« Périclès/Traduction Guizot, 1862 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
suite
texte vers les pages
Ligne 1 :
__NOTOC__
 
{{Titre|Périclès, prince de Tyr|[[Auteur:William Shakespeare|William Shakespeare]]|1606<br />''Traduction de M. Guizot''|Périclès, prince de Tyr}}
 
{{ThéâtreDébut}}
 
<pages index="Shakespeare - œuvre complète V - Guizot.djvu" from=448 to=477 />
 
{{Acte| troisième}}
 
{{didascalie|Entre Gower.}}
 
{{personnage|Gower : }}Maintenant le sommeil a terminé la fête. On n'entend plus dans le palais que des ronflements, rendus plus bruyants par un estomac surchargé des mets de ce pompeux repas de noces. Le chat, avec ses yeux de charbon ardent, se tapit près du trou de la souris, et les grillons qu'égaye la sécheresse chantent sous le manteau de la cheminée. L'hymen a conduit la fiancée au lit, où, par la perte de sa virginité, un enfant est jeté dans le moule. Soyez attentifs ; et le temps, si rapidement écoulé, s'agrandira, grâce à votre riche et capricieuse imagination ; ce qui va vous être offert en spectacle muet sera expliqué par mes paroles. {{didascalie|(Pantomime. Périclès entre par une porte avec Simonide, et sa suite. Un messager les aborde, s'agenouille, et donne une lettre à Périclès. Périclès la montre à Simonide. Les seigneurs fléchissent le genou devant le prince de Tyr. Entrent Thaïsa, enceinte, et Lychorida. Simonide communique la lettre à sa fille. Elle se réjouit. Thaïsa et Périclès prennent congé de Simonide et partent ; Simonide et les autres se retirent.)}} On a soigneusement cherché Périclès à travers les pays les plus terribles et les plus sombres, aux quatre coins opposés du monde ; on l'a cherché avec soin et diligence, à cheval, sur des navires, et sans épargner aucuns frais. Enfin la renommée répond à ces puissantes recherches. De Tyr à la cour de Simonide on apporte des lettres dont voici la teneur : « Antiochus et sa fille sont morts. Les seigneurs ont voulu placer la couronne sur la tête d'Hélicanus ; mais il l'a refusée, se hâtant de leur dire, pour apaiser le tumulte, que, si le roi Périclès ne revient pas dans douze mois, il se rendra alors à leurs voeux. » Cette nouvelle, apportée à Pentapolis, y a ravi toute la contrée ; chacun applaudit et s'écrie : Notre jeune prince naîtra roi. Qui eût rêvé, qui eût deviné une semblable chose ? Bref il faut qu'il parte pour Tyr. Son épouse, enceinte, désire partir. (Qui s'y opposerait ?) Nous abrégeons le récit des pleurs et des regrets. Elle prend avec elle Lychorida, sa nourrice, et s'embarque. Le vaisseau se balance sur le sein de Neptune : la quille de leur vaisseau a fendu la moitié des ondes ; mais nouveau caprice de la fortune : le nord envoie une telle tempête, que, semblable à un cygne qui plonge pour se sauver, le pauvre navire est la proie de sa furie. La dame pousse des cris, et se voit près d'accoucher d'effroi. Vous allez voir la suite de cet orage, dont je ne ferai pas le récit, ne pouvant pas espérer de m'en acquitter dignement. Représentez-vous par l'imagination le vaisseau sur lequel le prince, ballotté par les flots, est supposé parler.
 
{{didascalie|(Gower sort.)}}
 
{{Scène| I}}
 
{{didascalie|Périclès sur un vaisseau en mer.}}
 
{{personnage|Périclès : }}Ô toi, dieu de ce vaste abîme, gourmande ces vagues qui lavent le ciel et la terre ; et toi, qui gouvernes les vents, enferme-les dans leur prison d'airain, après les avoir fait sortir de l'abîme ! Apaise ces tonnerres terribles et assourdissants ! Éteins doucement les agiles éclairs de soufre ! Ô Lychorida, comment se trouve ma reine ? Tempête, vomiras-tu sur nous tout ton venin ? Le sifflet du matelot est comme un faible murmure à l'oreille de la mort qui ne l'entend point. Lychorida, Lucina, ô divine patronne, et sage-femme, qui protège ceux qui gémissent dans la nuit, abaisse ta divinité sur ce navire battu par l'orage, abrège l'angoisse de la reine ! Eh bien ! Lychorida ?
 
{{didascalie|(Lychorida entre avec un enfant.)}}
 
{{personnage|Lychorida : }}Voici un être trop jeune pour un tel lieu, et qui, s'il était doué déjà de la pensée, mourrait comme je me sens près de le faire. Recevez dans vos bras ce reste de votre épouse inanimée.
 
{{personnage|Périclès : }}Que dis-tu, Lychorida ?
 
{{personnage|Lychorida : }}Patience ; seigneur, n'assistez pas l'orage : voici tout ce qui vit encore de notre reine... une petite fille ; —pour l'amour d'elle, soyez un homme et prenez courage.
 
{{personnage|Périclès : }}Ô vous, dieux ! nous faites-vous aimer vos célestes dons pour nous les enlever ? Nous du moins, ici-bas, nous ne redemandons pas ce que nous donnons, et en cela nous l'emportons sur vous.
 
{{personnage|Lychorida : }}Patience, bon prince, même dans ce malheur.
 
{{personnage|Périclès : }}Maintenant que ta vie soit calme ! car jamais enfant n'eut une naissance plus troublée ! Que ta destinée soit paisible et douce, car jamais fille de prince ne fut accueillie dans ce monde avec plus de sévérité. Puisse la suite être heureuse pour toi ! tu as une naissance aussi bruyante que le feu, l'air, l'eau, la terre et le ciel pouvaient te la procurer pour annoncer ta sortie du sein qui te conçut ; et déjà même tu as plus perdu que tu ne gagneras dans la vie. Que les dieux bienveillants jettent sur elle un favorable regard.
 
