« Les Trois Mousquetaires/Chapitre 13 » : différence entre les versions

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<center>'''Chapitre 13 : MONSIEUR BONACIEUX'''</center>
 
 
 
Il y avait dans tout cela, comme on a pu le remarquer, un personnage dont, malgré sa position précaire, on n’avait paru s’inquiéter que fort médiocrement ; ce personnage était M. Bonacieux, respectable martyr des intrigues politiques et amoureuses qui s’enchevêtraient si bien les unes aux autres, dans cette époque à la fois si chevaleresque et si galante.
 
Heureusement, le lecteur se le rappelle ou ne se le rappelle pas, heureusement que nous avons promis de ne pas le perdre de vue.
 
Les estafiers qui l’avaient arrêté le conduisirent droit à la Bastille, où on le fit passer tout tremblant devant un peloton de soldats qui chargeaient leurs mousquets.
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Bonacieux réfléchit, en effet, sur ce qu’on venait de lui dire.
 
« Mais, monsieur le commissaire, dit-il timidement, croyez bien que je connais et que j’apprécie plus que personne le mérite de l’incomparable Éminence par laquelle nous avons l’honneur d’être gouvernés.
 
– Vraiment ? demanda le commissaire d’un air de doute ; mais s’il en était véritablement ainsi, comment seriez-vous à la Bastille ?
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– On me l’a enlevée, monsieur.
 
– On vous l’a enlevée ? dit le commissaire. Ah ! »
 
Bonacieux sentit à ce « ah ! » que l’affaire s’embrouillait de plus en plus.
 
« On vous l’a enlevée ! reprit le commissaire, et savez-vous quel est l’homme qui a commis ce rapt ?
 
– Je crois le connaître.
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– Songez que je n’affirme rien, monsieur le commissaire, et que je soupçonne seulement.
 
– Qui soupçonnez-vous ? Voyons, répondez franchement. »
 
M. Bonacieux était dans la plus grande perplexité : devait-il tout nier ou tout dire ? En niant tout, on pouvait croire qu’il en savait trop long pour avouer ; en disant tout, il faisait preuve de bonne volonté. Il se décida donc à tout dire.
 
« Je soupçonne, dit-il, un grand brun, de haute mine, lequel a tout à fait l’air d’un grand seigneur ; il nous a suivis plusieurs fois, à ce qu’il m’a semblé, quand j’attendais ma femme devant le guichet du Louvre pour la ramener chez moi. »
 
Le commissaire parut éprouver quelque inquiétude.
 
« Et son nom ? dit-il.
 
– Oh ! quant à son nom, je n’en sais rien, mais si je le rencontre jamais, je le reconnaîtrai à l’instant même, je vous en réponds, fût-il entre mille personnes. »
 
Le front du commissaire se rembrunit.
 
« Vous le reconnaîtriez entre mille, dites-vous ? continua-t-il…
 
– C’est-à-dire, reprit Bonacieux, qui vit qu’il avait fait fausse route, c’est-à-dire…
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– Dans lequel ?
 
– Oh ! mon Dieu, dans le premier venu, pourvu qu’il ferme bien », répondit le commissaire avec une indifférence qui pénétra d’horreur le pauvre Bonacieux.
 
« Hélas ! hélas ! se dit-il, le malheur est sur ma tête ; ma femme aura commis quelque crime effroyable ; on me croit son complice, et l’on me punira avec elle : elle en aura parlé, elle aura avoué qu’elle m’avait tout dit ; une femme, c’est si faible ! Un cachot, le premier venu ! c’est cela ! une nuit est bientôt passée ; et demain, à la roue, à la potence ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de moi ! »
 
Sans écouter le moins du monde les lamentations de maître Bonacieux, lamentations auxquelles d’ailleurs ils devaient être habitués, les deux gardes prirent le prisonnier par un bras, et l’emmenèrent, tandis que le commissaire écrivait en hâte une lettre que son greffier attendait.
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Tout à coup, il entendit tirer les verrous, et il fit un soubresaut terrible. Il croyait qu’on venait le chercher pour le conduire à l’échafaud ; aussi, lorsqu’il vit purement et simplement paraître, au lieu de l’exécuteur qu’il attendait, son commissaire et son greffier de la veille, il fut tout près de leur sauter au cou.
 
« Votre affaire s’est fort compliquée depuis hier au soir, mon brave homme, lui dit le commissaire, et je vous conseille de dire toute la vérité ; car votre repentir peut seul conjurer la colère du cardinal.
 
– Mais je suis prêt à tout dire, s’écria Bonacieux, du moins tout ce que je sais. Interrogez, je vous prie.
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– Ah ! ma foi, je ne demande pas mieux, s’écria Bonacieux ; je ne serais pas fâché de voir une figure de connaissance.
 
– Faites entrer M. d’Artagnan », dit le commissaire aux deux gardes.
 
Les deux gardes firent entrer Athos.
 
« Monsieur d’Artagnan, dit le commissaire en s’adressant à Athos, déclarez ce qui s’est passé entre vous et monsieur.
 
