculent devant aucun excès ; qu’elles tiennent tête aux plus intrépides dans les orgies auxquelles elles assistent et qu’elles affichent audacieuseinentaudacieusement les scandales de leur vie excentrique.
 
C’est ce que constatait un vieux magistrat qui n’avait jamais su parler correctement le français, et qui, requérant contre des jeunes gens accusés de rixe et de tapage nocturne, disait que les prévenus étaient réellement coupables, puisqu’ils avaient appelé à eux « des bayadères et des sattinbamquiers. »
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Ces lapsusl''apsus linguxlinguæ'' n’empêchaient pas notre homme de déployer sur son siège une majestueuse attitude. Il n’était que magistrat intérimaire d’ailleurs, et, dans les colonies comme à la campagne, il est sage de se contenter de ce qu’on a.
 
Si cet homme antique s’exprimait mal, il avait la bosse de la justice; car, aprèsavoiraprès avoir condamné un de ses voisins à cinq francs d’amende pour avoir battu un domestique, il appela la cause de son propre dobachi contre lui-même.
 
Ce dobachi l’avait bien volé, selon l’habitude de tous les dobachis passés, présents et futurs, et le vol lui avait valu comme gratification un coup de pied du maître ; mais il avait inscrit ce coup de pied à la colonne des profits et pertes : il ne s’était pas plaint et n’avait nulle envie de se plaindre.
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Voilà que son maître, simulant une plainte dont le résultat pouvait être de lui faire rendre gorge sans lui enlever le coup de pied, introduisait sa cause devant Thémis; c’était désolant. Heureusement, le vieux juge ne réclama pas la chose volée, et se borna, dans un mouvement bien senti d’équité, à s’adjugerà lui-même cinq francs d’amende pour avoir, d’un pied léger, atteint un homme en pleine dignité.
 
, IIIl n’y a pas trop à s’étonner de l’originalité de ce juge ni de ses incorrections de langage. La société est bien mêlée. dans les colonies, et je pourrais citer tel gros négûciant de PondichéPondichéry,
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ry, réalisant chaque année des bénéfices considérables, correspondant de maisons importantes de Paris, de Londres et de Marseille, entouré et chatouillé par une foule de parasites qui chantaient ses louanges du matin au soir, et à qui le défaut d’éducation inspirait des bourdes continuelles.
 
L’un de ces trafiquants que j’interrogeais un jour sur les apparences de la récolte me répliqua avec aplomb :
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Dans la galerie des originaux, je ne puis m’empêcher
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de placer un vieux magistrat, fort intègre du reste, et tout à fait digne de l’estime que ne lui ménageaient pas même ses ennemis. C’était un conseiller près la cour d’appel. Il était fils du grand Broussais; les caprices de la fortune l’avaient placé dans un état presque voisin de l’indigence, en même temps qu’un mariage d’amour lui mettait sur les bras cinq filles à doter.
 
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Il n’en fut rien. Le conseiller Broussais se résigna à vivre seul dans l’Inde. Il laissa en France sa famille avec laquelle il partagea son traitement, ce qui réduisit de moitié ses ressources. Autant par goût que par nécessité, il s’enferma dans sa maison comme dans une forteresse et n’en sortit que pour aller à la Cour.
 
Le reste du temps, la nuit surtout, on apercevait sa grande silhouette aller et venir sur sa terrasse à la façon de l’ours Martin dans sa fosse. Cette solitude ne fatiguait point Broussais parce qu’elle était tout à fait volontaire, et il en profita pour se livrer à de mystémystérieuses
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rieuses rêveries qu’il transformait en innombrables
 
volumes.
 
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La conséquence de la rencontre fut que le négociant refit ses malles et repartit, la semaine suivante, regrettant, nous dit-il, les queuques amis qu’il laissait à Pondichéry.
 
CHAPITRE XXXIII
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CHAPITRE XXXIII
 
UN SAUVAGE CIVILISÉ
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L... avait été placé à la direction du domaine, seule administration ouverte dans nos départements d’outremer à ceux qui ne font pas partie de la hiérarchie maritime. Fatigué autant que dégoûté, à force d’avoir vécu
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vite, à l’exemple de beaucoup d’autres, L... venait de
serrer les nœuds de l’hyménée, au moment où les
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Cette phrase avait été prononcée dans le pur dialecte des bords de la Tamise ; elle était aussi anglaise par la pensée que par la forme. L... savait l’anglais parce qu’il avait adoré trois Anglaises au temps de sa splendeur ; il salua gravement et répondit :
 
— C’est juste, milord, j’ai donc l’honneur de vous présenter L..., — c’est moi, — ex-richenaturelrichen aturel de Paris, exnégrierex-négrier, ex-corsaire, ex-traitant, ayant en perspective pour le moment une potence et hors d’état de vous offrir mieux qu’une hospitalité archi-écossaise.
 
— Je vous présente à mon tour, répliqua l’Anglais, sir Williams G..., ex-riche naturel de Londres, ex-négrier, ex-corsaire, ex-traitant, ne possédant au monde que
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— Nous voici rendus, dit L..., nous serons là comme deux coqs, et nous aurons pour sujets plusieurs races de singes, ce qui ne nous changera pas beaucoup, quoique je les tienne pour moins désagréables que les hommes.
 
— Bâtissons notre ’wigvamwigvam dans ce lieu agreste et restons-y jusqu’à l’éternité.
 
Les premiers jours, ils s’y plurent beaucoup, mais
=== no match ===
mais