« Chronique de la quinzaine - 14 avril 1871 » : différence entre les versions

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Nous disions le 31 mars dernier que le centre légal créé dans l’assemblée nationale par les élections du 8 février, et établi à Versailles avec M. Thiers, avait empêché la commune insurrectionnelle de Paris de dominer la France, que c’était la première fois que la partie n’avait pas réussi à se substituer au tout, et la première résistance légale opposée avec succès dans notre pays aux révolutions et aux coups d’état.
 
Nous le disions avant les journées du 2, 3 et 4 avril, avant la résistance opiniâtre opposée par nos soldats aux fédérés de Paris pendant la quinzaine qui vient de s’écouler; à plus forte raison devons-nous le dire maintenant que l’armée, par son attitude résolue, a, contre l’attente avouée de la commune, pris parti pour l’assemblée nationale. Désormais, quelles que soient les alternatives de cette lutte douloureuse que nous aurions voulu de toutes nos forces pouvoir empêcher, la question nous paraît décidée. La date et la forme du dénoûment parisien tardent encore; mais les doutes sur le dénoûment lui-même ont cessé. Paris n’opprimera pas la France. Personne assurément ne contestait le droit de la France de résister à l’oppression passive et active de Paris; personne aujourd’hui ne doute plus du fait. Les fédérés qui venaient chercher l’infidélité et l’égarement des soldats ont rencontré l’inébranlable assurance de leur patriotisme et de leur bon sens. La victoire restera au droit, nous en avons l’assurance, et, quelque peine qu’on doive éprouver à se féliciter d’un succès dans ces luttes fratricides, il faudra s’applaudir de celui-là. Il s’agit de la nationalité de la France, si douloureusement blessée, et qu’il nous faut sauver à tout prix. On va nous dire, nous le savons bien, que la nationalité française est aussi à Paris. Oui, dans le Paris de l’héroïque résistance opposée pendant cinq mois aux envahisseurs, — oui, dans le Paris qui a su endurer toutes les fatigues et toutes les misères d’un long siège pour donner à la France le temps de sauver au moins son honneur; mais sont-ils Parisiens, sont-ils Français, ceux qui continuent contre nous les
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malheurs de la guerre étrangère par les malheurs plus cruels encore de la guerre civile? Ils n’appartiennent pas à la nationalité française, ceux qui oublient avec tant d’empressement les désastres présens de la patrie pour nous consoler par les espérances lointaines de la république universelle. Le trait le plus saillant et le plus triste de notre situation, c’est l’absence absolue de patriotisme. On renverse la colonne Vendôme sous prétexte qu’elle est une insulte permanente du vainqueur aux vaincus; ne devrait-on pas songer que le moment qu’on prend pour rendre hommage à la fraternité des peuples est assez mal choisi, quand les Prussiens sont à Saint-Denis et nous regardent nous détruire? Ne vaudrait-il pas mieux les priver de ce plaisir le plus tôt possible? Justement des paroles de bon sens viennent de nous arriver de Versailles, apportées par quelques républicains qui sont au-dessus des soupçons. M. Thiers leur a confirmé « qu’il garantit l’existence de la république tant qu’il restera au pouvoir, qu’il a reçu un état républicain, et qu’il met son honneur à le conserver; » il les a pleinement rassurés sur les franchises municipales de Paris, « qui jouira des privilèges des autres villes, qui sera mis enfin dans le droit commun, rien de plus, rien de moins. » Voilà, il nous le semble au moins, de quoi faire cesser bien des malentendus; voilà le redressement des griefs qui ont fait prendre les armes à la population le 18 mars, et que le comité central alléguait dans ses affiches pour jeter d’abord le peuple dans la rue, et pour envoyer ensuite la garde nationale au rempart. Cet appel au bon sens public sera-t-il écouté? Il n’est malheureusement pas possible de le croire. Nous sommes bien loin à cette heure de toutes ces revendications du premier moment. Il s’agit bien d’une simple réforme municipale, quand on fait appel à tous les proscrits des insurrections européennes, quand la commune, sortant à chaque instant des limites qu’elle s’était tracées, abolit la conscription et le budget des cultes, s’approprie les biens du clergé, prétend traiter directement avec les puissances, met la main sur les propriétés de la France, envoie ses commis prendre possession des ministères et ses barbouilleurs s’emparer des musées! Ballottée sans trêve du socialisme au jacobinisme, se contredisant et se combattant tous les jours, éprouvée surtout par ce mal dont la France souffre depuis dix-huit ans, et qui est le symptôme des décadences, l’absence d’hommes politiques, la révolution du 18 mars ne sait pas ce qu’elle veut, et il est bien difficile de s’entendre avec elle parce qu’elle n’a point de programme formulé. Il y a donc peu d’espoir que ces tentatives de conciliation réussissent, et le sang français va couler de nouveau versé par des mains françaises.
 
