« Les Quarante Médaillons de l’Académie » : différence entre les versions

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m COMP., RUE D'ERFURTH
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V
 
MONSEIGNEUR DUPANLOUP
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XV
 
 
 
M. THIERS
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[page 41 M. TIHERSTHIERS]
 
 
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[page 44 M. TIIIERSTHIERS]
 
 
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Barante s'est remis à écrire. Il a fait une ''Histoire de la Convention'' que ce grand nom de
Convention ne peut tirer de l'obscurité. Plénipotentiaire en histoire, comme en Russie !
 
 
[Page 49 M. AMPÈRE]
 
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XVII
 
M. AMPÈRE
</center>
 
Il s'est donné la peine de naître. Fils d'un
homme de génie, de ce fakir de la Science
dans les cheveux duquel les hirondelles faisaient leur nid sans que son immense cerveau
s'en aperçût, M. Ampère s'est trouvé aisément célèbre, ayant de toutes parts ces re-
lations qui poussent plus un homme que le
talent. Avant d'être M. Ampère par ses ouvrages, il était le fils de M. Ampère. Cela valait mieux.
 
 
 
[Page 50 M. AMPÈRE]
 
 
 
::Il portait mieux son nom en étant plus obscur !
 
Ce qui perd les fils des hommes de génie,
c'est qu'ils veulent être quelque chose par
eux-mêmes. Idée de femme ! Être aimées
pour elles-mêmes ! On voit mieux cependant
la médiocrité aux rayons de la gloire paternelle. M. Ampère avait, dit-on, des aptitudes
diverses. On a de lui des vers que M. Sainte-Beuve a vantés. Pourquoi pas ? Il vante bien
ceux de M. Littré. Politesse de bel esprit à bel
esprit du salon de madame Récamier ! C'est
en effet par ce salon que M. Ampère est entré à l'Académie, dont il est digne, du reste,
par la haine qu'il porte à l'Empire. Excepté
cette ''Histoire romaine'', pamphlet à allusions,
qui a paru en ces derniers temps, et dont
certainement M. de Mars n'est point capable,
il est impossible de se rappeler nettement les
divers ouvrages de M. Ampère. C'est comme
 
 
 
[page 51 M. LE DUC DE NOAILLES]
 
 
une masse d'articles de la ''Revue des Deux Mondes'', Tout le monde, dans les deux
mondes, est capable de ça !... Quant à l'''Histoire romaine'', insérée dans cette revue orléaniste, c'est bien malheureux que le talent
n'y soit pas au niveau de la haine... L'Empire aurait été perdu. A présent, M. Ampère
n'a plus qu'un moyen d'être Tacite, c'est de
se taire.
 
 
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XVIII
 
 
M. LE DUC DE NOAILLES
</center>
 
 
Encore un homme heureux d'avoir des
parents ! Descendant de la grande marquise
 
 
 
[page 52 M. LE DUC DE NOAILLES]
 
de Maintenon, il s'est planté une importance
et une célébrité dans cette parenté qu'il exploite. Il a fait une concurrence — c'est le
mot poli — à M. Théophile La Vallée, dont
tout le monde se souvient encore. Des pages
entières de l'histoire de madame de Maintenon, par cet historien, avaient été copiées par
M. de Noailles avec un sans-façon de grand
seigneur qui aurait dû flatter M. La Vallée,
lequel eut l'impertinence de n'être pas flatté.
«  Pourquoi me prenez-vous mon livre, monsieur le duc ? lui dit-il. Je ne vous prends pas
votre titre !» On a demandé (des malins !) ce
que M. de Noailles aurait écrit sans madame
de Maintenon. Mais, parbleu ! il aurait copié
quelque autre livre de M. La Vallée... On
comprend qu'il fût entré à l'Académie, à
cause de ce nom et titre de duc de Noailles,
qui y fait bien, mais on ne le comprend plus
depuis qu'il écrit, et c'est pour cela qu'il y est !
 
 
 
[Page 53 M DE PONGERVILL]E
 
<center>
XIX
 
M. DE PONGERVILLE
</center>
 
Académicien du temps de Sérapis. Il a
traduit Lucrèce en vers ; puis il est rentré
dans le silence des Pyramides ! qui, comme
on sait, sont des tombeaux !
 