{{didascalie|(Deux matelots entrent.)}}
 
{{personnage|Premier Matelot : }}Eh bien ! avez-vous bon courage ? Dieu vous conserve !
 
{{personnage|Périclès : }}J'ai assez de courage. Je ne crains pas la tempête, elle m'a fait le plus grand mal qu'elle pût me faire ; cependant, pour l'amour de ce pauvre enfant, je souhaite que le ciel s'éclaircisse.
 
{{personnage|Premier Matelot : }}Relâche les cordages ; allons donc... Souffle et fais tous tes efforts.
 
{{personnage|Second Matelot : }}Mais les vagues sombres vont caresser la lune : je ne puis.
 
{{personnage|Premier Matelot : }}Seigneur, la reine doit être jetée à la mer. La mer est si haute, le vent si violent qu'il ne se calmera que quand nous aurons débarrassé le vaisseau des morts.
 
{{personnage|Périclès : }}C'est une superstition.
 
{{personnage|Premier Matelot : }}Pardonnez-nous, seigneur ; c'est une chose que nous avons toujours observée sur mer, et nous parlons sérieusement ; rendez-vous donc, car il faut la jeter à la mer sans plus tarder.
 
{{personnage|Périclès : }}Faites ce que vous croirez nécessaire. Malheureuse princesse !
 
{{personnage|Lychorida : }}C'est là qu'elle repose, seigneur.
 
{{personnage|Périclès : }}Ô mon amie, tu as eu un terrible accouchement, sans lumière, sans feu ; les éléments ennemis t'ont complètement oubliée, et le temps me manque pour te rendre les honneurs de la sépulture ; mais à peine déposée dans le cercueil, il faut que tu sois précipitée dans les flots ! Au lieu d'un monument élevé à ta cendre et de lampe funéraire, l'énorme baleine et les vagues mugissantes recouvriront ton corps au milieu des coquillages. Lychorida, dis à Nestor de m'apporter des épices, de l'encre et du papier, ma cassette et mes bijoux. Dis à Méandre de m'apporter le coffre de satin. Couche l'enfant : va vite, pendant que je dis à Thaïsa un adieu religieux : hâte-toi, femme.
 
{{personnage|(Lychorida sort.)}}
 
{{personnage|Second Matelot : }}Seigneur, nous avons sous les écoutilles une caisse déjà enduite de bitume.
 
{{personnage|Périclès : }}Je te rends grâces, matelot. Quelle est cette côte ?
 
{{personnage|Second Matelot : }}Nous sommes près de Tharse.
 
{{personnage|Périclès : }}Dirigeons-y notre proue avant de continuer notre route vers Tyr. Quand pourrons-nous y aborder ?
 
{{personnage|Second Matelot : }}Au point du jour, si le vent cesse.
 
{{personnage|Périclès : }}Oh ! voguons vers Tharse. Je visiterai Cléon, car l'enfant ne vivrait pas jusqu'à Tyr : je le confierai à une bonne nourrice. Va naviguer, bon matelot ; je vais apporter le corps.
 
{{didascalie|(Ils sortent.)}}
 
{{Scène| II}}
 
{{didascalie|Éphèse. Appartement dans la maison de Cérimon.}}
 
{{didascalie|Entrent Cérimon avec un valet et quelques personnes qui ont fait naufrage.}}
 
{{personnage|Cérimon : }}Holà ! Philémon.
 
{{didascalie|(Philémon entre.)}}
 
{{personnage|Philémon : }}Est-ce mon maître qui appelle ?
 
{{personnage|Cérimon : }}Allume du feu et prépare à manger pour ces pauvres gens. La tempête a été forte cette nuit ?
 
{{personnage|Le Valet : }} J'ai vu plus d'une tempête, et jamais une semblable à celle de cette nuit.
 
{{personnage|Cérimon : }}Votre maître sera mort avant votre retour : il n'est rien qui puisse le sauver. {{didascalie|(À Philémon.)}} -Portez ceci à l'apothicaire, et vous me direz l'effet que le remède produira.
 
{{didascalie|(Sortent Philémon, le valet et les naufragés.)}}
 
{{didascalie|(Entrent deux Éphésiens.)}}
 
{{personnage|Premier Éphésien : }}Bonjour, seigneur Cérimon.
 
{{personnage|Second Éphésien : }}Bonjour à Votre Seigneurie.
 
{{personnage|Cérimon : }}Pourquoi, seigneurs, vous êtes-vous levés si matin ?
 
{{personnage|Premier Éphésien : }}Nos maisons, situées près de la mer, ont été ébranlées comme par un tremblement de terre : les plus fortes poutres semblaient près d'être brisées, et le toit de s'écrouler. C'est la surprise et la peur qui m'ont fait déserter le logis.
 
{{personnage|Second Éphésien : }}Voilà ce qui cause de si bon matin notre visite importune ; ce n'est point un motif d'économie domestique.
 
{{personnage|Cérimon : }}Oh ! vous parlez bien.
 
{{personnage|Premier Éphésien : }}Je m'étonne que Votre Seigneurie, ayant autour d'elle un si riche attirail, s'arrache de si bonne heure aux douces faveurs du repos. Il est étrange que la nature se livre à une peine à laquelle elle n'est pas forcée.
 
{{personnage|Cérimon : }}J'ai toujours pensé que la vertu et le savoir étaient des dons plus précieux que la noblesse et la richesse. Des héritiers insouciants peuvent flétrir et dissiper ces deux derniers ; mais les autres sont suivis par l'immortalité qui fait un dieu de l'homme. Vous savez que j'ai toujours étudié la médecine, dont l'art secret, fruit de la lecture et de la pratique, m'a fait connaître les sucs salutaires que contiennent les végétaux, les métaux et les minéraux. Je puis expliquer les maux que la nature cause, et je sais les moyens de les guérir : ce qui me rend plus heureux que la poursuite des honneurs incertains, ou le souci d'enfermer mes trésors dans des sacs de soie pour le plaisir du fou et de la mort.
 
