« Les Quarante Médaillons de l’Académie » : différence entre les versions

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qui l'Empereur pourrait compter, au milieu
des académiciens, M. Nisard serait, dans
 
 
 
[page 98 M. FLOURENS]
 
 
 
 
sa plus pure notion, un véritable académicien,
si l'AcadcmicAcadémie était restée ce qu'elle devait
être...
 
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<center>
XXXIII
 
 
 
M. FLOURENS
</center>
 
 
C'est de la science en papillotes. Délicieux
pour les petites filles du Sacré-Cœur. Qui
sait ? Les petits garçons, qui deviennent si
forts, le trouveraient peut-être un peu faible.
M. Flourens est le Petit-Poucet, non mangé,
mais pondu par Buffon. Quelqu'un, que je ne
nommerai pas, l'appela un jour ''Buffonnet'',
 
 
 
[page 99 M. FLOURENS]
 
 
 
pour lui être agréable, mais je ne crois pas
qu'il ait senti le compliment. C'est le plus
naturaliste des littérateurs, et c'est le plus littérateur des naturalistes. Aussi est-il des deux
Instituts, corbleu! Très-agréable anecdotier
scientifique, qui, comme ce diogénique M. Babinet, bien plus amusant dans le capharnaüm
de son appartement que dans ses livres, met
la science à la portée de ceux qui ne savent
absolument rien. Ils sont, l'un et l'autre, de
vocation, professeurs de tous les MM. Jourdain
de la terre, lesquels crient en les écoulant :
Vive la science ! du fond de leur ânerie. Engageant, insinuant, émérillonné, M. Flourens,
qui a l'esprit léger, ne craint pas de faire
''Turlututu'' à la Science majestueuse, comme
s'il revenait de Saint-Cloud, et de compromettre sa gravité par des thèses paradoxales,
qui s'élèvent, sans trembler, jusqu'au ridicule. (Voir sa {{sc|LONGÉVITÉ}}.) M. Flourens est le
 
 
 
[page 100 M. FLOURENS]
 
 
 
plus joli gazon de l'Académie. Je parle des
gazons ! La plus jolie perruque sur une tête
fine. Ce n'est pas cette perruque-là, trouvée
au coin d'une borne, que Frédérick-Lemaître,
le créateur, brimballe au bout de son crochet
(dans ''le Chiffonnier'') et précipite dans sa
hotte, en disant avec l'emphase d'un comique
gigantesque :
 
 
 
<center>ACADÉMIE FRANÇOISE!</center>
 
 
 
Déplacé donc par l'esprit, la vie, les manières aimables et la perruque, à l'Académie,
c'est le comble de la séduction et du mystère
qu'il y soit entré. Comment s'y est-il pris ?
 
Il devrait bien le dire à M. Jules Janin !
 
 
 
[Page 101 M. DE LAMARTINE]
 
 
<center>
XXXIV
 
 
 
M. DE LAMARTINE
</center>
 
 
Le génie heureux, abondant, qui n'a rien
fait pour être sublime et qui l'est, mais qui
a beaucoup fait pour ravaler, hélas ! le plus
chaste et le plus idéal génie aux choses mesquines de son temps et à ses partis les plus
coupables ! Romantique sans qu'il le sache,
comme il a du génie sans que cela lui coûte
une minute de peine, M. de Lamartine n'était
pas, comme M. Victor Hugo, un chef de parti,
 
 
 
 
[page 102 M. DE LAMARTINE]
 
ayant oriflamme ; tenu par conséquent sur son
honneur littéraire de ne jamais entrer à l'Académie, quand même elle se serait mise à genoux
devant lui, ce qu'elle n'a pas fait. Mais comme
Alfred de Vigny, le poète d'albâtre, comme
M. Prosper Mérimée, trop académicien aussi
par le silence, il n'y est pas à sa place et il y fait
une énorme tache de lumière. Qu'y a-t-il de
commun, en effet, entre l'auteur des ''Méditations'' qui n'est pas, — je le sais bien, — un
aussi grand poëte dans ses ''Méditations'' qu'on
l'a dit, quoiqu'il en soit un bien grand déjà ;
mais surtout entre l'incomparable poëte des
''Harmonies'' et de la ''Mort de Socrate'', — deux
choses immortelles et belles comme tout ce
qu'il y a au monde de plus beau, — et les
professeurs encuistrés et les gens à bon sens
aplati, et les rimailleurs de l'Académie! Le
flot d'azur de son destin, si longtemps heureux, l'a poussé un jour, plus qu'il n'y est
 
