« Diloy le chemineau » : différence entre les versions

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– Et qui t’aime joliment, ma chère petite Gertrude ! »
 
 
===XXI - Le Général exécute les Castelsot===
 
Quelques instants après cette bonne nouvelle apportée par Gertrude, un domestique vint annoncer que M. et Mme Castelsot étaient au salon avec leurs enfants.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Ces gueux-là ! ils osent venir me sachant ici !
 
« Viens, Hélène, je vais leur faire leur paquet et leur ôter le goût de revenir chez toi.
 
MADAME D’ORVILLET<BR>
Oh ! Albert, je t’en prie, ne leur fais pas d’impertinences ; ils ne t’ont pas reconnu à la noce Robillard ; laisse-les tranquilles. Ne descends pas, je t’en prie.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Du tout, du tout, je veux les voir, leur parler. Je ne leur dirai pas la moindre impertinence ; je leur parlerai très poliment ; mais je veux les empêcher de revenir chez toi. Gertrude, va chercher Félicie, et viens avec elle et les enfants au salon. »
 
Gertrude sortit, et, quelques instants après, le général descendit, en riant des supplications et des terreurs de sa sœur, qui le suivait de près.
 
Quand ils entrèrent, le général alla droit au baron.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Par quel hasard es-tu dans notre voisinage, Futé ? Ton père t’a laissé un joli magot, que tu as joliment augmenté, à ce que m’a dit ton ancien maître, le pauvre duc de la Folotte, que vous avez tous mené grand train ; et toi, Clarisse, tu as donc épousé Futé, rusée que tu es. Ta dot était belle, ce me semble. Ce pauvre duc ! C’est sur lui que vous vivez pourtant ! »
 
Gertrude et Félicie entrèrent.
 
« Félicie, viens donc voir tes amis ; Gertrude, je te présente les petits Futé ; les deux grands-pères étaient, l’un maître d’hôtel, l’autre homme d’affaires du pauvre duc de la Folotte, qui avait grande confiance en eux : ce qui fait qu’il s’est trouvé ruiné et que les deux valets se sont trouvés enrichis.
 
« C’est qu’ils sont riches à millions ! Voyons, Futé, avoue-moi cela ; combien as-tu de fortune ? Deux millions ? Trois millions ? »
 
Tout le monde semblait pétrifié. Les Castelsot étaient pâles de fureur, de terreur, de honte. Immobiles, les yeux écarquillés, les dents serrées, les mains crispées, ils n’avaient la force ni de parler ni de bouger. Les enfants Castelsot, rouges, humiliés, désolés, n’osaient pourtant pas remuer. Mme d’Orvillet était dans un embarras mortel ; elle avait beau tirer la redingote de son frère pour le faire finir, lui lancer des regards suppliants, il n’en continuait pas moins.
 
Gertrude remarquait l’embarras de sa tante et commençait à s’inquiéter.
 
Félicie seule regardait d’un air satisfait et dédaigneux ses amis d’hier.
 
Le général, content de l’attitude terrifiée des Castelsot, leur dit en finissant, les sourcils froncés et le ton sévère :
 
« Vous ne m’avez reconnu ni l’un ni l’autre à la noce Robillard, et je n’ai pas voulu vous parler en public. Aujourd’hui, vous venez chez ma sœur. Comme elle ne compte pas confier ses affaires ni sa maison à des gens qui ont fait fortune aux dépens de leur premier maître, vous n’avez rien à faire ici. Va-t’en, Futé, et que je ne te revoie plus ici, non plus que toi Clarisse. Emmenez vos deux petits gredinets, qui vous ressemblent trop pour être reçus dans une maison honnête… Allons, partez ! »
 
Et comme Castelsot ne bougeait pas :
 
« Vas-tu déguerpir, mauvais garnement ? »
 
Un cri rauque, semblable à un rugissement, sortit enfin de la grosse poitrine de Futé-Castelsot ; il courut plutôt qu’il ne marcha vers son équipage ; sa femme et ses enfants le suivirent en silence, et ils repartirent pour ne jamais revenir.
 
Mme de Saintluc, qui avait entendu arriver la voiture et la vit repartir, descendit au salon pour savoir quels étaient ces visiteurs si pressés qui repartaient au bout d’un quart d’heure ; elle trouva tout le monde consterné ; M. d’Alban seul riait en regardant filer l’élégante calèche et les laquais poudrés.
 