{{personnage|Second Éphésien : }}Votre Seigneurie a répandu ses bienfaits dans Éphèse, où mille citoyens s'appellent vos créatures, rendues par vous à la santé ;-non-seulement votre science, vos travaux, mais encore votre bourse toujours ouverte, ont procuré au seigneur Cérimon une renommée que jamais le temps...
 
{{didascalie|(Entrent deux valets avec une caisse.)}}
 
{{personnage|Le Valet : }}Déposez ici.
 
{{personnage|Cérimon : }}Qu'est-ce que cela ?
 
{{personnage|Le Valet : }}La mer vient de jeter sur la côte ce coffre, qui provient de quelque naufrage.
 
{{personnage|Cérimon : }}Déposez-le là, que nous l'examinions.
 
{{personnage|Second Éphésien : }}Cela ressemble à un cercueil, seigneur.
 
{{personnage|Cérimon : }}Quoi que ce soit, le poids est des plus lourds : ouvrez cette caisse. L'estomac de la mer est surchargé d'or : la fortune a eu raison de le faire vomir ici.
 
{{personnage|Second Éphésien : }}Vous avez deviné, seigneur.
 
{{personnage|Cérimon : }}Comme elle est goudronnée partout ! Est-ce la mer qui l'a jetée sur le rivage ?
 
{{personnage|Le Valet : }}Je n'ai jamais vu de vague aussi forte que celle qui l'a apportée.
 
{{personnage|Cérimon : }}Allons, ouvre-la. Doucement, doucement ; quel parfum délicieux !
 
{{personnage|Second Éphésien : }}C'est un baume exquis.
 
{{personnage|Cérimon : }}Jamais je n'ai senti un plus doux parfum. Allons, dépêchons. Ô Dieu tout-puissant !-Que vois-je ? un cadavre !
 
{{personnage|Premier Éphésien : }}Chose étrange !
 
{{personnage|Cérimon : }}Il est enveloppé d'un riche linceul et de sacs pleins de parfums. Un écrit ! Apollon, rends-moi habile à lire. {{didascalie|(Il déroule un écrit et lit.)}} « Je donne à connaître, si jamais ce cercueil touche à terre, qu'il contient une reine plus précieuse que tout l'or du monde, et quelle a été perdue par moi, roi Périclès. Que celui qui la trouvera, lui donne la sépulture ! Elle fut la fille d'un roi : les dieux récompenseront sa charité : ce trésor lui appartient. » Si tu vis, Périclès, ton cœur est déchiré de douleur. Ce cercueil a été fait cette nuit.
 
{{personnage|Second Éphésien : }}Probablement, seigneur.
 
{{personnage|Cérimon : }}C'est sûrement cette nuit ; car, voyez cet air de fraîcheur. Ils ont été des barbares, ceux qui ont jeté cette femme à la mer ! Allumez du feu ; apportez ici toutes les boîtes de mon cabinet. La mort peut usurper l'empire de la nature pendant quelques heures, et le feu de la vie rallumer encore les sens assoupis. J'ai entendu parler d'un Égyptien qui passa pour mort pendant neuf heures, et qui, à force de soins, revint à la vie. {{didascalie|(Un valet entre avec des boîtes, du linge et du feu.)}} Très-bien : du feu et du linge. Je vous prie, faites entendre un air de musique, quelque rudes que soient vos instruments. Ah ! tu remues, corps insensible !-Ici la musique. Je vous prie, encore un air. Seigneurs, cette reine est vivante. La nature se réveille. Une douce chaleur s'en exhale : il n'y a pas plus de cinq heures qu'elle est dans cet état. Voyez comme la fleur de la vie s'épanouit de nouveau en elle !
 
{{personnage|Premier Éphésien : }}Le ciel, seigneur, vous a choisi pour nous étonner par ses prodiges : votre réputation est éternelle.
 
{{personnage|Cérimon : }}Elle vit : voyez ; ses paupières, qui couvraient ces célestes bijoux perdus par Périclès, commencent à écarter leurs franges d'or. Ces diamants si purs vont doubler la richesse du monde. Ô vis et arrache-nous des larmes par ton histoire, belle créature !
 
{{didascalie|(Thaïsa fait un mouvement.)}}
 
{{personnage|Thaisa : }}Ô divine Diane, où suis-je, où est mon époux ? Quel est le lieu que je vois ?
 
{{personnage|Second Éphésien : }}N'est-ce pas étrange ?
 
{{personnage|Premier Éphésien : }}Merveilleux !
 
{{personnage|Cérimon : }}Paix, mes chers amis : aidez-moi, portons-la dans la chambre voisine. Préparez du linge. Donnons-lui tous nos soins, une rechute serait mortelle. Venez, venez, et qu'Esculape nous guide.
 
{{didascalie|(Ils sortent emportant Thaïsa.)}}
 
{{Scène| III}}
 
{{didascalie|Tharse. Appartement dans le palais de Cléon.}}
 
{{didascalie|Périclès entre avec Cléon, Dionysa, Lychorida et Marina.}}
 
{{personnage|Périclès : }}Respectable Cléon, je suis forcé de partir, l'année est expirée et Tyr ne jouit plus que d'une paix douteuse ; recevez, vous et votre épouse, toute la reconnaissance dont est rempli mon cœur : que les dieux se chargent du reste.
 
{{personnage|Cléon : }}Les traits de la fortune qui vous frappent mortellement se font aussi sentir à nous.
 
{{personnage|Dionysa : }}Ô votre pauvre princesse ! pourquoi les destins n'ont-ils pas permis que vous l'ameniez ici pour charmer ma vue ?
 
{{personnage|Périclès : }}Nous ne pouvons qu'obéir aux puissances du ciel. Quand je gémirais et que je rugirais comme la mer qui la recèle dans son sein, Thaïsa n'en serait pas moins privée de la vie. Ma petite Marina ! (je lui ai donné ce nom parce qu'elle est née sur les flots) : je la recommande à vos soins et je vous la laisse comme la fille de votre bienveillante amitié, pour qu'elle reçoive une éducation royale et digne de sa naissance.
 
