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{{titre|Les Quarante Médaillons de l'Académie|[[Jules Barbey d'Aurevilly]]|1864</br>}}
 
<center>
LES QUARANTE MÉDAILLONS
 
DE
 
L'ACADÉMIE
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<center>
PARIS. - IMP. SMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTH 1.
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<center>
LES
 
QUARANTE MEDAILLONS
 
DE
 
L'ACADÉMIE
 
PAR
 
J. BARBEY D'AUREVILLY
</center>
 
::::::::::<small>Rivarol a fait, un jour, un ''Petit almanach des grands hommes. Pourquoi ne ferions-nous pas un Grand almanach des petits ?</small>
<center>
ED
 
PARIS
 
F. DENTU, LIBRAIRE-ÉDITEUR
 
PALAIS-ROYAL, 17-19, GALERIE D'ORLÉANS
 
1864
 
Tous droits réservés
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[page 1]
 
<center>
LES QUARANTE MÉDAILLONS
 
DE
 
L'ACADÉMIE
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{{--}}
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== I. —M. LE DUC DE BROGLIE ==
</center>
 
''Ab Jove principium. Le duc de Broglie est,
en effet, comme le Jupin de l'Olympe académique. C'est une espèce de président moral
de la docte corporation, ayant pour assesseurs
MM. Guizot, Cousin et Villemain, les seules
têtes ''décidantes'' de l'Académie, les seules
 
 
[page 2 M. DUC DE BROGLIE]
 
 
grues (sans calembour) qui ''enlèvent'' les opinions et les volontés de leurs confrères. M. le
duc de Broglie, ministre et président du conseil sous Louis-Philippe et gendre de madame
de Staël, doit ajouter aux haines de sa belle-mère contre l'Empire. Il est l'ami de M. Guizot, et il rend à M. Guizot le service de le
faire paraître coloré. Il fut un des fondateurs
de cette revue depuis longtemps défunte, la
''Revue française'' ainsi nommée parce qu'on
n'y parlait qu'anglais et allemand. Il y faisait
des compotes de philosophie et de législation,
tellement mêlées, qu'on ne savait plus ce que
c'était... La plus goûtée, dans le temps, de
ces confitures philanthropiques, fut une dissertation sur l'abolition de la peine de mort,
demandée avec un faux air Wilberforce.
Quaker par la philanthropie, M. de Broglie
mêlait alors le quaker au dandy, et il a été
dandy, mais comme un doctrinaire peut
 
 
[page 3 LE DUC DE BROGLIE]
 
 
l'être ! Je l'ai vu en habit ''pensée'' (la seule
pensée que je lui aie jamais connue), et
guêtré presque élégamment de nankin. Il
n'avait point à demander pardon pour cela
à sa grave coterie. Les doctrinaires aimaient
la guêtre, et ils la portaient pour avoir l'air
plus Anglais. C'était bien la peine ! Le plus
grave d'entre tous, le plus rengorgé, disant
les mêmes choses, M. le duc de Broglie a été
le perroquet-roi des doctrinaires et du pédantisme solennel. Maintenant, il se tait sur
son bâton académique. Si l'on s'informe
encore de sa littérature, qu'on sache qu'il
n'a guère écrit que des articles... que dis-je,
écrit ! il les a cordés plutôt. — Il les a cordés péniblement, longs, secs, gris, filandreux
comme chanvre, et en tournant le dos au
talent, toute sa vie. — Il ne s'est jamais retourné.
 
 
[page 4 M. LE PRINCE DE BROGLIE]
 
 
<center>
 
== II. —M. LE PRINCE DE BROGLIE ==
</center>
 
Le jeune docteur Thomas Diafoirus, très-digne de son père. Il fait, en histoire, des
pensums avec plaisir, et le lecteur seul est
puni. Talent de la couleur de celle de papa.
Fusionniste politique, fusionniste en tout,
qui fait fusionner la religion et la philosophie. N'étant en rien que pour les quasi-choses, comme son père pour la quasi-légitimité, et n'ayant qu'un quasi-talent. C'est
aussi un cordier ; mais Dieu lui a fait la grâce
de lui envoyer un critique encore plus en-
 
 
[page 5 M. LE COMTE DE CARNÉ]
 
 
nuyeux et plus cordier que lui : c'est le
P. Guéranger, un bénédictin que Dieu bénisse, qui fait vingt-deux articles du ''Monde''
pour dire un polit mot... Seulement la longue
corde du P. Guéranger n'a pas étranglé le
prince de Broglie. — Il va recommencer, un
de ces jours, ses histoires. La puce, foudroyée par l'érudition, a échappé...
 
 
<center>
== III. — M. LE COMTE DE CARNÉ ==
</center>
 
Ah ! lui, c'est le roi des cordiers ! Depuis trente ans, il fait son câble, sans s'interrompre, dans la ''Revue des Deux Mondes'',
 
 
[page 6 M. LE COMTE DE CARNÉ]
 
 
où il a trouvé le moyen d'être le plus ennuyeux des ennuyeux de céans. M. Charles
Lenormand, qui n'était pas amusant non
plus, comme on sait, et qui n'avait pas le droit
de se montrer bien difficile, disait partout
et de tout : «  Ennuyeux comme Carné. » Un
jour, ne le connaissant pas, il le dit devant lui. On éclata de rire, et c'est le seul
succès de gaieté qu'il ait jamais eu. Il dut
trouver que c'était bon ! Comme MM. de
Broglie, M. de Carné est un fusionniste, fusionnant de fusionnerie, comme dirait Rabelais. Il met des rallonges entre la vieille
monarchie française et 89. Laborieux terrible, fouillant, fouillant... C'est la taupe de
l'histoire de France ; mais chez les bénédictins qui donnent encore des hommes
comme le cardinal Pitra, on n'en voudrait
pas pour frère coupechou ! Il est tellement
gris et effacé, qu'on perd de vue même le
 
 
[page 7 M. COUSIN]
 
 
litre de ses livres. Je porte le défi d'en citer
un... On ne les reconnaît qu'à la pesanteur.
Depuis des années, on n'en voit plus que
de non coupés. M. de Carné est le pourvoyeur du quai Malaquais, — côté des parapets.
 
Il commande au lecteur le respect et la fuite !
 
 
<center>
 
== IV. — M. COUSIN ==
</center>
 
Marionnette effrénée, aux grands gestes
télégraphiques, à la parole emphatique et
vibrante, qui met tout sens dessus dessous
 
 
[page 8 M. COUSIN]
 
 
à l'Académie. C'est un chauffeur. Il chauffe
au profit de l'orléanisme et pourrait bien un
jour, l'imprudent, faire sauler la chaudière !
Rappelez-vous ses cris de paon sur les toits,
dans la cour de l'Institut, lors de la triste
élcction de Lacordaire. « Nommons Lacordaire ! criait-il. On sait ici que je ne suis pas
fou de l'Église, mais nommons Lacordaire,
puisque dons ne pouvons pas nommer le
pape pour faire pièce à l'Empereur ! » (Textuel.) En philosophie, c'est un pauvre qui
a escroqué des habits. En littérature, c'est
une perruque, mais une grande perruque
du dix-septième siècle. On cherche là-dessous... De tête, point ! Majesté vide ! En
philosophie, M. Cousin est la fable et le mépris de l'Allemagne. Il est allé demander
l'aumône à la porte de Hegel, qui lui a donné,
et il est revenu faire, avec les quelques sous
de Hegel, de la fausse monnaie à Paris. Dans
 
 
[page 9 M. COUSIN]
 
 
l'impossibililé, qu'il sent très-bien, de faire
en philosophie même un bâtard, il s'est jeté
sur les drôlesses du dix-septième siècle pour
faire quelque chose en littérature. Son vice,
devenu célèbre, c'est madame de Longueville. J. Barbey d'Aurevilly, dans ses ''Œuvres''
et ses ''Hommes'', Taine, dans ses ''Philosophes français'', n'ont eu que des lueurs sur
M. Cousin. Le livre à fond sur cet homme et
sa bande (car il a une bande) est de M. Ferrari et s'appelle «  les Philosophes salariés, »
Il faut lire cela si on veut s'exercer au dédain
salutaire des baladins solennels ! M. Sainte-Beuve, dont la conversation est le contraire
de ses livres, flatte dans ses livres M. Cousin,
qu'il abîme dans la conversation ! Mais nous
aurons un jour la vérité. M. Sainte-Beuve
attend la mort de M. Cousin pour aller, selon
son usage, lever la jambe contre son tombeau, et faire ainsi la seule oraison funèbre
 
 
[page 10 MONSEIGNEUR DUPANLOUP]
 
 
qui convienne à cet homme de la grande
pirouette, qui balance son trapèze entre le
déisme, — cet athéisme déguisé, — et ses récentes m'amours aux prêtres, et qui, reniant
l'Église dans les cours de l'lnstitut, met,
ailleurs, la main sur son cœur... absent,
tout en assurant le catholicisme de son respect !
 
 
<center>
 
== V. — MONSEIGNEUR DUPANLOUP ==
</center>
 
Un lettré mi-partie de séminaire et d'université ; un directeur de théâtre, comme les
Jésuites qui ont été tout, même chansonniers,
 
 
page 11 MONSEIGNEUR DUPANLOUP
 
 
le furent autrefois, s'amusant à faire jouer
des pièces grecques, en grec, aux jeunes
gens de son séminaire. Occupation peu épiscopale ! Manière de répondre à la question des classiques ! M<sup>gr</sup> Dupanloup est un
phraseur plutôt qu'un orateur, un rhétoricien plutôt qu'un écrivain. Médiocrité
violente dont on ne parlerait pas sans la
grande cause qu'il a épousée. Pauvre, non
pas comme M. Cousin, qui a volé la philosophie allemande, mais pauvre enrichi par
L'Église, et orné des dons de cette magnifique... Si M<sup>gr</sup> Dupanloup n'avait pas l'honneur d'être prêtre et l'honneur plus grand
encore d'être évêque, que serait-il ?... Peut-être un écrivain du ''Journal des Débats''. Son
orthodoxie fait sa force, mais sa force manque
de prudence. Il augmente probablement le
personnel du ''Siècle'', sans le vouloir. C'est la
mouche du coche de l'Église... Qui sait si
 
 
[page 12 MONSEIGNEUR DUPANLOUP]
 
 
M<sup>gr</sup> Dupanloup ne se croit pas le saint Ambroise des derniers temps, — le saint Ambroise... sans Théodose ! Polémiste qui donne
trop, — la Vieille Garde ne donnait pas tous
les jours, mais quand elle donnait, elle écrasait tout ! — M<sup>gr</sup> Dupanloup descend de sa
chaire épiscopale jusqu'au journalisme contemporain. Bossuet avait Jurieu, mais où est
Jurieu ? Un évêque doit respecter sa crosse,
même quand il en frappe ! Il est des gens
qu'on n'honore pas des coups de ce sceptre
des âmes. On ne les crosse point, on les
fouaille. Laissez-nous cette besogne, monseigneur ! Quand M. Quinet a osé dire : «  Étouffons le catholicisme dans la boue, » un évêque ne se commet pas à répondre à cet insulteur ; et si, par générosité d'indignation,
il est entraîné à lui répondre, il n'ajoute pas
à sa lettre un ''post-scriptum'' comme celui-ci :
«  Je viens de relire ma lettre, et je crains
 
 
[page 13 M. SAINT-MARC GIRARDIN]
 
 
d'avoir été trop loin. » Non, l'évêque la brûle
alors, cette lettre inquiétante pour sa charité... Mais M<sup>gr</sup> Dupanloup n'a pas voulu
perdre sa copie, et le voilà peint par ce seul
trait !
 
 
<center>
== VI. — M. SAINT-MARC GIRARDIN ==
</center>
 
Il fait son cours le chapeau sur la tête.
Est-ce que par hasard il se croirait un grand
d'Espagne, en littérature ? Non, c'est de peur
des vents coulis. Depuis la marquise du Deffand, qui fit matelasser un tonneau dans le-
 
 
[page 14 M. SAINT-MARC GIRARDIN]
 
 
quel cette Diogène femelle s'abritait, personne
ne craint plus de s'enrhumer que ce gros
homme, nu col de chemise préservateur. On
disait du duc de Levis : « C'est le plus sentimental des hommes gras. » M. Saint-Marc
Girardin est le plus douillet et le plus tremblant d'être malade des hommes robustes. Il
rêve des rhumes en regardant son mouchoir de
poche, comme le lièvre rêvait des cornes, en
regardant ses oreilles. Gros homme à l'esprit
gringalet, qu'Armand Bertin, après dîner,
quand les truffes avaient été bonnes, croyait
spirituel comme Voltaire, il avait, autrefois,
la petite ironie suffisante et gourmée du
''Journal des Débats'', de cette maison de parvenus qui de flûte en flûte et de sifflet en
sifflet, finit aujourd'hui par la guimbarde
de M. John Lemoinne ; mais les dadas de la
question des Capitales et de la question d'Orient l'ont perdu. M. Saint-Marc Girardin
 
 
[page 15 M. SAINT-MARC GIRARDIN]
 
 
est — dit-on, chrétien comme M. de Sacy ; —
mais s'il l'est, ce que je veux croire et ce
dont je le félicite, qu'on me dise comment il
arrive qu'il y ait des chrétiens au ''Journal
des Débats'' ?... Comment peut-on les y souffrir ?... Comment s'y prennent-ils pour qu'on
ne les jette pas à la porte de ce chenil de
Renans, car M. Renan y a grandi comme le
petit de la lice, et il y sera le plus fort demain ?... Sans doute, ces chrétiens, pleins
d'audace, boutonnent soigneusement leur habit de libre penseur par-dessus un christianisme qu'ils engloutissent dans leurs poches.
Ils prennent des précautions... contre les
vents coulis de leur conscience. Ils font des
politesses aux philosophes et aux juifs dans
le genre de celles de M. de Sacy, — ce Polyeucte ! — à M. Salvador, auquel il trouvait
dernièrement, ma foi ! presque autant d'esprit qu'à saint Paul !... Tartuffes... de la
 
 
[page 16 M. DE MONTALEMBERT]
 
 
libre pensée, en supposant que leur christianisme soit sincère !
 
