« Le Rouge et le Noir/Chapitre LXIII » : différence entre les versions

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En taillant ce diamant, un lapidaire<br>malhabile lui a ôté quelques-unes de ses<br>plus vives étincelles. Au Moyen Âge, que<br>dis-je ? encore sous Richelieu, le Français<br>avait la force de vouloir.
::::::M<small>IRABEAU</small>.
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Julien trouva le marquis furieux : pour la première fois de sa vie, peut-être, ce seigneur fut de mauvais ton ; il accabla Julien de toutes les injures qui lui vinrent à la bouche. Notre héros fut étonné, impatienté, mais sa reconnaissance n’en fut point ébranlée. Que de beaux projets depuis longtemps chéris au fond de sa pensée le pauvre homme voit crouler en un instant ! Mais je lui dois de lui répondre, mon silence augmenterait sa colère. La réponse fut fournie par le rôle de Tartufe.
 
— ''Je ne suis pas un ange''... Je vous ai bien servi, vous m’avez payé avec générosité...générosité… J’étais reconnaissant, mais j’ai vingt-deux ans...ans… Dans cette maison, ma pensée n’était comprise que de vous, et de cette personne aimable...aimable…
 
— Monstre ! s’écria le marquis. Aimable ! aimable ! Le jour où vous l’avez trouvée aimable, vous deviez fuir.
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Le marquis était réellement égaré. À la vue de ce mouvement il recommença à l’accabler d’injures atroces et dignes d’un cocher de fiacre. La nouveauté de ces jurons était peut-être une distraction.
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— Quoi ! ma fille s’appellera Mme Sorel ! quoi ! ma fille ne sera pas duchesse ! Toutes les fois que ces deux idées se présentaient aussi nettement, M. de La Mole était torturé et les mouvements de son âme n’étaient plus volontaires. Julien craignit d’être battu.
 
Dans les intervalles lucides, et lorsque le marquis commençait à s’accoutumer à son malheur, il adressait à Julien des reproches assez raisonnables :
 
— Il fallait fuir, monsieur, lui disait-il...il… Votre devoir était de fuir...fuir… Vous êtes le dernier des hommes...hommes…
 
Julien s’approcha de la table et écrivit :
 
« ''Depuis longtemps la vie m’est insupportable, j’y mets un terme. Je prie monsieur le marquis d’agréer, avec l’expression d’une reconnaissance sans bornes, mes excuses de l’embarras que ma mort dans son hôtel peut causer.'' »
 
— Que monsieur le marquis daigne parcourir ce papier...papier… Tuez-moi, dit Julien, ou faites-moi tuer par votre valet de chambre. Il est une heure du matin, je vais me promener au jardin vers le mur du fond.
 
— Allez à tous les diables, lui cria le marquis comme il s’en allait.
 
— Je comprends, pensa Julien ; il ne serait pas fâché de me voir épargner la façon de ma mort à son valet de chambre...chambre… Qu’il me tue, à la bonne heure, c’est une satisfaction que je lui offre...offre… Mais, parbleu, j’aime la vie...vie… Je me dois à mon fils.
 
Cette idée, qui pour la première fois paraissait aussi nettement à son imagination, l’occupa tout entier après les premières minutes de promenade données au sentiment du danger.
 
Cet intérêt si nouveau en fit un être prudent. Il me faut des conseils pour me conduire avec cet homme fougueux...fougueux… Il n’a aucune raison, il est capable de tout. Fouqué est trop éloigné, d’ailleurs il ne comprendrait pas les sentiments d’un cœur tel que celui du marquis.
 
Le comte Altamira...Altamira… Suis-je sûr d’un silence éternel ? Il ne faut pas que ma demande de conseils soit une action, et complique ma position. Hélas ! il ne me reste que le sombre abbé Pirard...Pirard… Son
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esprit est rétréci par le jansénisme...jansénisme… Un coquin de jésuite connaîtrait le monde, et serait mieux mon fait...fait… M. Pirard est capable de me battre, au seul énoncé du crime.
 