{{personnage|Cléon : }}Ne craignez rien, seigneur, nous nous souviendrons pour votre fille du prince généreux qui nous a nourris de son blé, et les prières du peuple reconnaissant imploreront le ciel pour son libérateur. Si je me rendais coupable d'une ingrate négligence, tous mes sujets me forceraient à remplir mon devoir ; mais, si mon zèle a besoin d'être excité, que les dieux vous vengent sur moi et les miens jusqu'à la dernière génération.
 
{{personnage|Périclès : }}Je vous crois, votre honneur et votre vertu sont pour moi un gage plus sûr que vos serments. Jusqu'à ce que ma fille soit mariée, madame, j'en jure par Diane, que nous honorons tous, ma chevelure sera respectée des ciseaux. Je prends congé de vous ; rendez-moi heureux par les soins accordés à ma fille.
 
{{personnage|Dionysa : }}J'ai aussi une fille ; elle ne me sera pas plus chère que la vôtre.
 
{{personnage|Périclès : }}Madame, je vous remercie et je prierai pour vous.
 
{{personnage|Cléon : }}Nous vous escorterons jusque sur le rivage, où nous vous abandonnerons au mystérieux Neptune et aux vents les plus favorables.
 
{{personnage|Périclès : }}J'accepte votre offre. Venez, chère reine. Point de larmes, Lychorida, point de larmes : pensez à votre jeune maîtresse dont vous allez désormais dépendre. Allons, seigneur.
 
{{didascalie|(Ils sortent.)}}
 
{{Scène| IV}}
 
{{didascalie|Éphèse. Appartement dans la maison de Cérimon.}}
 
{{didascalie|Entrent Cérimon et Thaisa.}}
 
{{personnage|Cérimon : }}Madame, cette lettre et ces bijoux étaient avec vous dans le cercueil : les voici. Connaissez-vous l'écriture ?
 
{{personnage|Thaisa : }}C'est celle de mon époux. Je me rappelle fort bien encore m'être embarquée au moment de devenir mère ; mais ai-je été délivrée ou non ? par les dieux immortels ! je l'ignore. Hélas ! puisque je ne reverrai plus mon époux, le roi Périclès, je veux prendre des vêtements de vestale et renoncer à toute félicité.
 
{{personnage|Cérimon : }}Madame, si c'est là votre intention, le temple de Diane n'est pas loin ; vous pourrez y passer le reste de vos jours ; et, si vous voulez, une nièce à moi vous y accompagnera.
 
{{personnage|Thaisa : }}Je ne puis que vous rendre grâces, voilà tout. Ma reconnaissance est grande, quoiqu'elle puisse peu de chose.
 
{{didascalie|(Ils sortent.)}}
 
'''Fin du troisième acte.'''
 
{{Acte| quatrième}}
 
{{didascalie|Entre Gower.}}
 
{{personnage|Gower : }}Figurez-vous Périclès arrivé à Tyr et accueilli selon ses désirs ; laissez à Éphèse sa malheureuse épouse qui s'y consacre au culte de Diane. Maintenant occupez-vous de Marina que notre scène rapide doit trouver à Tharse élevée par Cléon qui lui fait enseigner la musique et les lettres, et acquérant tant de grâces qu'elle attire sur elle l'admiration et la tendresse générale. Mais, hélas ! le monstre de l'envie, qui est souvent la mort du mérite, cherche à abréger la vie de Marina par le poignard de la trahison. Telle est la fille de Cléon déjà mûre pour le mariage. Cette fille se nomme Philoten ; et l'on assure dans notre histoire qu'elle voulait toujours être avec Marina, soit quand elle formait des tissus de soie avec ses doigts délicats, minces et blancs comme le lait, soit quand avec une aiguille elle piquait la mousseline que ces blessures rendaient plus solides, soit quand elle chantait en s'accompagnant de son luth et rendait muet l'oiseau qui fait résonner la nuit de ses accents plaintifs, ou quand elle offrait son hommage à Diane, sa divinité : toujours Philoten rivalisait d'adresse avec la parfaite Marina. C'est comme si le corbeau prétendait le disputer en blancheur à la colombe de Paphos. Marina reçoit tous les éloges, non comme un don, mais comme une dette. Les grâces de Philoten sont tellement éclipsées, que l'épouse de Cléon, inspirée par une insigne jalousie, suscite un meurtrier contre la vertueuse Marina, afin que sa fille reste sans égale après ce meurtre ; la mort de Lychorida, notre nourrice, favorise ses pensées ; et la maudite Dionysa a déjà l'instrument de colère prêt à frapper. Je recommande à votre attention cet événement qui se prépare. Je transporte seulement le temps et ses ailes sur le pied boiteux de mon poëme. Je ne pourrais y parvenir si vos pensées ne voyagent avec moi. Dionysa va paraître avec Léonin, un meurtrier.
 
{{didascalie|(Gower sort.)}}
 
{{Scène| I}}
 
{{didascalie|Tharse. Plaine près du rivage de la mer.}}
 
{{didascalie|Dionysa entre avec Léonin.}}
 
{{personnage|Dionysa : }}Souviens-toi de ton serment, tu as juré de l'exécuter ; ce n'est qu'un coup qui ne sera jamais connu. Tu ne pourrais rien faire dans ce monde en aussi peu de temps, qui te rapportât davantage. Que la conscience, qui n'est qu'une froide conseillère, n'allume pas la sympathie dans ton cœur trop scrupuleux ; que la pitié, que les femmes même ont abjurée, ne t'attendrisse pas ; sois un soldat résolu dans ton dessein.
 
{{personnage|Léonin : }}Je te tiendrai parole ; mais c'est une céleste créature.
 
{{personnage|Dionysa : }}Elle n'en est que plus propre à être admise chez les dieux ; la voici qui vient pleurant la mort de sa nourrice ; es-tu résolu ?
 