 
<center>
== VII. — M. DE MONTALEMBERT ==
</center>
 
C'est un écrivain lourd, incorrect et terreux. Il est bien heureux de s'appeler Montalembert et d'avoir été pair de France dès
sa jeunesse. Le cadre a fait la fortune du
portrait. S'il avait été d'une naissance obscure, il serait resté comme sa naissance.
S'il n'avait pas été pair de France, il n'eût
pas cultivé de bonne heure cette faculté de
 
 
[page 17 M. DE MONTALEMBERT]
 
 
parler, qui est devenue comme une mécanique de Birmingham, toujours prête à aller,
et dont l'Empire, grâce à Dieu, a cassé le
grand rouage. Le parti catholique, si défiant pour les hommes qui le servent, l'aurait fait attendre. Au lieu de cela, tout lui a
été facile, et sa jeunesse a été charmante.
Que n'a-t-on pas dit d'extravagant et de flatteur sur son premier livre : ''Sainte Élisabeth de Hongrie ?'' Livre faux de style, de couleur ; vrai seulement de niaiserie ! Je ne connais pas de plus grande hypocrisie littéraire
que cette histoire, qui joue la naïveté de la
chronique et de la légende. Les ''Moines d'Occident'', ouvrage de sa maturité la plus
avancée, n'ont ni vues supérieures, ni profondeur d'érudition, ni rien de ce qu'il faudrait pour aborder, je ne dis pas dignement,
mais seulement sans étourderie, ce grand
sujet du Monachisme, père de ce monde mo-
 
 
[page 18 M. DE MONTALEMBERT]
 
 
derne parricide. Entre ces deux ouvrages,
M. de Montalembert n'a publié que des brochures. Les brochures sont des discours
écrits. Autant en emporte le vent ! C'est la
littérature des orateurs ! Il en a fait sur
l'Angleterre, dans lesquelles l'Angleterre est
glorifiée, parce que c'est le pays du discours
politique, et où il représente la France
cpmme musclée, parce que lui, cet indigéré
de paroles, ne peut parler !... Il en fait sur la
Pologne, autre pays de discours, qui s'est
perdue par l'anarchie de ses Assemblées ; la
Pologne, où le veto d'un seul membre frappait de nullité les décisions et la volonté de
toute une diète. Comme orateur, M. de Montalembert vaut mieux que comme écrivain.
Mais il n'est pas cependant de la famille des
grands orateurs. Il manque de poitrine ouverte et généreuse. Une ou deux fois, il a
frappé fort, et alors son talent ressemblait
 
 
[page 19 M. DE MONTALEMBERT]
 
 
à cette mâchoire d'âne avec laquelle Samson
abattait les Philistins. Mais depuis, la mâchoire est restée à sa place. En général,
M. de Montalembert est plus envenimé que
puissant, et sa physionomie, doucereuse et
''sacrstine'' fait avec sa parole un drôle de
contraste. Malheureusement, il manque d'esprit toujours, même quand il a du talent.
Par le pédantisme naturel, par l'''ore rotundo''
il ''fusionne'' avec les doctrinaires. Catholique... du ''Correspondant'', il ne ''correspond''
plus avec le ''Monde'' que pour lui dire des injures. Pour M. de Montalembert, Satan, ce
n'est plus Satan. C'est M. Veuillot.
 
 
page 20 M. DE RÉMUSAT
 
<center>
 
== VIII. — M. DE RÉMUSAT ==
</center>
 
En France, maintenant, quand un esprit
est sur le point de ne pas être, on dit qu'il
est fin. C'est devenu un éloge honteux. M. de
Rémusat a eu longtemps cette réputation
d'esprit fin, parce qu'il était grêle... Il a vu
jouer le billard chez madame de Staël, et il
s'est cru son coup de queue. Dans son premier livre, et son meilleur, sur l'histoire de
la philosophie, il a évidemment imité la
phrase à aperçus de cette femme, plus homme
 
 
[page 21 M. DE RÉMUSAT]
 
 
que lui ; mais cette imitation, ce staëlisme — Ruolz a fatigué bien vite cet esprit mou, sans
fécondité réelle, sans verdeur, ni couleur,
ni chaleur, ni saveur, et il est retombé au
style de son tempérament qui ne lui permet
pas les excès. M. de Rémusat a la chlorose de
l'esprit. Je le lègue à Baudelaire ! Aussi est-il (M. de Rémusat) une des plumes les plus
honorablement incolores de la ''Revue des Deux Mondes'' et les plus chères à l'œil unique de M. Buloz. On dirait que, quand il
écrit, M. de Rémusat a toujours en pensée le
pauvre œil dont il faut ménager la faiblesse.
En philosophie, M. de Rémusat s'est interdit
d'être un penseur. C'est un éclectique et un
biographe. Il a touché, sans trembler, aux
plus grosses têtes avec ses petites mains, un
peu ''fates'' à Bacon, Descartes, Joseph de
Maistre, etc., etc. Une fois même, il fit
tout un livre sur saint Anselme ; mais il a été
 
 
[page 22 M. DE BÉMUSAT]
 
 
déconcerté par le capuchon de cette tête métaphysique, et il n'a rien compris à la grandeur de ce moine, plus grand encore par la
règle et l'esprit de son Ordre que par sa propre pensée. Non, ce qui sied à M. de Rémusat, c'est la ''Revue des Deux Mondes''. Comme
dirait M. Veuillot, M. de Rémusat est l'honneur de ce champ de navets. Quel fier philosophe pour M. de Mars ! ! ! Il paraît que la
passion longtemps somnolente est venue à la
fin dans ce tempérament de nénufar. C'est
la passion politique. M. de Rémusat est un
des ministres sans emploi, interné à l'Académie, cette Salpêtrière de ministres tombés et
de parlementaires invalides dont l'orléanisme est incurable.
 
 
[Page 23 M. SYLVESTRE DE SACY]
 
 
<center>
 
== IX. — M. SYLVESTRE DE SACY ==
</center>
 
Un éplucheur d'éditions, un écrivain-Techener, qui n'écrit pas de notices, mais des
notules : l'infiniment petit dans le sec !
Quand, les jours de dimanche, il se permet
l'article au ''Journal des Débats'' il est plus
long, mais il est sec toujours. Dans quoi
faudrait-il le tremper pour qu'il devînt onctueux ? D'ailleurs, pour lui, sécheresse c'est
noblesse. N'est-il pas Sacy ? N'appartient-il
pas à une famille de jansénistes et à la tradi-
 
 
[page 24 M. SYLVESTRE DE SACY]
 
 
tion de cette maison de Port-Royal, qui n'a
jamais donné un livre coloré et chaud à la
France : car les ''Pensées'' de Pascal sont dues
à la colique de ''miserere'' que l'idée de l'enfer
donnait à cette grande imagination, impossible à dompter, même au jansénisme ! M. de
Sacy a hérité de l'écritoire de plomb de ses
pères. Il a édité l'ennuyeux Nicole. « Les attractions, disait Fourier, sont proportionnelles aux destinées. »
 
Au ''Journal des Débats'' M. de Sacy passe
pour le plus honnête homme de France, mais
il manque d'agrément, même pour les ''Débats''. C'est un père noble de la rédaction, qui
écrit sa tartine comme feu Desmousseaux
(de la Comédie-Française) disait sa tirade.
Sa vertu, que je ne nie point, n'a pourtant
rien d'intraitable. Dernièrement, dit-on, les
sollicitudes de la paternité ont adouci son
austérité politique, et le rédacteur des ''Débats''
 
 
[page 25 M. DUPIN]
 
 
a très-bien accepté les faveurs de l'Empire.
C'est le contraire d'Hippolyte, dans ''Phèdre'' :
 
::Jeune, charmant, mais fier, et même un peu farouche !
 
<center>
== X. — M. DUPIN ==
</center>
 
On l'a appelé le Faune grêlé du Morvan. Si
cela est, je plains les Nymphes de ses montagnes. La petite vérole est la seule ressemblance
qu'il ait avec Mirabeau. Mais pourquoi, diable,
dites-le-moi, est-il donc de l'Académie ? Elle
se dit ''française'' et il ne sait pas un mot de
français. Quels sont ses titres ? Sont-ce ses
 
 
[page 26 M. DUPIN]
 
 
Mémoires à consulter ? Ils ont été payés et
même assez cher. D'ailleurs, ils sont en morvanais ! Sont-ce des mercuriales d'audience
ou des réquisitoires, toujours en morvanais ?...
Est-ce la généreuse et grandiose rédaction du
testament de Louis-Philippe ?... Sont-ce enfin des Manuels de théologie gallicane ? Il n'a
pas même la prétention, si commune à ceux-là qui le sont le moins, d'être un homme
de lettres, et il est le contraire. C'est un avocat. M. Dufaure, qui n'est qu'un avocat non
plus, et même un avocat qui parle du nez,
se croit une tête philosophique. M. Berryer
se croit presque un grand seigneur... M. Dupin, lui ! ne se croit pas même un homme
politique. II ne veut être et n'est qu'un avocat.
Patru l'était, je le sais bien, mais Patru aimait la langue française ! Mais vous figurez-vous Patru, lourdaud, pataud et en patois ?...
 
 
[page 27 M. LE COMTE ALFRED DE VIGNY]
 
 
<center>
 
== XI. — M. ALFRED DE VIGNY ==
</center>
 
Nouons un crêpe autour de ce médaillon.
M, de Vigny est mort hier. C'était un de
ces poètes pour lesquels on donnerait toutes
les Académies de la terre. On s'étonnait qu'il
fût de l'Académie française, où, par parenthèse, un Villemain ou un Saint-Marc Girardin, des professeurs ! avaient plus d'influençe que lui et que M. de Lamartine pour
faire couronner une pièce de vers ! C'est toujours le mot de Cyrano de Bergerac, volé par
 
 
[page 28 M. LE COMTE ALFRED DE VIGNY]
 
 
Molière : « Que diable aussi, qu'allait-il faire
dans cette galère?.. » M. A. de Vigny n'était
pas un chef de parti littéraire, comme M. Victor Hugo, lequel s'est rendu à l'ennemi, en
entrant à l'Académie. Mais il est, de génie
''naturel'' et de date, le premier des romantiques... De tous les oiseaux libres qui prirent
leur essor en 1830, c'est le cygne qui partit
le premier... Il a fait deux ou trois choses
immuablement glorieuses, cet Immortel, qui,
comme ses collègues, ne l'est pas pour rire.
''Éloa'' avant tout ! puis ''Moïse'' puis ''Grandeur et servitude militaires ! Grandeur et servitude militaires''
qu'on devrait imprimer à l'Imprimerie Impériale aux frais de l'État et faire
lire dans toutes les casernes de France ! Ce serait comme une éducation de l'Honneur ! Avec
cela, M. de Vigny pouvait se dispenser même
de l'immense talent qu'il a montré dans
''Stello'' et dans ''Chatterton''. Comme homme
 
 
[page 29 M. LE COMTE ALFRED DE VIGNY]
 
 
du monde, il avait, en manières, le charme
de sa poésie. Éloa mâle, il aurait séduit
Satan et aurait ainsi vengé l'autre Éloa.
C'était un esprit délicieux, auquel l'Académie, qui n'aime que les pédants, les turbulents et les gesticulants, ne comprenait absolument rien.
 
Par qui va-t-elle le remplacer ? Par quelque choix honteux et comique, — un homme
qu'elle comprendra.
 
 
[Page 30 M. OCTAVE FEUILLET]
 
 
<center>
 
== XII. — M. OCTAVE FEUILLET ==
</center>
 
Pas de vieillesse pour les mots justes. On
a spirituellement appelé M. Octave Feuillet
« le petit Musset des familles. » C'est toujours joli. Comme nous sommes en progrès,
M. Feuillet est le Berquin de ce temps progressif. Ses premières comédies, qui n'étaient pas
écrites pour la scène, furent une imitation
d'''un Spectacle dans un fauleuil''. Le fauteuil
de M. Feuillet était alors cette ganache de
 
 
[page 31 M. OCTAVE FEUILLET]
 
 
''Revue des Deux Mondes''. M. Feuillet, dans ce
temps-là, fut à Alfred de Musset ce que Charles
de Bernard était à Balzac.
 
Las de réussir dans le genre simiesque,
M. Octave Feuillet a voulu, un jour, avoir
une physionomie à lui ; il écrivit un roman,
nommé, je crois, ''Bellah'' (?), dans lequel il
essayait de se débarbouiller de l'Alfred de
Musset qui lui avait jusque-là fait un visage,
et il apparut ce qu'il est réellement : un esprit prosaïque et bourgeois. Ses romans, qu'il
retourne en pièces de théâtre, comme les gens
qui ne sont pas riches retournent leur habit
pour s'en faire deux, sont d'une conception
très-médiocre, d'une observation superficielle
et d'une morale ambiguë, qui n'est ni catholique ni stoïcienne, et qui tient ce lâche milieu dans lequel les esprits de ce temps coulent et fondent. Rien donc d'étonnant à ce que
M. Feuillet passe pour un écrivain moral, à
 
 
[page 32 M. OCTAVE FEUILLET]
 
 
une époque de transition où il n'y a ni religion ni philosophie.
 
Son ''Jeune homme pauvre'' a charmé les
femmes qui ne craignent point de se rougir
le nez en pleurant aux vaudevilles à sentiment
de M. Scribe, car voilà le vrai public de
M. Feuillet ! Les âmes de modistes lui appartiennent. Son talent leur rappelle les gravures de leurs petits journaux.
Moral et mondain tout à la fois, M. Feuillet s'est cru de
force, en ces derniers temps, à faire un roman religieux, et il a écrit ''Sibylle'',
cette impertinence de protecteur contre le catholicisme, dans lequel roman on voit une jeune
fille, inspirée et poétique comme on peut en
voir chez M. Feuillet, qui ne fait pas de Corinnes, mais des Corinettes, endoctriner son
curé, et brouiller toutes les notions du catéchisme, qu'elle ne sait pas, ni M. Feuillet
non plus. Le fond de tout cela, le vrai fond,
 
 
[page 33 M. OCTAVE FEUILLET]
 
 
c'est l'humiliation du grand catholicisme, universel et éternel, sous un catholicisme de
fantaisie et un protestantisme d'éventail. Romancier qui se croit entré à l'Académie par
ses romans, M. Octave Feuillet a écrit un
essai sur le roman dans son discours de réception ; et, tête éventée par le succès, cet ''Incroyable'' littéraire, qui a zézayé, marivaudé et
scribouillé tout le temps de son discours, a
oublié Balzac ! ! ! C'est comme si dans l'histoire de l'art de la guerre on oubliait Napoléon ! Est-ce un oubli ou une combinaison ?...
Pourquoi a-t-il oublié Balzac ?... Est-ce pour
lui, M. Feuillet, ou pour l'Académie ?... De
tendance naturelle, du moins, M. Feuillet doit
être orléaniste. Il a dans son genre d'esprit et
de talent tout ce qui passait pour l'élégance
suprême du temps de Louis-Philippe et de sa
cour. Il aurait été l'ornement de cette cour
splendide...
 
