« Contre l’antisémitisme » : différence entre les versions

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Venons maintenant à la cause occasionnelle de l’antisémitisme, celle qui a déterminé le choc. C’est le krach de l’''Union générale.'' La défaite de l’''Union générale'' a été la défaite du capital et de la spéculation catholique. On a rendu la finance juive responsable de ce résultat et la campagne antijuive a été inaugurée en guise de représailles. Le capital catholique s’est rué à l’assaut du capital israélite et l’histoire de cette période sera, pour l’historien futur, intéressante comme un épisode de la lutte entre capitalistes, et même de la lutte entre deux formes de capital.
 
L’antisémitisme s’est donc manifesté tout d’abord sous la forme d’une guerre contre la finance cosmopolite et, pendant longtemps, ses champions et ses théoriciens ont affecté de rester sur ce terrain. Ils prétendent, aujourd’hui encore, s’y tenir et feignent d’ê
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tred’être exclusivement les ennemis de l’agiotage et des manieurs d’argent.
 
Mais, je le répète, les théoriciens ne sont rien, ils ne représentent rien ; c’est à côté d’eux qu’il faut regarder, et, si l’on regarde, on verra que c’est par la plus grossière des équivoques qu’on présente l’antisémitisme comme un mouvement de réaction contre le règne de l’agent. En réalité, sous le couvert du Juif financier et agioteur, on attaque tous les Juifs. Jadis on leur reprochait d’être uniquement des usuriers. Aujourd’hui, on leur reproche de ne pas se confiner dans le rôle de prêteur, d’argentier, et on veut frapper sur eux parce qu’ils prétendent ne rester étrangers à rien et participer à toutes les manifestations de l’activité sociale.
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J’étais fort naïf en ce temps-là. Mieux éclairé, mieux averti, j’ai affirmé, et j’affirme encore que les antisémites sont les défenseurs du capital chrétien, je veux dire du capital catholique, et je les défie toujours de prouver le contraire. J’élargis cette affirmation. Les antisémites combattent non seulement pour défendre le capital catholique, mais encore pour conquérir pour les citoyens catholiques, aux dépens des autres citoyens, des avantages, des privilèges et des prébendes. Ils rêvent la reconstitution de l’État chrétien, celui qui ne conférera des avantages qu’aux fils soumis de l’Église. Quel antisémite osera le nier ? Aucun. Je proteste donc maintenant contre l’antisémitisme, au nom de la liberté, au nom du droit, au nom de la justice. Serai-je le seul à élever la voix ? J’espère que non.
 
== Histoire d’une polémique ==
 
'''''
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Le Figaro''' du 16 mai publia sous le titre de « Pour les Juifs » un très brave, très courageux, très noble article de M. Émile Zola.''
 
 
== Histoire d’une polémique ==
 
'''''Le Figaro''' du 16 mai publia sous le titre de « Pour les Juifs » un très brave, très courageux, très noble article de M. Émile Zola.''
 
''« Depuis quelques années, disait M. Zola, je suis la campagne qu’on essaie de faire en France contre les Juifs, avec une surprise et un dégoût croissants. Cela m’a l’air d’une monstruosité, je veux dire une chose en dehors de tout bon sens, de toute vérité et de toute justice, une chose sotte et aveugle qui nous ramènerait à des siècles en arrière, une chose enfin qui aboutirait à la pire des abominations, une persécution religieuse ensanglantant toutes les patries. Et je veux le dire. » ''
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''La réponse de M. Drumont ne m’ayant pas paru décisive, je crus devoir le dire, et je publiai dans le '''Voltaire''' du 20 mai l’article qui suit.''
 
 
== Contre l’antisémitisme ==
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== Contre l’antisémitisme ==
M. Émile Zola vient de commettre une action abominable. Il a défendu les Juifs ou plutôt il a attaqué l’antisémitisme. Qu’attendre d’un homme qui a du sang italien dans les veines ? Un Français de France n’eût point osé faire chose semblable. Sarcey lui-même a renoncé à intervenir en faveur de cette tribu de déicides qui, chacun le sait, dévore les petits enfants chrétiens, tombe en des convulsions de rage au saint nom de Jésus-Christ, un des rares Juifs qui ne soient pas maltraités par les antisémites, et dispose d’une puissance si formidable qu’elle écraserait en un jour l’antisémitisme si elle le voulait, ce dont chacun s’aperçoit.
 