Le génie de Tartufe vint au secours de Julien : Eh bien, j’irai me confesser à lui. Telle fut la dernière résolution qu’il prit au jardin après s’être promené deux grandes heures. Il ne pensait plus qu’il pouvait être surpris par un coup de fusil ; le sommeil le gagnait.
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Le lendemain, de très grand matin, Julien était à plusieurs lieues de Paris, frappant à la porte du sévère janséniste. Il trouva, à son grand étonnement, qu’il n’était point trop surpris de sa confidence.
 
— J’ai peut-être des reproches à me faire, se disait l’abbé plus soucieux qu’irrité. J’avais cru deviner cet amour. Mon amitié pour vous, petit malheureux, m’a empêché d’avertir le père...père…
 
— Que va-t-il faire ? lui dit vivement Julien.
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3° Il peut m’éloigner. S’il me dit : Allez à Edimbourg, à New-York, j’obéirai. Alors on peut cacher la position de Mlle de La Mole ; mais je ne souffrirai point qu’on supprime mon fils.
 
— Ce sera là, n’en doutez point, la première idée de cet homme corrompu...corrompu…
 
À Paris, Mathilde était au désespoir. Elle avait vu son père vers les sept heures. Il lui avait montré la lettre de Julien, elle tremblait qu’il n’eût trouvé noble de mettre fin à sa vie : Et sans ma permission ? se disait-elle avec une douleur qui était de la colère.
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— S’il est mort, je mourrai, dit-elle à son père. C’est vous qui serez cause de sa mort...mort… Vous vous en réjouirez peut-être...être… Mais je le jure à ses mânes, d’abord je prendrai le deuil, et serai publiquement Mme veuve Sorel ; j’enverrai mes billets de faire-part, comptez là-dessus...dessus… Vous ne me trouverez ni pusillanime ni lâche.
 
Son amour allait jusqu’à la folie. À son tour, M. de La Mole fut interdit.
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Ce dernier mot blessa Julien, il obéit cependant. Il est fatal, pensait-il, que, même dans leurs meilleurs moments, ces gens-là trouvent le secret de me choquer.
 
Mathilde résista avec fermeté à tous les projets prudents de son père. Elle ne voulut jamais établir la négociation sur d’autres bases que celles-ci : Elle serait Mme Sorel, et vivrait pauvrement avec son mari en Suisse, ou chez son père à Paris. Elle repoussait bien loin la proposition d’un accouchement clandestin.
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clandestin.
 
— Alors commencerait pour moi la possibilité de la calomnie et du déshonneur. Deux mois après le mariage, j’irai voyager avec mon mari, et il nous sera facile de supposer que mon fils est né à une époque convenable.
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D’abord accueillie par des transports de colère, cette fermeté finit par donner des doutes au marquis.
 
Dans un moment d’attendrissement :
 
— Tiens ! dit-il à sa fille, voilà une inscription de dix mille livres de rente, envoie-la à ton Julien, et qu’il me mette bien vite dans l’impossibilité de la reprendre.
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Deux ou trois amis de M. de La Mole pensaient comme l’abbé Pirard. Le grand obstacle, à leurs yeux, était le caractère décidé de Mathilde. Mais après tant de beaux raisonnements, l’âme du marquis ne pouvait s’accoutumer à renoncer à l’espoir du tabouret pour sa fille.
 
Sa mémoire et son imagination étaient remplies des roueries et des
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faussetés de tous genres qui étaient encore possibles dans sa jeunesse. Céder à la nécessité, avoir peur de la loi lui semblait chose absurde et déshonorante pour un homme de son rang. Il payait cher maintenant ces rêveries enchanteresses qu’il se permettait depuis dix ans sur l’avenir de cette fille chérie.
 
Qui l’eût pu prévoir ? se disait-il. Une fille d’un caractère si altier, d’un génie si élevé, plus fière que moi du nom qu’elle porte ! dont la main m’était demandée d’avance par tout ce qu’il y a de plus illustre en France !
 
Il faut renoncer à toute prudence. Ce siècle est fait pour tout confondre ! nous marchons vers le chaos.
 
 
 
 
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