 
[page 34 M. VITET]
 
 
<center>
== XIII. — M. VITET ==
</center>
 
Évitez de Vitet la stérile abondance !
 
Champignon de 1850, poussé au pied des
peupliers de Juillet, M. Vitet a eu du bonheur,
s'il n'en a pas donné aux autres. Il était du
''Globe !'' du premier ''Globe !'' Tout ce qui était
du Globe a réussi. Le Globe a été la boule du
pied de la Fortune ! Les lions vont seuls, les
grues en troupe. C'est en troupe que M. Vitet
est arrivé, — non par sa force person-
 
 
[page 35 M. VITET]
 
 
nelle, mais parce qu'il était dans le rang...
Il n'a pas, à proprement parler, de caractéristique d'écrivain. Il parle de tout, de peinture, de sculpture, d'architecture, d'antiquités, d'histoire, et, comme M. Thiers, il fait
croire aux badauds qu'il est compétent. Il
parle de tout également, abondamment, médiocrement, passablement, sans originalité ;
quelle chance ! car le crime irrémissible,
l'empêchement à tout par ce temps platement
et envieusement égalitaire, c'est l'originalité !
Elle est particulièrement détestée à l'Académie. J. Janin, qui n'en a qu'un grain à mettre
sous la queue d'un moineau, mais qui l'a,
n'est pas encore de l'Académie. Et cependant
il en meurt de désir ! Et que de titres ! Il est
orléaniste ! Il est du ''Journal des Débats !'' latiniste, goutteux... même d'esprit quelquefois... Tonneau d'albumine qui se viderait
avec délices dans ce vaste crachoir de l'Aca-
 
 
[page 36 M. VITET]
 
 
démie ! M. Victor Hugo et Alfred de Musset ne
sont entrés à l'Académie qu'en demandant
pardon de la liberté grande d'être originaux
et romantiques, et ce fameux jour de bassesse littéraire où ils y sont entrés, ils ont
fait bouillir du lait à M. Viennet, et même
ils le lui ont sucré. Pour en revenir à M. Vitet, je crois qu'il y a quelque chose de lui
qui s'appelle les ''États de Blois''. Cela ne se
lit pas plus maintenant que les ''Soirées de
Neuilly''. Puis, une ''Histoire de Dieppe'', bonne
pour les gouvernantes anglaises qui y passent.
Tout cela est innocent. Ce champignon n'a
jamais été vénéneux.
 
 
[Page 37 M. MIGNET]
 
 
<center>
 
== XIV. — M. MIGNET ==
</center>
 
Mignet aux cheveux blonds, au talent blond,
mais pas blond comme madame de Senantes,
des ''Mémoires de Gramont'', qui, si elle avait
voulu, l'heureuse femme ! aurait pu passer
pour rousse. De talent, M. Mignet ne sera
jamais que filasse... Bellâtre de lettres, qui
fut, avec Edmond Mallac, la fleur des pois du
règne de Louis-Philippe. Dans ce temps-là,
on avait compté sur son physique pour faire
de la diplomatie en Espagne, mais le diplo-
 
 
[page 38 M. MIGNET]
 
 
mate fut éconduit. Il n'aurait pas été plus
grand écrivain avec la reine d'Espagne qu'avec nous ! M. Mignet, l'ami de M. Thiers,
est son contraste. Il est dans le sec ce que cet
homme, à petite pluie de paroles incessantes,
est dans l'humide. Gomme M. Thiers, il débuta dans les lettres par une ''Histoire de la Révolution'', ce pont aux ânes que tout le
monde passe, depuis M. de Cony jusqu'à
M. Morin ! M. Mignet fit la sienne tout comme
un autre. Très-petit livre médiocre et durluscule, qu'il faut opposer à ce livre lâché
et verbeux de la ''Révolution'' par M. Thiers,
pour juger les deux tempéraments ! M. Mignet est, de nature, ce que Montaigne appelle « un esprit constipé. » Mais il a fait
quelque traitement sans doute, car il a perdu
la sécheresse de sa jeunesse, depuis qu'il
est secrétaire de l'Académie des inscriptions
et belles lettres. Ses notices sur les Académi-
 
 
[page 39 M. MIGNET]
 
 
ciens qui trépassent ont la mollesse et la copiosité nécessaires à ce genre d'élucubrations.
Écrivain sans initiative, qui vit sur de vieux
papiers, il a rapporté d'Espagne de quoi faire
son ''Histoire d'Antonio Perez'', et de Belgique
les notes des dîners de Charles-Quint, le mangeur d'huîtres, à Saint-Juste. Pompeux et
terne, prétentieux et incorrect, c'est un Salvandy maigre. De titre, pour être entré à
l'Âcadémie, je ne lui en connais pas plus que
pour être entré au Conseil d'État dans le
temps, si ce n'est, comme disent les bonnes,
d'avoir été le « petit camarade du petit
Thiers. » Puisqu'ils l'ont été toute leur vie,
qu'ils le soient encore ici.
 
 
[Page 40 M. THIERS]
 
 
<center>
== XV. — M. THIERS ==
</center>
 
La chimère d'un temps qui a un faible pour
les Crispins et les Scapins, et qui jetterait des
pierres dans le carrosse du grand cardinal de
Richelieu ! M. Thiers est la nullité couronnée
par cette grande bête d'Opinion publique.
Homme politique nul, qui pouvait tout faire
et qui n'a rien fait ; littérateur nul, malgré
ses quarante volumes, critique d'art nul, âme
nulle ! Pour toutes ces raisons, ministre, académicien et grand homme ! La nullité fran-
 
 
[page 41 M. THIERS]
 
 
çaise s'adore dans ce parleur qui ne finit
jamais, et l'admiration de la badauderie va
si loin, que l'enrouement dont M. Thiers est
affecté, pour sa peine de parler comme il parle,
passe pour un ornement de plus de ce grand
orateur ! M. Thiers ressemble à cette femme
de Walter Scott, dans ses ''Chroniques de la Canongate'' qui au lieu d'avoir la langue attachée comme tout le monde, l'avait par
en dessous, de manière que la langue pût
remuer des deux bouts, comme le poisson
dans l'eau ! Il a débuté comme journaliste au
''National'', sous Carrel. Après la révolution de
1830, Carrel fut outrageusement nommé préfet de Grenoble, tandis que le ''petit'' camarade
était nommé conseiller d'État et M. Thiers
ministre. Ce fut là une des causes de la transformation du ''National'', qui laissa allonger
ses griffes républicaines et devint le ''National''
de 1834.
 
 
[page 42 M. THIERS]
 
 
Je parlais plus haut de cette histoire de
la Révolution, si facile à faire et qu'on lit
n'importe par qui elle soit écrite. M. Thiers
ne manqua point ce coche. Il fit la sienne ;
mais il la fit sans un principe, une vue, une
décision quelconque de l'esprit, Tour à tour
matérialiste et spiritualiste, fataliste ou providentiel, homme de révolution ou de gouvernement. Pantin de chaque événement qui
passe et qui, en passant, lui tire la ficelle qui
le fait saluer. Niché sur les faits colossaux
de ce temps, le petit homme a paru aussi
grand que ces faits aux bourgeois, si forts
en perspective ! M. Thiers fut une minute le
ouistiti de Talleyrand, qui s'amusait de la
vivacité de ce touche-à-tout, lequel parlait
finances et peinture, de manière à être admiré du centre gauche. M. Thiers a écrit,
en effet, des ''Salons'', des ''Salons'' qui n'ont,
pour pendants, que ceux de M. Guizot ! Ri-
 
 
[page 43 M. THIERS]
 
 
valité nouvelle ! Il est curieux de voir à quel
point ces aigles prétendus de la politique
portent la myopie dans les arts ! Ils sont
dignes de leur gouvernement.
 
Quand la révolution de 1848, qu'il n'a
pas su prévoir et que ses fautes ont préparée,
l'eut mis par terre, dans le ruisseau, sous la
''giffle'' du ''voyou'', M. Thiers écrivit, rue de
Poitiers, sous l'empire d'un mal de ventre
affreux, son livre épeuré, inconsistant et
mollasse de la ''Propriété''. Enfin, monument
de sa vie ! (se taira-t-il maintenant ?) il publia, volume par volume, son ''Histoire du Consulat et de l'Empire''. Livre qui est loué,
mais qui n'est pas jugé, et qui le sera un
jour, et cruellement, par une Postérité inflexible. Vers la fin de l'ouvrage, l'orléaniste
battu s'embusque comme le vil Pâris à la
porte Scée, et tire sa flèche au tendon d'Achille. Le bonapartiste Thiers renie. Il refuse
 
 
[page 44 M. THIERS]
 
 
à l'empereur Napoléon le génie politique, et
il l'intitule fou comme Alexandre ; car, dites-vous-le bien, vous qui aimez à rire, pour
M. Thiers, ce Salomon de l'histoire, c'est
un fou qu'Alexandre le Grand ! Pourquoi pas
un fou... triquet?... Pauvre petit M. Thiers !
Du reste, au point de vue des faits que
M. Thiers aurait pu traiter avec exactitude, dans sa position et avec ses relations,
cette ''Histoire du Consulat et de l'Empire'' ne
peut être considérée que comme une fantaisie
historique. Il n'y a point, il ne peut pas y
avoir, dans les temps modernes, d'histoire,
si elle n'indique ses sources, et si elle ne
conduit par la main, à leurs bords, pour
y puiser, M. Thiers a l'impertinence de garder le plus profond silence sur les siennes ;
il se contente d'affirmer les faits... Mais quelle
garantie nous donne-t-il de la science, de la
solidité ou de la pureté de son renseigne-
 
 
[page 45 M. THIERS]
 
 
ment ? Je voudrais bien aller voir, monsieur,
si ce que vous me dites est vrai ?... Donnez-moi la clef de la bibliothèque et le titre du
livre, et le numéro du carlon où vous avez
pris ce détail ?....Or, cette clef, qui est l'indication des sources, que tout historien qui
veut sauver l'honneur de sa probité ne manque jamais de donner, M. Thiers ne la donne
jamais. Et ceci restera terrible contre son
histoire ! La Postérité, ce juge en dernier
ressort, souffrira-t-elle ce que le plus petit
juge sur son tribunal ne souffre pas ? Accueillera-t-elle des affirmations sans preuve,
qui n'ont pas même l'autorité du caractère
de celui qui les fait, ces affirmations ?... Quant
au talent de peintre déployé dans cette histoire, où il en faudrait un sublime, figurez-vous le père Prudhomme, auquel, par parenthèse, M. Thiers ressemble par l'intérieur
autant que par l'extérieur de la tête, figurez-
 
 
[page 46 M. THIERS]
 
 
vous le père Prudhomme voulant faire en
parafe, dans un exemple d'écriture, la ''bataille d'Eylau'', de Gros, le pathétique, et la
magnifique ''Distribution des aigles'' de l'homérique David !
 
Eh bien ! — je me cogne contre un mur,
— malgré tout, malgré la Postérité qui tend
vers lui la main, à travers le temps, pour
l'écraser sous son pouce, ce petit attrapeur
de gloire, enfin attrapé, et pour qu'on n'en
parle plus, M. Thiers fermera les yeux sous
ses lunettes et mourra ''vespasiennement'' dans
son fauteuil à l'Académie, couronné toujours
du suffrage de cette ''vile multitude'' qui n'est
pas que dans la rue et qui est incorrigible,
et qui s'obstinera à l'appeler un grand historien !
 
 
[Page 47 M. DE BARANTE]
 
 
<center>
 
== XVI. — M. DE BARANTE ==
</center>
 
Arrivé dans la troupe des ''grues'' comme
M. Vitet, en raison de toutes les commodités
d'un temps jeune (le siècle commençait) et
facile au talent, comme les jeunes gens le
sont aux femmes ! Un manche à balai, habillé
en femme, peut enflammer de très-petits
jeunes gens. C'est l'histoire de M. de Barante.
Il s'est fait toute une réputation avec un petit
volume intitulé : ''Tableau de la littérature
française au dix-huitième siècle''. C'était un
 
 
[48 M. DE BARANTE]
 
 
tableautin très-sec, — bordé d'une critique
pincée, nabote et pédante. Cela fut trouvé
exquis et parut distingué et le paraît encore...
en province. N'ayant pas de couleur, M. de
Barante prit celle des autres. Il pilla Froissart. Il monta en croupe sur la mule de ce
chanoine, et refit, en la modernisant, sa chronique. C'était essayer de démarquer ce beau
linge flamand, ce beau surtout de table, en
haute lisse, et ce fit l'effet d'une originalité
aux ignorants. M. de Barante fut envoyé en
Russie, ministre plénipotentiaire, quand Nicolas défendait à Louis-Philippe d'y envoyer
un ambassadeur. Bien choisi pour être le
plénipotentiaire de l'Impuissance ! Depuis le
malheur et le fiacre de Louis-Philippe, M. de
Barante s'est remis à écrire. Il a fait une ''Histoire de la Convention'' que ce grand nom de
Convention ne peut tirer de l'obscurité. Plénipotentiaire en histoire, comme en Russie !
 
 
[Page 49 M. AMPÈRE]
 
<center>
 
== XVII. — M. AMPÈRE ==
</center>
 
Il s'est donné la peine de naître. Fils d'un
homme de génie, de ce fakir de la Science
dans les cheveux duquel les hirondelles faisaient leur nid sans que son immense cerveau
s'en aperçût, M. Ampère s'est trouvé aisément célèbre, ayant de toutes parts ces relations qui poussent plus un homme que le
talent. Avant d'être M. Ampère par ses ouvrages, il était le fils de M. Ampère. Cela valait mieux.
 
 
[Page 50 M. AMPÈRE]
 
 
::Il portait mieux son nom en étant plus obscur !
 
Ce qui perd les fils des hommes de génie,
c'est qu'ils veulent être quelque chose par
eux-mêmes. Idée de femme ! Être aimées
pour elles-mêmes ! On voit mieux cependant
la médiocrité aux rayons de la gloire paternelle. M. Ampère avait, dit-on, des aptitudes
diverses. On a de lui des vers que M. Sainte-Beuve a vantés. Pourquoi pas ? Il vante bien
ceux de M. Littré. Politesse de bel esprit à bel
esprit du salon de madame Récamier ! C'est
en effet par ce salon que M. Ampère est entré à l'Académie, dont il est digne, du reste,
par la haine qu'il porte à l'Empire. Excepté
cette ''Histoire romaine'', pamphlet à allusions,
qui a paru en ces derniers temps, et dont
certainement M. de Mars n'est point capable,
il est impossible de se rappeler nettement les
divers ouvrages de M. Ampère. C'est comme
 
 
[page 51 M. LE DUC DE NOAILLES]
 
 
une masse d'articles de la ''Revue des Deux Mondes'', Tout le monde, dans les deux
mondes, est capable de ça !... Quant à l'''Histoire romaine'', insérée dans cette revue orléaniste, c'est bien malheureux que le talent
n'y soit pas au niveau de la haine... L'Empire aurait été perdu. A présent, M. Ampère
n'a plus qu'un moyen d'être Tacite, c'est de
se taire.
 