 
 
[page 103 M. DE LAMARTINE]
 
 
allé de lui-même, dans ce hâvre de vieux
hérons moroses qui n'était pas fait pour un
oiseau du Paradis comme lui, et il s'aperçoit
maintenant à quelle espèce il s'est appareillé.
Je n'ai point à juger ici M. de Lamartine
comme homme et comme écrivain politique.
Sur ce terrain-là, ce n'est plus le ''divin'' Lamartine. Il s'y brise et brise le cœur de ceux
qui savent l'aimer. Je dirais des choses trop
sévères pour lui, trop tristes pour moi, et
inutiles ici, car il ne s'agit que des acadé-
miciens en ces Médaillons, et c'est le poëte
qui fit entrer M. de Lamartine à l'Académie...
Depuis qu'il y est, du reste, l'homme politique vaincu n'y a pas, du moins, comme les
autres Déchus politiques qui y fourmillent,
clabaudé misérablement contre le pouvoir qui
nous a sauvés de leurs fautes et de leurs sottises... Il ne va pas même à leurs séances, et
il en sourit... Le mépris ne tombe bien que
 
 
 
[page 104 M. GUIZOT]
 
 
 
d'une cime. C'est même la hauteur d'où il
tombe qui en fait vraiment le mépris !
 
 
<center>
XXXV
 
 
 
M. GUIZOT
</center>
 
 
Comme M. Thiers, M. Guizot est un échantillon des grands hommes que, sous Louis-Philippe, on nous fagotait ! La Postérité les
déshabillera de leur grandeur, et ce terrible
valet de chambre aura la main dure, je les
en avertis ! M. Guizot, à l'Académie, représente et incarne la fusion, inventée par lui,
le dernier concubinage de ce grand Concubi-
 
 
 
 
[page 105 M. GUIZOT]
 
 
 
naire politique qui a toujours aimé à coucher
avec tous les partis ! Mystification amère et
méritée à une époque niaise, qui se prend à
la glu de quelques paroles, sévères et sentencieuses ! L'Opinion, — la grosse Opinion,
— cette madame Brid'oie, — accepte présentement comme le plus honnête homme politi-
que qui ait jamais existé M. Guizot, M. Guizot,
qui a fait la coalition de 1839, c'est-à-dire
qui a vautré sa main dans celle de tous les
partis, Droite, Gauche, Centre gauche. Extrême Gauche, pour faire tomber M. Molé,
l'homme du gouvernement, dont, depuis,
M. Guizot a été encore plus l'homme ! Aujourd'hui incorrigible et d'ailleurs désespéré
d'une chute dont il ne devrait avoir que
honte, il refait contre l'Empire cette coalition
des partis sous le nouveau nom de fusion et
il n'y ''fond'' pas son honneur. Comment donc ?
Au contraire ! II y a des entêtés qui ferment
 
 
 
[page 106 M. GUIZOT]
 
 
 
les yeux et qui répètent leur mot « d'honnête
homme politique, » en s'extasiant sur cette
grande moralité, verbale et verbeuse, qu'a
flétrie un jour M. Royer-Collard, un voisin
de ''Canapé'' cependant ! « Vous l'avez appelé
un austère intrigant, — lui reprochait-on. — Non, dit Royer-Collard, je n'ai pas
dit austère. » Corrupteur puritain, qui
demandait aux électeurs de Lisieux : « Vous
sentez-vous corrompus ? » comme si les gangrenés sentaient leur gangrène ! M. Guizot est un Walpole sans habileté, qui ne
sait pas tirer parti de la corruption ; mais
son immoralité n'est pas dangereuse, comme
toute immoralité qui se respecte devrait l'être.
À l'Académie, comme au pouvoir, il est bien
plus pour la décoration que pour autre chose,
car, ne vous y trompez pas, cet homme sans
couleur dans le talent est très-extérieur. Il a
bien plus les attitudes du pouvoir que les
 