L’armée, réorganisée par l’habile activité de M. Thiers, et rendue au sentiment du devoir par le patriotisme, voilà la grande conquête de cette quinzaine, et, si cette conquête n’a point encore son triomphe dans Paris, c’est qu’il faudrait, pour l’obtenir plus vite, verser plus de sang,
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et que l’humanité ordonne la patience, quand la patience ne peut plus nulle part créer l’incertitude.
 
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Disons-le franchement: l’armée avait un grand devoir à remplir et une grande revanche à prendre devant le pays. Pervertie par une mauvaise organisation, plus prétorienne que nationale, gâtée par des pratiques plus mauvaises encore que son organisation, livrée dans beaucoup de ses commandemens à l’esprit de courtisanerie et au régime de la faveur, faite de plus en plus pour les parades de la force et pour des représentations comme celles de Saarbruck, le 4 août 1870, plutôt que pour de vraies journées militaires, perdant peu à peu par l’influence des exemples d’en haut la virilité et la sincérité que donne le généreux métier des armes, l’armée devait, aussitôt qu’elle se heurterait contre la réalité, éprouver un désappointement et un échec qu’avaient prévu et annoncé quelques-uns de ses chefs et ses meilleurs amis. Le désappointement a été terrible. Il laissera dans l’histoire de France quelques pages inexpiables. Tout fît à la fois défaut à nos soldats, la science des chefs, l’activité des intendans, la prévoyance des dangers, tout, sauf le courage, devenu inutile et impuissant. La guerre sembla une science que les Français avaient oubliée, ou plutôt dont ils n’avaient pas suivi les progrès. Le duel qui, au XVe et au XVIe siècle, avait tué la chevalerie par les armes à feu, parut se renouveler entre la guerre de nature et d’instinct et la guerre d’art et de précision. Le courage fut cette fois encore battu par la science. C’est ce grand et douloureux désappointement que l’armée sent bien qu’il lui faudra du temps pour réparer; mais avant de le réparer par la science et les études, il fallait, pour réorganiser l’armée et la mettre à même de suffire aux calamités de l’heure présente, il fallait se servir de la science et des talens militaires de ceux qui en avaient conservé le dépôt malgré l’inertie et l’irréflexion impériales, qui l’avaient augmenté par les méditations de la captivité, et que la captivité nous rendait : il fallait refaire la discipline et la fermeté du soldat, le soin et la vigilance des officiers. Voilà ce qui s’est
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fait à Versailles sous l’inspiration et la surveillance de M. Thiers, et quand la triste nécessité de la guerre civile a forcé notre armée de montrer les qualités qu’elle avait si vite et si bien recouvrées, la France a retrouvé, pour défendre la cause de tous ses départemens attaqués par un seul, et non certes le moins brave, qui s’égarait malgré lui, la France a retrouvé son armée telle qu’elle l’eût souhaitée contre les Prussiens, son armée refaite dans les bivouacs laborieux et intelligens de Versailles, et qu’elle conservera pour les revanches de l’avenir.
 