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''Dans le '''Voltaire '''du 24 mai, je répondis à M. Drumont.''
 
 
== Réponse à M. Drumont ==
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== Réponse à M. Drumont ==
Je demandais, il y a quelques jours, à M. Drumont, de me répondre. Il faut à mon tour que je réponde à M. Drumont. Je lui ai posé quelques questions précises, il les a éludées en cherchant à me mettre en contradiction avec moi-même. Je les lui poserai une fois encore, le laissant libre de croire qu’en lui demandant une explication nette, je désire simplement avoir « un peu de la notoriété qui s’attache à tout ce qui vient » de lui. Je n’avais pas encore vu M. Drumont dans ce rôle de dispensateur de gloire, et il me sera permis de dire que je n’avais pas fait fonds sur lui pour recueillir un peu de cette renommée qu’il aime.
 
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Avec un raisonnement semblable, on arrive facilement à considérer Meilhac comme supérieur à Shakespeare, et Jean Aicard à Gœthe.
 
Ce
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Ce que je disais dans mon livre, je l’ai redit dans une brochure qui s’appelait ''Antisémitisme et Révolution<ref>— Lettres ''prolétariennes. Antisémitisme et Révolution'' (Paris, mars 1895)</ref>, '' J’écrivais là :M. Drumont est « ''perturbé par l’hystérie religieuse et, d’autre part, s’il fait illusion avec de gros fatras, il est sur bien des points ignorant comme une carpe, et sa façon d’écrire l’histoire vaut bien celle du père Loriquet<ref>— ''[[Antisémitisme et Révolution]]'' (p.14) </ref>''. » Ces diverses appréciations n’avaient pas altéré la bienveillance de M. Drumont à mon égard, et j’ignore vraiment pourquoi mon dernier article me l’a fait perdre. Qu’importe, je m’en consolerai, mais je ne pourrai, malgré tout, que maintenir les jugements que j’ai portés sur lui. Pas plus aujourd’hui qu’hier je ne croirai à sa science, à sa sociologie et à sa gloire immortelle. Veut-il me dire qui étaient Lampon et Isidore, qui étaient Eisenmenger et Wagenseil ? Les deux premiers agitèrent Alexandrie et firent se ruer la populace grecque contre les Juifs. Les deux seconds ont écrit contre les Juifs des livres plus gros que la ''France Juive'' et plus savants. Leur nom n’est même pas connu des antisémites ; c’est peut-être encore moi qui les leur apprendrai. L’oubli dans lequel ils sont tombés pourrait servir à M. Drumont de sujet de méditation. Je le lui affirme: il y aura encore des Juifs dans le monde que son nom aussi sera oublié, à moins qu’un Josèphe ne le conserve comme fut conservé le nom d’Appion.
 
Mais c’est assez sur ce sujet et je veux reprendre les pseudo-réponses de M. Drumont : '' « Une autre facétie, écrit-il, à laquelle se livre volontiers M. Lazare, c’est de soutenir que je veux faire massacrer le petit Juif qui gagne quarante sous par jour. Or, en admettant que le petit Juif qui gagne quarante sous par jour ne soit pas un mythe, je n’
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''Malgré cela j’écrivis dans le '''Voltaire''' du 31 mai, les lignes qui suivent : ''
 
== Ce que veut l’antisémitisme ==
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== Ce que veut l’antisémitisme ==
Décidément, M. Drumont est un sociologue qui n’aime pas à discuter sociologie. C’est un homme prudent, il connaît sa faiblesse, et quand on lui pose des questions qui l’embarrassent, il préfère garder le silence. Vous lui demandez si l’association antisémite et cléricale des négociants et industriels, dont la devise est : « N’achetez rien aux Francs-Maçons et aux Juifs » a pour but de sauver la France ou de faire de meilleures affaires. Il vous répond qu’on a ouvert un plébiscite pour savoir s’il appartenait à la race de Sem, et il affirme qu’il a été baptisé, comme Halévy et Erlanger. En quoi veut-il que cela m’intéresse ?
 