{{personnage|Léonin : }}Je le suis.
 
{{didascalie|(Entre Marina avec une corbeille de fleurs.)}}
 
{{personnage|Marina : }}Non, non : je déroberai les fleurs de la terre pour les semer sur le gazon qui te recouvre ; les genêts, les bluets, les violettes purpurines et les soucis seront suspendus en guirlandes, tant que durera l'été. Hélas ! pauvre fille que je suis, née dans une tempête où mourut ma mère, le monde est pour moi comme une tempête continuelle, m'éloignant de mes amis.
 
{{personnage|Dionysa : }}Quoi donc, Marina ! pourquoi êtes-vous seule ? Comment se fait-il que ma fille ne soit pas avec vous ? Ne vous consumez pas dans la tristesse, vous avez en moi une autre nourrice. Seigneur ! combien votre visage est changé par ce malheur. Venez, venez, donnez-moi votre guirlande de fleurs avant que la mer la flétrisse ; promenez-vous avec Léonin ; l'air est vif ici et aiguise l'appétit. Venez, Léonin, prenez Marina par le bras et promenez-vous avec elle.
 
{{personnage|Marina : }}Non, je vous en prie, je ne veux point vous priver de votre serviteur.
 
{{personnage|Dionysa : }}Venez, venez, j'aime le roi votre père et vous, comme si je n'étais pas une étrangère pour vous. Nous l'attendons tous les jours ici. Quand il viendra, il trouvera flétrie celle que la renommée vante comme un chef-d'œuvre ; il regrettera un si long voyage, et il nous blâmera, mon époux et moi, d'avoir négligé sa fille. Allez, je vous prie, vous promener et soyez moins triste. Conservez ce teint charmant qui a désolé tant de cœurs de tous les âges. Ne vous inquiétez pas de moi, je retourne seule au palais.
 
{{personnage|Marina : }}Eh bien ! j'irai, mais je ne m'en soucie guère.
 
{{personnage|Dionysa : }}Venez, venez, je sais que cela vous sera salutaire : promenez-vous une demi-heure au moins. Léonin, souviens-toi de ce que j'ai dit.
 
{{personnage|Léonin : }}Je vous le promets, madame.
 
{{personnage|Dionysa : }}Je vous laisse pour un moment, ma chère Marina : promenez-vous doucement, ne vous échauffez pas le sang. Je dois avoir soin de vous.
 
{{personnage|Marina : }}Je vous remercie ; ma chère dame. {{didascalie|(Dionysa sort.)}} Est-ce le vent d'ouest qui souffle ?
 
{{personnage|Léonin : }}C'est le sud-ouest.
 
{{personnage|Marina : }}Quand je naquis, le vent était au nord.
 
{{personnage|Léonin : }}Était-ce le nord ?
 
{{personnage|Marina : }}Mon père, comme disait ma nourrice, ne montrait aucune crainte, mais il criait : Bons matelots ! et déchirait ses mains royales en maniant les cordages, et en embrassant le mât ; il bravait une mer qui faisait presque éclater le tillac ; elle fit tomber des hunes un matelot monté pour plier les voiles. Eh ! dit un autre, veux-tu sortir ? et ils roulent tous les deux de l'éperon à la poupe, le contre-maître siffle, le pilote appelle et triple leur confusion.
 
{{personnage|Léonin : }}Et quand cela eut-il lieu ?
 
{{personnage|Marina : }}Quand je vins au monde ; jamais les vents ni les vagues ne furent plus violents.
 
{{personnage|Léonin : }}Allons, dites promptement vos prières.
 
{{personnage|Marina : }}Que voulez-vous dire ?
 
{{personnage|Léonin : }}Si vous demandez quelques moments pour prier, je vous les accorde : je vous en prie, mais hâtez-vous, car les dieux ont l'oreille fine, et j'ai juré d'exécuter promptement.
 
{{personnage|Marina : }}Quoi ! voulez-vous me tuer ?
 
{{personnage|Léonin : }}Pour obéir à ma maîtresse.
 
{{personnage|Marina : }}Pourquoi veut-elle ma mort ? Autant que je puis me le rappeler, je jure que je ne l'ai jamais offensée de ma vie ; je n'ai jamais dit un mot méchant ni fait mal à aucune créature vivante. Croyez-moi, je n'ai jamais tué une souris ni blessé une mouche. J'ai marché un jour sur un ver contre ma volonté, mais j'en ai pleuré. Quel est mon crime ? En quoi ma mort peut-elle lui être utile, ou ma vie être dangereuse pour elle ?
 
{{personnage|Léonin : }}Ma commission n'est pas de raisonner, mais d'exécuter.
 
{{personnage|Marina : }}Vous ne le feriez pas pour tout au monde, je l'espère ; vous avez un visage où respire la douceur, et qui annonce que vous avez un cœur généreux. Je vous vis dernièrement vous faire blesser pour séparer deux hommes qui se battaient : en vérité cela prouvait en votre faveur ; faites encore de même. Votre maîtresse en veut à ma vie : mettez-vous entre nous et sauvez-moi ; je suis la plus faible.
 
{{personnage|Léonin : }}J'ai juré de vous immoler.
 
 
{{didascalie|(Surviennent des pirates pendant que Marina se débat.)}}
 
{{personnage|Premier Pirate : }}Arrête, coquin !
 
{{didascalie|(Léonin s'enfuit.)}}
 
{{personnage|Second Pirate : }}Une prise, une prise !
 
{{personnage|Troisième Pirate : }}Chacun sa part, camarades ; partageons. Portons-la à bord sans tarder.
 
{{didascalie|(Les pirates emmènent Marina.)}}
 
{{Scène| II}}
 
{{didascalie|Même lieu.}}
 
{{didascalie|Léonin rentre.}}
 
{{personnage|Léonin : }}Ces bandits servent sous le grand pirate Valdès, et ils se sont emparés de Marina. Laissons-la aller. Il n'y a pas d'apparence qu'elle revienne. Je jurerai qu'elle est tuée et précipitée dans la mer. Mais voyons encore un peu : peut-être ils se contenteront de satisfaire leur brutalité sur elle, sans l'emmener. S'ils la laissent après l'avoir outragée, il faut que je la tue.
 
