« Discours d'ouverture du Congrès littéraire international » : différence entre les versions

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Vous allez faire comprendre aux législateurs qui voudraient réduire la littérature à n’être qu’un fait local, que la littérature est un fait universel. La littérature, c’est le gouvernement du genre humain par l’esprit humain, (''Bravo !'')
 
La propriété littéraire est d’utilité générale. Toutes les vieilles législations monarchiques ont nié et nient encore la propriété littéraire. Dans quel but ? Dans un but d’asservissement. L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance. On l’espère du moins. De là ce sophisme singulier, qui serait puéril s’il n’était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n’existe pas. Confusion étrange, d’abord, de la faculté de penser, qui est générale, avec la pensée, qui est individuelle ; la pensée, c’est le moi ; ensuite, confusion de la pensée, chose abstraite, avec le livre, chose matérielle. La pensée de l’écrivain, en tant que pensée, échappe à toute main qui voudrait la saisir ; elle s’envole d’âme en âme ; elle a ce don et cette force, — ''virum volitare per ora''<ref><small>Note de Wikisource : « Voler de bouche en bouche », [[Virgile]], Géorgiques, livre III, 8{{e}} strophe.</small></ref> — ; mais le livre est distinct de la pensée ; comme livre, il est saisissable, tellement saisissable qu’il est quelquefois saisi. (''On rit'') Le livre, produit de l’imprimerie, appartient à l’industrie et détermine, sous toutes ses formes, un vaste mouvement commercial ; il se vend et s’achète ; il est une propriété, valeur créée et non acquise, richesse ajoutée par l’écrivain à la richesse nationale, et certes, à tous les points de vue, la plus incontestable des propriétés. Cette propriété inviolable, les gouvernements despotiques la violent ; ils confisquent le livre, espérant ainsi confisquer l’écrivain. De là le système des pensions royales. Prendre tout et rendre un peu. Spoliation et sujétion de l’écrivain. On le vole, puis on l’achète. Effort inutile, du reste. L’écrivain échappe. On le fait pauvre, il reste libre. (''Applaudissements'') Qui pourrait acheter ces consciences superbes, Rabelais, Molière, Pascal ? Mais la tentative n’en est pas moins faite, et le résultat est lugubre. La monarchie est on ne sait quelle succion terrible des forces vitales d’une nation ; les historiographes donnent aux rois les titres de « pères de la nation » et de « pères des lettres » ; tout se tient dans le funeste ensemble monarchique ; Dangeau, flatteur, le constate d’un côté ; Vauban, sévère, le constate de l’autre ; et, pour ce qu’on appelle « le grand siècle », par exemple, la façon dont les rois sont pères de la nation et pères des lettres aboutit à ces deux faits sinistres : le peuple sans pain, Corneille sans souliers. (''Longs applaudissements'')
 
Quelle sombre rature au grand règne !