 
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XX
 
M. DE FALLOUX
</center>
 
Il contraste bien avec cet antique M. de
Pongerville, la plus momie des momies aca-
 
 
[page 54 M. DE FALLOUX]
 
 
 
démiques, liée de bandelettes, rongée de
mites, qui ne dit mot et n'en pense pas davantage ; M. de Falloux n'est que trop vivant.
C'est un des meneurs les plus intrigants de
l'Académie. Il vaut, par l'influence et la parole infatigable, hélas! le vieux triumvirat
directeur et orateur : MM. Cousin, Guizot et
Villemain, avec lesquels, lui, légitimiste, il
concubine contre l'Empire ; mais il leur est
supérieur par le ton. On sait que M. de Falloux, homme du temps où des cordonniers
comme M. Albert gouvernaient la France de
saint Louis et de Napoléon, dut son influence
politique à une politesse qu'on ne connaissait
plus dans les Assemblées, et qui parut charmante et nouvelle au milieu des grossièretés
ambiantes... La politesse, devenue un peu
''rouée'', de M. de Falloux (M. Veuillot l'appelle
''Fallax'') fait encore sa force politique à l'Académie. C'est par la politique et la politesse qu'il y
 
 
 
[page 55 M. DE FALLOUX]
 
est arrivé... Ses titres littéraires étaient grands
cependant. Il avait, en littérature, la nullité
adorée... M. de Falloux a voulu toucher à
ce ferme et majestueux sujet, — ''la Vie de saint Pie V'', — et il a éventré là contre ses
déclamations sans entrailles... Son ''Louis XVI''
est faux et vulgairement sentimental. Pour
certaines gens, il semble que juger Louis XVI
ce soit lui couper la tête encore... M. de
Falloux , l'homme poli de l'Académie, et
qui, pour cela, cependant, ne la rend pas
plus agréable, est plus heureux ailleurs.
C'est le meilleur ''éleveur'' de cochons qu'il y
ait en France. Aux expositions, il a tous les
prix.
 
 
 
 
[Page 56 M. VIENNET]
 
 
<center>
XXI
 
M. VIENNET
</center>
 
 
Le premier de tous à l'Académie. Le véritable Académicien ! Que dis-je ? C'est vraiment l'homme- Académie ! Il a été engendré
de toute éternité pour elle. S'il m'était permis de donner mes idées sur cette auguste
institution, je voudrais qu'on inventât pour
M. Viennet un fauteuil de présidence perpétuelle, tant il représente bien l'Académie !
tant il s'adapte bien à cette vieille chose
du passé qui n'a plus de raison pour être !
M. Viennet, c'est le classique pur, la berne
 
 
 
[page 57 M. VIENNET]
 
 
 
immuable. C'est le d'Arlincourt du classique,
comme d'Arlincourt était le Viennet du romantisme. Il a fait des tragédies comme la
Fosse, des comédies comme Rochon de Chabannes, des fables... pas comme la Fontaine, à la lecture desquelles on rit à l'Académie de ce rire sans dents qu'on y a, parce
qu'il coud à la queue de ses fables, d'une
main qui ne manque pas de frénésie, des
malices orléanistes... On peut le nommer
Campenon, Campistron autant que Viennet...
Dernièrement il a publié, comme d'Arlincourt, un poëme épique, et ce n'est point
l'épopée dont il avait le génie. Cela ne s'appelle point la ''Louis-Philippiade'', mais la
''Franciade'', ce qui est bien différent. Aussi
a-t-il raté net son affaire. Poëme de douze
mille vers ! il faudrait vingt-quatre mille
hommes pour l'avaler.
 
 
[Page 58 M. VICTOR HUGO]
 
 
<center>
XXII
 
M. VICTOR HUGO
</center>
 
 
C'est bien derrière M. Viennet qu'il faut
placer M. Hugo, le chef de parti littéraire,
l'homme du romantisme et de la préface de
''Cromwell'', pour avoir une idée juste de cette
énormité: M. Victor Hugo à l'Académie ! Au
moins le duc de Guise fut assassiné par
Henri III, et quand il fut tombé dagué par
les Quarante-Cinq, le roi dit, tout pâle : «  Je
ne le croyais pas si grand, » ca que M. Viennet n'a pas, certes, dit, quand il a vu
 
 
 
[page 59 M. VICTOR HUGO]
 