 
<center>
== XVIII. — M. LE DUC DE NOAILLES ==
</center>
 
Encore un homme heureux d'avoir des
parents ! Descendant de la grande marquise
 
 
[page 52 M. LE DUC DE NOAILLES]
 
 
de Maintenon, il s'est planté une importance
et une célébrité dans cette parenté qu'il exploite. Il a fait une concurrence — c'est le
mot poli — à M. Théophile La Vallée, dont
tout le monde se souvient encore. Des pages
entières de l'histoire de madame de Maintenon, par cet historien, avaient été copiées par
M. de Noailles avec un sans-façon de grand
seigneur qui aurait dû flatter M. La Vallée,
lequel eut l'impertinence de n'être pas flatté.
«  Pourquoi me prenez-vous mon livre, monsieur le duc ? lui dit-il. Je ne vous prends pas
votre titre !» On a demandé (des malins !) ce
que M. de Noailles aurait écrit sans madame
de Maintenon. Mais, parbleu ! il aurait copié
quelque autre livre de M. La Vallée... On
comprend qu'il fût entré à l'Académie, à
cause de ce nom et titre de duc de Noailles,
qui y fait bien, mais on ne le comprend plus
depuis qu'il écrit, et c'est pour cela qu'il y est !
 
 
[Page 53 M DE PONGERVILLE]
 
<center>
== XIX. — M. DE PONGERVILLE ==
</center>
 
Académicien du temps de Sérapis. Il a
traduit Lucrèce en vers ; puis il est rentré
dans le silence des Pyramides ! qui, comme
on sait, sont des tombeaux !
 
 
<center>
== XX. — M. DE FALLOUX ==
</center>
 
Il contraste bien avec cet antique M. de
Pongerville, la plus momie des momies aca-
 
 
[page 54 M. DE FALLOUX]
 
 
démiques, liée de bandelettes, rongée de
mites, qui ne dit mot et n'en pense pas davantage ; M. de Falloux n'est que trop vivant.
C'est un des meneurs les plus intrigants de
l'Académie. Il vaut, par l'influence et la parole infatigable, hélas ! le vieux triumvirat
directeur et orateur : MM. Cousin, Guizot et
Villemain, avec lesquels, lui, légitimiste, il
concubine contre l'Empire ; mais il leur est
supérieur par le ton. On sait que M. de Falloux, homme du temps où des cordonniers
comme M. Albert gouvernaient la France de
saint Louis et de Napoléon, dut son influence
politique à une politesse qu'on ne connaissait
plus dans les Assemblées, et qui parut charmante et nouvelle au milieu des grossièretés
ambiantes... La politesse, devenue un peu
''rouée'', de M. de Falloux (M. Veuillot l'appelle
''Fallax'') fait encore sa force politique à l'Académie. C'est par la politique et la politesse qu'il y
 
 
[page 55 M. DE FALLOUX]
 
 
est arrivé... Ses titres littéraires étaient grands
cependant. Il avait, en littérature, la nullité
adorée... M. de Falloux a voulu toucher à
ce ferme et majestueux sujet, — ''la Vie de saint Pie V'', — et il a éventré là contre ses
déclamations sans entrailles... Son ''Louis XVI''
est faux et vulgairement sentimental. Pour
certaines gens, il semble que juger Louis XVI
ce soit lui couper la tête encore... M. de
Falloux, l'homme poli de l'Académie, et
qui, pour cela, cependant, ne la rend pas
plus agréable, est plus heureux ailleurs.
C'est le meilleur ''éleveur'' de cochons qu'il y
ait en France. Aux expositions, il a tous les
prix.
 
 
[Page 56 M. VIENNET]
 
 
<center>
== XXI. — M. VIENNET ==
</center>
 
Le premier de tous à l'Académie. Le véritable Académicien ! Que dis-je ? C'est vraiment l'homme-Académie ! Il a été engendré
de toute éternité pour elle. S'il m'était permis de donner mes idées sur cette auguste
institution, je voudrais qu'on inventât pour
M. Viennet un fauteuil de présidence perpétuelle, tant il représente bien l'Académie !
tant il s'adapte bien à cette vieille chose
du passé qui n'a plus de raison pour être !
M. Viennet, c'est le classique pur, la berne
 
 
[page 57 M. VIENNET]
 
 
immuable. C'est le d'Arlincourt du classique,
comme d'Arlincourt était le Viennet du romantisme. Il a fait des tragédies comme la
Fosse, des comédies comme Rochon de Chabannes, des fables... pas comme la Fontaine, à la lecture desquelles on rit à l'Académie de ce rire sans dents qu'on y a, parce
qu'il coud à la queue de ses fables, d'une
main qui ne manque pas de frénésie, des
malices orléanistes... On peut le nommer
Campenon, Campistron autant que Viennet...
Dernièrement il a publié, comme d'Arlincourt, un poëme épique, et ce n'est point
l'épopée dont il avait le génie. Cela ne s'appelle point la ''Louis-Philippiade'', mais la
''Franciade'', ce qui est bien différent. Aussi
a-t-il raté net son affaire. Poëme de douze
mille vers ! il faudrait vingt-quatre mille
hommes pour l'avaler.
 
 
[Page 58 M. VICTOR HUGO]
 
 
<center>
== XXII. — M. VICTOR HUGO ==
</center>
 
C'est bien derrière M. Viennet qu'il faut
placer M. Hugo, le chef de parti littéraire,
l'homme du romantisme et de la préface de
''Cromwell'', pour avoir une idée juste de cette
énormité: M. Victor Hugo à l'Académie ! Au
moins le duc de Guise fut assassiné par
Henri III, et quand il fut tombé dagué par
les Quarante-Cinq, le roi dit, tout pâle : «  Je
ne le croyais pas si grand, » ca que M. Viennet n'a pas, certes, dit, quand il a vu
 
 
[page 59 M. VICTOR HUGO]
 
 
M. Hugo, qu'aucun des Quarante n'était de
force à tuer, humilié à terre devant lui sur
le parquet ciré de l'Académie. Ce jour-là, où
était la fierté de la Muse romantique ? Ce
jour-là, l'homme qui s'est tant moqué des
ailes de pigeon en a mis. M. Victor Hugo a
démoralisé, par son exemple, cet enfant d'Alfred de Musset, qui, lui aussi, a accepté le
caparaçon académique sous lequel nous l'avons vu si tristement baisser la tête. C'était
un bât sur le dos d'Ariel ! Comme il y a en
littérature des questions d'honneur autant que
partout, quelle réponse fera l'histoire littéraire
de l'avenir à la question de savoir pourquoi
M. Victor Hugo a sollicité d'être académicien,
et a fait trente-neuf visites à des gens dont il
méprisait littérairement pour le moins trente-sept. Si sévère qu'on soit pour un grand talent qui a ses défauts et même ses vices, il
n'est pas moins certain qu'il y a dispropor-
 
 
[page 60 M. VICTOR HUGO]
 
 
tion du ''contenu'' au ''contenant'', quand on voit
M. Hugo à l'Académie, et que la racine d'un
chêne n'est pas de taille à tenir dans un vieux
pot à cornichons !... Quel motif a donc pu
décider M. Hugo ?... Est-ce la vanité, plus
forte que l'orgueil, ce jour-là ?... Est-ce l'amour du costume, de ce costume qu'avait
porté le grand Empereur ? En le voyant sur
ses épaules, M. Victor Hugo, qui n'était pas
républicain alors, se croyait peut-être un
peu Bonaparte... Sont-ce les douze cents
francs de jetons de présence ? Enfin, quoi ?...
Du reste, quand on n'a que soi pour tout
principe, on fait toutes les fautes sans en
avoir conscience. César de décadence en littérature, M. Victor Hugo, comme les Césars
de la décadence, se croit dieu. Il ne pense
donc pas qu'il puisse compromettre jamais
son essence divine. Cela l'innocente, mais à
quel prix ?
 
 
[Page 61 M. PONSARD]
 
 
<center>
== XXIII. — M. PONSARD ==
</center>
 
Oh ! lui, lui, il est à sa place à l'Académie !
Il est de la race des Viennet. Comme M. Viennet, il peut s'appeler la Fosse, Saurin, du
Belloy, la Touche, c'est-à-dire du nom de
tous les gens de lettres qui ont bâti des tragédies !
 
La première de ces choses qui l'a ''posé'',
comme on dit, et sur le souvenir de laquelle
il vit toujours, fut ''Lucrèce'', imitation grossière et faible, dans le détail et dans le style,
 
 
[page 62 M. PONSARD]
 
 
de Corneille et d'André Chénier. Il est des
mains qui ne respectent rien. Les mains
lourdes et gourdes de M. Ponsard traînant
sur la pourpre romaine du vieux Corneille et
sur les diaphanes albâtres grecs d'André Chénier ! c'était à faire crier « à bas ! » à tous
ceux qui ont le respect des belles choses. Eh !
Bien ! cela n'indigna personne dans les maisons où, pendant dix-huit mois, Vadius triomphant et pudibond, M. Ponsard alla lire sa
tragédie tous les soirs ! Le comité de l'Odéon, composé de têtes si fortes, fut séduit par ce succès de société, qui était aussi
un succès de réaction !... On était las des
excès du romantisme, et la vieille rengaine
classique parut neuve. M. Ponsard fut proclamé le ''poëte du bon sens'', parce qu'il était le
poëte de la vulgarité, ces deux choses qu'en
France nous confondons toujours... Mais il
ne retrouva jamais son succès de ''Lucrèce''. Il
 
 
[page 63 M. PONSARD]
 
 
fit ''Agnès de Méranie'', ''Charlotte Corday'', et
toujours on voyait ''Lucrèce'' à travers. Sa pièce
de ''l'Honneur et l'Argent'' n'a dû ses nombreuses représentations qu'à la politique, ce
qui, selon moi, est une honte pour une œuvre
littéraire. Les bourgeois orléanistes y voyaient
des allusions contre l'Empire et y battaient des
mains avec l'esprit qu'on leur connaît. Depuis ce temps-là, M. Ponsard, qui ressemble
un peu au paysan du Danube, endimanché
dans un habit bleu barbeau (image de sa
poésie), a écrit ''Horace et Lydie'' et a voulu
jouer à l'Horace, comme il avait joué au Corneille ! Chez les femmes, qui ne savent pas le
latin, on croit qu'Horace avait cette élégance,
et voilà deux poètes bien heureux !
 
 
[Page 64 M. VICTOR LAPRADE]
 
 
<center>
 
== XXIV. — M. VICTOR LAPRADE ==
</center>
 
Il ressemble un peu par la barbe à M. de
Falloux. Il lui ressemble encore par les opinions et la passion politique. C'est la Fusion
à l'état de rage. M. Cousin, le philosophe,
n'a pas contre l'Empire de meilleur soldat
— entendons-nous, verbalement parlant, —
que ce poëte, soi-disant chrétien, qui, avant
de se jeter dans les fusions politiques, faisait
déjà fusionner dans ses vers le christianisme
et le paganisme, l'autel des druides et la
 
 
[page 65 M. VICTOR LA PRADE]
 
 
croix ! M. de Falloux a beaucoup plus de tenue que M. la Prade, qui n'en a pas, lui,
beaucoup plus que M. Pelletan... Il débuta
dans la ''Revue des Deux Mondes'' par un poëme
de ''Psyché'', ennuyeux, même à la ''Revue des Deux Mondes ! !'' C'est phénoménal ! Puis, il
se jeta dans des ''Idylles'' montagnardes et dans
des ''Poëmes évangéliques''. Tout cela l'aurait
laissé obscur à Lyon, faisant son cours pour les
guides de la Suisse, si l'Académie n'avait voulu
recruter une clameur de plus contre l'Empire.
Enivré par le succès de sa réception, M. la
Prade a payé son entrée à ses maîtres, et il
leur a offert le bouquet de ses ''Satires politiques''. L'Évangélique écœurant s'est cru la
plume de fer rougi de Juvénal... Le fer rougi
n'était qu'un fer à papillotes, qui brûla un
peu l'oreille violette, si prompte à la colère,
de M. Sainte-Beuve, lequel, raconte-t-on,
— mais c'est un renseignement à prendre
 
 
[page 66 M. VILLEMAIN]
 
 
— apporta un matin à l'Académie un morceau de bois pour répondre au fer. On eut
grand'peine à désarmer M. Sainte-Beuve,
qui se ressouvenait du parapluie dont il
avait, dit-on, menacé un jour M, Villemain,
place Saint-Sulpice, en l'appelant « le Thersite de la littérature. » Ce jour-là, M. la
Prade en fut quitte pour son frisson, et l'Académie, où il se passe de pareilles choses,
pour sa dignité...
 
 
<center>
 
== XXV. — M. VILLEMAIN ==
</center>
 
Puisque j'ai parlé de M. Villemain d'une
manière si honorable pour son caractère et
 
 
[page 67 M. VILLEMAIN]
 
 
pour sa gloire, finissons-en sur ce vieux Prix
d'honneur, et demandons-nous une bonne
fois ce qu'il a fait pour qu'on le regarde encore à cette heure comme l'homme le plus
spirituel de France et de l'Académie...
 
Ce qu'il a fait, le voici :
 
D'abord, un ''Éloge de Montaigne'' et un autre de ''Montesquieu'', où l'esprit médiocre de
l'Académie se retrouva assez pour se couronner. Ensuite, un ''Essai de critique'' dans lequel
M. Villemain, ce critique sans criterium,
parlait des lois du goût comme eût pu le faire
le Batteux. C'était, au dix-neuvième siècle,
inférieur, comme toute critique qui ne s'appuie pas sur une métaphysique robuste. Or,
M. Villemain, ce ''nez à l'ouest'', comme disait
si drôlement Balzac, n'eut jamais de métaphysique... Avec ce nez, c'est impossible !
Ajoutez un ''Cours d'éloquence'', qui eut du succès pour deux raisons : — la première, parce
 
 
[page 68 M. VILLEMAIN]
 
 
qu'il avait de l'écho dans les passions politiques du temps ; la seconde, parce que M. Villemain traduisait, dans ce ''Cours d'éloquence'',
les orateurs anglais, alors très-peu connus, —
mais au fond, si vous voulez y descendre, ce
''Cours'' est d'une platitude de jugement que
ne peut couvrir cette phraséologie élégante
qu'eut Lemontey av.jnt M. Villemain ; Lemontey, très-supérieur à M. Villemain dans la
même école ; Lemontey, qui a au moins la
grâce dans la pensée, d'un homme qui a
aimé les femmes, tandis que M. Villemain
est un Lemontey gauche et pédant, qui n'a
jamais connu d'autres jupes que son jupon
de professeur.
 