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Le rôle de l’antisémitisme doit être sans doute de préparer la venue de tous ces combattants. Je voudrais savoir comment il procédera. Je manque de données précises là-dessus. Voyons, monsieur Drumont, qu’allez-vous faire des Juifs ? Exposez-moi votre programme. J’imagine que vous n’en avez pas, ni vous ni vos disciples. Prouvez-le, direz-vous ? Voilà qui est facile. Il y a près d’un an, vous avez ouvert à la ''Libre Parole'' un concours sur les moyens de ruiner « la suprématie Juive » ; j’ai même demandé à faire partie du jury de ce concours et j’attends que l’on me convoque. Mais le concours est renvoyé chaque mois ; n’est-ce pas une preuve de la confusion d’idées des antisémites ? Il serait temps, cependant, dans l’intérêt même du parti, de dire une bonne fois ce que vous voulez. Je vais encore attendre votre réponse, monsieur Drumont, et si vous ne répondez pas, nous pourrons causer d’autre chose.
 
 
''Il
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''Il me faut ici revenir en arrière et donner quelques explications sur le concours auquel je faisais allusion. Le 22 octobre 1895, la '''Libre Parole''' mettait au concours le sujet suivant : « Des moyens pratiques d’arriver à l’anéantissement de la puissance juive en France, le danger juif étant considéré au point de vue de la race et non au point de vue religieux. » ''
 
''En annonçant ce concours, M. Drumont disait : « Si un Juif n’appartenant pas au monde de la finance et ayant, par conséquent, quelque autorité dans la question, désirait faire partie du jury, nous serions disposés à lui accorder une place. » ''
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''Je faisais donc parti du jury de la '''Libre Parole'''. À la suite de mon article du 31 mai, je reçus une lettre de M. Drumont, m’expliquant les causes du retard qu’avait subi le concours ; je m’empressais de lui répondre et rappelais cette réponse dans l’article que je consacrais encore à l’antisémitisme dans le '''Voltaire''' du 7 juin.''
 
 
== La quatrième à
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M. Drumont ==
 
== La quatrième à M. Drumont ==
 
Il faut savoir reconnaître ses erreurs. J’avais dit dans mon dernier article que sans doute le concours organisé par la ''Libre Parole'' sur les moyens « d’anéantissement de la puissance juive » était indéfiniment remis. Je m’étais trompé. Le concours aura lieu. M. Édouard Drumont a bien voulu me le faire savoir, et il m’a écrit que je faisais toujours partie du jury. Je l’en ai remercié, lui déclarant que j’étais fort heureux de cela, et que j’espérais trouver dans les travaux qui me seront soumis une réponse aux questions que je me pose.
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Ainsi, il faut que je cesse d’interpeller M. Drumont ; que d’autres continuent s’ils le veulent. Pour moi, la question antisémite ne peut se réduire à un dialogue avec le directeur du journal officiel de ce parti, encore moins à un monologue que je débiterais devant lui. M. Drumont n’est pas la cause de l’antisémitisme ; il n’en est même pas un facteur réel ; il en est un écho et peut-être un instrument. Quel peut être désormais mon but ? Il doit être de montrer les origines multiples de ce mouvement, d’en faire voir les moteurs cachés, d’exposer les intérêts qu’il sert, de faire comparaître les individualités ou les groupes dont il émane. Derrière le décor antisémite, derrière les théories pseudo-scientifiques de l’aryanisme et du sémitisme, il importe de trouver les causes réelles. Il faut exposer les vrais mobiles de la nouvelle croisade, celle qui était dirigée hier contre les Juifs seuls, qui est dirigée en même temps aujourd’hui contre les libres-penseurs, les francs-maçons et les protestants. Je ne m’adresserai plus, par conséquent, aux antisémites ; j’ai reconnu la vanité de cette tentative et de la difficulté de causer avec des gens qui sont décidés à rester muets et à se dérober quand on les met au pied du mur. Je parlerai à ceux qui ont des oreilles pour entendre et, qui sait, je pourrai délier bien des langues.
 
