« La Case de l’oncle Tom/Ch XLIV » : différence entre les versions

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« Henri, mon garçon, comment t’y es-tu pris pour faire cette addition ? » demande Georges posant sa main sur la tête de son fils.
 
Ce n’est plus l’enfant aux longues boucles soyeuses ; mais il a conservé les veuxyeux brillants, les cils épais et longs, le front haut et hardi qui se colore d’orgueil comme il répond : « Je l’ai faite tout seul, papa, tout seul : ''personne'' ne m’a aidé.
 
— C’est bien, mon garçon ; appuie-toi sur toi-même, mon fils, tu as pour cela meilleure chance que ne l’avait ton pauvre père. »
 
En ce moment on frappe à la porte ; Éliza va ouvrir. À son cri de joie : « Quoi, c’est vous ! » son mari s’est levé, et le bon pasteur d’Amhersthergd’Amherstberg est accueilli. Deux dames l’accompagnent, Éliza les engage à s’assoir.
 
S’il faut tout dire, le bon missionnaire avait fait son petit programme à l’avance. Toute l’affaire devait se dérouler d’elle-même progressivement ; et, en route, il avait bien prémuni ses compagnes contre une découverte trop soudaine.
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Quelle fut donc la consternation du brave homme lorsque, juste au moment où, après avoir, d’un geste, indiqué aux deux dames leurs sièges, il tirait son mouchoir, afin de préluder au discours avec la gravité voulue, soudain madame de Thoux renverse tous ses plans, et jetant ses deux bras autour du cou de Georges ; « Ô Georges ! s’écrie-t-elle, ne me reconnais-tu pas ? Je suis ta sœur Émilie ! »
 
Cassy, demeurée assise avec plus de tenue et de calme, se préparait à jouer de son mieux son personnage, lorsque la petite Èliza lui apparut sonssous les traits, la taille, toute l’apparence de sa fille si longtemps perdue et pleurée, et secouant sur sa petite tête ronde les mêmes boucles flottantes. La petite espiègle épiait la figure de la dame avec de grands yeux curieux. Cassy n’y tint pas, elle la saisit, l’enleva et la pressa contre sa poitrine en criant, ce qui, dans l’émotion du moment, lui semblait réel : « Ma chérie, je suis ta mère ! »
 
C’était en vérité chose difficile que de remettre tout en ordre et de tranquilliser chacun. Ce ne fut pas sans peine que le digne pasteur y arriva. Enfin, il put débiter le discours qui devait ouvrir la séance, et réussit de façon à satisfaire tout orateur ancien ou moderne, car l’auditoire entier fondit en larmes.
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Revenons aux amis que nous avons laissés essuyant leurs larmes et cherchant à reprendre haleine au milieu des transports d’une joie trop vive et trop inattendue. Les voilà réunis autour d’un riant couvert, et devenus vraiment sociables et de bonne compagnie. Cassy seulement, la petite Éliza sur ses genoux, ne se peut modérer et la serre souvent avec transport. La petite espiègle étonnée la regarde, et ne comprend pas que la dame refuse de se laisser étouffer à force de gâteaux, que l’enfant persiste à lui fourrer dans la bouche ! et lorsque Cassy affirme avoir enfin trouvé ce qu’elle aime mieux que tous les gâteaux et bonbons, la petite fixe sur elle de grands yeux tout surpris.
 
Deux ou trois jours ont rendu Cassy méconnaissable. Son expression de farouche désespoir a fait place à l’air d’une douce et tendre confiance ; elle semble se fondre tout doucement dans la famille et s’empare des enfants comme d’un bien longtemps convoité. Son affection déborde sur la petite, plus que sur sa propre fille. Dans l’enfant, elle voit l’image ni parfaite de celle qu’elle avait perdue. La petite créature, entre sa grand’mère et sa mère, est comme une chainechaîne fleurie, un lien de sympathie et d’affection. La ferme et solide piété d’Éliza, que la lecture constante de la sainte parole a nourrie, la rend un excellent guide pour l’esprit inquiet et fatigué de sa pauvre mère, et bientôt, soumise à tant de salutaires influences, Cassy devient une pieuse et tendre chrétienne.
 
Il s’était à peine passé deux jours, que madame de Thoux, mettant son frère au fait de ses affaires personnelles, offrait de partager avec la famille de Georges la fortune considérable et indépendante que lui avait laissée son mari.
 
« Oh ! chère Émilie, lui répondit son frère, donne- moi ce que j’ai toujours désiré par-dessus tout, une bonne et complète éducation, et je me charge du reste. »
 
Après mûre délibération, il fut décidé que la famille tout entière se rendrait en France. Ils partirent, emmenant avec eux Emmeline. Celle-ci ayant, dans la traversée, gagné le cœur du second du navire, devint sa femme peu après leur arrivée au Havre.
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« Je ne nierai pas que la colonie de Libéria n’ait servi d’instrument à toute sorte de desseins contre nous ; qu’elle n’ait été une arme dans les mains de nos oppresseurs ; qu’elle n’entre dans les moyens employés pour retarder, sinon pour empêcher à jamais notre émancipation. Mais, pour moi, la question est autre. N’y a-t-il pas au-dessus des plans faits par les hommes un Dieu qui, renversant leurs projets, a peut-être, par leurs mains, et malgré eux, créé pour nous une nation ?
 