Il publia aussi dans ce temps-là (c'était le
temps de sa jeunesse) une dissertation sur
''Lascaris'', illisible maintenant que nous
avons jaugé le quatorzième, le quinzième et
le seizième siècle. Il fut encore plus chétif
 
 
[page 69 M. VILLEMAIN]
 
 
sur les ''Pères de l'Église'' que sur les ''Orateurs anglais''. Comment le bel esprit d'Université,
qui n'a rien compris à l'âme des deux Pitt,
pouvait-il comprendre quelque chose aux âmes
bien autrement grandes des régénérateurs du
monde ? Le malheureux n'a jamais jugé les
Pères de l'Église que comme des rhéteurs
habiles, des modèles d'orateur. Esprit mesquin qui plus tard ne conçut pas plus Cromwell que saint Grégoire de Nazianze. Un jour,
il eut (sous l'empire de quelle idée ?) une velléité d'historien, et il annonça qu'il allait
préparer une ''Histoire de Grégoire VII'' ; mais
M. d'Eckstein, l'auteur du ''Catholique'', — qui
vivait alors, un terrible sire d'érudition
et de principes, le lui défendit, sous peine
d'examen, et l'intrépide auteur resta coi sous
cette menace, comme sous le parapluie de
M. Sainte-Beuve. Enfin, dans ces derniers
temps, il publia les ''Mémoires de Narbonne'',
 
 
[page 70 M. VILLEMAIN]
 
 
dont il avait été le secrétaire, et les siens
en 1815. Livre où l'allusion, fine à force de
peur, essaye de pinçer l'Empire à la peau.
 
Telle est l'œuvre de M. Villemain. Où est
dans tout cela la raison suffisante pour faire
de lui, littérairement, plus qu'une médiocrité
cultivée, un bel-appris, mais pas davantage,
et pour le donner à la France comme un
homme dont la vivacité d'esprit touche au
génie ? En conversation, n'a-t-on pas fait de
M. Villemain un homme de puissante repartie, une espèce de Rivarol II ! Mais l'écrivain
aux ''cahiers d'expression'', qui cueille dans les
livres qu'il lit des expressions et des images
dont il est incapable et qui les réduit en
une espèce de poudre étincelante pour la
jeter, ''après coup'', sur ce qu'il écrit, oui,
l'homme d'une si lâche méthode doit aussi
préparer et travailler de longue main les reparties qu'on lui attribue. Chez M. Villemain,
 
 
[page 71 M. VILLEMAIN]
 
 
le charlatan de style doit toujours être embusqué sous le causeur... À quoi donc tient
le genre de gloire dont M. Villemain jouit
en paix depuis soixante années, — car cet
homme nul fut un enfant célèbre, — et que
rien ne peut altérer, même les rapports séniles qu'il fait chaque année comme secrétaire perpétuel de l'Académie ?... Il a beau
les faire ternes et d'une rhétorique impuissante, le pli est pris, le vase est imbibé. Ils
sont toujours ''brillants'', quand on en parle dans
les salons et dans les journaux ! ''Spirituel et brillant'', voilà la double épithète inféodée au
genre de talent de M. Villemain par ces moutons de Panurge qui bêlent toujours dans la
même note. Eh bien ! je crois savoir pourquoi
cette éternelle réussite, cette gageure inouïe
contre la vérité ! Les moutons de Panurge,
pour des moutons, ont leur petite rouerie.
Ils veulent peut-être un jour, en leur qualité
 
 
[page 72 M. VILLEMAIN]
 
 
de moutons, entrer à l'Académie, et ils savent bien que M. Villemain en tient la clavette.
 
C'est, en effet, le maître de céans. Je crois
que, comme la femme de ce représentant
qui disait « mon peuple, » M. Villemain
pourrait dire « mon Académie. » Il y demeure ; c'est sa coquille, son canonicat, son
fromage de Hollande. Tout le monde y souffre la prépotence de ce ''nez à l'ouest'', qui a
de la vrille dans l'esprit : les uns parce que
les passions de M. Villemain sont rendues plus
vives par sa conformation physiologique, laquelle exaspère les gens qui l'ont ; les autres par
une indolence méprisante, comme Lamartine,
qui ne vient pas même toucher ses jetons de
présence ! M. Cousin lui-même, le coup de
vent, l'homme sonore qui fait des bruits tonitruants, n'a pas contre l'Empire le degré
de passion repliée, profonde et persistante de
 
 
[page 73 M. VILLEMAIN]
 
 
M. Villemain. M. Cousin s'évanouit dans le
bruit qu'il fait. Ministre tombé, comme
M, Cousin d'ailleurs, M. Villemain le vaut
par le rang politique, qui a une si grande
influence à cette Académie littéraire depuis
si longtemps détournée du but de son institution ! Il a la rage des mêmes regrets parlementaires. Seul, M. Guizot, l'inventeur de
cette catapulte de la fusion, l'ancien président du Conseil, et dont la Toison d'or fait
un bel effet décoratif les jours de solennité à
l'Académie, pourrait lutter d'influence avec
M. Villemain. Mais M. Guizot a une ambition
moins ''chatte'' que celle de M. Villemain. Dans
le temps que M. Guizot était au pouvoir, sous
les d'Orléans, pourvu qu'il dît à la tribune
« le gouvernement du roi, » et, les bons jours,
« notre gouvernement, » il avait des jouissances, — les seules jouissances qui soient
dans sa nature, et c'est de même à l'Acadé-
 
 
[page 74 M. VILLEMAIN]
 
 
mie. Pour peu qu'il perche sur quelque
grand mot de ''moralité'', d'''alliance entre l'ordre et la liberté'', etc., etc., il est content, et
il laisse M. Villemain tout arranger autour de
lui dans l'intérêt de ces passions orléanistes
qu'il partage. C'est cette souveraineté à l'Académie qui empêche qu'on ne touche à la
vieille gloire de M. Villemain. Nous laissons
cette momie qui peut remuer contre nous, et
nous disons qu'elle est brillante. Tenez !
voilà M. Francisque Sarcey qui vient de se
croiser contre moi<ref>Dans le ''Nain Jaune'' où ces ''Médaillons'' ont déjà paru.</ref> à propos de M. Cousin, l'officier d'état-major de M. Villemain à
l'Académie ; mais je suis persuadé qu'il va
élever bien autrement la voix de son bon sens
contre mon imprudence et ma folie. Talent,
comme on sait, abondant et onctueux,
M. Sarcey, qui a de l'onction à en revendre
aux autres, n'a point mon opinion sur M. de
 
 
[page 75 M. VILLEMAIN]
 
 
Sacy, lequel est pour moi un petit bâlon de
cornouiller, et pour lui l'arbre qui distille
le baume et la myrrhe. Que ne dira-t-il pas,
contrairement à moi, de M. Villemain ?... Car
les gens qui désirent entrer dans cette bonne
maison des ''Débats'' désirent encore plus fort
entrer à l'Académie. C'est le salon et c'est
l'antichambre qui y mène, que l'Académie et
le ''Journal des Débats !''
 
Enfin, une autre grande raison encore de la
solidité de la gloire de M. Villemain, c'est la
position toute-puissante qu'il eut si longtemps
dans l'Université. Mère Gigogne de professeurs, qui en a tant pondu à tous les degrés
de la hiérarchie universitaire, M. Villemain a
appris à ces gens-là, qui stylent nos enfants
depuis tant d'années, que M. Villemain est le
brillant et spirituel M. Villemain. L'épithète-momie est restée à poste fixe sur le bec de tant
de perroquets ! M. Villemain, tout à l'heure,
 
 
[page 76 M. PROSPER MÉRIMÉE]
 
 
est à sa troisième génération de perroquets,
mais à la quatrième ce sera fini probablement.
M. Villemain ne vivra pas comme Mathusalem,
et alors l'hisloire littéraire le jugera comme
il le mérite, c'est-à-dire indigne d'être lu.
 
<center>
 
== XXVI. — M. PROSPER MÉRIMÉE ==
</center>
 
Encore un romantique à l'Académie ! cette
contradiction à laquelle je ne me ferai jamais ! M. Prosper Mérimée est un romantique de la première heure, un des plus vaillants, un des plus marquants. Talent brillant
 
 
[page 77 M. PROSPER MÉRIMÉE]
 
 
et noir comme l'Espagne qu'il a peinte et d'un
raffiné qui va jusqu'à la scélératesse. Il y a
du Goya dans M. Mérimée. Son meilleur ouvrage est encore le théâtre de ''Clara Gazul''.
Très-supérieur, selon moi, à ''Colomba'', beacoup plus vantée ; car dans ce pays tempéré,
si peu fait pour les arts, ce qu'on aime le
plus, c'est la manière ''adoucie'' d'un homme,
ce n'est pas sa manière ''acharnée'' qui prouve
son génie. M. Mérimée procède d'un homme
beaucoup plus fort que lui. C'est Stendhal,
l'auteur du ''Rouge et Noir''. Il est son diminutif et presque son disciple. Cependant, il
faut être juste, Stendhal, malgré son immense talent, n'aurait pas fait le théâtre de
''Clara Gazul''.
 
C'est par l'invention que Stendhal domine
M. Mérimée ; mais M. Mérimée est un exécutant plus habile, un virtuose plus profond.
Tous les deux ont pour défauts extrêmes la
 
 
[page 78 M. PROSPER MÉRIMÉE]
 
 
sécheresse, la maigreur, la concentration
recuite. Violents dans la sobriété, ils veulent
faire avant tout les positifs, et ils finissent
par devenir disgracieux et faux. Comme
Stendhal, M. Mérimée est un athée discret,
un Fontenelle sinistre. Il n'aurait jamais,
lui, au café de la Régence, les colères contre
Dieu de M. Sainte-Beuve. Homme d'esprit
politique qui sait diriger les relations de sa
vie. Du fond de son épicuréisme il prend,
comme Stendhal, des décisions nettes, rapides, presque militaires. Gens qui seraient de
première force, si les principes moraux
étaient des plaisanteries ! Comme Stendhal
encore, M. Mérimée a le mépris le plus honorable pour tout ce qui est vulgaire ; mais
c'est un mépris ''gouverné'', qui ne l'a pas empêché d'entrer dans une Compagnie où les
grands talents, par le fait qu'ils y sont, y sont
déplacés.
 
 
[Page 79 M. EMPIS]
 
 
<center>
== XXVII. — M. EMPIS ==
</center>
 
Est-ce Empis-Picard ?... Est-ce Empis-Mennechet ?... Est-ce Empis-Cournol ?... Est-ce Empis-Mazères ?... Car ce diable de
M. Empis, qu'aucuns appellent « Tant pis ! »
a-t-il jamais été tout seul M. Empis ? Il faut
qu'il soit deux pour avoir l'esprit d'un seul,
et souvent de personne ! Tous ces gens à
collaboration me font l'effet du veau à deux
têtes, ce vieux phénomène ! Seulement, eux,
ils n'en sont point un. De têtes, M. Empis en
 
 
[page 80 M. EMPIS]
 
 
a quatre pour son compte, sans compter la
sienne. C'est l'idole assyrienne de l'Académie,
comme M. Pongerville en est la momie égyptienne. La seule différence qu'il y ait entre
eux, c'est qu'on sait nettement ce qu'a fait
M. de Pongerville ; c'est qu'on se rend très-bien compte de cet énorme effort de la traduction de Lucrèce, qui l'a crevé... Mais on
n'a jamais su, on ne sait jamais ce qu'a fait
M. Empis ! On voit jouer une pièce qui peut
être de tout le monde et qui en est ; on vous
dit que c'est de M. Empis, et vous en êtes
bien aise pour l'idée que vous vous faites de
ce brave homme. Mais quand vous reverrez
cette pièce, il vous sera impossible de vous
rappeler que c'est de M. Empis. Quel talent
pour se graver dans la mémoire ! Ah ! l'Académie n'oublie jamais les hommes de cette
puissance d'impression. Elle se reconnaît en
eux et elle leur ouvre ses portes. M. Empis,
 
 
[page 81 M. JULES SANDEAU]
 
 
académicien ! Mais comment ! il est né de
l'Académie ! Si tous les Quarante étaient des
Empis, je dirais tant mieux ! ce serait l'Idéal
de l'institution ! ! !
 
 
<center>
== XXVIII. — M. JULES SANDEAU ==
</center>
 
C'est une femme de lettres et pas des
meilleures encore ! Un jour, pour les besoins
d'une collaboration, qui a été publique,
M. Sandeau échangea son sexe contre celui
de madame Sand ; mais pour mon compte.
 
 
[Page 82 M. JULES SANDEAU]
 
 
je n'ai jamais su pe qu'il lui a pris et ce qu'il
lui a donné ! C'est un romancier, — un
oncle à M. Octave Feuillet. Il a cette moralité
de sceplique qui n'est sûr de rien, cette
mondanité morale, chère aux mêmes petites
mamans qui veulent que les enfants aient des
collerettes blanches, n'ayant pas plus que
M. Feuillet une idée de morale solide appuyée
sur un principe dans sa tête mûre, terriblement plus mûre que celle du neveu Feuillet,
et n'ayant pas, comme M. Feuillet, la prétention au raffinement, prise à respirer ce
flacon de senteur qu'on appelle Alfred de
Musset... Comme peintre, M. Sandeau est un
cataplasme assez doux pour les porteurs de
visières vertes. Aussi a-t-il publié, chez Buloz,
uii grand nombre de ses romans ; l'autre
nombre le fut chez Pitre-Chevalier, au ''Musée des Familles''. Puis, de Buloz en Pitre, il est
entré à l'Académie ; — à l'Académie, qui
 
 
[page 83 M. JULES SANDEAU]
 
 
veut des romanciers, la charmante moderne
qu'elle est ! qui ne voulut pas de Balzac, il
est vrai, mais qui prend des Sandeau tant
qu'il y en a, et laisse là Léon Gozlan !...
Léon Gozlan, un esprit chaud, coloré, condensé, aiguisé, vivant et vibrant, plein d'invention, un maître qui fait d'abord le diamant et qui après le taille, et quand il n'a
pas de diamant, qui prend un bouchon de
liège et en fait sortir le feu du diamant par
une incroyable magie !... ibis savent-ils
même à l'Académie qu'il existe un Léon
Gozlan ?...
 