{{didascalie|(Il sort.)}}
 
{{Scène| III}}
 
{{didascalie|Mitylène. Appartement dans un mauvais lieu.}}
 
{{didascalie|Entrent le Maître de la maison, sa Femme et Boult.}}
 
{{personnage|Le Maître de la maison : }}Boult !
 
{{personnage|Boult : }}Monsieur.
 
{{personnage|Le Maître : }}Cherche avec soin dans le marché ; Mitylène est plein de galants : nous avons perdu trop d'argent, l'autre foire, pour avoir manqué de filles.
 
{{personnage|La Femme : }}Nous n'avons jamais été aussi mal montés : nous n'avons que trois pauvres diablesses, elles ne peuvent que ce qu'elles peuvent ; et, à force de servir, elles tombent en pourriture, ou peu s'en faut.
 
{{personnage|Le Maître : }}Il nous en faut donc de fraîches, coûte que coûte. Il faut avoir de la conscience dans tous les états, sans quoi on ne prospère pas.
 
{{personnage|La Femme : }}Tu dis vrai : il ne suffit pas d'élever de pauvres bâtardes ; et j'en ai élevé, je crois, jusqu'à onze...
 
{{personnage|Boult : }}Oui, jusqu'à onze ans, et pour les abaisser après ; mais j'irai chercher au marché.
 
{{personnage|La Femme : }}Sans doute, mon garçon ; la cochonnerie que nous avons tombera en pièces au premier coup de vent ; elles sont trop cuites que cela fait pitié.
 
{{personnage|Le Maître : }}Tu dis vrai ; en conscience elles sont trop malsaines. Le pauvre Transylvanien est mort pour avoir couché avec la petite drôlesse.
 
{{personnage|Boult : }}Comme elle l'a vite expédié ; elle en a fait du rôti pour les vers !-Mais je vais au marché.
 
{{didascalie|(Boult sort.)}}
 
{{personnage|Le Maître : }}Trois ou quatre mille sequins seraient un assez joli fonds pour vivre tranquilles et abandonner le commerce.
 
{{personnage|La Femme : }}Pourquoi abandonner le commerce, je vous prie ? Est-il honteux de gagner de l'argent quand on se fait vieux ?
 
{{personnage|Le Maître : }}Oh ! le renom ne va pas de pair avec les profits, ni les profits avec le danger. Ainsi donc, si dans notre jeunesse nous avons pu nous acquérir une jolie petite fortune, il ne serait pas mal de fermer notre porte. D'ailleurs, nous sommes dans de tristes termes avec les dieux, et cela devrait être une raison pour nous d'abandonner le commerce.
 
{{personnage|La Femme : }}Allons, dans d'autres métiers on les offense aussi bien que dans le nôtre.
 
{{personnage|Le Maître : }}Aussi bien que dans le nôtre, oui, et mieux encore : mais la nature de nos offenses est pire ; et notre profession n'est pas un métier ni un état. Mais voici Boult.
 
{{didascalie|(Les pirates entrent avec Boult et entraînent Marina.)}}
 
{{personnage|Boult}}{{didascalie|, à Marina : }}Ici. {{didascalie|(À Marina.)}} Venez par ici. Messieurs, vous dites qu'elle est vierge ?
 
{{personnage|Premier Pirate : }}Nous n'en doutons pas.
 
{{personnage|Boult : }}Maître, j'ai avancé un haut prix pour ce morceau ; voyez : si elle vous convient, cela va bien. Sinon, j'ai perdu mes arrhes.
 
{{personnage|La Femme : }}Boult, a-t-elle quelques qualités ?
 
{{personnage|Boult : }}Elle a une jolie figure ; elle parle bien, a de belles robes : quelles qualités voulez-vous de plus ?
 
{{personnage|La Femme : }}Quel prix en veut-on ?
 
{{personnage|Boult : }}Je n'ai pas pu l'avoir à moins de mille pièces d'or.
 
{{personnage|Le Maître : }}Très-bien. Suivez-moi, mes maîtres ; vous allez avoir votre argent sur l'heure. Femme, reçois-la ; instruis-la de ce qu'elle a à faire, afin qu'elle ne soit pas trop novice.
 
{{didascalie|(Le maître sort avec les pirates.)}}
 
{{personnage|La Femme : }}Boult, prends son signalement, la couleur de ses cheveux, son teint, sa taille, son âge et l'attestation de sa virginité ; puis crie : Celui qui en donnera le plus l'aura le premier. Un tel pucelage ne serait pas bon marché, si les hommes étaient encore ce qu'ils furent. Allons, obéis à mes ordres.
 
{{personnage|Boult : }}Je vais m'en acquitter.
 
{{didascalie|(Boult sort.)}}
 
{{personnage|Marina : }}Hélas ! pourquoi Léonin a-t-il été si mou, si lent ? Il aurait dû frapper et non parler. Pourquoi ces pirates n'ont-ils pas été assez barbares pour me réunir à ma mère, en me précipitant sous les flots ?
 
{{personnage|La Femme : }}Pourquoi vous lamentez-vous, ma belle ?
 
{{personnage|Marina : }}Parce que je suis belle.
 
{{personnage|La Femme : }}Allons, les dieux se sont occupés de vous.
 
{{personnage|Marina : }}Je ne les accuse point.
 
{{personnage|La Femme : }}Vous êtes tombée entre mes mains, et vous avez chance d'y vivre.
 
{{personnage|Marina : }}J'ai eu d'autant plus tort d'échapper à celles qui m'auraient tuée !
 
{{personnage|La Femme : }}Et vous vivrez dans le plaisir.
 
{{personnage|Marina : }}Non.
 