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Songeons par exemple qu’à côté du demi-milliard que nous avons à payer aux Prussiens pour assurer la libération de nos départemens de la rive droite de la Seine, il y a un autre demi-milliard que réclament je ne sais combien de fournisseurs de tout genre qui ont profité de nos malheurs pour faire des gains frauduleux, qui ont livré à nos soldats
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mourant de faim et de froid des vivres avariés, des vêtemens usés et en lambeaux payés comme neufs, des chaussures qui n’avaient pas de semelles. Que de marchés frauduleux! que de pots-de-vin infâmes prélevés sur la vie et la santé de nos enfans! Il y a une commission de l’assemblée composée de soixante membres chargée d’examiner ces infamies, et, si nous en croyons ce qui se dit des premiers coups d’œil jetés par la commission dans ces étables d’Augias, il y a de quoi faire frémir non-seulement la probité publique, mais l’humanité, car toutes ces friponneries se sont soldées par des désastres nationaux, et par des misères et des morts individuelles dans nos bivouacs et dans nos hôpitaux. Cette commission de la chambre est et doit être une véritable chambre de justice, et une chambre de justice avec la publicité de notre temps, avec la conscience de magistrats appelés à venger l’intérêt public.
 
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L’assemblée nationale a surtout un mérite dont nul ne saurait plus douter; elle renferme un véritable parti de gouvernement, d’autant meilleur qu’il s’est formé tout seul et par ses propres instincts, sans aucune influence et sans aucune intervention ministérielle. Ceci nous amène à dire un mot de la séance du samedi 8 avril, où M. Thiers a
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menacé de donner sa démission. Pourquoi, dit-on, l’assemblée, qui venait de voter pour l’élection des maires par les conseils municipaux dans les grandes comme dans les petites communes, s’est-elle ravisée sur la menace du chef du pouvoir exécutif, et a-t-elle restreint l’élection des maires par les conseils municipaux aux communes qui sont au-dessous de 20,000 âmes, et qui ne sont pas des chefs-lieux de département ou d’arrondissement? Là-dessus, comment ne point, se récrier contre une assemblée qui change d’avis à la minute sur la parole du chef du pouvoir exécutif?
 
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Mais nous laissons volontiers ces détails de côté pour nous attacher au point important que nous avons indiqué, l’existence dans la chambre d’un parti de gouvernement, et qui s’est formé tout seul. On peut rendre cette justice au ministère ou lui faire ce reproche : il s’occupe peu de la chambre, et ne paraît pas songer à la diriger. M. Thiers est trop occupé pour le faire, et les autres ministres n’ont pas sans doute cette vocation, ou ne se sentent pas l’autorité suffisante pour avertir la chambre et pour poser au besoin la question de cabinet. Le parti de gouvernement qui, avant même que M. Thiers eût parlé, avait donné 274 voix à l’avis encore inconnu du gouvernement, ce parti s’est formé tout seul, très spontanément, et l’esprit de parti ne l’a pas plus aidé à se former que l’influence ministérielle. L’assemblée ne s’est pas partagée en républicains et en monarchistes : il y a des républicains sans passion, il est vrai, parmi les 274; il y a des monarchistes et des meilleurs parmi les 275. Le parti du gouvernement s’est donc formé à la chambre par la considération unique des dangers que courent le gouvernement, la société, le pays, et par l’idée des remèdes qu’il faut appliquer à ces dangers. Il a cru que les circonstances étaient en ce moment plus impératives que les doctrines. Il n’a point certes renoncé aux doctrines
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libérales; mais il croit qu’il faut en varier l’application selon les temps, suivre enfin la maxime de Louis XIV : « changer parfois de route, afin de ne jamais changer de but. » Il ne s’agit point ici de faire de l’ordre, comme en 1852, dans une pensée malsaine et intéressée, et de prôner l’autorité à tout propos, surtout quand l’autorité s’était créée toute seule et par la violence. Cela nous a trop mal réussi, et tous nos maux viennent de là ; mais il ne faut pas non plus faire du désordre pour arriver à l’ordre. La route n’y conduit pas, et le mal n’a jamais mené qu’au pire.
 
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ESSAIS ET NOTICES.