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C’est ce que le capitaine, le docteur et Johnson reconnurent, après avoir pénétré non sans peine à l’intérieur du navire. Il fallut déblayer plus de quinze pieds de glace pour arriver au grand panneau ; mais, à la joie générale, on vit que les animaux, dont le champ offrait des traces nombreuses, avaient respecté le précieux dépôt de provisions.
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Les trois compagnons quittèrent le navire, revinrent au traîneau et firent part de leurs idées à Bell et à l’Américain. Bell se déclara prêt à travailler ; l’Américain secoua la tête en apprenant qu’il n’y avait rien à faire de son navire ; mais, comme cette discussion eût été oiseuse en ce moment, on s’en tint au projet de se réfugier d’abord dans le Porpoise et de construire une vaste habitation sur la côte.
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À quatre heures du soir, les cinq voyageurs étaient installés tant bien que mal dans le faux pont ; au moyen d’espars et de débris de mâts, Bell avait installé un plancher à peu près horizontal ; on y plaça les couchettes durcies par la gelée, que la chaleur d’un poêle ramena bientôt à leur état naturel. Altamont, appuyé sur le docteur, put se rendre sans trop de peine au coin qui lui avait été réservé. En mettant le pied sur son navire, il laissa échapper un soupir de satisfaction qui ne parut pas de trop bon augure au maître d’équipage.
Le reste de la journée fut consacré au repos. Le temps menaçait de changer, sous l’influence des coups de vent de l’ouest ; le thermomètre placé à l’extérieur marqua vingt-six degrés (-32° centigrades).
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On acheva, ce jour-là, de manger les restes de l’ours, avec des biscuits trouvés dans la soute du navire et quelques tasses de thé ; puis la fatigue l’emporta, et chacun s’endormit d’un profond sommeil.
Le matin, Hatteras et ses compagnons se réveillèrent un peu tard. Leurs
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/286]]== esprits suivaient la pente d’idées nouvelles ; l’incertitude du lendemain ne les préoccupait plus ; ils ne songeaient qu’à s’installer d’une confortable façon. Ces naufragés se considéraient comme des colons arrivés à leur destination, et, oubliant les souffrances du voyage, ils ne pensaient plus qu’à se créer un avenir supportable. Le Porpoise avait été parfaitement équipé et approvisionné pour une campagne lointaine.
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L’inventaire donna les quantités de provisions suivantes : six mille cent cinquante livres de farine, de graisse, de raisins secs pour les puddings ; deux mille livres de bœuf et de cochon salé ; quinze cents livres de pemmican ; sept cents livres de sucre, autant de chocolat ; une caisse et demie de thé, pesant quatre-vingt seize livres : cinq cents livres de riz ; plusieurs barils de fruits et de légumes conservés ; du lime-juice en abondance, des graines de cochléaria, d’oseille, de cresson ; trois cents gallons de rhum et d’eau-de-vie. La soute offrait une grande quantité de poudre, de balles et de plomb ; le charbon et le bois se trouvaient en abondance. Le docteur recueillit avec soin les instruments de physique et de navigation, et même une forte pile de Bunsen, qui avait été emportée dans le but de faire des expériences d’électricité.
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En somme, les approvisionnements de toutes sortes pouvaient suffire à cinq hommes pendant plus de deux ans, à ration entière. Toute crainte de mourir de faim ou de froid s’évanouissait.
Le docteur comprit la répugnance du capitaine et ne jugea pas nécessaire de pousser plus avant cette question. Il changea donc le sujet de la conversation.
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/288]]== notre mieux ; d’un côté l’habitation, de l’autre les magasins, avec une espèce de courtine et deux bastions pour nous couvrir. Je tâcherai de me rappeler pour cette circonstance mes connaissances en castramétation. Altamont, trop faible encore pour prendre part aux travaux, fut laissé à bord de son navire, et les Anglais prirent pied sur le continent.
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À mi-côte, le docteur remarqua une sorte de plateau circulaire d’un diamètre de deux cents pieds environ ; il dominait la baie sur trois de ses côtés, et le quatrième était fermé par une muraille à pic haute de vingt toises ; on ne pouvait y parvenir qu’au moyen de marches évidées dans la glace. Cet endroit parut propre à asseoir une construction solide, et il pouvait se fortifier aisément ; la nature avait fait les premiers frais ; il suffisait de profiter de la disposition des lieux.
Le docteur, Bell et Johnson atteignirent ce plateau en taillant à la hache les blocs de glace ; il se trouvait parfaitement uni. Le docteur, après avoir reconnu l’excellence de l’emplacement, résolut de le déblayer des dix pieds de neige
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/289]]== durcie qui le recouvraient ; il fallait en effet établir l’habitation et les magasins sur une base solide. Pendant la journée du lundi, du mardi et du mercredi, on travailla sans relâche ; enfin le sol apparut ; il était formé d’un granit très dur à grain serré, dont les arêtes vives avaient l’acuité du verre ; il renfermait en outre des grenats et de grands cristaux de feldspath, que la pioche fit jaillir.