Que pense M. Sandeau en philosophie, en
histoire, en législation, en politique, en religion, la question suprême ? On sait tout cela
d'un grand romancier. Je le dirai de Daniel
de Foe, de Walter Scott, quand on voudra ;
mais M. Sandeau n'est pas un grand romancier. C'est un petit conteur de contrebande,
 
 
[page 84 M. JULES SANDEAU]
 
 
rompu au métier, qui a grapillé dans la vigne
à Goldsmilh, et à Walter Scott, et qui nous a
souvent gâté le raisin qu'il y a volé. D'essence
et d'élégance naturelle, c'est, ou plutôt c'était,
un clerc de notaire. Je l'ai vu, — autrefois,
— faire le dandy en loge avec une grosse chevalière à pierre brillante, ''par-dessus un gant
beurre frais, qui n'était pas très-frais. Il a eu
les mêmes goûts et les mêmes malheurs
qu'Alfred de Musset, et il disait, montrant
sa tête chauve : « ''Elle'' m'a pris mon dernier
cheveu et ma dernière illusion. » Mais, comme
Alfred de Musset, il n'a pas fait son saut de
Leucade dans l'absinthe. Il a piqué dans le
solide, les huîtres, le pâté de foie gras et les
côtelettes. Guéri de passions, marié d'ailleurs,
il est devenu un ventre rondelet et tranquille
qui emplit très-bien son fauteuil d'Académie.
M. de Pontmartin s'est longtemps dévoué à sa
gloire. Mais lui, l'ingrat, pourquoi ne s'oc-
 
 
[page 85 M. BERRYER]
 
 
cupe-t-il pas un peu plus de faire entrer à
l'Académie M. de Pontmartin ?...
 
 
<center>
== XXIX. — M. BERRYER. ==
</center>
 
C'est la Politique, — c'est-à-dire — ce
qui devrait être interdit à l'Académie, — et
ce qui scandaleusement y règne, — c'est la
Politique, non la Littérature, qui a fait de
M. Berryer un académicien. Il n'y pensait
même pas. Mais on le voulait... pour avoir
la grande voix légitimiste dans le concert
contre l'Empire, et il se laissa faire ! Et,
 
 
[page 86 M. BERRYER]
 
 
comme les enfants gâtés qui se sentent des
enfants gâtés, et vont devenir des enfants terribles, il déploya, le jour même de sa réception, l'impertinente indifférence d'un homme
qui oblige plus qu'il n'est obligé... Il est
d'étiquette de lire son discours à l'Académie.
« Je ne sais pas lire, dit-il ; je ne sais pas
écrire ; je ne sais que parler. » Et il le prouva,
car il lut fort mal. Superbe mal portée !
Grand seigneur étudié au Théâtre-Français !
 
Quant au talent inacadémique de M. Berryer, c'est un acteur, ce n'est pas un orateur.
Et encore, un acteur qui n'est pas le maître
de son art ! car on voit toujours qu'il joue la
comédie et qu'il le sait... Sa voix est belle,
mais il l'écoute trop. Son geste est ample,
mais il le suit trop du regard... et il pue,
d'ailleurs, la grand'manche. C'est comme les
lapins du poëte :
 
 
[page 87 M. BERRYER]
 
 
::Sentant encor les choux dont ils furent nourris.
 
Les choux dont fut nourrie l'éloquence de
M. Berryer, c'est la cour d'assises... Quand
les événements parlementaires d'une époque
sans grandeur firent de lui un homme politique, il n'a jamais été pour moi le ministre
plénipotentiaire ou le directeur d'un parti.
Ni Bolingbroke, ni Mirabeau ! Non, non,
mais toujours l'avocat, le simple avocat en
cour d'assises de la légitimité ! Tête nulle en
politique, comme doit l'être toute tête d'avocat qui ne voit dans tout que des chicanes
à faire et des malices à combiner ! Ayant, du
reste, l'expansion, la verve facile, l'épicuréisme, la main tendue... à trop de gens, et
le ''qu'est-ce que cela fait ?''... des orateurs, ces
grands lâches, non ! — mais ces grands
''lâchés'', qui devraient porter une ceinture et
qui n'en portent pas, laissant tout aller comme
 
 
[page 88 M. BERRYER]
 
 
cela peut, et cela fait parfois de vilains spectacles. Rappelez-vous le trop de facilité des
mœurs de Fox, dont le cœur était excellent ?
Il y a un peu du tempérament de Fox dans
M. Berryer, Mais quelle infériorité de talent,
facile à expliquer... La salle des ''Pas-Perdus''
et des ''Conférences'' pendant quarante ans !
Croyez-vous que Fox lui-même y aurait résisté ?...
 
« Quand les hommes s'assemblent, —
disait madame Roland, — leurs oreilles s'allongent. »
 
 
[page 89 M. ÉMILE AUGIER]
 
 
<center>
== XXX. — M. ÉMILE AUGIER ==
</center>
 
Très-inférieur à l'auteur de ''M. Botte'', son
grand-père. Il n'en a ni l'observation ni la
gaieté. Esprit morose qui ne demanderait pas
mieux que de rire, car la vive bulle du sang de
Pigault-Lebrun doit de temps en temps polissonner dans ses veines ; il n'attrape jamais
que le rire acide ou le rire plat. Fruit le plus
sec de la poésie contemporaine, il s'est toujours cru du poëte quelque part, et c'est même
ce qui l'a perdu. Il a fait le recueil de ri-
 
 
[page 90 M. ÉMILE AUGIER]
 
 
gueur. Les ''Pariétaires'', je crois. Pourquoi les
''Pariétaires ?'' On n'a jamais pu le savoir,
L'auteur y veut être le plus Henri Mürger
qu'il peut. Or, Henri Mürger n'était que le
groom d'Alfred de Musset. C'est donc un
groom de groom. Quelle splendeur ! ! Dans ce
premier mouvement de poésie impuissante,
qui continue toujours, dit-on, dans sa tête,
M. Emile Âugier fit ''la Ciguë'' pour l'Odéon :
pièce de dix-huit ans, comme on en jouait
chez les Jésuites, à la récréation des prix. Ceci
le retourna de sa poésie de muraille ; il se crut
poëte comique, et il aborda la comédie de
Molière avec des facultés qui n'égalaient pas
celles de Scribe. Il parlait la même langue
française : le parisien, ce parisien que l'on
parle dans les salons meublés en acajou. On
ne sait pas le plus bourgeois en lui, du prosateur ou du poëte. Avant ''le Fils de Giboyer'',
qui avait une prétention politique, qu'on s'est
 
 
[page 91 M. ÉMILE AUGIER]
 
 
fait suffisamment escompter par les applaudissements antilittéraires des partis, il n'avait
guère fait que des pièces à filles entretenues.
Sans la fille, il manquerait de sujets... Cependant toute la société française n'est pas
uniquement sous le réverbère.
 
Il est devenu académicien, mais un peu
plus de gaieté, — la chose impossible, — en
aurait fait un vaudevilliste. Seulement, il
aurait dû, l'homme des ''Pariétaires'', s'adjoindre quelqu'un pour tourner le couplet.
Parmi les comiques les plus oubliés du premier Empire, il n'en est pas qui n'ait plus de
talent que lui. Picard a du moins fait ''la Petite Ville''. Mais où est ''la Petite Ville'' dans les
œuvres de M. Augier ?...
 
Comme M. Feuillet, il appartient par la
nature de son esprit, de son âme et même par
les traits de son visage, aux hommes du règne
de Louis-Philippe. Est-ce pour cela qu'à l'A-
 
 
[page 92 M. LEBRUN]
 
 
cadémie il n'a pas été discuté ? Si ses opinions
sont napoléoniennes, la nature de son esprit
pourrait un jour trahir ses opinions. Il est
aussi, comme M. Feuillet, de la section des
jeunes à l'Académie ; car il y a maintenant à
l'Académie le banc, le ''petit banc'' des Jeunes,
— des Jeunes... vieux !
 
 
<center>
== XXXI. — M. LEBRUN ==
</center>
 
Il a fait sa ''Lucrèce'', lui, bien avant ''Lucrèce''.
C'est ''Marie Stuart'', tragédie, ancien grand
modèle.
 
 
[Page 93 M. LEBRUN]
 
 
D'Avrigny aussi avait fait une ''Marie Stuart'',
et il ne fut point de l'Académie. Les Géronte
s'avisent parfois d'être capricieux comme de
jolies femmes. Sans l'inconséquence, le
pouvoir serait moins doux.
 
M. Lebrun a écrit un poëme sur la ''Grèce moderne''..., en vers, qui rappellent, en les
affaiblissant, les ''Messéniennes'' de Casimir
Delavigne. C'était le temps alors, le glorieux temps pour la langue française, où
tout ce qui avait instinct de poésie, flamme,
au cerveau, réflexion trempée aux grandes
sources, essayait de ressusciter des rhythmes
anciens ensevelis, et où le triomphe était d'en
créer de nouveaux, d'audacieux et de difficiles. M. Lebrun prit ce temps-là, lui, pour
se déboutonner, sans tant de façon, dans le
vers libre, usé par la poésie du dix-huitième
siècle. — Et l'Académie fut si touchée de
cette commodité classique, introduite comme
 
 
[page 94 M. DÉSIRÉ NISARD]
 
 
un rond de maroquin vert sur les plus belles
ruines de la Grèce pour les chanter plus à son
aise, que, du coup, elle nomma M. Lebrun
académicien, lequel se tut... du coup : ''Dormit semper Homerus !''
 
 
<center>
 
== XXXII. — M. DÉSIRÉ NISARD ==
</center>
 
Comme M. Villemain, dans le cours de ses
premières études, M. Nisard fut presque un
enfant célèbre... Mais pour être, l'homme
n'a pas besoin du souvenir de l'enfant. —
C'est un humaniste comme on le fut au sei-
 
 
[page 95 M. DÉSIRÉ NISARD]
 
 
zième siècle. II débuta par un genre de classique qu'on ne connaissait pas ; hardi, nerveux, indépendant, qui dit son fait vertement
aux Excessifs du romantisme, alors les maîtres
du terrain. Cela était jeune, et cela n'était pas
pédant ! ce qui ne s'était jamais vu parmi
les classiques. Le manifeste contre la ''littérature facile'' se lit encore et restera. Charmante
révolte de l'esprit français contre les ''étrangetés''
et les choses étrangères d'un romantisme qui
nous venait trop du dehors... M. Nisard n'entendait pas qu'on dénationalisât la littérature.
Depuis cette époque de combat M. Nisard s'est
élevé. C'est l'amour le plus vrai des lettres
dans une superbe intelligence tempérée. Il
aime Bossuet, et c'est sa seule intempérance.
Car l'''imitation de l'amour'' tombe dans le
courant clair et limpide de sa propre originalité, et son naturel, qui est si sain et si vrai,
en est troublé... Grand critique par le senti-
 
 
[page 96 M. DÉSIRÉ NISARD]
 
 
ment, la sensation, l'intuition, la culture qui
est exquise, il n'a qu'un défaut, à mon sens :
c'est de ne pas appuyer sa critique sur des
principes assez fixes pour empêcher son grand
esprit étendu d'être inconséquent. Tel est le
reproche à faire au beau livre sur la ''Littéirature française'' qu'il vient de publier. Inconséquence, oui, — ici et là, — mais, dans son
inconséquence même, quelle conscience littéraire plane partout !
 
Il a fait un livre excellent sur l'Angleterre,
dans lequel cette tête classique accusée de
froideur, — mais c'est aussi le reproche qu'on
fait aux femmes vertueuses, — a dit les plus
belles choses et les plus profondément pensées
qui aient été écrites en français sur lord
Byron... Bonapartiste de la première heure, à
la manière de Carrel, dont il fut l'ami, — ils
n'ont parlé de République que quand ils n'ont
plus eu de Bonaparte, — il écrivit au ''National''
 
 
[page 97 M. DÉSIRÉ NISARD]
 
 
de 1854. Homme d'ordre, il accepta par
raison les gouvernements intermédiaires ;
mais avec quel frémissement de plaisir il est
allé à Napoléon III !
 
Dernièrement, il a écrit an ''Moniteur'' de bons
articles sur l'histoire de M. Thiers (''le Consulat et l'Empire''), qui auraient été bien meilleurs,
s'il n'avait pas été académicien... Le confrère
a faibli... Un critique contemporain à l'Académie a trente-neuf personnes qu'il ne peut pas
toucher trop fort. Les Académies remplacent
par le sentiment corporatif le sentiment de la
vérité ; et c'est ainsi que les académiciens,
même les meilleurs, sont forcément, toujours
plus ou moins, les larrons en foire de la littérature !
 
En somme, homme de grand goût littéraire, bonapartiste rare à l'Académie, sur
qui l'Empereur pourrait compter, au milieu
des académiciens, M. Nisard serait, dans
 
 
[page 98 M. FLOURENS]
 
 
sa plus pure notion, un véritable académicien,
si l'Académie était restée ce qu'elle devait
être...
 
 
<center>
== XXXIII. — M. FLOURENS ==
</center>
 
C'est de la science en papillotes. Délicieux
pour les petites filles du Sacré-Cœur. Qui
sait ? Les petits garçons, qui deviennent si
forts, le trouveraient peut-être un peu faible.
M. Flourens est le Petit-Poucet, non mangé,
mais pondu par Buffon. Quelqu'un, que je ne
nommerai pas, l'appela un jour ''Buffonnet'',
 
 
[page 99 M. FLOURENS]
 
 
pour lui être agréable, mais je ne crois pas
qu'il ait senti le compliment. C'est le plus
naturaliste des littérateurs, et c'est le plus littérateur des naturalistes. Aussi est-il des deux
Instituts, corbleu ! Très-agréable anecdotier
scientifique, qui, comme ce diogénique M. Babinet, bien plus amusant dans le capharnaüm
de son appartement que dans ses livres, met
la science à la portée de ceux qui ne savent
absolument rien. Ils sont, l'un et l'autre, de
vocation, professeurs de tous les MM. Jourdain
de la terre, lesquels crient en les écoulant :
Vive la science ! du fond de leur ânerie. Engageant, insinuant, émérillonné, M. Flourens,
qui a l'esprit léger, ne craint pas de faire
''Turlututu'' à la Science majestueuse, comme
s'il revenait de Saint-Cloud, et de compromettre sa gravité par des thèses paradoxales,
qui s'élèvent, sans trembler, jusqu'au ridicule. (Voir sa {{sc|LONGÉVITÉ}}.) M. Flourens est le
 
 
[page 100 M. FLOURENS]
 
 
plus joli gazon de l'Académie. Je parle des
gazons ! La plus jolie perruque sur une tête
fine. Ce n'est pas cette perruque-là, trouvée
au coin d'une borne, que Frédérick-Lemaître,
le créateur, brimballe au bout de son crochet
(dans ''le Chiffonnier'') et précipite dans sa
hotte, en disant avec l'emphase d'un comique
gigantesque :
 
 
 
<center>ACADÉMIE FRANÇOISE</center>
 
 
 
Déplacé donc par l'esprit, la vie, les manières aimables et la perruque, à l'Académie,
c'est le comble de la séduction et du mystère
qu'il y soit entré. Comment s'y est-il pris ?
 