 
[page 107 M. GUIZOT]
 
 
 
aptitudes. Il n'aurait jamais voulu être le
P. Joseph du Tremblay, l'Éminence grise, le
conseil occulte de Richelieu, d'abord parce
que sur rien ce sceptique peint en dogmatique n'a de conseil ''décisif'' à donner, mais
surtout parce qu'il aurait été l'Éminence
grise, tandis qu'il eût haleté de désir d'être
« la rouge, » quand même, au lieu d'avoir
du génie, elle aurait été une grande sotte. Le
tout, pour lui, est d'être le titulaire du pouvoir. Or, ce qu'il a été aux affaires qu'il ne
faisait pas et où il ne fut jamais que le domestique de Louis- Philippe et son porte-voix
parlementaire, il l'est encore à l'Académie.
M. Cousin a des indiscrétions de haine qui
cherchent des échos. M. Villemain, retors
comme toute sa personne, se reploie comme
un tire-bouchon pour mieux percer ; l'un est
l'intrigant en plein vent, l'autre l'intrigant
sous le vent, mais leurs passions contre l'Em-
 
 
 
[page 108 M. GUIZOT]
 
 
 
pire sont intéressées, envenimées, toujours à
l'affût. M. Guizot, lui, n'intrigue et n'a de
passion que pour son importance, et son
importance n'est qu'une étiquette. C'est l'Orléanisme même à l'Académie.
 
La Maison d'Orléans lui a passé procuration... Toujours porte-voix, il y sonne le
rappel de la fusion avec sa parole, creuse
comme un tambour. C'est lui, mais assisté
de MM. Villemain et Cousin, qui a fait passer
MM. de Carné et Dufaure aux élections dernières. Quoique le règlement académique,
violé à chaque élection, interdise formellement à chaque académicien, ''sous peine de de pas voter'', toute promesse à un candidat
quelconque, le ''Comité directeur'' de l'Académie s'était engagé à porter l'abbé Gratry
pour remplacer le P. Lacordaire, quand
tout à coup il fut illuminé de l'idée que
 
 
 
[page 109 M. GUIZOT]
 
 
 
M. Dufaure, le ministre tombé, — on les
ramasse pieusement, tous ces pauvres cassés !
— et M. de Carné, de la ''Revue des Deux Mondes'', seraient plus dans l'esprit et les
passions de l'Académie que ce prêtre tranquille, qui aurait parlé du moins de Lacordaire avec compétence, dans son discours de
réception. Alors, on reprit tout doucettement
à l'abbé Gratry la parole. qu'on lui avait
donnée, l'assurant, avec de grandes tendresses, que la prochaine élection serait pour
lui. L'académicien édifié qui m'a raconté
cette histoire prédisait que l'abbé Gratry,
qui s'était laissé, avec tant d'innocence, ''tire-bouchonner'' par M. Villemain une promesse
qu'il croyait si bien tenir, devait renoncer
à l'Académie tout le temps qu'il y aurait des
Orléanistes à placer, et il y en aura toujours !
 
En littérature, M. Guizot a été aussi surfait
 
 
 
 
[page 110 M. GUIZOT]
 
 
 
qu'en politique. Il est de l'époque où tout
professeur à petite allusion contre le gouvernement des Bourbons de la branche ainée
était immédiatement porté à dos d'âne sur
le pavois de la popularité. Son ''Histoire de la civilisation'', — titre ambitieux de cet ambi-
tieux vide, qui n'a vu jamais partout que des
titres, — son ''Histoire de la civilisation'' a
commencé sa renommée, mais elle l'achèvera... Il y a certainement là dedans du ren-
seignement historique ; l'homme s'y vide de
ses lectures ; mais des vues nettes, réelles,
profondes, on les cherche sous cette gravité
qui ne cache rien. On n'y parle que ''doctrinaire''. Les ''éléments'' y reviennent sans cesse.
Phraséologie vague qui embrouille, au lieu
d'éclairer ! On y confond et on y additionne
comme étant d'ordre identique les choses
d'un ordre différent ; par exemple, l'''élément''
gaulois, l'''élément'' germanique, l'''élément'' ro-
 