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Pendant cinq jours, le travail fut assidu. Les matériaux ne manquaient pas ; les murailles de glace devaient être assez épaisses pour résister aux dégels, car il ne fallait pas risquer de se trouver sans abri, même en été.
À mesure que la maison s’élevait, elle prenait bonne tournure ; elle présentait quatre fenêtres de façade, deux pour le salon, une pour la cuisine, une autre pour la chambre à coucher ; les vitres en étaient faites de magnifiques tables de
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/290]]== glace, suivant la mode esquimaude, et laissaient passer une lumière douce comme celle du verre dépoli. Au-devant du salon, entre ses deux fenêtres, s’allongeait un couloir semblable à un chemin couvert, et qui donnait accès dans la maison ; une porte solide enlevée à la cabine du Porpoise le fermait hermétiquement. La maison terminée, le docteur fut enchanté de son ouvrage ; dire à quel style d’architecture cette construction appartenait eut été difficile, bien que l’architecte eût avoué ses préférences pour le gothique saxon, si répandu en Angleterre ; mais il était question de solidité avant tout ; le docteur se borna donc à revêtir la façade de robustes contreforts, trapus comme des piliers romans ; au-dessus, un toit à pente roide s’appuyait à la muraille de granit. Celle-ci servait également de soutien aux tuyaux des poêles qui conduisaient la fumée au-dehors.
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Tout cela était d’une extrême solidité ; que pouvait-on exiger de plus ? Ah ! si l’on eût écouté le docteur, que n’eût-il pas fait au moyen de cette glace et de cette neige, qui se prêtent si facilement à toutes les combinaisons ! Il ruminait tout le long du jour mille projets superbes qu’il ne songeait guère à réaliser, mais il amusait ainsi le travail commun par les ressources de son esprit.
D’ailleurs, en bibliophile qu’il était, il avait lu un livre assez rare de M. Kraft, ayant pour titre : Description détaillée de la maison de glace construite à Saint-Pétersbourg,
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/291]]== en janvier 1740, et de tous les objets qu’elle renfermait. Et ce souvenir surexcitait son esprit inventif. Il raconta même un soir à ses compagnons les merveilles de ce palais de glace. ==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/292]]==
L’aménagement de la maison de neige prit jusqu’au 31 mars ; c’était la fête de Pâques, et ce jour fut consacré au repos ; on le passa tout entier dans le salon, où la lecture de l’office divin fut faite, et chacun put apprécier la bonne disposition de la snow-house.
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Alors, le docteur passa aux moyens de défense de la place. Sous sa direction, le plateau fut entouré d’une véritable fortification de glace qui le mit à l’abri de toute invasion ; sa hauteur faisait une escarpe naturelle, et, comme il n’avait ni rentrant ni saillant, il était également fort sur toutes les faces. Le docteur, en organisant ce système de défense, rappelait invinciblement à l’esprit le digne oncle Tobie de Sterne, dont il avait la douce bonté et l’égalité d’humeur. Il fallait le voir calculant la pente de son talus intérieur, l’inclinaison du terre-plein et la largeur de la banquette ; mais ce travail se faisait si facilement avec cette neige complaisante, que c’était un véritable plaisir, et l’aimable ingénieur put donner jusqu’à sept pieds d’épaisseur à sa muraille de glace ; d’ailleurs, le plateau dominant la baie, il n’eut à construire ni contre-escarpe, ni talus extérieur, ni glacis ; le parapet de neige, après avoir suivi les contours du plateau, prenait le mur du rocher en retour et venait se souder aux deux côtés de maison. Ces ouvrages de castramétation furent terminés vers le 15 avril. Le fort était au complet, et le docteur paraissait très fier de son œuvre.
En vérité, cette enceinte fortifiée eût pu tenir longtemps contre une tribu d’Esquimaux, si de pareils ennemis se fussent jamais rencontrés sous une telle latitude ; mais il n’y avait aucune trace d’êtres humains sur cette côte ; Hatteras, en relevant la configuration de la baie, ne vit jamais un seul reste de ces huttes qui
==[[Page:Verne - Voyages et aventures du capitaine Hatteras.djvu/293]]== se trouvent communément dans les parages fréquentés des tribus groënlandaises ; les naufragés du Forward et du Porpoise paraissaient être les premiers à fouler ce sol inconnu. Mais, si les hommes n’étaient pas à craindre, les animaux pouvaient être redoutables, et le fort, ainsi défendu, devait abriter sa petite garnison contre leurs attaques.
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