M. Hugo, qu'aucun des Quarante n'était de
force à tuer, humilié à terre devant lui sur
le parquet ciré de l'Académie. Ce jour-là, où
était la fierté de la Muse romantique ? Ce
jour-là, l'homme qui s'est tant moqué des
ailes de pigeon en a mis. M. Victor Hugo a
démoralisé, par son exemple, cet enfant d'Alfred de Musset, qui, lui aussi, a accepté le
caparaçon académique sous lequel nous l'avons vu si tristement baisser la tête. C'était
un bât sur le dos d'Ariel ! Comme il y a en
littérature des questions d'honneur autant que
partout, quelle réponse fera l'histoire littéraire
de l'avenir à la question de savoir pourquoi
M. Victor Hugo a sollicité d'être académicien,
et a fait trente-neuf visites à des gens dont il
méprisait littérairement pour le moins trente-sept. Si sévère qu'on soit pour un grand talent qui a ses défauts et même ses vices, il
n'est pas moins certain qu'il y a dispropor-
 
 
 
[page 60 M. VICTOR HUGO]
 
tion du ''contenu'' au ''contenant'', quand on voit
M. Hugo à l'Académie, et que la racine d'un
chêne n'est pas de taille à tenir dans un vieux
pot à cornichons !... Quel motif a donc pu
décider M. Hugo ?... Est-ce la vanité, plus
forte que l'orgueil, ce jour-là ?... Est-ce l'amour du costume, de ce costume qu'avait
porté le grand Empereur ? En le voyant sur
ses épaules, M. Victor Hugo, qui n'était pas
républicain alors, se croyait peut-être un
peu Bonaparte... Sont -ce les douze cents
francs de jetons de présence ? Enfin, quoi ?...
Du reste, quand on n'a que soi pour tout
principe, on fait toutes les fautes sans en
avoir conscience. César de décadence en littérature, M. Victor Hugo, comme les Césars
de la décadence, se croit dieu. Il ne pense
donc pas qu'il puisse compromettre jamais
son essence divine. Cela l'innocente, mais à
quel prix ?
 
 
 
[Page 61 M. PONSARD]
 
 
<center>
XXIII
 
M. PONSARD
</center>
 
 
Oh ! lui, lui, il est h sa place à l'Académie !
Il est de la race des Viennet. Comme M. Viennet, il peut s'appeler la Fosse, Saurin, du
Belloy, la Touche, c'est-à-dire du nom de
tous les gens de lettres qui ont bâti des tragédies !
 
La première de ces choses qui l'a ''posé'',
comme on dit, et sur le souvenir de laquelle
il vit toujours, fut ''Lucrèce'', imitation grossière et faible, dans le détail et dans le style,
 
 
 
 
 
[page62 M. PONSARD]
 
 
 
de Corneille et d'André Chénier. Il est des
mains qui ne respectent rien. Les mains
lourdes et gourdes de M. Ponsard traînant
sur la pourpre romaine du vieux Corneille et
sur les diaphanes albâtres grecs d'André Chénier ! c'était à faire crier « à bas! » à tous
ceux qui ont le respect des belles choses. Eh !
Bien ! cela n'indigna personne dans les maisons où, pendant dix-huit mois, Vadius triomphant et pudibond, M. Ponsard alla lire sa
tragédie tous les soirs ! Le comité de l'Odéon, composé de têtes si fortes, fut séduit par ce succès de société, qui était aussi
un succès de réaction !... On était las des
excès du romantisme, et la vieille rengaine
classique parut neuve. M. Ponsard fut proclamé le ''poëte du bon sens'', parce qu'il était le
poëte de la vulgarité, ces deux choses qu'en
France nous confondons toujours... Mais il
ne retrouva jamais son succès de ''Lucrèce''. Il
 
 
 
[page 63 M. PONSARD]
 
 
 
fit ''Agnès de Méranie'', ''Charlotte Corday'', et
toujours on voyait ''Lucrèce'' à travers. Sa pièce
de ''l'Honneur et l'Argent'' n'a dû ses nombreuses représentations qu'à la politique, ce
qui, selon moi, est une honte pour une œuvre
littéraire. Les bourgeois orléanistes y voyaient
des allusions contre l'Empire et y battaient des
mains avec l'esprit qu'on leur connaît. Depuis ce temps-là, M. Ponsard, qui ressemble
un peu au paysan du Danube, endimanché
dans un habit bleu barbeau (image de sa
poésie), a écrit ''Horace et Lydie'' et a voulu
jouer à l'Horace, comme il avait joué au Corneille ! Chez les femmes, qui ne savent pas le
latin, on croit qu'Horace avait cette élégance,
et voilà deux poètes bien heureux !
 