 
 
 
[page 111 M. GUIZOT]
 
 
 
main et le christianisme. C'est comme qui
additionnerait trois bonnets de coton et un
canif pour faire quatre bonnets de coton !
Le christianisme et même l'Église, ces faits
immenses, ont imposé à M. Guizot un respect
dont il faut lui savoir gré, quoiqu'il y ait
dans ce respect plus d'immobilité d'esprit
fasciné par des faits terrassants que de compréhension et de lumière ; mais, dès que
le protestantisme apparaît dans l'histoire,
M. Guizot se trouble, et le sectaire aveugle
l'historien... Le style qui fait les livres et
qui les fait vivre manque totalement à
M. Guizot. Cette affirmation va paraître presque aussi scandaleuse que le nom de cour-
tisane politique donné à cette haute prude
de propos, qui n'a cessé de ''faire sa tête''
et de prendre de grands airs de vertu
dans l'exercice de son vice ; mais la Postérité,
qui n'aura pas nos lâches complaisances
 
 
 
[page 112 M. GUIZOT]
 
 
 
ou nos relations esclaves jugera ferme...
 
Pas plus Français de langage que de politique, M. Guizot, quand il ne parle pas ''doctrinaire'', parle ''calvinist''e. Ce qu'on appelait
le style ''réfugié'' autrefois valait mieux que le
sien ; lui, c'est un style à ''fuir''. Monotone,
anguleux, froid, n'ayant de couleur que celle
de la bile, d'un sérieux de mort, d'un emphatique de catafalque, souverainement ennuyeux, — ce qui, je le sais bien, est une
force dans la France moderne ! — le style de
M. Guizot n'a pas même la plus vulgaire correction. Si un grammairien dévoué voulait se
livrer à la rude besogne de souligner les fautes grammaticales dans les écrits du célèbre
professeur, on serait étonné, même ailleurs
qu'à l'École normale, et tous les professeurs
de France se cacheraient la tête dans leur
robe. On serait un moment sans les voir, et
 
 
 
[page 113 M. GUIZOT]
 
 
 
ce serait toujours cela !... Un jour, on fera
peut-être ce travail utile. Le protestantisme
de M. Guizot redouble nécessairement son
orléanisme, car l'orléanisme est essentiellement protestant. Les fils de M. le duc d'Aumale sont en ce moment élevés en Suisse
dans une pension protestante. Comme ''tout se voit'' partout maintenant, la vieille monarchie
catholique d'Espagne a pendu au cou du protestant M. Guizot une de ses Toisons d'or,
après les mariages espagnols :
 
::Que pensent-ils de nous, les hommes qui sont morts ?
 
Que durent penser dans leurs cercueils
Philippe II et le grand duc d'Albe ?... C'est
à en ressusciter de colère, pour en remourir
de fureur !
 
 
 
[Page 114 M. LE COMTE DE SÉGUR]
 
 
<center>
XXXVI
 
 
 
M. LE COMTE DE SÉGUR
</center>
 
 
Un Ségur qui a porté son nom charmant
avec plus que la grâce, héréditaire dans sa
race. La grâce, il l'avait de naissance. Il
avait l'élégance de talent qu'exprime bien
le nom de Ségur, et il le prouva en écrivant, d'une plume svelte et nette, d'abord
une ''Histoire de Pierre Ier et surtout l’''Histoire de Charles VIII'', qui est un petit bijou
historique ; mais la force, et même la gradeur, lui poussèrent ! Il les eut tout à
 
 
 