« Qu’est-il donc arrivé, monsieur d’Alban ? Quelle visite avez-vous reçue ? Excepté vous, tout le monde me semble pétrifié. »
 
M. d’Alban se mit à rire.
 
« C’est moi qui suis la tête de Méduse ; j’ai mis en fuite les habitants de Castelsot, et vous voyez l’effet que j’ai produit sur les nôtres. »
 
Le général lui raconta ce qui venait de se passer, et la mit au courant des antécédents de la famille Castelsot.
 
« Je les connais depuis ma jeunesse ; j’ai connu La Folotte au collège de Vaugirard ; il a quelques années de plus que moi. J’ai vu souvent chez lui ses gens d’affaires et leurs enfants, qui sont les Castelsot ; les parents avaient volé le vieux duc, les enfants continuèrent à plumer le fils, jusqu’à ce que la fortune eût passé presque tout entière dans les mains des Futé. Je viens de les mettre à la porte très poliment ; n’est-ce pas, Hélène ?
 
MADAME D’ORVILLET, ''souriant''<BR>
Si tu appelles cela poliment, je ne suis pas de ton avis.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Et toi, Gertrude, qu’en dis-tu ?
 
GERTRUDE<BR>
Mon oncle, je trouve que vous les avez menés un peu rondement, tout en ayant raison.
 
LE GÉNÉRAL, ''riant''<BR>
Je les ai roulés un peu vivement en dehors de votre chemin, pour que Félicie n’ait plus à subir la mauvaise influence de ses amis Futé. Je crois que tu ne les regrettes pas beaucoup, Félicie ?
 
FÉLICIE<BR>
Je suis enchantée de ce que vous avez fait, mon oncle ; m’en voilà débarrassée. Leurs mines effarées me faisaient plaisir à regarder. Les cheveux du père étaient hérissés à la fin. Ah ! ah ! ah !*** qu’ils étaient drôles !
 
LE GÉNÉRAL, ''fronçant le sourcil''<BR>
Tu es un peu méchante, Félicie ! Tu les aimais tant il y a deux jours ! et aujourd’hui tu ris de leur humiliation.
 
FÉLICIE, ''avec hauteur''<BR>
C’est que vous m’avez appris ce qu’ils étaient, mon oncle ; et je ne veux pas que des Futé puissent se dire ou même se croire mes amis.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Les grands airs ! Prends garde aux grands airs !… Les Futé honnêtes eussent été très agréables à voir ; ce sont les Futé voleurs et impertinents que j’ai chassés. N’oublie pas, Félicie, qu’un ouvrier honnête est plus estimable qu’un prince sans foi et sans moralité. »
 
Le général proposa une promenade avant le dîner ; tout le monde voulut en être, même Laurent et Anne, qui ne quittaient pas leur cousine Juliette. La promenade fut agréable. Gertrude courut avec les enfants ; elle les aida à cueillir des bluets, des coquelicots ; elle entraîna Félicie à gravir des fossés, à les descendre en courant, à faire des guirlandes. Pendant un repos d’une demi-heure sous un groupe de chênes magnifiques, Gertrude et, à son exemple, Félicie firent aux enfants des couronnes et des colliers de bluets et de coquelicots. Félicie s’amusa, ne se plaignit pas une fois de la fatigue et ne demanda pas à rentrer.
 
Le lendemain, à sept heures, Gertrude, Félicie et Mme de Saintluc allèrent à la messe du village. Gertrude, sans vouloir ''prêcher'' sa cousine, disait souvent quelques mots pour réveiller les bons sentiments de Félicie, qui pria et réfléchit pendant la messe. Gertrude pria et pleura ; le souvenir de sa mère ne la quittait pas : elle priait pour son retour et pleurait son absence. Quand elles sortirent de l’église, elles se trouvèrent près du chemineau.
 
FÉLICIE<BR>
Vous ici, Diloy ? Par quel hasard ?
 
Je suis venu entendre la messe, mam’selle, et brûler un cierge devant l’image de la bonne Sainte Vierge, pour lui demander sa protection dans une affaire bien importante pour moi.
 
FÉLICIE<BR>
Quelle affaire ?
 
DILOY<BR>
Je ne peux pas vous le dire, mam’selle, mais il s’agit pour moi d’être heureux ou malheureux. Si l’affaire réussit, je suis le plus heureux des hommes ; si elle manque, c’est que j’ai mérité punition, et je quitterai le pays pour aller travailler ailleurs. »
 
Félicie rougit beaucoup ; elle comprit que sa mère et son oncle lui avaient parlé de leur projet, et elle sentit péniblement qu’elle seule s’opposait au bonheur de cet homme qui lui avait sauvé la vie.
 