« De nos temps il n’y faut qu’un jour. Un peuple se dresse-t-il tout à coup, il trouve tous les grands problèmes de la vie sociale, de la vie politique et de la civilisation déjà préparés, résolus pour lui. — II n’a rien à découvrir, il lui suffit d’appliquer. Laissez-nous donc, nous serrant les uns contre les antres, réunir nos forces, marcher tous ensemble, et voir ce que nous pourrons accomplir, ayant le splendide continent de l’Afrique ouvert devant nous et nos enfantaenfants. Notre rarerace puissante roulera les flots de la civilisation et du christianisme le long de ces magnifiques rivages, et plantera des républiques vigoureuses qui, croissant avec la rapidité des végétations tropicales, éblouiront les siècles futurs.
 
« Direz-vous que j’abandonne mes frères captifs ? Je ne le pense pas. Ah ! si jamais je les oubliais une heure, un moment, puisse à son tour Dieu m’oublier ! Mais ici que ferais-je pour eux ? Puis-je briser leurs chaînes ? non ; comme individu. Faisant partie d’une nation ayant voix parmi les nations, c’est autre chose. Alors nous nous ferons écouter. Un peuple peut discuter, remontrer, implorer, exiger même et soutenir la cause de sa race : un individu ne peut rien.
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« Si jamais l’Europe devient un grand conseil de nations éclairées et libres, — et j’ai foi en Dieu que ce temps arrivera, — si tout servage, toute injuste et oppressive inégalité disparaissent, si tous les peuples, comme l’ont fait Français et Anglais, reconnaissent notre indépendance ; alors nous en appellerons à ce congrès suprême, et nous plaiderons devant lui la cause de notre race opprimée et souffrante. Il est impossible qu’alors l’Amérique détrompée ne s’empresse pas d’effacer elle-même la barre sinistre qui souille son écusson, la dégrade au milieu des peuples, et devient pour elle, une malédiction pire que pour ceux mêmes qu’elle opprime.
 
« Vous me dites que notre race a, pour se fondre dans la république américaine, les mêmes droits que les Irlandais, les Allemands, les Suédois ? Je vous l’accorde ; elle en a même de plus légitimes. Nous ''devrions'' être libres de nous associer, de nous mêler aux Américains — de nous élever parmi eux, selon le mérite personnel, sans considération de caste ou de couleur. Ceux qui nous dénient ce droit mentent aux principes mêmes d’égalité humaine qu’ils professent. ''Ici'' nos droits ''devraient'' dépasser ceux de tous les autres hommes ; car à nous, race injuriée, est due une réparation ; mais ''je n’en veux pas''. Je demande une patrie, une nation qui soit mienne. Je crois que la race africaine a des vertus, des facultés qui doivent s’épanouir ansaux clartés de la civilisation et du christianisme, et qui, autres que celles des Anglo-Saxons, peuvent être moralement d’un ordre supérieur.
 
Les destinées du monde ont été confiées à cette race du Nord, ferme et entreprenante, durant une première période, toute de lutte et de conflit. Ses éléments rigides, énergiques, inflexibles, la préparaient à cette mission, Mais, comme chrétien, j’attends une ère moins âpre, et je crois y toucher. Les douleurs qui, de nos jours, agitent, ébranlent les nations, ne sont, à mes yeux, que les transes, les angoisses de l’enfantement de cette heure prospère de paix et de fraternité universelle que j’espère.
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Nous n’avons rien de particulier à dire des autres personnes dont nous avons entretenu le lecteur. Un mot seulement sur Topsy et miss Ophélia ; et un chapitre d’adieu à notre ami George Shelby.
 
Miss Ophélia emmena Topsy avec elle dans l’État de Vermont, à l’inexprimable surprise du corps réfléchi, solennel, des gens sérieux qui, à la Nouvelle-Angleterre, s’appellent exclusivement ''notre monde''. Cette addition à l’établissement si bien ordonné jusqu’alors de la famille, parut « à notre monde » des plus inopportunes et tout à fait bizarre. Mais les efforts de miss Ophélia pour remplir ''son devoir'' envers son élève étaient trop zélés, trop persévérants, pour ne pas devenir efficaces. Bientôt l’enfant, qui croissait rapidement en grâce et en sagesse, se fit bien venir, et dans la maison, et dans les familles du voisinage. Devenue une intelligente jeune fille, elle demanda et obtint le baptême, et, comme membre de l’Église chrétienne, montra tant d’activité, de zèle, d’ardeur, à se rendre utile, de désir de faire un peu de bien en ce monde, qu’enfin, recommandée, choisie, approuvée, elle fut envoyée comme missionnaire à l’une des stations d’Afrique. Là, comme nous l’avons appris, l’activité turbulente, l’intelligence désordonnée qui avaient rendu son enfance à elle-même si fatigante, ne lui sont point inutiles maintenant. Elle applique ces facultés régularisées, de la façon la plus heureuse et la plus salutaire, à l’éducation des enfants de sa race.
 
''P. S,'' Quelques mères apprendront avec plaisir que les recherches provoquées par madame de Thoux, pour découvrir le fils de Cassy, ont eu un résultat favorable. Ce jeune homme, doué d’une nature énergique, était parvenu, quelques années avant sa mère, à s’échapper ; il fut reçu et élevé dans le Nord, par les amis des opprimés, et il est allé rejoindre sa famille en Afrique.