 
''Le
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''Le lendemain même de la publication de cet article je recevais de M. Édouard Drumont une lettre m’informant que la réunion du jury aurait lieu le mercredi 10 juin. J’ai assisté à cette réunion et j’ai siégé lors de la première séance de ce jury, dont M. Drumont ne fait pas partie. Je n’ai pas cru que le fait d’avoir franchi la porte de la '''Libre Parole''' devait enchaîner ma liberté et me mettre dans l’obligation de cesser une polémique courtoise, engagée depuis plus de trois semaines. Il importait d’ailleurs pour moi d’apprécier une controverse engagée entre M. Jaurès et M. Drumont sur l’antisémitisme ; je publiai donc dans le '''Voltaire''' du 14 juin, toujours sur la même question, un cinquième article que voici : ''
 
 
== Les réponses de
==[[Page:Lazare - Contre l’antisémitisme.djvu/31]]==
 
M. Drumont ==
 
== Les réponses de M. Drumont ==
 
J’avais dit que je ne m’adresserais plus à M. Drumont. Non que les sujets de conversation entre nous fussent épuisés, car il sait journellement les faire naître, mais parce que je ne puis m’entêter à parler avec un muet. Puis, en sa qualité de psychologue, Drumont dirait encore que je ne le provoque à la discussion que pour voir mon nom imprimé dans la ''Libre Parole, '' ce qui me ferait, chacun le sait, une publicité considérable. J’aime mieux me taire, et quand j’aurai des explications à demander au chevalier de l’antisémitisme, j’irai les lui demander au journal. La très aimable façon dont il m’a reçu l’autre jour, quand je suis allé assister à la première réunion du jury du concours organisé par la Libre Parole m’y encourage. A propos de ce concours je demanderai à Drumont l’autorisation d’en parler librement et de donner sur lui et ses travaux mon appréciation, bien entendu quand on aura attribué la médaille. D’ailleurs, pour l’instant je suis plongé dans la lecture des manuscrits qu’on m’a confiés, et je ne veux même pas dire, par discrétion, comment je les trouve. Mais, quittons ce sujet. Il faut que je m’explique pourquoi je parle encore à Drumont, après avoir dit que je ne lui demanderais plus rien. C’est que s’il ne m’a pas encore répondu, il a répondu à d’autres. Jaurès lui ayant, dans ''la Petite République, ''posé quelques questions, il a donné la réplique.
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Eh bien, je ne voudrais pas fâcher un adversaire, mais vraiment cette réplique est absolument inférieure. Drumont va prétendre une fois de plus que je dis cela uniquement pour lui être désagréable ; il aura tort, et j’affirme que, seule, la vérité m’y pousse, comme disait le Barberousse des ''Burgraves.'' Mais il faut justifier mon assertion :
 
 
« Que
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« Que dirait M. Drumont, qui accuse le socialisme d’être un truquage juif, si nous lui répondions que l’antisémitisme est un truquage capitaliste destiné à sauvegarder l’ensemble de la classe banquière, industrielle et propriétaire par une petite opération sagement limitée. La capital se laisserait circoncire de son prépuce juif pour opérer avec plus de garanties. » Ainsi écrivait Jaurès. Je ne puis analyser complètement son article, mais le passage que je cite est le plus important. Il formulait une fois de plus la question que je n’ai cessé de poser aux antisémites, celle que je leur poserai toujours. Savez-vous ou ne savez-vous pas que votre œuvre consiste uniquement à défendre une catégories de capitalistes : les capitalistes catholiques ? Je n’ai jamais pu obtenir une réponse. Quand j’ai lu l’article de Jaurès, je me suis dit : sans doute Jaurès sera plus heureux. Il est député, il a une influence que je n’ai pas, une importance à laquelle je ne veux prétendre, Drumont se croira sans doute obligé de soigner un peu sa riposte. Je me suis trompé, et pour qu’on ne m’accuse pas de partialité, je vais exposer les arguments de l’apôtre antisémite.
 
Il se lave d’abord d’un reproche sanglant. Jaurès l’avait accusé de parler du socialisme de la même façon dont en parle Joseph Reinach, qui voit dans le mouvement français un reflet du mouvement allemand. Drumont ne peut accepter une semblable assimilation et il rectifie, il a dit simplement, chacun comprendra la différence, que d’ailleurs je n’ai pas saisie : « Le socialisme français se traîne à la remorque du marxisme » . Il corrige, il est vrai, ce jugement en disant à Jaurès que s’il a une action c’est qu’il est « à son insu, peut-être, le représentant de ce vieux socialisme français qui n’a rien de commun avec celui de Karl Marx » . Il le complète en insinuant que Jaurès n’a « probablement jamais compris » le système de Karl Marx « qui ne s’est peut-être jamais compris lui-même » .