Touché enfin de son humble résignation, elle se rapprocha de lui et resta un peu en arrière de Mme de Saintluc et de Gertrude.
 
«*** Diloy, dit-elle en souriant, je connais votre affaire ; je crois qu’elle se fera. Venez avec moi jusque chez maman ; elle cherche un jardinier, je lui en présenterai un.
 
DILOY<BR>
Vous, mademoiselle Félicie ? Vous ! serait-il possible ? Vous auriez la bonté de consentir… ?
 
FÉLICIE<BR>
Chut ! Diloy, chut ! vous savez que nous avons un secret à garder entre vous et moi. J’ai été méchante pour vous, mais je ne le serai plus, je vous le promets.
 
DILOY<BR>
Chère petite demoiselle, voyez où ce que nous sommes ; pouvez-vous, à cette même place où je me suis couvert de honte par ma brutalité, me redire que vous me pardonnez ?
 
— Très volontiers, mon ami. De tout mon cœur je vous pardonne, et cette fois c’est bien sincèrement, pour tout de bon. Pour preuve, donnez-moi la main pour m’aider à passer sur ce tas de pierres. Cette place est toujours encombrée… Merci, Diloy, dit-elle quand le tas de pierres fut franchi. C’est ça que j’aurais dû faire la première fois que je vous ai rencontré… Vous ne parlez pas, Diloy ; qu’avez-vous donc ?
 
DILOY, ''d’une voix tremblante''<BR>
J’ai le cœur si plein, mam’selle, que je n’ose parler, de peur d’éclater. Je suis si touché de vous voir si bonne, si gentille, je me sens si reconnaissant, si heureux, que je ne trouve pas de paroles pour m’exprimer. Et ça fait mal, ça étouffe.
 
– Gertrude, cria Félicie, attends-nous. Que je t’annonce une bonne nouvelle. J’ai trouvé un jardinier pour maman, et je le lui amène.
 
GERTRUDE, ''l’embrassant''<BR>
Comme tu as bien fait, ma bonne Félicie ! Quel plaisir tu vas faire à ma tante et à mon oncle ! »
 
Ils revinrent le plus vite possible à la maison ; Félicie courut tout de suite chez sa mère, suivie de Diloy ; elle entra comme un ouragan. Il était près de neuf heures ; Mme d’Orvillet et M. d’Alban déjeunaient.
 
FÉLICIE<BR>
Maman, maman, je vous amène un jardinier dont vous serez très contente, et que j’aimerai beaucoup et toujours. »
 
Mme d’Orvillet et le général poussèrent ensemble un cri de joyeuse surprise ; ils se levèrent précipitamment, embrassèrent tendrement Félicie, et s’approchèrent de Diloy, qui voulut parler et se couvrit les yeux de ses mains ; il pleurait.
 
Quand il put dominer son émotion, il découvrit son visage baigné de larmes.
 
« Pardon, chère dame ; pardon, monsieur le comte ; bien pardon, chère demoiselle ; je suis mieux, je n’étouffe plus. »
 
Il resta quelques instants sans parler, puis il se leva, demanda encore pardon et voulut sortir.
 
LE GÉNÉRAL<BR>
Eh bien ! eh bien ! où vas-tu, mon garçon ? Nous ne sommes convenus de rien ; tu ne sais rien, et tu pars comme cela sans dire gare ?
 
DILOY<BR>
Monsieur le comte, permettez-moi de prendre l’air un quart d’heure seulement. Je ne sais plus où j’en suis. Pensez donc quel bonheur je vais avoir, moi qui ai toujours vu souffrir ma pauvre femme, mes chers enfants ; pensez à la reconnaissance, à la joie qui m’étouffent. Pardon, monsieur le comte, pardon ; je serai de retour dans un quart d’heure. »
 
Et Diloy sortit précipitamment.
 
Le général, Mme d’Orvillet et Félicie même se sentaient émus du bonheur de cet excellent homme. Félicie fut embrassée à plusieurs reprises ; elle quitta sa mère pour aller retrouver Gertrude, qui était chez Mme de Saintluc ; elle y reçut de nouveaux compliments sur sa conduite ; ensuite Gertrude lui dit qu’elle allait travailler, écrire à sa mère et faire travailler sa sœur jusqu’au déjeuner. Félicie revint près de sa mère pour prendre ses leçons ; Laurent prit la sienne chez sa bonne, et tout rentra dans le calme.
 
 
 
 
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