[page 115 M. LE COMTE DE SÉGUR]
 
 
dans son ''Histoire de la campagne de Russie''.
Le sujet était épique. M. de Ségur fut souvent
aussi épique que le sujet. On l'a comparé au
Xénophon de la Retraite des Dix-Mille ; mais
lui, c'est un Xénophon pathétique. Il faut
saluer ce fauteuil-là à l'Académie, et d'autant
plus, qu'il nous fait mieux voir comment
les autres sont remplis. Tenez, par exemple,
voyez celui-ci :
 
 
 
[page 116 M. PATIN]
 
 
<center>
XXXVII
 
 
 
M. PATIN
</center>
 
 
On lit ses œuvres par le dos, mais on ne
les ouvre pas. Les voici donc... par le dos.
Des ''Mélanges de littérature'' ; — des ''Études sur les tragiques grecs'' ; — une collaboration
à la ''Revue encyclopédique'' et à la ''Revue des Deux Mondes'', qui est allée... où vont les
vieilles lunes. Comme fleurs de jeunesse couronnant ce front timide, on trouve encore
l’''Éloge de le Sage'' et l’''Éloge de de Thou''. Tout
cela ne l'aurait peut-être pas mis à l'Acadé-
 
 
 
[page 117 M. PATIN]
 
 
 
mie ; mais M. Patin a été le suppléant de
M. Villemain, hein ! Hein ! Le suppléant !
que dis-je ? Il en a été l'imitateur attentif,
scrupuleux, idolâtre, mais qui reste à son
rang derrière la chaise de Monsieur, — qui
crache comme Monsieur, — qui se mouche
comme Monsieur. Il s'est Villemainisé le
plus qu'il a pu ; tout en restant Patin : n'oubliez pas celte nuance heureuse ! C'est un
''homunculus'' de Villemain ; un ''Villemanusculus'' diraient les latinistes. Un tabouret lui
suffisait auprès de M. Villemain.
 
::Un fauteuil près mon oncle !! un tabouret sufût !
 
Mais, comme il n'y a pas de tabouret à l'Académie, on l'a fourré dans un fauteuil. Ce
Patin ''patine'' peu sur la langue française, et
il n'y fait point d'arabesque.
 
 
 
[Page 118 M. ERNEST LEGOUVÉ]
 
 
<center>
XXXVIII
 
 
 
M. ERNEST LEGOUVÉ
</center>
 
 
::Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère!
 
disait son père. Le fils a obéi. Il y est tombé.
Il a écrit l'''Histoire morale des femmes'', se
privant du sujet contraire, qui eût été plus
gai, mais qui n'aurait pas eu le même succès... régulier. Les femmes l'ont relevé, l'ont
trouvé charmant. Il a fait un Cours pour
elles et sur elles, où elles sont venues s'atten-
 
 
 
[page 119 M. ERNEST LEGOUVÉ]
 
drir et applaudir. Enfin, c'est leur homme
 
::Et qui jure pour elles, quand ''elles ont'' besoin
::Qu'on jure»
 
M. Ernest Legouvé est un abondant... trop
abondant ! Il a produit des romans, ''Max'', '''les Vieillards'', ''Édith de Faken'' ; des pièces de
théâtre : ''Louise de Lignerolles'', ''Bataille de
dames'' des poëmes, des traductions. On n'en
finirait pas de nommer tout !
 
 
 
::Je fais des médaillons et non des catalogues !
 
 
 
Toujours dévoué « au sexe auquel il doit
sa mère, » toujours le serviteur passionné,
mais moral de la femme isolée, autant que
de la femme en masse, il fit ''Adrienne Lecouvreur'' pour mademoiselle Rachel, qui lui fit
son succès. Il écrivit encore pour elle une
''Médée'' ; mais, comme mademoiselle Rachel
ne la joua pas, la pièce est restée dans son
 
 
 
[page 120 ERNEST LEGOUVÉ]
 
néant... natif. Il écrivit aussi je ne sais quoi
pour madame Ristori. M. Legouvé est un des
plus brillants écrivains du ''Siècle'', ce fier et
magnifique journal ! Il y tartine sur l'Italie,
qu'il compare à une femme... bien entendu !
Il s'est tourmenté beaucoup, en ces derniers
temps, pour faire donner la croix d'honneur
à mademoiselle Samson, — non ! — mais à
M. Samson, qui n'est pas une femme cependant ! Il n'a pas encore réussi ; mais, en
attendant qu'il réussisse, il le fera sûrement
entrer à l'Académie, et il placera le fauteuil
de M. Samson près du sien...
 