 
 
[Page 64 M. VICTOR LAPRADE]
 
 
<center>
XXIV
 
M. VICTOR LAPRADE
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Il ressemble un peu par la barbe à M. de
Falloux. Il lui ressemble encore par les opinions et la passion politique. C'est la Fusion
à l'état de rage. M. Cousin, le philosophe,
n'a pas contre l'Empire de meilleur soldat
— entendons-nous, verbalement parlant, —
que ce poëte, soi-disant chrétien, qui, avant
de se jeter dans les fusions politiques, faisait
déjà fusionner dans ses vers le christianisme
et le paganisme, l'autel des druides et la
 
 
[page 65 M. VICTOR LA PRADE]
 
 
 
croix ! M. de Falloux a beaucoup plus de tenue que M. la Prade, qui n'en a pas, lui,
beaucoup plus que M. Pelletan... Il débuta
dans la ''Revue des Deux Mondes'' par un poëme
de ''Psyché'', ennuyeux, même à la ''Revue des Deux Mondes !!'' C'est phénoménal ! Puis, il
se jeta dans des ''Idylles'' montagnardes et dans
des ''Poëmes évangéliques''. Tout cela l'aurait
laissé obscur à Lyon, faisant son cours pour les
guides de la Suisse, si l'Académie n'avait voulu
recruter une clameur de plus contre l'Empire.
Enivré par le succès de sa réception, M. la
Prade a payé son entrée à ses maîtres, et il
leur a offert le bouquet de ses ''Satires politiques. L'Évangélique écœurant s'est cru la
plume de fer rougi de Juvénal... Le fer rougi
n'était qu'un fer à papillotes, qui brûla un
peu l'oreille violette, si prompte à la colère,
de M. Sainte-Beuve, lequel, raconte -t-on,
— mais c'est un renseignement à prendre
 
[page 66 M. VILLEMAIN]
 
 
 
— apporta un matin à l'Académie un morceau de bois pour répondre au fer. On eut
grand'peine à désarmer M. Sainte-Beuve,
qui se ressouvenait du parapluie dont il
avait, dit-on, menacé un jour M, Villemain,
place Saint-Sulpice, en l'appelant « le Thersite de la littérature. » Ce jour-là, M. la
Prade en fut quitte pour son frisson, et l'Académie, où il se passe de pareilles choses,
pour sa dignité...
 
 
<center>
XXV
 
M. VILLEMAIN
</center>
 
 
Puisque j'ai parlé de M. Villemain d'une
manière si honorable pour son caractère et
 
 
[page 67 M. VILLEMAIN]
 
 
 
pour sa gloire, finissons-en sur ce vieux Prix
d'honneur, et demandons-nous une bonne
fois ce qu'il a fait pour qu'on le regarde encore à cette heure comme l'homme le plus
spirituel de France et de l'Académie...
 
Ce qu'il a fait, le voici :
 
D'abord, un ''Éloge de Montaigne'' et un autre de ''Montesquieu'', où l'esprit médiocre de
l'Académie se retrouva assez pour se couronner. Ensuite, un ''Essai de critique'' dans lequel
M. Villemain, ce critique sans criterium,
parlait des lois du goût comme eût pu le faire
le Batteux. C'était, au dix-neuvième siècle,
inférieur, comme toute critique qui ne s'appuie pas sur une métaphysique robuste. Or,
M. Villemain, ce ''nez à l'ouest'', comme disait
si drôlement Balzac, n'eut jamais de métaphysique... Avec ce nez, c'est impossible !
Ajoutez un ''Cours d'éloquence'', qui eut du succès pour deux raisons : — la première, parce
 
 
 
[page 68 M. VILLEMAIN]
 
 
 
qu'il avait de l'écho dans les passions politiques du temps ; la seconde, parce que M. Villemain traduisait, dans ce ''Cours d'éloquence'',
les orateurs anglais, alors très-peu connus, —
mais au fond, si vous voulez y descendre, ce
''Cours'' est d'une platitude de jugement que
ne peut couvrir cette phraséologie élégante
qu'eut Lemontey av.jnt M. Villemain ; Lemontey, très-supérieur à M. Villemain dans la
même école ; Lemontey, qui a au moins la
grâce dans la pensée, d'un homme qui a
aimé les femmes, tandis que M. Villemain
est un Lemontey gauche et pédant, qui n'a
jamais connu d'autres jupes que son jupon
de professeur.
 