Il devrait bien le dire à M. Jules Janin !
 
 
[Page 101 M. DE LAMARTINE]
 
 
<center>
== XXXIV. — M. DE LAMARTINE ==
</center>
 
Le génie heureux, abondant, qui n'a rien
fait pour être sublime et qui l'est, mais qui
a beaucoup fait pour ravaler, hélas ! le plus
chaste et le plus idéal génie aux choses mesquines de son temps et à ses partis les plus
coupables ! Romantique sans qu'il le sache,
comme il a du génie sans que cela lui coûte
une minute de peine, M. de Lamartine n'était
pas, comme M. Victor Hugo, un chef de parti,
 
 
[page 102 M. DE LAMARTINE]
 
 
ayant oriflamme ; tenu par conséquent sur son
honneur littéraire de ne jamais entrer à l'Académie, quand même elle se serait mise à genoux
devant lui, ce qu'elle n'a pas fait. Mais comme
Alfred de Vigny, le poète d'albâtre, comme
M. Prosper Mérimée, trop académicien aussi
par le silence, il n'y est pas à sa place et il y fait
une énorme tache de lumière. Qu'y a-t-il de
commun, en effet, entre l'auteur des ''Méditations'' qui n'est pas, — je le sais bien, — un
aussi grand poëte dans ses ''Méditations'' qu'on
l'a dit, quoiqu'il en soit un bien grand déjà ;
mais surtout entre l'incomparable poëte des
''Harmonies'' et de la ''Mort de Socrate'', — deux
choses immortelles et belles comme tout ce
qu'il y a au monde de plus beau, — et les
professeurs encuistrés et les gens à bon sens
aplati, et les rimailleurs de l'Académie ! Le
flot d'azur de son destin, si longtemps heureux, l'a poussé un jour, plus qu'il n'y est
 
 
[page 103 M. DE LAMARTINE]
 
 
allé de lui-même, dans ce hâvre de vieux
hérons moroses qui n'était pas fait pour un
oiseau du Paradis comme lui, et il s'aperçoit
maintenant à quelle espèce il s'est appareillé.
Je n'ai point à juger ici M. de Lamartine
comme homme et comme écrivain politique.
Sur ce terrain-là, ce n'est plus le ''divin'' Lamartine. Il s'y brise et brise le cœur de ceux
qui savent l'aimer. Je dirais des choses trop
sévères pour lui, trop tristes pour moi, et
inutiles ici, car il ne s'agit que des académiciens en ces Médaillons, et c'est le poëte
qui fit entrer M. de Lamartine à l'Académie...
Depuis qu'il y est, du reste, l'homme politique vaincu n'y a pas, du moins, comme les
autres Déchus politiques qui y fourmillent,
clabaudé misérablement contre le pouvoir qui
nous a sauvés de leurs fautes et de leurs sottises... Il ne va pas même à leurs séances, et
il en sourit... Le mépris ne tombe bien que
 
 
[page 104 M. GUIZOT]
 
 
d'une cime. C'est même la hauteur d'où il
tombe qui en fait vraiment le mépris !
 
 
<center>
== XXXV. — M. GUIZOT ==
</center>
 
Comme M. Thiers, M. Guizot est un échantillon des grands hommes que, sous Louis-Philippe, on nous fagotait ! La Postérité les
déshabillera de leur grandeur, et ce terrible
valet de chambre aura la main dure, je les
en avertis ! M. Guizot, à l'Académie, représente et incarne la fusion, inventée par lui,
le dernier concubinage de ce grand Concubi-
 
 
[page 105 M. GUIZOT]
 
 
naire politique qui a toujours aimé à coucher
avec tous les partis ! Mystification amère et
méritée à une époque niaise, qui se prend à
la glu de quelques paroles, sévères et sentencieuses ! L'Opinion, — la grosse Opinion,
— cette madame Brid'oie, — accepte présentement comme le plus honnête homme politique qui ait jamais existé M. Guizot, M. Guizot,
qui a fait la coalition de 1839, c'est-à-dire
qui a vautré sa main dans celle de tous les
partis, Droite, Gauche, Centre gauche. Extrême Gauche, pour faire tomber M. Molé,
l'homme du gouvernement, dont, depuis,
M. Guizot a été encore plus l'homme ! Aujourd'hui incorrigible et d'ailleurs désespéré
d'une chute dont il ne devrait avoir que
honte, il refait contre l'Empire cette coalition
des partis sous le nouveau nom de fusion et
il n'y ''fond'' pas son honneur. Comment donc ?
Au contraire ! II y a des entêtés qui ferment
 
 
[page 106 M. GUIZOT]
 
 
les yeux et qui répètent leur mot « d'honnête
homme politique, » en s'extasiant sur cette
grande moralité, verbale et verbeuse, qu'a
flétrie un jour M. Royer-Collard, un voisin
de ''Canapé'' cependant ! « Vous l'avez appelé
un austère intrigant, — lui reprochait-on. — Non, dit Royer-Collard, je n'ai pas
dit austère. » Corrupteur puritain, qui
demandait aux électeurs de Lisieux : « Vous
sentez-vous corrompus ? » comme si les gangrenés sentaient leur gangrène ! M. Guizot est un Walpole sans habileté, qui ne
sait pas tirer parti de la corruption ; mais
son immoralité n'est pas dangereuse, comme
toute immoralité qui se respecte devrait l'être.
À l'Académie, comme au pouvoir, il est bien
plus pour la décoration que pour autre chose,
car, ne vous y trompez pas, cet homme sans
couleur dans le talent est très-extérieur. Il a
bien plus les attitudes du pouvoir que les
 
 
[page 107 M. GUIZOT]
 
 
aptitudes. Il n'aurait jamais voulu être le
P. Joseph du Tremblay, l'Éminence grise, le
conseil occulte de Richelieu, d'abord parce
que sur rien ce sceptique peint en dogmatique n'a de conseil ''décisif'' à donner, mais
surtout parce qu'il aurait été l'Éminence
grise, tandis qu'il eût haleté de désir d'être
« la rouge, » quand même, au lieu d'avoir
du génie, elle aurait été une grande sotte. Le
tout, pour lui, est d'être le titulaire du pouvoir. Or, ce qu'il a été aux affaires qu'il ne
faisait pas et où il ne fut jamais que le domestique de Louis-Philippe et son porte-voix
parlementaire, il l'est encore à l'Académie.
M. Cousin a des indiscrétions de haine qui
cherchent des échos. M. Villemain, retors
comme toute sa personne, se reploie comme
un tire-bouchon pour mieux percer ; l'un est
l'intrigant en plein vent, l'autre l'intrigant
sous le vent, mais leurs passions contre l'Em-
 
 
[page 108 M. GUIZOT]
 
 
pire sont intéressées, envenimées, toujours à
l'affût. M. Guizot, lui, n'intrigue et n'a de
passion que pour son importance, et son
importance n'est qu'une étiquette. C'est l'Orléanisme même à l'Académie.
 
La Maison d'Orléans lui a passé procuration... Toujours porte-voix, il y sonne le
rappel de la fusion avec sa parole, creuse
comme un tambour. C'est lui, mais assisté
de MM. Villemain et Cousin, qui a fait passer
MM. de Carné et Dufaure aux élections dernières. Quoique le règlement académique,
violé à chaque élection, interdise formellement à chaque académicien, ''sous peine de de pas voter'', toute promesse à un candidat
quelconque, le ''Comité directeur'' de l'Académie s'était engagé à porter l'abbé Gratry
pour remplacer le P. Lacordaire, quand
tout à coup il fut illuminé de l'idée que
 
 
[page 109 M. GUIZOT]
 
 
M. Dufaure, le ministre tombé, — on les
ramasse pieusement, tous ces pauvres cassés !
— et M. de Carné, de la ''Revue des Deux Mondes'', seraient plus dans l'esprit et les
passions de l'Académie que ce prêtre tranquille, qui aurait parlé du moins de Lacordaire avec compétence, dans son discours de
réception. Alors, on reprit tout doucettement
à l'abbé Gratry la parole. qu'on lui avait
donnée, l'assurant, avec de grandes tendresses, que la prochaine élection serait pour
lui. L'académicien édifié qui m'a raconté
cette histoire prédisait que l'abbé Gratry,
qui s'était laissé, avec tant d'innocence, ''tire-bouchonner'' par M. Villemain une promesse
qu'il croyait si bien tenir, devait renoncer
à l'Académie tout le temps qu'il y aurait des
Orléanistes à placer, et il y en aura toujours !
 
En littérature, M. Guizot a été aussi surfait
 
[page 110 M. GUIZOT]
 
 
qu'en politique. Il est de l'époque où tout
professeur à petite allusion contre le gouvernement des Bourbons de la branche ainée
était immédiatement porté à dos d'âne sur
le pavois de la popularité. Son ''Histoire de la civilisation'', — titre ambitieux de cet ambitieux vide, qui n'a vu jamais partout que des
titres, — son ''Histoire de la civilisation'' a
commencé sa renommée, mais elle l'achèvera... Il y a certainement là dedans du renseignement historique ; l'homme s'y vide de
ses lectures ; mais des vues nettes, réelles,
profondes, on les cherche sous cette gravité
qui ne cache rien. On n'y parle que ''doctrinaire''. Les ''éléments'' y reviennent sans cesse.
Phraséologie vague qui embrouille, au lieu
d'éclairer ! On y confond et on y additionne
comme étant d'ordre identique les choses
d'un ordre différent ; par exemple, l'''élément''
gaulois, l'''élément'' germanique, l'''élément'' ro-
 
 
[page 111 M. GUIZOT]
 
 
main et le christianisme. C'est comme qui
additionnerait trois bonnets de coton et un
canif pour faire quatre bonnets de coton !
Le christianisme et même l'Église, ces faits
immenses, ont imposé à M. Guizot un respect
dont il faut lui savoir gré, quoiqu'il y ait
dans ce respect plus d'immobilité d'esprit
fasciné par des faits terrassants que de compréhension et de lumière ; mais, dès que
le protestantisme apparaît dans l'histoire,
M. Guizot se trouble, et le sectaire aveugle
l'historien... Le style qui fait les livres et
qui les fait vivre manque totalement à
M. Guizot. Cette affirmation va paraître presque aussi scandaleuse
que le nom de courtisane politique donné à cette haute prude
de propos, qui n'a cessé de ''faire sa tête''
et de prendre de grands airs de vertu
dans l'exercice de son vice ; mais la Postérité,
qui n'aura pas nos lâches complaisances
 
 
[page 112 M. GUIZOT]
 
 
ou nos relations esclaves jugera ferme...
 
Pas plus Français de langage que de politique, M. Guizot, quand il ne parle pas ''doctrinaire'', parle ''calvinist''e. Ce qu'on appelait
le style ''réfugié'' autrefois valait mieux que le
sien ; lui, c'est un style à ''fuir''. Monotone,
anguleux, froid, n'ayant de couleur que celle
de la bile, d'un sérieux de mort, d'un emphatique de catafalque, souverainement ennuyeux, — ce qui, je le sais bien, est une
force dans la France moderne ! — le style de
M. Guizot n'a pas même la plus vulgaire correction. Si un grammairien dévoué voulait se
livrer à la rude besogne de souligner les fautes grammaticales dans les écrits du célèbre
professeur, on serait étonné, même ailleurs
qu'à l'École normale, et tous les professeurs
de France se cacheraient la tête dans leur
robe. On serait un moment sans les voir, et
 
 
[page 113 M. GUIZOT]
 
 
ce serait toujours cela !... Un jour, on fera
peut-être ce travail utile. Le protestantisme
de M. Guizot redouble nécessairement son
orléanisme, car l'orléanisme est essentiellement protestant. Les fils de M. le duc d'Aumale sont en ce moment élevés en Suisse
dans une pension protestante. Comme ''tout se voit'' partout maintenant, la vieille monarchie
catholique d'Espagne a pendu au cou du protestant M. Guizot une de ses Toisons d'or,
après les mariages espagnols :
 
::Que pensent-ils de nous, les hommes qui sont morts ?
 
Que durent penser dans leurs cercueils
Philippe II et le grand duc d'Albe ?... C'est
à en ressusciter de colère, pour en remourir
de fureur !
 
 
[Page 114 M. LE COMTE DE SÉGUR]
 
 
<center>
== XXXVI. — M. LE COMTE DE SÉGUR ==
</center>
 
Un Ségur qui a porté son nom charmant
avec plus que la grâce, héréditaire dans sa
race. La grâce, il l'avait de naissance. Il
avait l'élégance de talent qu'exprime bien
le nom de Ségur, et il le prouva en écrivant, d'une plume svelte et nette, d'abord
une ''Histoire de Pierre Ier et surtout l’''Histoire de Charles VIII'', qui est un petit bijou
historique ; mais la force, et même la gradeur, lui poussèrent ! Il les eut tout à
 
 
[page 115 M. LE COMTE DE SÉGUR]
 
 
dans son ''Histoire de la campagne de Russie''.
Le sujet était épique. M. de Ségur fut souvent
aussi épique que le sujet. On l'a comparé au
Xénophon de la Retraite des Dix-Mille ; mais
lui, c'est un Xénophon pathétique. Il faut
saluer ce fauteuil-là à l'Académie, et d'autant
plus, qu'il nous fait mieux voir comment
les autres sont remplis. Tenez, par exemple,
voyez celui-ci :
 
 
[page 116 M. PATIN]
 
 
<center>
== XXXVII. — M. PATIN ==
</center>
 
On lit ses œuvres par le dos, mais on ne
les ouvre pas. Les voici donc... par le dos.
Des ''Mélanges de littérature'' ; — des ''Études sur les tragiques grecs'' ; — une collaboration
à la ''Revue encyclopédique'' et à la ''Revue des Deux Mondes'', qui est allée... où vont les
vieilles lunes. Comme fleurs de jeunesse couronnant ce front timide, on trouve encore
l’''Éloge de le Sage'' et l’''Éloge de de Thou''. Tout
cela ne l'aurait peut-être pas mis à l'Acadé-
 
 
[page 117 M. PATIN]
 
 
mie ; mais M. Patin a été le suppléant de
M. Villemain, hein ! Hein ! Le suppléant !
que dis-je ? Il en a été l'imitateur attentif,
scrupuleux, idolâtre, mais qui reste à son
rang derrière la chaise de Monsieur, — qui
crache comme Monsieur, — qui se mouche
comme Monsieur. Il s'est Villemainisé le
plus qu'il a pu ; tout en restant Patin : n'oubliez pas celte nuance heureuse ! C'est un
''homunculus'' de Villemain ; un ''Villemanusculus'' diraient les latinistes. Un tabouret lui
suffisait auprès de M. Villemain.
 