 
 
[page 121 M. DUFAURE]
 
 
<center>
XXXIX
 
 
 
M. DUFAURE
</center>
 
 
Les avoués le disent bon juriste, mais
ennuyeux, et vous pouvez vous demander ce
que doit être un ennui, senti par des avoués !
On dit qu'il a des velléités philosophiques
dans la tête... mais elles n'en sont jamais
sorties. En littérature, comme MM. Dupin et
Berryer, c'est un avocat. Il a été mêlé à de
la politique. Il était du centre gauche, de ce
pauvre petit parti, plus bas que la gauche,
qui faisait les appoints à la Chambre et qui
 
 
 
 
[page 122 M. DUFAURE]
 
 
 
tournait sur pivot au commandement de
M. Thiers, le vent de ces girouettes, soufflant
de Grandvaux ! Comme homme politique ,
c'est encore un avocat, et comme avocat, c'est
un nez qui a de la logique, comme une tabatière suisse a de la musique. Mais ce n'est
ni comme homme politique, ni comme
littérateur , ni comme avocat , ni comme
nez logicien, qu'il est entré à l'Académie.
C'est comme ministre des d'Orléans, en
morceaux. On sait qu'on en fait le recollage à l'Académie. J'ai dit plus haut (médaillon GUIZOT) comment il y a été reçu, en
attelage avec M. de Carné.
 
 
 
[Page 123 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
<center>
XL
 
 
M. SAINTE-BEUVE
</center>
 
 
Certes, c'est un homme d'esprit, et même
c'est ce que j'en puis dire de mieux. Je
m'obstine à soutenir qu'il a eu un jour du
génie — du génie, malade, il est vrai — dans
''Joseph Delorme'', mais il n'a recommencé jamais. Depuis ce jour, unique dans sa vie, il
a eu beaucoup de talent, noyé dans un bavardage inondant, — car il a dans la plume ce
prurit albumineux que M. Thiers a sur la
 
 
 
[page 124 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
langue. C'est un romantique de la première
heure, resté romantique par-dessous, — on
ne guérit pas, heureusement, de ce bon mallà ! — C'est un causeur amusant, bien plus
amusant au coin de son feu ou de sa table,
portes fermées, qu'au coin du ''Constitutionnel'', où il commence de rabâcher. Enfin,
c'est, à ce qu'il semble, tout le contraire d'un
académicien, du moins d'un académicien de
nos jours, tel que la mort a fait ce vieux
môme ! Eh bien, cependant, M. Sainte-Beuve
est aussi académicien que pas un des Quarante, et il sied à l'Académie ! Contraste et
mélange singuliers ! La nature de M. Sainte-Beuve est très-complexe. Il était du ''Globe''.
Il était des réunions Hugo. Il a toujours aimé
les coteries, qu'il appelle des cénacles. Son
dernier cénacle est l'Académie ! Il vous en
dira du mal, mais il s'y plaît.' Professeur
échoué sous le vent des sifflets, mais profes-
 
 
 
[page 125 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
seur en diable, aimant le professorat, parce
que le temps qu'il professe on ne le contredit pas, et que cet homme d'esprit, à colères
de dindon, ne peut souffrir d'objection quelconque ; lettré, d'ailleurs, comme un man-
darin de première classe, M. Sainte-Beuve
aime cette Sainte-Périne de professeurs qu'on
appelle l'Académie, et il y va tous les jours
de séance, pour y pédantiser un peu... et
pour y chercher provision de commérages
et de petits scandales qu'il saura distiller plus
tard.
 