Il publia aussi dans ce temps-là (c'était le
temps de sa jeunesse) une dissertation sur
''Lascaris'', illisible maintenant que nous
avons jaugé le quatorzième, le quinzième et
le seizième siècle. Il fut encore plus chétif
 
 
 
[page 69 M. VILLEMAIN]
 
 
 
sur les ''Pères de l'Église'' que sur les ''Orateurs anglais''. Comment le bel esprit d'Université,
qui n'a rien compris à l'âme des deux Pitt,
pouvait-il comprendre quelque chose aux âmes
bien autrement grandes des régénérateurs du
monde ? Le malheureux n'a jamais jugé les
Pères de l'Église que comme des rhéteurs
habiles, des modèles d'orateur. Esprit mesquin qui plus tard ne conçut pas plus Cromwell que saint Grégoire de Nazianze. Un jour,
il eut (sous l'empire de quelle idée ?) une velléité d'historien, et il annonça qu'il allait
préparer une ''Histoire de Grégoire VII'' ; mais
M. d'Eckstein, l'auteur du ''Catholique'', — qui
vivait alors , un terrible sire d'érudition
et de principes, le lui défendit, sous peine
d'examen, et l'intrépide auteur resta coi sous
cette menace, comme sous le parapluie de
M. Sainte-Beuve. Enfin, dans ces derniers
temps, il publia les ''Mémoires de Narbonne'',
 
 
[page 70 M. VILLEMAIN]
 
 
 
dont il avait été le secrétaire, et les siens
en 1815. Livre où l'allusion, fine à force de
peur, essaye de pinçer l'Empire à la peau.
 
Telle est l'œuvre de M. Villemain. Où est
dans tout cela la raison suffisante pour faire
de lui, littérairement, plus qu'une médiocrité
cultivée, un bel-appris, mais pas davantage,
et pour le donner à la France comme un
homme dont la vivacité d'esprit touche au
génie ? En conversation, n'a-t-on pas fait de
M. Villemain un homme de puissante repartie, une espèce de Rivarol II ! Mais l'écrivain
aux ''cahiers d'expression'', qui cueille dans les
livres qu'il lit des expressions et des images
dont il est incapable et qui les réduit en
une espèce de poudre étincelante pour la
jeter, ''après coup'', sur ce qu'il écrit, oui,
l'homme d'une si lâche méthode doit aussi
préparer et travailler de longue main les reparties qu'on lui attribue. Chez M. Villemain,
 
 
 
[page 71 M. VILLEMAIN]
 
 
 
le charlatan de style doit toujours être embusqué sous le causeur... À quoi donc tient
le genre de gloire dont M. Villemain jouit
en paix depuis soixante années, — car cet
homme nul fut un enfant célèbre, — et que
rien ne peut altérer, même les rapports séniles qu'il fait chaque année comme secrétaire perpétuel de l'Académie ?... Il a beau
les faire ternes et d'une rhétorique impuissante, le pli est pris, le vase est imbibé. Ils
sont toujours ''brillants'', quand on en parle dans
les salons et dans les journaux ! ''Spirituel et brillant'', voilà la double épithète inféodée au
genre de talent de M. Villemain par ces moutons de Panurge qui bêlent toujours dans la
même note. Eh bien ! je crois savoir pourquoi
cette éternelle réussite, cette gageure inouïe
contre la vérité ! Les moutons de Panurge,
pour des moutons, ont leur petite rouerie.
Ils veulent peut-être un jour, en leur qualité
 
 
 
[page 72 M. V1LLEMAIN]
 
 
 
de moutons, entrer à rAcadémie, et ils savent bien que M. Villemain en tient la clavette.
 