{{personnage|La Femme : }}Oui, vous vivrez dans le plaisir, et vous goûterez toutes sortes de messieurs ; vous ferez bonne chère ; vous apprendrez la différence de tous les tempéraments. Quoi ! vous vous bouchez les oreilles !
 
{{personnage|Marina : }}Êtes-vous une femme ?
 
{{personnage|La Femme : }}Que voulez-vous que je sois, si je ne suis une femme ?
 
{{personnage|Marina : }}Une femme honnête, ou pas une femme.
 
{{personnage|La Femme : }}Malepeste ! ma petite chatte, j'aurai à faire avec vous, je pense. Allons, vous êtes une petite folle ; il faut vous parler avec des révérences.
 
{{personnage|Marina : }}Que les dieux me défendent !
 
{{personnage|La Femme : }}S'il plaît aux dieux de vous défendre par les hommes,-ils vous consoleront, ils vous entretiendront, ils vous réveilleront. Voilà Boult de retour. {{didascalie|(Entre Boult.)}} Eh bien ! l'as-tu criée dans le marché ?
 
{{personnage|Boult : }}Je l'ai criée sans oublier un de ses cheveux ; j'ai fait son portrait avec ma voix.
 
{{personnage|La Femme : }}Et dis-moi, comment as-tu trouvé les gens disposés, surtout la jeunesse ?
 
{{personnage|Boult : }}Ma foi, ils m'ont écouté comme ils écouteraient le testament de leur père. Il y a eu un Espagnol à qui l'eau en est tellement venue à la bouche, qu'il a été se mettre au lit rien que pour avoir entendu faire son portrait.
 
{{personnage|La Femme : }}Nous l'aurons demain ici avec sa plus belle manchette.
 
{{personnage|Boult : }}Cette nuit, cette nuit ! Mais, notre maîtresse, connaissez-vous le chevalier français qui fait de si profondes révérences ?
 
{{personnage|La Femme : }}Qui ! monsieur Véroles ?
 
{{personnage|Boult : }}Oui, il voulait faire un salut à la proclamation ; mais il a poussé un soupir et juré qu'il viendrait demain.
 
{{personnage|La Femme : }}Bien, bien : quant à lui il a apporté sa maladie avec lui ; il ne fait ici que l'entretenir. Je sais qu'il viendra à l'ombre de la maison pour étaler ses couronnes au soleil.
 
{{personnage|Boult : }}Si nous avions un voyageur de chaque nation, nous les logerions tous avec une telle enseigne.
 
{{personnage|La Femme : }}Je vous prie, venez un peu ici. Vous êtes dans le chemin de la fortune ; écoutez-moi. Il faut avoir l'air de faire à regret ce que vous ferez avec plaisir, et de mépriser le profit quand vous gagnerez le plus. Pleurez votre genre de vie, cela inspire de la pitié à vos amants : cette pitié vous vaut leur bonne opinion, et cette bonne opinion est un profit tout clair.
 
{{personnage|Marina : }}Je ne vous comprends pas.
 
{{personnage|Boult : }}Emmenez-la, maîtresse, emmenez-la ; cette pudeur s'en ira avec l'usage.
 
{{personnage|La Femme : }}Tu dis vrai, ma foi, cela viendra ; la fiancée elle-même ne se prête qu'avec honte à ce qu'il est de son devoir de faire.
 
{{personnage|Boult : }}Oui, les unes sont d'une façon et les autres d'une autre. Mais dites donc, maîtresse, puisque j'ai procuré le morceau...
 
{{personnage|La Femme : }}Tu voudrais en couper ta part sur la broche.
 
{{personnage|Boult : }}Peut-être bien.
 
{{personnage|La Femme : }}Et qui donc te le refuserait ? Allons, jeunesse, j'aime la forme de vos vêtements.
 
{{personnage|Boult : }}Oui, ma foi, il n'y a pas encore besoin de les changer.
 
{{personnage|La Femme : }}Boult, va courir la ville ; raconte quelle nouvelle débarquée nous avons ; tu n'y perdras rien. Quand la nature créa ce morceau, elle te voulut du bien. Va donc dire quelle merveille c'est, et tu auras le prix de tes avis.
 
{{personnage|Boult : }}Je vous garantis, maîtresse, que le tonnerre réveille moins les anguilles que ma description de cette beauté ne remuera les libertins. Je vous en amènerai quelques-uns cette nuit.
 
{{personnage|La Femme : }}Venez par ici, suivez-moi.
 
{{personnage|Marina : }}Si le feu brûle, si les couteaux tuent, si les eaux sont profondes, ma ceinture virginale ne sera pas dénouée. Diane, à mon secours !
 
{{personnage|La Femme : }}Qu'avons-nous à faire de Diane ? Allons, venez-vous ?
 
{{didascalie|(Ils sortent.)}}
 
{{Scène| IV}}
 
{{didascalie|Tharse. Appartement dans le palais de Cléon.}}
 
{{didascalie|Entre Cléon avec Dionysa.}}
 
{{personnage|Dionysa : }}Quoi ? êtes-vous insensé ; n'est-ce pas une chose faite ?
 
{{personnage|Cléon : }}Dionysa, jamais les astres n'ont été témoins d'un meurtre semblable.
 
{{personnage|Dionysa : }}Allez-vous retomber dans l'enfance ?
 
{{personnage|Cléon : }}Je serais le souverain de tout l'univers que je le donnerais pour que ce crime n'eût pas été commis. Ô jeune princesse, moins grande par la naissance que par la vertu, il n'était pas de couronne qui ne fût digne de toi ! Ô lâche Léonin, que tu as aussi empoisonné ! Si tu avais avalé pour lui le poison, c'eût été un exploit comparable aux autres. Que diras-tu quand le noble Périclès réclamera sa fille ?
 
{{personnage|Dionysa : }}Qu'elle est morte. Les destins n'avaient pas juré de la conserver : elle est morte la nuit. Je le dirai ; qui me contredira ? à moins que vous n'ayez la simplicité de me trahir, et, pour mériter un titre de vertu, de crier : Elle a été égorgée.
 