::Un fauteuil près mon oncle ! ! un tabouret sufût !
 
Mais, comme il n'y a pas de tabouret à l'Académie, on l'a fourré dans un fauteuil. Ce
Patin ''patine'' peu sur la langue française, et
il n'y fait point d'arabesque.
 
 
[Page 118 M. ERNEST LEGOUVÉ]
 
 
<center>
== XXXVIII. — M. ERNEST LEGOUVÉ ==
</center>
 
::Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère !
 
disait son père. Le fils a obéi. Il y est tombé.
Il a écrit l'''Histoire morale des femmes'', se
privant du sujet contraire, qui eût été plus
gai, mais qui n'aurait pas eu le même succès... régulier. Les femmes l'ont relevé, l'ont
trouvé charmant. Il a fait un Cours pour
elles et sur elles, où elles sont venues s'atten-
 
 
[page 119 M. ERNEST LEGOUVÉ]
 
drir et applaudir. Enfin, c'est leur homme
 
::Et qui jure pour elles, quand ''elles ont'' besoin
::Qu'on jure»
 
M. Ernest Legouvé est un abondant... trop
abondant ! Il a produit des romans, ''Max'', '''les Vieillards'', ''Édith de Faken'' ; des pièces de
théâtre : ''Louise de Lignerolles'', ''Bataille de
dames'' des poëmes, des traductions. On n'en
finirait pas de nommer tout !
 
 
 
::Je fais des médaillons et non des catalogues !
 
Toujours dévoué « au sexe auquel il doit
sa mère, » toujours le serviteur passionné,
mais moral de la femme isolée, autant que
de la femme en masse, il fit ''Adrienne Lecouvreur'' pour mademoiselle Rachel, qui lui fit
son succès. Il écrivit encore pour elle une
''Médée'' ; mais, comme mademoiselle Rachel
ne la joua pas, la pièce est restée dans son
 
 
[page 120 ERNEST LEGOUVÉ]
 
 
néant... natif. Il écrivit aussi je ne sais quoi
pour madame Ristori. M. Legouvé est un des
plus brillants écrivains du ''Siècle'', ce fier et
magnifique journal ! Il y tartine sur l'Italie,
qu'il compare à une femme... bien entendu !
Il s'est tourmenté beaucoup, en ces derniers
temps, pour faire donner la croix d'honneur
à mademoiselle Samson, — non ! — mais à
M. Samson, qui n'est pas une femme cependant ! Il n'a pas encore réussi ; mais, en
attendant qu'il réussisse, il le fera sûrement
entrer à l'Académie, et il placera le fauteuil
de M. Samson près du sien...
 
 
[page 121 M. DUFAURE]
 
 
<center>
== XXXIX. — M. DUFAURE ==
</center>
 
Les avoués le disent bon juriste, mais
ennuyeux, et vous pouvez vous demander ce
que doit être un ennui, senti par des avoués !
On dit qu'il a des velléités philosophiques
dans la tête... mais elles n'en sont jamais
sorties. En littérature, comme MM. Dupin et
Berryer, c'est un avocat. Il a été mêlé à de
la politique. Il était du centre gauche, de ce
pauvre petit parti, plus bas que la gauche,
qui faisait les appoints à la Chambre et qui
 
 
[page 122 M. DUFAURE]
 
 
tournait sur pivot au commandement de
M. Thiers, le vent de ces girouettes, soufflant
de Grandvaux ! Comme homme politique,
c'est encore un avocat, et comme avocat, c'est
un nez qui a de la logique, comme une tabatière suisse a de la musique. Mais ce n'est
ni comme homme politique, ni comme
littérateur, ni comme avocat, ni comme
nez logicien, qu'il est entré à l'Académie.
C'est comme ministre des d'Orléans, en
morceaux. On sait qu'on en fait le recollage à l'Académie. J'ai dit plus haut (médaillon GUIZOT) comment il y a été reçu, en
attelage avec M. de Carné.
 
 
[Page 123 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
<center>
== XL. — M. SAINTE-BEUVE ==
</center>
 
Certes, c'est un homme d'esprit, et même
c'est ce que j'en puis dire de mieux. Je
m'obstine à soutenir qu'il a eu un jour du
génie — du génie, malade, il est vrai — dans
''Joseph Delorme'', mais il n'a recommencé jamais. Depuis ce jour, unique dans sa vie, il
a eu beaucoup de talent, noyé dans un bavardage inondant, — car il a dans la plume ce
prurit albumineux que M. Thiers a sur la
 
 
[page 124 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
langue. C'est un romantique de la première
heure, resté romantique par-dessous, — on
ne guérit pas, heureusement, de ce bon mallà ! — C'est un causeur amusant, bien plus
amusant au coin de son feu ou de sa table,
portes fermées, qu'au coin du ''Constitutionnel'', où il commence de rabâcher. Enfin,
c'est, à ce qu'il semble, tout le contraire d'un
académicien, du moins d'un académicien de
nos jours, tel que la mort a fait ce vieux
môme ! Eh bien, cependant, M. Sainte-Beuve
est aussi académicien que pas un des Quarante, et il sied à l'Académie ! Contraste et
mélange singuliers ! La nature de M. Sainte-Beuve est très-complexe. Il était du ''Globe''.
Il était des réunions Hugo. Il a toujours aimé
les coteries, qu'il appelle des cénacles. Son
dernier cénacle est l'Académie ! Il vous en
dira du mal, mais il s'y plaît.' Professeur
échoué sous le vent des sifflets, mais profes-
 
 
[page 125 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
seur en diable, aimant le professorat, parce
que le temps qu'il professe on ne le contredit pas, et que cet homme d'esprit, à colères
de dindon, ne peut souffrir d'objection quelconque ; lettré, d'ailleurs,
comme un mandarin de première classe, M. Sainte-Beuve
aime cette Sainte-Périne de professeurs qu'on
appelle l'Académie, et il y va tous les jours
de séance, pour y pédantiser un peu... et
pour y chercher provision de commérages
et de petits scandales qu'il saura distiller plus
tard.
 
C'est donc un académicien par goût et par
nature que M. Sainte-Beuve ! On ne peut pas
dire de lui comme d'Alfred de Vigny, comme
de M. Mérimée, comme de M. de Lamartine,
qu'il est déplacé à l'Académie. Autrefois,
quand le pédantisme du professorat ne le
tenait pas à la gorge, il aurait eu la tête plus
 
 
[page 126 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
haute que le dossier de son fauteuil : maintenant il l'a plus bas.
 
C'est Balzac qui prit un jour M. Sainte-Beuve dans ses mains redoutables, et qui le fit
danser jusqu'au ciel, lequel, ce jour-là, ne fut
pas pour M. Sainte-Beuve un paradis... On
crut voir le géant Pantagruel jouer avec un
Polichinelle de quatre sous. Mais Balzac, tout
génie qu'il était, a été injuste. M. Sainte-Beuve a bien des défauts... et même plus ;
mais il n'est pas ennuyeux, comme le dit
Balzac. Il est vrai que l'ennui est une sensation relative... Ma sensation, à moi, c'est, au
contraire, qu'il est amusant. Malsain, oui...
comme bien des choses amusantes ! entortillé,
précieux, oui encore... mais amusant ! Ce n'est
pas d'agrément qu'il manque, mais de netteté,
de trempe et de solidité d'esprit. Ceci est
plus grave que de manquer d'agrément.
 
 
[Page 127 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
M. Sainte-Beuve est fin, mais on la dit de
M. de Rémusat ! Il est cauteleux, conséquence
de sa finesse, et il embrouille et embarbouille
son talent de réserves, de sous-entendus,
d'insinuations prudentes ou perfides, de précautions chattemites et traîtresses. II a inventé
les ''peut-être'', les ''il me semble'', les ''on pourrait dire'', les ''me serait-il permis de penser'', etc.,
locutions abominables, qui sont la petite
vérole de son style... Ah ! cela ne m'étonne
pas qu'athéisme à part (qu'il ne met jamais à
paM) il aime M. Renan ! M. Renan lui renvoie
son image. Il se reconnaît en le regardant, et
il se fait à lui-même des politesses, quand il
le loue ; M. Renan, comme M. Sainte-Beuve,
s'enveloppe de ''peut-être'' et ils sont tous deux
des Locustes au miel. Seulement M. Renan est
un Sainte-Beuve plus froid... froid comme
l'impénitence finale, comme le prêtre qui a
perdu la foi et dont le châtiment terrible est
 
 
[page 128 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
de ne jamais la retrouver, tandis qu'il n'est
pas dit du tout que le violent M. Sainte-Beuve, car il est violent malgré ses précautions et ses finesses, ne mourra pas repentant et confessé ! J'espère bien que nous le
confesserons !
 
Voilà pour la netteté de l'esprit de M. Sainte-Beuve. Mais pour sa solidité, c'est bien pis.
Le poëte et le romancier se sont assoupis de
bonne heure en lui, et le critique, qui s'était
éveillé simultanément avec le romancier et le
poëte, a pris les proportions de sa vie entière.
C'est par la critique que M. Sainte-Beuve a la
prétention de prendre rang dans l'histoire littéraire. Eh bien ! la critique de M. Sainte-Beuve, cette critique à coups d'épingle ou à
coups de bistouri plus ou moins adroitement
appliqués, n'est qu'un empirisme incertain.
Je ne parle pas de principes à M. Sainte-
 
 
[page 129 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
Beuve, je sais qu'il n'en a pas et qu'il se glorifie de n'en pas avoir. Il fait la théorie de son
indigence... Mais comme intuition, mais
comme divination de facultés et de talent,
quel cas, franchement, peut-on faire de la
solidité du jugement d'un critique qui nous a
donné sur sa tête M. Feydeau comme un
Jiomme de génie ! le romancier des temps
modernes ! le lord Byron français en prose !
qui avait (vous alliez voir !) cinquante chefs-d'œuvre étagés dans la tête ! ! !
Quel cas peut-on faire de la solidité d'un critique qui se
laisse prendre par positivisme aux vers de
M. Littré et qui le proclame poëte, à la mesure
de Lucrèce ? et enfin qui, dans ce moment,
souffle, comme on souffle une bouteille qui
vous crève dans les mains et vous coupe les
doigts, la gloire de M. Renan, cette gloire
ridicule dont M. Sainte-Beuve ne partagera
que l'épithète !
 
 
[Page 130 M.SAINE-BEUVE]
 
 
Tel M. Sainte-Beuve. Il a fait du joli et du
petit, et même il en a trop fait, mais du grand
et du fort, jamais ! Il n'a pas les qualités premières. Il n'a pas, comme critique, l'impassibilité, la conscience, la justice. Il est toujours entre un engouement et un ressentiment... Ce n'est qu'un système nerveux
doublé d'un amour-propre en littérature,
mais une âme, non ! Que lui importe, du
reste ! Il n'y croit pas, à l'âme ! Esprit sans
magnanimité, pointilleux, vulnérable, susceptible ; cherchez le critique dans ce buisson de
pointes et dans le sang de ses propres égratignures, et trouvez-le si vous pouvez ! À l'origine, il était doué pourtant, M. Sainte-Beuve,
mais il a renversé sur son imagination naturelle, qu'il avait poétique, toute une chiffonnière de littérature, laquelle a tout couvert,
tout englouti et tout éteint ! L'esprit professeur
et académique l'a envahi. Il n'a plus été alors
 
 
[page 131 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
qu'un professeur, un anecdotier, un discoureur littéraire en son privé nom, puisqu'il
ne croit pas à un Absolu, — à une Vérité !
Je l'ai gardé pour le dernier de ces médaillons, comme un salutaire exemple. Il est bon
que la jeunesse prenne le dégoût des Académies et de leur esprit, envoyant comme elles
ratatinent le talent — des hommes de talent !
 
 
<center>TABLE</center>
 
I. M. le duc de Broglie 1
 
II. M. le prince de Broglie 4
 
III. M. le comte de Carné 5
 
IV. M. Cousin 7
 
V. Monseigneur Dupanloup 10
 
VI. M. Saint-Marc Girardin. 13
 
VII. M. de Montalembert 10
 
VIII. M. de Rémusat 20
 
IX. M. Sylvestre de Sacy 25
 
X. M. Dupin 25
 
 
 
 
[page 134 TABLE]
XI. M. Alfred de Vigny 27
 
XII. M. Octave Feuillet 50
 
XIII. M. Vilet 34
 
XIV. M. Mignet 37
 
XV. M. Thiers 40
 
XVI. M. de Barante 47
 
XVII. M. Ampère 49
 
XVIII. M. le duc de Noailles 51
 
XIX. M. de Pongerville 53
 
XX. M. de Falloux 55
 
XXI. M. Viennet 56
 
XXII. M. Victor Hugo 58
 
XXIII. M. Ponsard 61
 
XXIV. M. Victor Laprade 64
 
XXV. M. Villemain 66
 
XXVI. M. Prosper Mérimée 76
 
XXVII. M. Empis 79
 
XXVIII. BI. Jules Sandeau 81
 
XXIX. M. Berryer 85
 
XXX. M. Emile Augier 89
 
XXXI. M. Lebrun 92
 
XXXII. M. Désiré Nisard 94
 
XXXIII. M. Flourens 98
 
XXXIV. M. de Lamartine 101
 
XXXV. M. Guizot 104
 
 
[page 135 TABLE]
 
XXXVI. M. Le comte de Ségur 114
 
XXXVII. M. Patin 116
 
XXXVIII. M. Ernest Legouvé 118
 
XXXIX. M. Dufaure 121
 
XL. M. Sainte-Beuve 123
 
 
<center>
PARlS. — IMP. SIMON RACON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 1.
</center>
 
<references />