« Diloy le chemineau » : différence entre les versions

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Félicie et Gertrude se retirèrent ; Gertrude avait compris que les Diloy préféraient rester seuls au milieu de cette émotion si vive ; elles appelèrent les enfants et eurent de la peine à leur faire quitter les quatre petits Diloy.
 
 
===XXVII - Enthousiasme du général===
 
Quand ils furent sortis du potager, les petits coururent prévenir Mme d’Orvillet et M. d’Alban de l’arrivée des Diloy. Gertrude et Félicie restèrent encore quelque temps dehors.
 
FÉLICIE<BR>
Gertrude, pourquoi as-tu dit aux Diloy que je leur faisais cadeau avec toi de ce crucifix et de cette statuette de la Sainte Vierge ; je ne savais seulement pas que tu les avais achetés et que tu voulais les leur donner.
 
GERTRUDE<BR>
Je l’ai dit pour les attacher plus encore à toi. Je suis sûre que Diloy t’aime beaucoup, et que ce souvenir de toi lui fait grand plaisir. Notre-Seigneur crucifié est l’emblème du pardon ; donné par toi, ce crucifix lui rappelle que tu lui as pardonné son acte de brutalité envers toi.
 
FÉLICIE, ''touchée''<BR>
Gertrude, comme tu es bonne ! réellement bonne ! Comme c’est bon à toi de vouloir me faire aimer plus que toi par ce pauvre Diloy ! Ce qui me surprend, c’est que je suis bien aise qu’il m’aime, et que je ne le regarde plus comme un paysan.
 
GERTRUDE<BR>
C’est parce qu’il t’a fait du bien et que tu en es reconnaissante malgré toi… Ma chère Félicie, si tu le voulais, tout le monde t’aimerait. Cela te serait si facile !
 
FÉLICIE<BR>
Tu trouves que c’est facile parce que tu es toujours avec des paysans, que tu es habituée à leur saleté, à leur grossièreté, à leur langage commun. Mais moi, qui vais chez tous ces gens-là le moins possible, je ne peux pas leur témoigner de l’amitié ou même de l’intérêt comme toi. L’idée ne me vient pas de les traiter amicalement comme tu le fais. Je sais bien que tu fais semblant, mais…
 
GERTRUDE, ''très vivement''<BR>
Semblant ! Tu crois que je fais semblant ? Pas du tout, c’est que je les aime très réellement ; je m’afflige de leurs chagrins ; je m’inquiète de leurs maladies, de leurs souffrances ; je suis heureuse de leurs joies ; je voudrais les voir tous heureux. Je les vois avec plaisir ; je m’intéresse à leurs affaires. Je compte sur leur affection ; je les considère comme des amis, et, sauf la fortune, comme nos égaux en tous points.
 
FÉLICIE, ''étonnée''<BR>
C’est impossible ce que tu dis là. Tes égaux, des paysans ignorants ! des gens qui ne savent rien, qui travaillent à la terre !
 
GERTRUDE, ''avec animation''<BR>
S’ils travaillent, c’est pour gagner leur vie, pour faire vivre leurs familles, pour élever leurs enfants. S’ils sont ignorants, c’est qu’ils n’ont eu ni le temps ni les moyens de savoir. Ils en ont d’autant plus de mérite à être bons, à remplir leurs devoirs ; bien plus de mérite que nous, qui tenons du bon Dieu de quoi vivre, et les moyens de nous instruire de nos devoirs.
 
FÉLICIE<BR>
Mais tu es folle, Gertrude ! Où as-tu trouvé ces idées bizarres ?
 
GERTRUDE<BR>
Je les ai trouvées dans l’Évangile, dans les paroles et les exemples de Notre-Seigneur et des apôtres, dans les ''Vies des saints'', dans le catéchisme. C’est là que j’ai appris à voir des frères dans tous les hommes et à aimer en eux, non pas leurs richesses et leurs gloires, mais leurs vertus. »
 
Gertrude était très émue ; son visage s’était embelli par les sentiments qui l’animaient. Qui l’eût vue ainsi l’eût trouvée charmante, belle même, quoiqu’elle ne fût pas régulièrement jolie.
 
Félicie, qui était au contraire belle et régulière, n’avait aucun charme, sauf les rares moments où un bon sentiment faisait disparaître la froideur hautaine qui la déparait. Mais ce n’étaient que des éclairs, tandis que Gertrude était constamment embellie par l’expression douce, bonne, intelligente et affectueuse de son regard. Il en résultait que l’une était belle et désagréable, l’autre pas jolie et charmante.
 
Mme d’Orvillet, Mme de Saintluc et le général se promenaient dans une allée couverte qui longeait le chemin qu’avaient suivi les deux cousines ; on les voyait parfaitement à travers le feuillage qui abritait à leurs yeux l’oncle et ces dames.
 
Gertrude s’était arrêtée dans le feu de sa conversation ; elle restait immobile, contemplant sa cousine avec douceur et pitié. Félicie souriait d’un air incrédule.
 
« Regarde-les donc , dit le général à voix basse.
 
– Comme Gertrude est bien ! répondit de même Mme d’Orvillet.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Superbe ! Je ne l’ai jamais vue ainsi. Ce que c’est qu’une belle âme ! »
 
Ils restèrent en contemplation sans bouger, sans parler. Petit à petit l’émotion de Gertrude se fit jour : ses yeux se remplirent de larmes.
 