– Mais ! s’écria Bonacieux, ce n’est pas M. d’Artagnan que vous me montrez là !
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– Oui, vous.
 
– C’est-à-dire que c’est à moi qu’on a dit : « Vous êtes M. d’Artagnan ? » J’ai répondu : « Vous croyez ? » Mes gardes se sont écriés qu’ils en étaient sûrs. Je n’ai pas voulu les contrarier. D’ailleurs, je pouvais me tromper.
 
– Monsieur, vous insultez à la majesté de la justice.
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– Mais, s’écria à son tour M. Bonacieux, je vous dis, monsieur le commissaire, qu’il n’y a pas un instant de doute à avoir. M. d’Artagnan est mon hôte, et par conséquent, quoiqu’il ne me paie pas mes loyers, et justement même à cause de cela, je dois le connaître. M. d’Artagnan est un jeune homme de dix-neuf à vingt ans à peine, et monsieur en a trente au moins. M. d’Artagnan est dans les gardes de M. des Essarts, et monsieur est dans la compagnie des mousquetaires de M. de Tréville : regardez l’uniforme, monsieur le commissaire, regardez l’uniforme.
 
– C’est vrai, murmura le commissaire ; c’est pardieu vrai. »
 
En ce moment la porte s’ouvrit vivement, et un messager, introduit par un des guichetiers de la Bastille, remit une lettre au commissaire.
 
« Oh ! la malheureuse ! s’écria le commissaire.
 
– Comment ? que dites-vous ? de qui parlez-vous ? Ce n’est pas de ma femme, j’espère !
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– Cependant, dit Athos avec son calme habituel, si c’est à M. d’Artagnan que vous avez affaire, je ne vois pas trop en quoi je puis le remplacer.
 
– Faites ce que j’ai dit ! s’écria le commissaire, et le secret le plus absolu !. Vous entendez ! »
 
Athos suivit ses gardes en levant les épaules, et M. Bonacieux en poussant des lamentations à fendre le cœur d’un tigre.
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Le soir, vers les neuf heures, au moment où il allait se décider à se mettre au lit, il entendit des pas dans son corridor. Ces pas se rapprochèrent de son cachot, sa porte s’ouvrit, des gardes parurent.
 
« Suivez-moi, dit un exempt qui venait à la suite des gardes.
 
– Vous suivre ! s’écria Bonacieux ; vous suivre à cette heure-ci ! et où cela, mon Dieu ?
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– C’est cependant la seule que nous puissions vous faire.
 
– Ah ! mon Dieu, mon Dieu, murmura le pauvre mercier, pour cette fois je suis perdu ! »
 
Et il suivit machinalement et sans résistance les gardes qui venaient le quérir.
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La voiture se mit en mouvement, lente comme un char funèbre. À travers la grille cadenassée, le prisonnier apercevait les maisons et le pavé, voilà tout ; mais, en véritable Parisien qu’il était, Bonacieux reconnaissait chaque rue aux bornes, aux enseignes, aux réverbères. Au moment d’arriver à Saint-Paul, lieu où l’on exécutait les condamnés de la Bastille, il faillit s’évanouir et se signa deux fois. Il avait cru que la voiture devait s’arrêter là. La voiture passa cependant.
 
Plus loin, une grande terreur le prit encore, ce fut en côtoyant le cimetière Saint-Jean où on enterrait les criminels d’État. Une seule chose le rassura un peu, c’est qu’avant de les enterrer on leur coupait généralement la tête, et que sa tête à lui était encore sur ses épaules. Mais lorsqu’il vit que la voiture prenait la route de la Grève, qu’il aperçut les toits aigus de l’hôtell’Hôtel de villeVille, que la voiture s’engagea sous l’arcade, il crut que tout était fini pour lui, voulut se confesser à l’exempt, et, sur son refus, poussa des cris si pitoyables que l’exempt annonça que, s’il continuait à l’assourdir ainsi, il lui mettrait un bâillon.
 
Cette menace rassura quelque peu Bonacieux : si l’on eût dû l’exécuter en Grève, ce n’était pas la peine de le bâillonner, puisqu’on était presque arrivé au lieu de l’exécution. En effet, la voiture traversa la place fatale sans s’arrêter. Il ne restait plus à craindre que la Croix-du-Trahoir : la voiture en prit justement le chemin.
 
Cette fois, il n’y avait plus de doute, c’était à la Croix-du-Trahoir qu’on exécutait les criminels subalternes. Bonacieux s’était flatté en se croyant digne de Saint-Paul ou de la place de Grève. : c’étaitC’était à la Croix-du-Trahoir qu’allaient finir son voyage et sa destinée ! Il ne pouvait voir encore cette malheureuse croix, mais il la sentait en quelque sorte venir au-devant de lui. Lorsqu’il n’en fut plus qu’à une vingtaine de pas, il entendit une rumeur, et la voiture s’arrêta. C’était plus que n’en pouvait supporter le pauvre Bonacieux, déjà écrasé par les émotions successives qu’il avait éprouvées ; il poussa un faible gémissement, qu’on eût pu prendre pour le dernier soupir d’un moribond, et il s’évanouit.