{{personnage|Cléon : }}Ô malheureuse ! de tous les crimes, c'est celui que les dieux abhorrent le plus.
 
{{personnage|Dionysa : }}Croyez-vous que les petits oiseaux de Tharse vont voler ici et tout découvrir à Périclès ? J'ai honte de penser à la noblesse de votre race et à la timidité de votre cœur.
 
{{personnage|Cléon : }}Celui qui approuva jamais de telles actions, même sans y avoir consenti, ne fut jamais d'un noble sang.
 
{{personnage|Dionysa : }}Ah ! bien, soit. Mais personne, excepté vous, ne sait comment
elle est morte ; personne ne le saura, Léonin ayant cessé de vivre. Elle
dédaignait ma fille ; elle était un obstacle à son bonheur. Nul ne la
regardait ; tous les yeux étaient fixés sur Marina, tandis que notre enfant
était négligée comme une pauvre fille qui ne valait pas la peine d'un
bonjour. Cela me perçait le cœur ; et quoique vous traitiez mon action de
dénaturée, vous qui n'aimez pas votre enfant, moi je la crois bonne et
généreuse, et un sacrifice fait à notre fille unique.
 
{{personnage|Cléon : }}Que les dieux vous pardonnent !
 
{{personnage|Dionysa : }}Et quant à Périclès, que pourra-t-il dire ? nous avons pleuré à
ses funérailles, et nous portons encore le deuil. Son monument est presque
fini, et ses épitaphes en lettres d'or attestent son grand mérite, et notre
douleur à nous, qui l'avons fait ensevelir, à nos frais.
 
{{personnage|Cléon : }}Tu es comme la Harpie qui, pour trahir, porte un visage d'ange, et saisit sa proie avec des serres de faucon.
 
{{personnage|Dionysa : }}Vous êtes un de ces hommes superstitieux qui jurent aux dieux que l'hiver tue les mouches ; mais je sais que vous suivrez mes conseils.
 
{{didascalie|(Ils sortent.)}}
 
{{didascalie|(Entre Gower. Il est devant le monument de Marina, à Tharse.)}}
 
{{personnage|Gower : }}C'est ainsi que nous abrégeons le temps et les distances ; n'ayant
qu'à désirer pour vouloir, traversant les mers, et voyageant avec l'aide de
votre imagination de contrée en contrée et d'un bout du monde à l'autre.
Grâce à votre indulgence, on ne nous blâme point de nous servir d'un seul
langage dans les divers climats où nous transportent nos scènes. Je vous
supplie de m'écouter pour que je supplée aux lacunes de notre histoire.
Périclès est maintenant sur les flots inconstants (suivi de maints seigneurs
et chevaliers). Il va voir sa fille, charme de sa vie. Le vieil Escanès,
qu'Hélicanus a fait monter dernièrement à un poste éminent, est resté à Tyr
pour gouverner. Souvenez-vous qu'Hélicanus suit son prince. D'agiles
vaisseaux et des vents favorables ont amené le roi Périclès à Tharse.
Imaginez-vous que la pensée est son pilote, et son voyage sera aussi rapide
qu'elle. Périclès va chercher sa fille qu'il a laissée aux soins de Cléon.
Voyez-les se mouvoir comme des ombres. Je vais satisfaire en même
temps vos oreilles et vos yeux. {{didascalie|(Scène muette : Périclès entre par une porte
avec sa suite ; Cléon et Dionysa par une autre. Cléon montre à Périclès le
tombeau de Marina, tandis que Périclès se lamente, se revêt d'une haire et
part dans la plus grande colère. Cléon et Dionysa se retirent.)}} -Voyez
comme la crédulité souffre d'une lugubre apparence ! cette colère
empruntée remplace les pleurs qu'on eût versés dans le bon vieux temps ; et Périclès, dévoré de chagrin, sanglotant et
baigné de larmes, quitte Tharse et s'embarque. Il jure de ne plus laver son
visage, ni couper ses cheveux ; il se revêt d'une haire et se confie à la mer.
Il brave une tempête qui brise à demi son vaisseau mortel, et cependant il poursuit sa route. Maintenant voulez-vous
connaître cette épitaphe, c'est celle de Marina faite par la perfide Dionysa :
{{didascalie|(Gower lit l'inscription gravée sur le tombeau de Marina.)}}
« Ci-gît la plus belle, la plus douce et la meilleure des femmes, qui se flétrit
dans le printemps de ses jours ; elle était la fille du roi de Tyr, celle que la
mort a si cruellement immolée ; elle portait le nom de Marina. Fière de sa
naissance, Thétis engloutit une partie de la terre ; voilà pourquoi la terre,
craignant d'être submergée, a donné aux cieux celle qui naquit dans le sein
de Thétis ; voilà pourquoi (et elle ne cessera jamais) Thétis fait la guerre
aux rivages de la terre. »
Aucun masque ne convient à la noire scélératesse comme la douce et
tendre flatterie. Laissez Périclès, voyant que sa fille n'est plus, poursuivre
ses voyages au gré de la fortune, pendant que notre théâtre vous représente
le malheur de sa fille dans le séjour profane où elle est renfermée. Patience
donc, et figurez-vous tous maintenant que vous êtes à Mitylène.
 
{{didascalie|(Il sort.)}}
 
{{Scène| V}}
 
{{didascalie|Mitylène. Une rue devant le mauvais lieu.}}
 
{{didascalie|Deux jeunes gens de Mitylène sortent de la maison.}}
 
{{personnage|Premier jeune homme : }}Avez-vous jamais entendu pareille chose ?
 
{{personnage|Second jeune homme : }}Non, et jamais on n'entendra pareille chose en pareil lieu, quand elle n'y sera plus.
 
{{personnage|Premier jeune homme : }}Mais se voir prêcher là ! Avez-vous jamais rêvé une telle chose ?
 
{{personnage|Second jeune homme : }}Non, non. Viens, je renonce aux mauvais lieux. Irons-nous entendre les vestales ?