La physionomie de Félicie s’adoucissait ; son regard hautain faisait place à l’attendrissement, et, d’un mouvement inattendu, presque involontaire, elle se jeta au cou de Gertrude.
 
« Oh ! Gertrude ! que tu es bonne ! J’ai honte de moi-même quand je me compare à toi. Tu es un ange, et je me sens un vrai démon auprès de toi. Ce que tu as dit est vrai ; je le vois, je le sens ; j’ai voulu lutter contre la vérité, mais quelque chose en toi, que je ne peux définir, m’oblige à la reconnaître.
 
GERTRUDE<BR>
Ma bonne et chère Félicie ! Quel bonheur tu viens de me donner ! Tu veux décidément te faire aimer ?
 
FÉLICIE<BR>
Oui, comme toi, ma chère Gertrude. Je t’imiterai en tout : je tâcherai, du moins ; je te consulterai sur tout ! Quel malheur que tu ne restes pas toujours ici ! Quand tu seras partie, je n’aurais plus personne pour me diriger.
 
GERTRUDE<BR>
Et ma bonne tante ! Et mon excellent oncle ! Le meilleur des hommes, le plus indulgent, le plus aimable. Ma tante, le modèle des mères, toujours bonne, toujours dévouée, toujours sage dans ses conseils. Bénis Dieu, ma Félicie, d’avoir des guides, des exemples pareils !
 
FÉLICIE<BR>
Tu as raison, mais je suis plus à mon aise avec toi. Tu es ma ''semblable'' ; eux sont mes supérieurs. Je les crains un peu.
 
GERTRUDE<BR>
Tu les craignais quand tu faisais mal ; mais, quand tu seras devenue ce qu’ils sont eux-mêmes, tu les aimeras trop pour les craindre, et ils t’aimeront trop pour te gronder.
 
LE GÉNÉRAL, ''bas''<BR>
Je n’y tiens plus, il faut que je les embrasse.
 
MADAME D’ORVILLET, ''le retenant''<BR>
Non, non, Albert, n’ayons pas l’air d’avoir entendu leur conversation ; elles seraient gênées, Félicie surtout. Rentrons sans bruit…
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Ou plutôt continuons notre promenade ; je serais bien aise de marcher pour me remettre de l’émotion que ces petites filles m’ont fait éprouver. »
 
Mme de Saintluc appuya la proposition du général et ils ne revinrent qu’une heure après. Mme de Saintluc était fort contente de l’admiration du général pour Gertrude ; elle raconta divers traits de sa bonté, de sa raison, de son dévouement, qui augmentèrent encore la grande estime et l’affection du général pour cette charmante nièce. Mme de Saintluc fit aussi un grand éloge de Juliette.
 
« Mais, dit-elle, Gertrude est tellement au-dessus de son âge, elle est si intelligente, si aimante, si gaie, si spirituelle, si charmante enfin, qu’elle fait tort à sa sœur par la comparaison.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Amélie a de la chance d’avoir une fille si parfaite.
 
MADAME DE SAINTLUC<BR>
Et vous, général, vous avez de la chance d’avoir une nièce pareille.
 
LE GÉNÉRAL, ''souriant''<BR>
Oui, je ne suis pas mal partagé ; j’ai un très joli choix de nièces et un gentil neveu. Et je dois ajouter que les mères sont assez bien choisies ; Hélène et Amélie sont des mères modèles et des sœurs incomparables. Quand je suis chez Hélène, il semble que je sois chez moi.
 
MADAME D’ORVILLET, ''souriant''<BR>
À présent que j’ai eu aussi ma part de tes éloges, Albert, je crois que nous ferions bien d’aller voir Diloy et sa famille.
 
– Tu as raison, Hélène ; je les avais oubliés. »
 
Ils trouvèrent les Diloy au comble du bonheur. Ils avaient tout vu, tout examiné ; ils avaient trouvé des vêtements, des étoffes en pièces pour Marthe et pour les enfants ; toute la famille était dans la joie ; Anne et Laurent étaient revenus jouer avec les petits ; ils avaient emmené les deux aînés dans leur jardin, et tous y travaillaient déjà activement à tout arracher, tout bouleverser, pour y replanter fleurs et légumes.
 
Quand le général et Mme d’Orvillet vinrent chez Diloy, il leur présenta ses deux plus jeunes enfants.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Ils sont gentils, ces mioches ; et où sont les deux aînés ?
 
DILOY<BR>
M. Laurent et mam’selle Anne les ont emmenés, monsieur le comte. Je m’en vas les chercher tout à l’heure.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
As-tu vu Félicie et Gertrude ?
 
DILOY<BR>
Pour ça, oui, monsieur le comte ; ces bonnes petites demoiselles nous attendaient ici dans la salle. Les gentilles petites demoiselles ! Mam’selle Félicie a été bien aimable. Voyez, monsieur le comte, ce beau crucifix et cette jolie Vierge ; ce sont elles deux qui m’ont fait ces jolis cadeaux. Je les garderai bien précieusement toute ma vie durant, bien sûr.
 
« Quand j’aurai mangé un morceau, monsieur le comte, je ferai ma tournée dans le jardin pour voir au plus pressé.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Tu feras bien, car le vieux Marcotte ne faisait plus grand-chose ; le jardin a été bien négligé, et il y a beaucoup à faire. Le garçon jardinier est un bon travailleur, mais il n’entend rien aux ensemencements, aux arbres fruitiers et aux fleurs. »