C'est donc un académicien par goût et par
nature que M. Sainte-Beuve ! On ne peut pas
dire de lui comme d'Alfred de Vigny, comme
de M. Mérimée, comme de M. de Lamartine,
qu'il est déplacé à l'Académie. Autrefois,
quand le pédantisme du professorat ne le
tenait pas à la gorge, il aurait eu la tête plus
 
 
 
[page 126 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
 
haute que le dossier de son fauteuil : maintenant il l'a plus bas.
 
C'est Balzac qui prit un jour M. Sainte-Beuve dans ses mains redoutables, et qui le fit
danser jusqu'au ciel, lequel, ce jour-là , ne fut
pas pour M. Sainte-Beuve un paradis... On
crut voir le géant Pantagruel jouer avec un
Polichinelle de quatre sous. Mais Balzac, tout
génie qu'il était, a été injuste. M. Sainte-Beuve a bien des défauts... et même plus ;
mais il n'est pas ennuyeux, comme le dit
Balzac. Il est vrai que l'ennui est une sensation relative... Ma sensation, à moi, c'est, au
contraire, qu'il est amusant. Malsain, oui...
comme bien des choses amusantes ! entortillé,
précieux, oui encore... mais amusant ! Ce n'est
pas d'agrément qu'il manque, mais de netteté,
de trempe et de solidité d'esprit. Ceci est
plus grave que de manquer d'agrément.
 
 
 
[Page 127 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
 
M. Sainte-Beuve est fin, mais on la dit de
M. de Rémusat ! Il est cauteleux, conséquence
de sa finesse, et il embrouille et embarbouille
son talent de réserves, de sous - entendus,
d'insinuations prudentes ou perfides, de précautions chattemites et traîtresses. II a inventé
les ''peut-être'', les ''il me semble'', les ''on pourrait dire'', les ''me serait-il permis de penser'', etc.,
locutions abominables , qui sont la petite
vérole de son style... Ah ! cela ne m'étonne
pas qu'athéisme à part (qu'il ne met jamais à
paM) il aime M. Renan ! M. Renan lui renvoie
son image. Il se reconnaît en le regardant, et
il se fait à lui-même des politesses, quand il
le loue ; M. Renan, comme M. Sainte-Beuve,
s'enveloppe de ''peut-être'' et ils sont tous deux
des Locustes au miel. Seulement M. Renan est
un Sainte-Beuve plus froid... froid comme
l'impénitence finale, comme le prêtre qui a
perdu la foi et dont le châtiment terrible est
 
 
 
[page 128 M. SAINTE-BEUVE]
 
de ne jamais la retrouver, tandis qu'il n'est
pas dit du tout que le violent M. Sainte-Beuve, car il est violent malgré ses précautions et ses finesses, ne mourra pas repentant et confessé ! J'espère bien que nous le
confesserons !
 
Voilà pour la netteté de l'esprit de M. Sainte-Beuve. Mais pour sa solidité, c'est bien pis.
Le poëte et le romancier se sont assoupis de
bonne heure en lui, et le critique, qui s'était
éveillé simultanément avec le romancier et le
poëte, a pris les proportions de sa vie entière.
C'est par la critique que M. Sainte-Beuve a la
prétention de prendre rang dans l'histoire littéraire. Eh bien ! la critique de M. Sainte-Beuve, cette critique à coups d'épingle ou à
coups de bistouri plus ou moins adroitement
appliqués, n'est qu'un empirisme incertain.
Je ne parle pas de principes à M. Sainte-
 
 
 
[page 129 M. SAINTE-BEUVE]
 
 
Beuve, je sais qu'il n'en a pas et qu'il se glorifie de n'en pas avoir. Il fait la théorie de son
indigence... Mais comme intuition , mais
comme divination de facultés et de talent,
quel cas, franchement, peut-on faire de la
solidité du jugement d'un critique qui nous a
donné sur sa tête M. Feydeau comme un
Jiomme de génie ! le romancier des temps
modernes ! le lord Byron français en prose !
qui avait (vous alliez voir !) cinquante chefs-d'œuvre étagés dans la tête ! ! ! Quel cas peut-
on faire de la solidité d'un critique qui se
laisse prendre par positivisme aux vers de
M. Littré et qui le proclame poëte, à la mesure
de Lucrèce ? et enfin qui, dans ce moment,
souffle, comme on souffle une bouteille qui
vous crève dans les mains et vous coupe les
doigts, la gloire de M. Renan, cette gloire
ridicule dont M. Sainte-Beuve ne partagera
que l'épithète !
 