C'est, en effet, le maître de céans. Je crois
que, comme la femme de ce représentant
qui disait « mon peuple, » M. Villemain
pourrait dire « mon Académie. » Il y demeure ; c'est sa coquille, son canonicat, son
fromage de Hollande. Tout le monde y souffre la prépotence de ce ''nez à l'ouest'', qui a
de la vrille dans l'esprit : les uns parce que
les passions de M. Villemain sont rendues plus
vives par sa conformation physiologique, laquelle exaspère les gens qui l'ont ; les autres par
une indolence méprisante, comme Lamartine,
qui ne vient pas même toucher ses jetons de
présence ! M. Cousin lui-même, le coup de
vent, l'homme sonore qui fait des bruits tonitruants, n'a pas contre l'Empire le degré
de passion repliée, profonde et persistante de
 
 
 
[page 73 M. VILLEMAIN]
 
 
 
M. Villemain. M. Cousin s'évanouit dans le
bruit qu'il fait. Ministre tombé, comme
M, Cousin d'ailleurs, M. Villemain le vaut
par le rang politique, qui a une si grande
influence à cette Académie littéraire depuis
si longtemps détournée du but de son institution ! Il a la rage des mêmes regrets parlementaires. Seul, M. Guizot, l'inventeur de
cette catapulte de la fusion, l'ancien président du Conseil, et dont la Toison d'or fait
un bel effet décoratif les jours de solennité à
l'Académie, pourrait lutter d'influence avec
M. Villemain. Mais M. Guizot a une ambition
moins ''chatte'' que celle de M. Villemain. Dans
le temps que M. Guizot était au pouvoir, sous
les d'Orléans, pourvu qu'il dît à la tribune
« le gouvernement du roi, » et, les bons jours,
« notre gouvernement, » il avait des jouissances, — les seules jouissances qui soient
dans sa nature, et c'est de même à l'Acadé-
 
[page 74 M. VILLEMAIN]
 
 
 
mie. Pour peu qu'il perche sur quelque
grand mot de ''moralité'', d'''alliance entre l'ordre et la liberté'', etc., etc., il est content, et
il laisse M. Villemain tout arranger autour de
lui dans l'intérêt de ces passions orléanistes
qu'il partage. C'est cette souveraineté à l'Académie qui empêche qu'on ne touche à la
vieille gloire de M. Villemain. Nous laissons
cette momie qui peut remuer contre nous, et
nous disons qu'elle est brillante. Tenez !
voilà M. Francisque Sarcey qui vient de se
croiser contre moi<ref>Dans le ''Nain Jaune'' où ces ''Médaillons'' ont déjà paru.</ref> à propos de M. Cousin, l'officier d'état-major de M. Villemain à
l'Académie ; mais je suis persuadé qu'il va
élever bien autrement la voix de son bon sens
contre mon imprudence et ma folie. Talent,
comme on sait, abondant et onctueux,
M. Sarcey, qui a de l'onction à en revendre
aux autres, n'a point mon opinion sur M. de
 
 
[page 75 M. VILLEMAIN]
 
 
Sacy, lequel est pour moi un petit bâlon de
cornouiller, et pour lui l'arbre qui distille
le baume et la myrrhe. Que ne dira-t-il pas,
contrairement à moi, de M. Villemain ?... Car
les gens qui désirent entrer dans cette bonne
maison des ''Débats'' désirent encore plus fort
entrer à l'Académie. C'est le salon et c'est
l'antichambre qui y mène, que l'Académie et
le ''Journal des Débats !''
 
Enfin, une autre grande raison encore de la
solidité de la gloire de M. Villemain, c'est la
position toute-puissante qu'il eut si longtemps
dans l'Université. Mère Gigogne de professeurs, qui en a tant pondu à tous les degrés
de la hiérarchie universitaire, M. Villemain a
appris à ces gens-là, qui stylent nos enfants
depuis tant d'années, que M. Villemain est le
brillant et spirituel M. Villemain. L'épithète-momie est restée à poste fixe sur le bec de tant
de perroquets ! M. Villemain, tout à l'heure,
 
 
 
[page 76 M. PROSPER MÉRIMÉE]
 
est à sa troisième génération de perroquets,
mais à la quatrième ce sera fini probablement.
M. Villemain ne vivra pas comme Mathusalem,
et alors l'hisloire littéraire le jugera comme
il le mérite, c'est-à-dire indigne d'être lu.
 
<center>
XXVI
 
M. PROSPER MÉRIMÉE
</center>
 
 
<references />