 
 
[Page 130 M.SAINE-BEUVE]
 
Tel M. Sainte-Beuve. Il a fait du joli et du
petit, et même il en a trop fait, mais du grand
et du fort, jamais ! Il n'a pas les qualités premières. Il n'a pas, comme critique, l'impassibilité, la conscience, la justice. Il est toujours entre un engouement et un ressentiment... Ce n'est qu'un système nerveux
doublé d'un amour-propre en littérature,
mais une âme, non ! Que lui importe, du
reste ! Il n'y croit pas, à l'âme ! Esprit sans
magnanimité, pointilleux, vulnérable, susceptible ; cherchez le critique dans ce buisson de
pointes et dans le sang de ses propres égratignures, et trouvez-le si vous pouvez ! À l'ori-
gine, il était doué pourtant, M. Sainte-Beuve,
mais il a renversé sur son imagination natu-
relle, qu'il avait poétique, toute une chiffon-
nière de littérature, laquelle a tout couvert,
tout englouti et tout éteint ! L'esprit professeur
et académique l'a envahi. Il n'a plus été alors
 
 
 
[page 131 M. SAINTE-BEUVE]
 
qu'un professeur, un anecdotier, un discou-
reur littéraire en son privé nom, puisqu'il
ne croit pas à un Absolu, — à une Vérité !
Je l'ai gardé pour le dernier de ces médaillons, comme un salutaire exemple. Il est bon
que la jeunesse prenne le dégoût des Académies et de leur esprit, envoyant comme elles
ratatinent le talent — des hommes de talent !
 
 
 
TABLE
 
 
 
I. M. le duc de Broglie 1
 
II. M. le prince de Broglie 4
 
III. M. le comte de Carné 5
 
IV. M. Cousin 7
 
V. Monseigneur Dupanloup 10
 
VI. M. Saint-Marc Girardin . i3
 
VII. M. de Montalembert 10
 
VIII. M. de Rémusat 20
 
IX. M. Sylvestre de Sacy 25
 
X. M. Dupin 25
 
 
 
 
[page 134 TABLE]
 
XI. M. Alfred de Vigny 27
 
XII. M. Octave FeuiUet 50
 
XIII. M. Vilet 34
 
XIV. M. Mignet 37
 
XV. M. Thiers 40
 
XVI. M. de Barante 47
 
XVII. M. Ampère 49
 
XVIII. M. le duc de Noailles 51
 
XIX. M. de Pongerville 53
 
XX. M. de Falloux 55
 
XXI. M. Viennet 56
 
XXII. M. Victor Hugo 58
 
XXIII. M. Ponsard 61
 
XXIV. M. Victor Laprade 64
 
XXV. M. Villemain 66
 
XXVI. M. Prosper Mérimée 76
 
XXVII. M. Empis 79
 
XXVIII. BI. Jules Sandeau 81
 
XXIX. M. Berryer 85
 
XXX. M. Emile Augier 89
 
XXXI. M. Lebrun 92
 
XXXII. M. Désiré Nisard 94
 
XXXIII. M. Flourens 98
 
XXXIV. M. de Lamartine 101
 
XXXV. M. Guizot 104
 
 
 
 
 
 
[page 135 TABLE]
 
 
XXXVI. M. Le comte de Ségur 114
 
XXXVII. M. Patin 116
 
XXXVIII. M. Ernest Legouvé 118
 
XXXIX. M. Dufaure 121
 
XL. M. Sainte-Beuve 123
 
 
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PARlS. - IMP. SIMON RACON ET COMP., RUE D'ERFURTH, 1.
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<references />